JORF n°0047 du 25 février 2014

Avis du 6 février 2014

  1. Il ne relève pas de la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté de reprendre le débat ouvert lors de l'institution en France, par la loi du 25 février 2008 (élargie par la loi du 10 mars 2010), d'une nouvelle mesure de sûreté dans le champ pénal, baptisée rétention de sûreté. Il lui appartient en revanche de porter une appréciation sur l'état, l'organisation et le fonctionnement des « centres socio-médico-judiciaires » dans lesquels sont placées les personnes qui font l'objet d'une telle mesure. En effet, une décision de l'autorité judiciaire a eu pour effet de priver ces personnes de leur liberté. La prévention d'atteintes à leurs droits fondamentaux ― lesquels doivent être pris en considération, faut-il le rappeler, quel que soit le passé pénal et les risques estimés que comporte leur avenir ― relève bien de l'activité du contrôle général.
    C'est pourquoi ce dernier a procédé à une visite des locaux du centre socio-médico-judiciaire de sûreté implanté dans les locaux de l'établissement public national de santé de Fresnes (Val-de-Marne), les 9, 10 et 11 octobre 2013, après avoir été saisi, conformément à l'article 6 de la loi du 30 octobre 2007, de la situation de deux personnes qui y avaient été placées en application des dispositions conjuguées du chapitre III du titre XIX du livre IV du code de procédure pénale (articles 706-53-13 sq.) et du chapitre II (section 9) du titre II du livre V du même code (en particulier de l'article 723-37).
  2. La visite a donné lieu à un rapport dont les termes ont été communiqués au chef d'établissement, directeur de l'établissement public national de santé. Le présent avis a été élaboré sur le fondement de ce rapport et des réponses qui y ont été apportées. Il a été porté avant publication à la connaissance de la garde des sceaux, ministre de la justice, et de la ministre des affaires sociales et de la santé, par lettres du 6 février 2014 ; aucun de ces deux ministres n'a fait connaître d'observations.
  3. Les conditions dans lesquelles la rétention de sûreté est mise en œuvre appellent deux séries d'observations relatives, les premières, à la population à laquelle la mesure s'applique aujourd'hui, les secondes, aux conditions de prise en charge qui sont les leurs.
  4. La loi du 25 février 2008 conduit à placer en rétention de sûreté les personnes, condamnées pour des crimes très graves à une peine égale ou supérieure à quinze ans de réclusion criminelle, dont il est établi qu'elles présentent, à la fin de l'exécution de leur peine, une particulière dangerosité.
    Toutefois, le Conseil constitutionnel s'est opposé à tout caractère rétroactif de cette mesure de sûreté particulière, « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction » (décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, considérant 10). Il s'ensuit que, tant que les personnes condamnées par une cour d'assises dont l'arrêt aurait mentionné une possible rétention ne sont pas proches de la fin de leur peine (c'est-à-dire quinze années au moins après la promulgation de la loi, dont il faut soustraire d'éventuelles réductions de peine, sans doute peu étendues), aucun pensionnaire ne devrait rejoindre les centres socio-médico-judiciaires.
  5. Comment se fait-il alors que quatre personnes aient été placées, de 2011 à 2013, en rétention de sûreté ? Comme les commentateurs l'ont relevé, il existe une autre catégorie de personnes pouvant y être conduites : celles condamnées par une cour d'assises à quinze ans de réclusion ou plus pour des crimes de même nature que ceux précédemment mentionnés, mais sans prévision de rétention de sûreté ; qui ont été soumises au régime de la surveillance judiciaire (article 723-29 du code de procédure pénale), prolongée par une surveillance de sûreté ; et qui ont méconnu les obligations de celle-ci (article 723-37).
    C'est cet enchaînement qui a conduit quatre personnes, depuis la loi de 2008, complétée sur ce point par la loi du 10 mars 2010 (article 4-II, loi qui n'a pas été déférée au Conseil constitutionnel), à être conduites (à la date de la visite) dans les locaux du centre socio-médico-judiciaire de Fresnes, le premier y étant parvenu le 23 décembre 2011, le dernier en étant sorti le 24 novembre 2013. Ce nombre restreint ne fait évidemment pas obstacle à ce que soit interrogé l'enchaînement des causes les y ayant conduites.
  6. Les quatre personnes accueillies l'ont toutes été pour manquement aux obligations qui leur étaient imposées, conformément au mécanisme de l'article 723-37 :
    ― la première pour méconnaissance de l'obligation de soins psychiatriques et de l'obligation d'établir sa résidence dans un lieu déterminé ;
    ― la deuxième pour avoir fréquenté des débits de boissons et paru dans des lieux accueillant des mineurs, les uns et les autres lui étant interdits ;
    ― la troisième à la suite de manquements répété à l'obligation de soins ;
    ― la dernière, enfin, pour des motifs similaires.
    Le cas de celle-ci est à part. En effet, alors que le mécanisme de l'article 723-37 conduisant à la surveillance de sûreté et à la rétention de sûreté exige une condamnation à une peine d'au moins quinze ans, elle avait été l'objet d'une condamnation de dix ans de réclusion. Placée en rétention de sûreté à tort le 24 août 2013, il a fallu attendre une décision de la juridiction compétente en date du 22 novembre 2013 pour lever le placement, au terme de 88 jours de privation de liberté irrégulière.
    La situation des trois autres doit-elle être regardée comme conforme aux principes fondamentaux qui gouvernent la loi pénale, contenus notamment dans les articles 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 7 (pas de peine sans loi) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? Rappelons que leur placement a pour origine une surveillance judiciaire prolongée en surveillance de sûreté, dont les obligations n'ont pas été respectées.
  7. Comme on le sait, le Conseil constitutionnel a jugé (décision n° 2008-562 DC préc., considérant 9) que la rétention de sûreté n'était pas une peine au sens du code pénal. La Cour européenne des droits de l'homme est d'avis contraire pour une mesure équivalente de l'article 66, 1er, du code pénal allemand : 5e section, 17 décembre 2009, M. c/Allemagne, n° 19359/04, § 133 ; voir aussi deux autres décisions dans le même sens du 24 novembre 2011).
  8. Dans les cas où la rétention de sûreté a été appliquée postérieurement à 2008 à la suite d'un manquement aux obligations de la surveillance de sûreté, il n'y a pas en apparence de rétroactivité : la personne placée sous une telle mesure de sûreté ― laquelle, selon ce qu'en a admis le Conseil constitutionnel, peut s'appliquer à des personnes déjà condamnées ― sait, dès le début de la mesure, qu'en cas de méconnaissance de ses obligations elle pourra être placée sous un régime de rétention de sûreté. Mais, en réalité, aspects punitifs et préventifs sont indissolublement liés. En raison des caractères propres de celle-ci d'une part. Surtout, dans l'hypothèse considérée, en raison de l'empilement de mesures punitives, de mesures préventives non privatives de liberté et de mesures privatives de liberté. En effet, les cas considérés doivent répondre aux conditions suivantes (art. 723-37) :
    ― avoir été condamnés à une peine de réclusion criminelle d'au moins quinze ans, pour un des motifs pour lesquels la rétention de sûreté peut être ordonnée ;
    ― avoir été placés à la fin de leur peine, sous surveillance judiciaire ;
    ― à l'issue de celle-ci, avoir été placés, par le juge de la rétention de sûreté, sous surveillance de sûreté pour deux ans renouvelables ;
    ― si et seulement si les obligations de cette dernière n'ont pas été respectées, être placés, par le même juge, en rétention de sûreté.
  9. Or ces séquences apparaissent empreintes de discontinuité. Lors de leur condamnation, aucun juge ne pouvait envisager d'appliquer aux personnes qui nous intéressent ici un régime de surveillance de sûreté qui n'existait pas. Rappelons que cette mesure ne vise pas tous ceux qui relèvent éventuellement d'une surveillance judiciaire (art. 723-29) mais uniquement les condamnés qui, parmi eux, ont été punis des peines les plus lourdes pour de graves atteintes aux personnes. De surcroît, le seul manquement aux obligations d'une mesure de sûreté ne saurait évidemment conduire à une « peine » aussi lourde que la rétention de sûreté. C'est parce qu'ils ont été en outre condamnés pour des crimes graves et que, pour cette raison, ils sont jugés dangereux, qu'ils y sont placés. Mais ce placement n'existait pas davantage lors de leur condamnation. Chaque étape n'est donc pas intervenue « à la suite et par suite » de la précédente, comme l'écrirait la Cour européenne des droits de l'homme (cf. 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c/Belgique, § 35, série A, n° 50). Mais en fonction d'une construction échafaudée au fil des années, postérieurement à la condamnation initiale. « La Cour n'exclut pas, ajoute encore la Cour de Strasbourg, que des mesures prises par le législateur, des autorités administratives ou des juridictions après le prononcé d'une peine définitive ou pendant l'exécution de celle-ci puissent conduire à une redéfinition ou à une modification de la portée de la peine infligée par le juge qui l'a prononcée » et sont, par là, critiquables comme rétroactives (CEDH, Gde Chambre, 21 octobre 2013, Del Ro Prada c/Espagne, § 89, n° 42750/09). On peut donc légitimement s'interroger tout à la fois sur le motif qui conduit à la rétention de sûreté et sur l'application de celle-ci dans le temps, par conséquent, sur la validité des conditions, au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans lesquelles interviennent ces placements.
  10. Cette interrogation a des aspects également très pratiques. La rétention de sûreté est applicable aux personnes dangereuses dont il faut protéger la société. La seule inobservation des obligations dont est assortie une surveillance de sûreté ne caractérise pas d'évidence une telle population. Les deux personnes rencontrées lors de la visite des lieux en octobre 2013 en sont une illustration. L'une a méconnu sciemment les obligations de la surveillance de sûreté parce qu'elle estimait elle-même (pour des raisons liées à sa psychologie) que sa place était en rétention de sûreté ; les facultés de compréhension de l'autre étaient telles qu'il mesurait sans aucun doute assez mal la portée des contraintes qui lui étaient imposées. L'absence d'estime de soi et des ressources intellectuelles limitées ne sauraient établir par elles-mêmes une manifestation et encore moins une aggravation de l'état de « dangerosité » (sur la critique faite à l'emploi de ce terme, voir le rapport annuel du contrôle général pour 2011, p. 62 sq.) qui est censé être à la source d'une décision de surveillance de sûreté ; a fortiori pour un placement en rétention de sûreté.
    On doit ajouter que sur les quatre personnes placées en rétention de sûreté, la « commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté » (article 763-10 du code de procédure pénale), dont l'avis est nécessairement requis avant tout placement (article 706-53-19), s'est prononcée dans la moitié des cas défavorablement quant à la perspective d'un placement. Il convient surtout de rappeler que les durées de séjour en rétention de sûreté ont été respectivement de 41 jours (deux fois), 86 jours et 88 jours, autrement dit des durées pendant lesquelles il était vain d'espérer une modification de leur état constaté avant le placement. N'est-ce pas plutôt que le constat d'origine était contestable ?
  11. Mais ce ne sont pas seulement les principes et les pratiques dans lesquelles ces personnes ont été placées en rétention de sûreté qui soulèvent des interrogations. Il en va de même du régime qui leur est applicable.
  12. La loi du 25 février 2008 est claire dans ses intentions : la rétention de sûreté prend la forme d'un placement dans un centre socio-médico-judiciaire dans lequel est proposée à la personne « une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure ». Autrement dit, loin d'être une fin en soi et, par conséquent, une privation de liberté perpétuelle, la rétention de sûreté est un instrument d'évolution destiné à mettre fin au caractère « dangereux » de la personne. Pour faire bref, le centre socio-médico-judiciaire n'est pas un mouroir, mais un outil de guérison, donc de réinsertion. Ce pourquoi la situation de la personne qui y est placée est réexaminée une fois par an (sans compter les demandes de mainlevée de la mesure présentées par l'intéressé).
  13. Le centre socio-médico-judiciaire de Fresnes, inauguré le 6 novembre 2008, occupe une partie du rez-de-chaussée et le troisième étage (reliés par un escalier) de l'Etablissement public national de santé publique de Fresnes (EPSNF), matériellement voisin mais distinct du centre pénitentiaire de Fresnes, avec lequel il ne doit pas être confondu. Le rez-de-chaussée est voué aux formalités (greffe), aux visites, aux audiences et aux promenades ; le troisième étage à l'hébergement. Dans ce dernier, de part et d'autre d'un hall d'entrée s'alignent deux couloirs comportant l'un six studios individuels, l'autre quatre, ces deux secteurs pouvant être séparés par des portes fermées. Le contrôle général a relevé que les conditions matérielles d'hébergement étaient tout à fait satisfaisantes.
  14. Un premier ensemble de difficultés existe relatif à la définition du régime applicable. Il ne saurait s'agir d'un régime pénitentiaire (le centre n'est pas une prison) même si, bien entendu, des mesures de sécurité s'imposent. Or les personnels pénitentiaires présents (de surcroît épisodiquement, puisqu'il ne se trouve pas de pensionnaires permanents) sont conduits dans les faits à assimiler l'un et l'autre régime. Le règlement intérieur prévu par l'article R. 53-8-78 du code de procédure pénale interdit dans son annexe 2 un certain nombre d'objets aux personnes retenues, tout à fait similaires à ceux interdits en détention, parmi lesquels les téléphones cellulaires ; or les retenus peuvent téléphoner aux personnes de leur choix (7° de l'article R. 53-8-68 du code) et toute restriction supplémentaire doit être dûment justifiée par la sécurité. Le Conseil d'Etat a jugé que les restrictions infondées ― précisément en matière téléphonique ― étaient entachées d'incompétence (6/1, 21 octobre 2011, Section française de l'observatoire international des prisons, n° 332 707, C. Roger-Lacan, rapp. publ.). En outre, la cour de promenade, comme dans trop d'établissements pénitentiaires, est dépourvue de tout équipement sanitaire ou sportif et la possibilité d'y accéder manque de souplesse. Les extractions sanitaires se font de la même manière qu'en prison (présence des surveillants pendant les soins), c'est-à-dire en méconnaissance des règles applicables. Les mesures disciplinaires ne mentionnent pas la nature et le délai des recours possibles (en particulier il n'existe pas, en rétention de sûreté, de recours administratif préalable obligatoire). Les rondes nocturnes entraînent souvent un réveil toutes les deux heures sans justification. Enfin, la question des fouilles pratiquées et celle des mesures à prendre en cas de désordre (l'article R. 53-8-72 évoque seulement « toute mesure appropriée » si le bon ordre est mis en péril) restent floues. Bref, beaucoup d'éléments sont décalqués, sauf à être plus vagues, des établissements pénitentiaires dans lesquels on sait bien que la responsabilité des détenus n'est pas le premier objectif. Cette propension est renforcée par la circonstance que, alors que l'article R. 53-8-76 du code de procédure pénale, dans l'esprit de la loi, prévoit une responsabilité conjointe exercée sur le centre de Fresnes par un directeur des services pénitentiaires et un directeur d'hôpital, seul est présent le premier ; il est prévu par la convention avec l'hôpital Paul Guiraud que le directeur d'hôpital de l'EPSNF est aussi directeur du centre socio-médico-judiciaire : mais le poste est vacant depuis longtemps.
    Au surplus, il a été constaté par les contrôleurs que certaines contraintes imposées aux intéressés pendant leur surveillance de sûreté ont été reconduites pendant la rétention de sûreté : en particulier s'agissant de restrictions aux visites. Or le régime de la surveillance de sûreté ne peut fonder aucune mesure propre à la rétention de sûreté : seules des mesures nécessaires au bon ordre de celle-ci (article R. 53-8-66) peuvent être prises.
  15. Un second ensemble de difficultés dénature la portée de la rétention de sûreté en ce que la prise en charge est loin de répondre aux objectifs assignés par la loi. En premier lieu, l'inactivité des personnes retenues est la règle : rien n'est organisé pour leur occupation. Il n'existe, par exemple, lors du contrôle, aucun projet éducatif, aucune activité professionnelle, non plus qu'aucune activité de plein air. Seules sont utilisées une salle de sports et une salle informatique (avec accès internet « filtré »). Dans ces conditions, l'une et l'autre personne présentes lors du contrôle ont fait part aux contrôleurs de leur sentiment de grande solitude, d'ennui et d'abandon. En deuxième lieu, la prise en charge médico-psychologique est satisfaisante sur le plan somatique, dès lors que l'offre de soins de l'EPSNF est disponible pour les personnes retenues (mais une hospitalisation dans cet établissement est discutée dès lors qu'il est réservé à des personnes écrouées, ce que ne sont pas les retenus). Elle l'est en apparence en matière psychiatrique, dès lors qu'en application d'une convention passée le 28 mai 2009 pour trois ans, et reconduite par voie d'avenants, le groupe hospitalier Paul Guiraud de Villejuif met à disposition du centre de Fresnes un personnel médical et soignant de haute qualité (respectivement pour 0,4 ETP et 4 ETP). Toutefois, le faible nombre de personnes retenues n'a pas permis jusqu'alors de mettre en œuvre le projet médical de prise en charge thérapeutique, qui repose essentiellement sur des thérapies de groupe. Les médecins ont proposé que les retenus rejoignent des groupes thérapeutiques organisés au bénéfice d'auteurs d'infraction à caractère sexuel détenus à l'unité psychiatrique (UPH) du centre pénitentiaire de Fresnes : l'administration pénitentiaire s'y est opposée. Aucun texte ne permet cette possibilité et la solution préconisée, celle de l'autorisation de sortie sous escorte pénitentiaire pour permettre à la personne retenue de rejoindre l'UPH, n'était pas opératoire lors du contrôle. Dans les faits, les deux personnes alors retenues ne bénéficiaient ainsi ni d'une prise en charge médico-psychologique propre, ni de celle mise en œuvre pour des personnes détenues du centre pénitentiaire de Fresnes. Elles avaient droit à des consultations régulières d'un psychiatre (en principe une fois par semaine) et à des rendez-vous infirmiers (une fois par semaine et non plus deux comme pour la première personne retenue), qui ne constituent pas un véritable programme de soins. Au surplus, aucune des quatre personnes retenues n'a bénéficié, à sa sortie, d'un suivi spécialisé ouvert aux auteurs d'infraction à caractère sexuel. En troisième lieu, enfin, la prise en charge sociale est assurée ― avec bonheur ― exclusivement grâce à l'engagement personnel de l'assistante sociale de l'EPSNF, dont ce n'est pas la mission. Il est difficile de voir dans ces conditions la réalisation de la « prise en charge » socio-médico-judiciaire voulue par le législateur.
  16. Incertitude sur les principes et faiblesses de la prise en charge sont liées : moins cette dernière est effective, plus la durée de séjour risque de se prolonger puisque l'état de la personne n'a pas de motif d'évoluer. Or le maintien en rétention de sûreté selon des fondements aussi fragiles pose d'autant plus de questions au regard des droits fondamentaux qu'il se prolonge et qu'il ne peut, contrairement aux prévisions de la loi, être mis fin à la mesure. La brièveté des quatre placements ordonnés depuis 2011 n'est due qu'à la prise de conscience des juridictions que les exigences conduisant à ces mesures n'étaient pas satisfaites.
  17. La mise en œuvre de la rétention de sûreté nécessite donc aujourd'hui :
    ― d'une part, des éclaircissements sur la nature du régime applicable, souvent, laissée dans l'ombre par les textes, dès lors qu'on s'efforce de maintenir une distinction entre « personnes détenues » et « personnes en rétention de sûreté » (les lieux ouverts aux premières sont inaccessibles en principe aux secondes et réciproquement) mais que, dans la pratique, bien des éléments du régime pénal sont repris ; par exemple, dans quel hôpital faut-il soigner une personne en rétention de sûreté ? ;
    ― d'autre part, un sérieux enrichissement de la prise en charge actuellement pratiquée, c'est-à-dire une adaptation des moyens à des présences encore pour longtemps peu nombreuses et vraisemblablement fugaces ;
    ― enfin, à une sérieuse réflexion sur le bien-fondé d'une privation de liberté appliquée aux personnes ayant méconnu les obligations d'une surveillance de sûreté, au regard des principes de la loi pénale.

J.-M. Delarue