JORF n°0283 du 7 décembre 2022

Le centre national d'évaluation (CNE) est un service de l'administration pénitentiaire spécialisé dans l'examen de la situation de certaines personnes détenues majeures, parmi celles qui ont été condamnées aux plus longues peines d'incarcération. Initialement baptisé « centre national d'orientation » (en 1951) puis « d'observation » (en 1985) et dévolu à une mission d'affectation en établissements « pour peine » (centres de détention et maisons centrales), le CNE a vu son mandat élargi par l'entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008 (1) relative, notamment, à la rétention de sûreté. Il procède aujourd'hui à deux types d'évaluation :

- l'évaluation initiale, prévue à l'article 717-1-A du code de procédure pénale (CPP), permet de déterminer l'établissement pour peine dans lequel seront affectées les personnes condamnées à la réclusion criminelle pour une durée supérieure ou égale à 15 ans pour des crimes limitativement énumérés par la loi (2), dans l'année de leur condamnation définitive. A titre facultatif, le ministère de la justice peut également décider du passage au CNE de certains détenus (notamment ceux qui sont écroués pour des faits de terrorisme, cette évaluation se superposant alors à celle qui peut également être conduite dans les quartiers d'évaluation de la radicalisation [3]) ;
- l'évaluation de fin de peine, prévue à l'article 730-2 du même code, est obligatoire dans le cadre de l'examen d'une demande de libération conditionnelle des personnes condamnées aux peines les plus longues (4) et à la réclusion criminelle à perpétuité. Les personnes susceptibles de faire l'objet d'une surveillance judiciaire (5) lors de leur libération peuvent aussi être évaluées au CNE, à la demande de l'autorité judiciaire.

Historiquement implanté au centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), le CNE dispose aujourd'hui de trois sites supplémentaires intégrés aux centres pénitentiaires Sud Francilien - Réau (6) (Seine-et-Marne) depuis 2011, de Lille-Sequedin (Nord) depuis 2012 et d'Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône) depuis 2019. Hermétiquement séparés du reste de la détention, ces quartiers disposent d'un total théorique de 169 places pour les hommes (7) et assurent les deux types d'évaluation, à l'exception du site de Lille-Sequedin qui ne procède qu'aux évaluations de fin de peine. Les femmes sont orientées vers la maison d'arrêt des femmes (MAF) de Fresnes (quatre places pour les deux types d'évaluation) ou au centre de détention des femmes (CDF) de Réau (quatre places pour des évaluations de fin de peine). Quel que soit le type d'évaluation, les détenus sont affectés au CNE pour six semaines pendant lesquelles ils ont vocation à rencontrer les membres d'une équipe pluridisciplinaire composée de surveillants, de psychologues, de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et des directeurs de la structure. En évaluation initiale, un agent du bureau de la gestion des détentions de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) intervient lors de la commission pluridisciplinaire de mi-session pour donner son avis et apporter des informations sur les taux d'occupation et les particularismes des établissements envisagés. Les sessions d'évaluation sont fixées annuellement, entrecoupées d'une semaine « blanche » pendant laquelle le départ des détenus évalués laisse place à l'arrivée de nouveaux. La synthèse d'évaluation écrite par l'équipe pluridisciplinaire tient lieu de support à la décision de transfert prise par la DAP dans le cas d'une évaluation initiale ou, dans celui d'une évaluation de fin de peine, à l'examen des demandes d'aménagement de peine par le tribunal de l'application des peines (TAP).
En 2021, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) s'est rendu dans les quatre sites du CNE pour contrôler le respect des droits fondamentaux des personnes qui y sont évaluées (8). Pour étayer le présent avis, le CGLPL s'est également appuyé sur les témoignages écrits qui lui ont été adressés.
Au vu de ses analyses et constats, il estime que tels qu'ils sont actuellement mis en œuvre, ces dispositifs d'évaluation entraînent des atteintes à une partie des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Les ruptures qu'un placement au CNE entraîne découragent parfois les condamnés au point de renoncer à demander un aménagement de peine, étape pourtant essentielle d'un parcours de réinsertion. Le fonctionnement de ce centre aux quatre sites décentralisés présente des incohérences qui mettent en cause la pertinence même de l'outil. Cet avis appelle à l'évolution du dispositif, à l'heure où un nouveau site spécialisé dans l'évaluation de fin de peine de certains auteurs d'infractions terroristes est créé au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) (9).

  1. Le CNE, dont la gestion est lourde et lente, fonctionne selon un cadre incertain
    1.1. Les délais d'attente à l'arrivée et au départ retardent l'orientation en établissement pour peine et bouleversent les démarches de préparation à la sortie

Chaque année, près de 800 personnes transitent par le CNE. Bien qu'un quatrième site (Aix-Luynes) ait ouvert en 2019, les délais d'affectation et de sortie de ces centres sont longs et supérieurs à ceux prévus par la loi. Les contrôleurs ont examiné le délai dans lequel les personnes condamnées relevant d'une évaluation obligatoire sont affectées au CNE dans le cadre de leur évaluation initiale. Selon les termes de l'article L. 211-3 du code pénitentiaire, les personnes condamnées auxquelles reste à exécuter une peine d'une durée supérieure à deux ans devraient pouvoir obtenir, à leur demande, un transfèrement en établissement pour peines dans le délai de neuf mois. Pour les condamnés relevant d'une évaluation préalable au CNE, dans les termes de l'art. 717-1-A du code de procédure pénale, cette affectation au CNE doit intervenir dans un délai supérieur au droit commun, à savoir « l'année qui suit la condamnation définitive ». En pratique, les délais moyens d'attente pour le seul transfert au CNE sont largement supérieurs, oscillant de quatorze à dix-huit mois selon les sites. Certaines personnes attendent plus de deux ans.
Les évaluations de fin de peine pâtissent également de délais d'attente importants, contraires aux dispositions légales qui encadrent dans un délai de six mois la saisine initiale du CNE par le TAP et la transmission de la synthèse d'évaluation à cette même autorité (art. D. 527-1 CPP). Une attente moyenne de huit à dix mois (certains délais pouvant avoisiner deux ans) sépare l'ordonnance de placement d'un individu au CNE et le départ de l'intéressé dans l'un des sites. A ce délai s'ajoute celui qui est nécessaire à l'évaluation, à la rédaction et à la transmission de la synthèse pluridisciplinaire au tribunal qui peut atteindre quatre mois. De tels délais alourdissent la procédure d'examen d'une demande d'aménagement de peine et sont de nature à décourager les intéressés en perturbant l'organisation de leurs projets à l'extérieur, en particulier lorsqu'une promesse d'embauche ou une place d'hébergement ont été obtenus.
S'agissant du départ du CNE, les personnes accueillies en évaluation de fin de peine rejoignent rapidement leur établissement d'origine. En revanche, l'attente est beaucoup plus longue pour les détenus ayant rejoint le centre dans le but d'une évaluation initiale. En effet, avant d'être transféré, il faut attendre la décision d'affectation de l'administration centrale, puis qu'une place se libère dans l'établissement de destination. Or, certains d'entre eux présentent des délais d'attente supérieurs à une année. Le taux d'occupation des établissements pour peine est d'ailleurs une variable essentielle dans la préconisation qui sera rendue par l'équipe pluridisciplinaire du CNE. Le choix de l'établissement de destination tient compte de cette contrainte, dont le représentant de la DAP est l'expert. En cela, le CNE constitue plus un outil de répartition des flux de la population pénale sur le territoire qu'un outil d'individualisation des parcours. Le CGLPL rappelle sa recommandation minimale n° 50 (10), selon laquelle l'orientation doit se faire dans l'intérêt exclusif des personnes qu'elle concerne et ne saurait avoir pour finalité de répondre aux contraintes d'organisation de l'administration.
A l'issue de la session, l'intéressé patiente dans des quartiers réservés (les hommes étant isolés du reste de la population pénale) à Fresnes et à Aix-Luynes, ou à l'unité d'accueil et de transfert (UAT) de Réau. Or, la prise en charge au sein de ces quartiers, qui ne devrait constituer qu'un sas très court, n'est pas adaptée en matière d'activités, de suivi sanitaire ou encore d'application des peines. De nombreux détenus se disent en difficulté lors de ce temps d'attente, qualifié par certains agents de « nouveau choc carcéral ». La situation est aggravée pour les femmes, qui sont évaluées puis patientent à la MAF de Fresnes, fréquemment surpeuplée : « Résultat, on a été obligé de nous doubler. Comme si cette période n'était pas assez traumatisante et compliquée à gérer avec soi-même. Je suis depuis dix semaines avec une grosse fumeuse (selon ses mots à elle, elle fume encore plus à cause du stress et de l'inactivité) » ; « Je pensais être transférée rapidement suite au CNE qui se termine, mais je dois y rester encore des mois avant d'être transférée. Je suis loin de ma famille, nous sommes tous fatigués et usés, je n'en peux plus ». Au total, le délai prévu par l'article L. 211-3 du code pénitentiaire est rarement respecté pour ces détenus condamnés à de longues peines.
Les délais de transfert au CNE doivent être réduits pour permettre une orientation rapide des personnes condamnées en établissement pour peine et l'examen des demandes d'aménagement de peine en temps utile. A l'issue de la session, les condamnés doivent rejoindre leur établissement de destination dans les plus brefs délais. L'information qui leur est délivrée lors de leur départ du CNE vers la détention « classique » où ils patientent doit être améliorée afin de limiter leur perte de repères.

1.2. Les détenus peinent à comprendre le dispositif d'évaluation

Si certains détenus ont le sentiment d'avoir été « enfin écoutés », d'autres, qui s'en sont ouverts au CGLPL, remettent en question l'intérêt même de leur évaluation au CNE, effectuée par des personnes « qu'on ne connait pas » dans un temps relativement court : « J'ai eu deux entretiens ici. Mon évaluation en six ans de maison d'arrêt est plus conséquente que six semaines ici, ça paraît dérisoire » ; « C'est beaucoup de logistique et de frais pour pas grand-chose ».
Le CNE apparaît d'ailleurs parfois comme une formalité administrative. Les contrôleurs ont ainsi observé le cas de nombreuses personnes pour lesquelles le choix d'établissement pour peine était arrêté dès les premiers jours de l'évaluation, le passage au centre se bornant à confirmer une préconisation antérieure. C'est spécialement le cas des personnes souffrant de troubles psychiatriques, comme s'en inquiétait un professionnel : « l'administration centrale sait déjà où elle veut les affecter. Dans ce cas cela n'a pas de plus-value, on va simplement les perturber encore davantage ». Trois publics particulièrement mal intégrés au dispositif souffrent de cette perte de sens, les détenus ultramarins, transférés à des milliers de kilomètres de leurs attaches, les femmes et les personnes non francophones. Pour les premiers, en 2014, un groupe de parlementaires préconisait la création, « à titre expérimental », d'un centre national d'évaluation (CNE) « ambulatoire » pour les collectivités d'outre-mer. Il s'interrogeait également sur la pertinence d'une évaluation menée loin de l'« univers culturel » des détenus, dont le transfert n'est d'ailleurs pas toujours possible eu égard à leur situation administrative ou à leur état de santé (11). La crainte est grande, pour les personnes évaluées en début de peine, d'être affecté dans un établissement en métropole et nombreuses sont celles qui se résignent à une sortie « sèche » pour éviter l'évaluation de fin de peine.
Les femmes, minoritaires, comme toujours, n'intègrent pas les sites du CNE, réservés aux hommes, mais sont transférées dans les quartiers pour femmes des centres pénitentiaires de Réau ou de Fresnes. Mal intégrées, elles se sentent délaissées, à l'écart du CNE et des équipes qui ne se déplacent pour les rencontrer qu'en fonction de leur disponibilité. « Les conditions d'accueil pour les femmes ne sont absolument pas adaptées […] Pour les hommes il y a un quartier dédié où les surveillants ont le temps de veiller sur les détenus, mais pour les femmes, le CNE, c'est la MAF [de Fresnes] surpeuplée. Quand on débarque des quatre coins du pays, on a besoin d'un peu plus d'attention, de temps, et d'une considération particulière, donc de structures adaptées et personnel adéquat ».
Enfin, l'accueil des personnes non francophones est également insuffisamment organisé. Si les sites de Fresnes, Lille-Sequedin et Réau disposent d'un accès à des systèmes d'interprétariats, ce n'est pas le cas d'Aix-Luynes qui a recours aux services d'agents pour certaines traductions ; cette solution n'est pas satisfaisante, qu'il s'agisse de délivrer une information complète ou de réaliser les entretiens. De surcroît, l'insuffisante formation des interprètes aux enjeux et au contenu de l'évaluation entraîne parfois une forme d'« autocensure » des évaluateurs qui se sentent contraints « d'aller à l'essentiel ». Enfin, aucune solution pérenne n'a été trouvée pour les personnes sourdes maîtrisant la langue des signes française (LSF), et encore moins pour celles qui ne la maîtrisent pas (12).
Pour toutes et tous, en dépit de ces différences de traitement, les sessions d'évaluation se succèdent, guidées par les seuls critères légaux, strictement et immuablement imposés. Or, devant ces constats, on ne peut que s'interroger sur la pertinence de cet outil, imposé de manière rigide et systématique à l'ensemble des détenus qui en relèvent légalement. Le dispositif mériterait d'être assoupli, a fortiori au regard du contexte de saturation de l'outil. La loi doit être modifiée (13) afin que l'affectation au CNE soit personnalisée et constitue un réel apport aux parcours étudiés. Lorsque tel est le cas, l'évaluation doit s'effectuer dans le respect des droits des personnes évaluées, notamment le maintien de leurs liens familiaux, et mise en œuvre sans que leur prise en charge ne s'en trouve dégradée. A ce titre, le CNE doit disposer d'un système de traduction adapté à la complexité des informations recueillies.
Enfin, les critères légaux qui imposent une évaluation restent obscurs pour de nombreux détenus, voire des professionnels. Cet impératif est parfois découvert en fin de parcours, comme l'explique un détenu qui, fort d'une promesse d'embauche, a pourtant été convoqué peu de temps avant l'examen de sa demande de libération conditionnelle : « on me dit que je dois finalement aller au CNE (…) avant de pouvoir passer en aménagement (ascenseur émotionnel), chose que je n'ai jamais entendu parler ou bien même été informé. Ce CNE tombe du ciel à la dernière minute ». De plus, les informations transmises aux détenus par certains sites du CNE sont lacunaires : la durée et le contenu de l'évaluation, le régime de détention et la perspective possible d'une longue attente sont rarement connus des professionnels de l'établissement de départ et tous les sites du CNE ne transmettent pas aux détenus un courrier d'information sur le déroulement de leur transfert et de leur séjour. Les hypothèses d'affectation au CNE manquent de publicité et mériteraient d'être expliquées aux personnes susceptibles d'y être évaluées dès le début de leur parcours et en tout état de cause, de manière anticipée, avant que l'intéressé ne puisse prétendre à un aménagement de peine. Une information claire sur le cadre et les enjeux de l'évaluation au CNE doit également être délivrée en amont des sessions aux personnes détenues et aux services des établissements d'origine.

1.3. Faute de définition des concepts qui fondent les évaluations et de visibilité sur leur utilité, les intervenants peinent à trouver du sens à leur travail

La note de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) du 17 juillet 2015 relative au CNE prévoit que l'évaluation initiale vise à « proposer une affectation en établissement pour peine adaptée à la personnalité des condamnés et à formuler des préconisations de prise en charge dans le cadre de l'élaboration de leur parcours d'exécution de peine », tandis que l'évaluation de fin de peine a vocation à « déterminer l'existence ou la persistance d'une dangerosité éventuelle chez les condamnés dans le cadre de l'examen d'une demande d'aménagement de peine ou d'une mesure de sûreté ».
La compétence du CNE en fin de peine s'inscrit dans une politique pénitentiaire où l'évaluation des individus prend, comme dans le reste de la société, une place de plus en plus importante. Tout au long de son parcours, le détenu fera l'objet d'évaluations successives sous diverses formes, par différents services : elles ne seront pour autant ni mutualisées ni mises en miroir. L'injonction actuelle d'évaluer les parcours de vie, les comportements et les discours, dans le but de prédire le risque d'un nouveau passage à l'acte et la crédibilité de l'amendement, interroge. Concept central de l'évaluation de fin de peine, les CNE sont confrontés à l'opacité d'une commande publique reposant sur une notion de dangerosité qui n'est jamais définie. Sans instructions sur ce sujet, les sites interprètent donc diversement la notion. Certaines synthèses du site de Fresnes insistent sur le projet de sortie, sans quantifier un risque de récidive. Au sein du site d'Aix-Luynes, le pôle de surveillance évalue une dangerosité carcérale, le pôle insertion et probation une dangerosité criminologique et un risque de récidive, le pôle psychologique une vulnérabilité psychique, et le pôle psychotechnique une évaluation du projet de sortie. Le site de Lille-Sequedin propose une graduation du degré de récidive, tandis que l'équipe de Réau tente de « comprendre le fait criminel », « de qualifier le risque » et « l'évolution du positionnement et de la réflexion sur le passage à l'acte ». Un professionnel résume l'ambiguïté du travail de prédiction qui leur est confié : « On ne peut pas être aussi tranché, c'est pour ça que les synthèses sont si longues ». Le CNE ne peut avoir de sens que si le législateur clarifie sa demande et que la DAP fasse clairement savoir aux personnels des différents sites de ce qui en est attendu.
L'impact des évaluations sur l'élaboration d'un parcours d'exécution de peine ou à l'appui d'une demande d'aménagement doit être analysé. Le bilan qui en sera tiré doit permettre d'identifier l'opportunité du recours à ce dispositif et, le cas échéant, préciser le cadre de ce qui est attendu des pôles composant l'équipe pluridisciplinaire.

  1. Le CNE manque d'outils de travail et souffre d'un pilotage défaillant

Les visites ont mis en exergue la faible assistance offerte par la DAP aux sites du CNE, qui lui sont pourtant rattachés. Le CNE, en tant qu'entité nationale, est dépeint comme une « coquille vide » par certains professionnels : il n'existe pas de responsable spécifique au niveau national, ni de pilotage formel de l'activité des sites, ni de contrôle hiérarchique. Or, les sites dépendent théoriquement d'une double hiérarchie, celle de la DAP pour ce qui concerne la stricte évaluation des détenus (14), et celle du centre pénitentiaire dans lequel ils sont implantés pour les autres aspects. Cette tutelle est plus ou moins prégnante selon les sites.

2.1. L'activité et les méthodes d'évaluation sont insuffisamment définies et encadrées

L'activité des sites ne fait pas l'objet d'instructions particulières de la part de la DAP. Les directeurs ne disposent d'aucune lettre de mission ou d'une fiche de poste de la part de la DAP s'agissant de leurs fonctions au CNE ; l'équipe de direction du CNE d'Aix-Luynes a assuré seule l'ouverture du site, sans bénéficier d'un accompagnement suffisant par le niveau central ; la note de cadrage de la DAP du 17 juillet 2015, qui n'a pas été actualisée depuis cette date, ne mentionne pas son existence. La DAP doit assurer le pilotage de l'activité du CNE, coordonner l'action des sites du CNE en lien avec les directeurs interrégionaux des services pénitentiaires et les chefs d'établissement dans le souci d'harmoniser leur fonctionnement. Elle doit également effectuer chaque année un bilan de l'activité du CNE.
Les méthodes d'évaluation ne font pas davantage l'objet d'une réflexion ou d'un étayage. La note de cadrage précitée ne précise ni la fréquence minimum ni la répartition des entretiens, s'en tenant à définir, pour chaque pôle, le cadre de l'évaluation sans en définir précisément les outils. Les méthodes se construisent donc localement et empiriquement. La fréquence des entretiens est néanmoins jugée insuffisante par la plupart des agents et de nombreux détenus. Trois sites utilisent les activités comme outil d'évaluation mais pas celui de Lille-Sequedin. A ce sujet, le CGLPL estime en tout état de cause, que si les activités servent à évaluer, elles doivent être pensées en ce sens et proposées dans cette perspective et en fonction de leur utilité. En ce cas, elles doivent être complétées par des activités de détente, simplement occupationnelles. Les outils d'évaluation doivent être harmonisés entre les sites, contrôlés dans leur qualité et leur efficacité. Les personnes évaluées doivent être clairement informées, en toute transparence, des moyens utilisés pour conduire l'évaluation dont elles sont l'objet et, notamment, de la prise en compte de leur implication et comportement dans le cadre de leurs activités. Enfin, les personnes détenues ne sauraient faire l'objet d'une évaluation constante dans l'ensemble de leurs actions ou activités quotidiennes ; elles doivent pouvoir occuper leur quotidien d'activités hors du regard de l'évaluateur.
Dans ce flou normatif généralisé, des pratiques non règlementaires sont mises au service de l'objectif d'évaluation.
Au CNE, les modalités de gestion des correspondances échappent ainsi aux services du vaguemestre. Le courrier passe entre les mains des surveillants du CNE qui en prennent connaissance, ce procédé étant présenté comme faisant partie du processus d'évaluation et permettant, selon les professionnels, d'obtenir des informations complémentaires, notamment sur le mode et le réseau relationnel de la personne évaluée. A l'exception du site de Fresnes, les conversations téléphoniques sont systématiquement écoutées par les membres de l'équipe. La lecture des courriers et l'écoute des conversations téléphoniques des personnes détenues au CNE, par des agents non habilités, à des fins d'évaluation, sont dépourvues de base légale, l'article L. 345-3 du code pénitentiaire ne prévoyant ce contrôle que « lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité ». Elles constituent une atteinte aux droits des personnes, d'autant plus mal vécue qu'elle peut être réalisée par le surveillant « qui ouvre la porte tous les jours », de même qu'une atteinte au respect de leur vie privée et familiale, à l'intimité et au secret des correspondances. Ces pratiques doivent cesser.

2.2. Les évaluateurs ne disposent pas de l'ensemble des informations indispensables

Les contrôleurs ont constaté des carences dans la mise à disposition des outils nécessaires à l'examen de la situation des condamnés. Les dossiers d'évaluation initiale (15), qui constituent le point de départ de l'évaluation, sont souvent transmis incomplets ; certains documents font fréquemment défaut comme le rapport réalisé par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de l'établissement de départ, la synthèse effectuée par la psychologue PEP (parcours d'exécution de peine), l'éventuelle synthèse d'évaluation initiale, les expertises, etc. Ces difficultés, que le dispositif du dossier unique de personnalité (DUP) prévu par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 (16) doit permettre de résoudre, sont un obstacle à la reconstitution du parcours de la personne. La DAP doit mettre en place un système de communication permettant au CNE de disposer, en amont, des éléments d'information permettant de retracer le parcours d'exécution de peine de chaque personne évaluée ; elle doit s'assurer que l'ensemble des pièces judiciaires et pénitentiaires nécessaires aux évaluateurs leur est transmis en temps utile.
Par ailleurs, dans le cadre de leur mission de proposition d'affectation, les équipes des CNE ne disposent pas d'éléments précis et actualisés sur les établissements pénitentiaires, concernant par exemple la présence d'infrastructures adaptées aux personnes à mobilité réduite, les offres de formation, de travail, d'activités sportives et socio-culturelles, les offres de soins, les programmes collectifs, la présence de structures de maintien des liens familiaux, etc. Il n'existe pas non plus de communication des délais moyens d'attente pour les différents établissements pour peine. Chaque site se constitue artisanalement des fiches sur les établissements sans qu'aucune mutualisation n'en soit faite au niveau central, ni entre sites. Certaines équipes organisent des visites d'établissements pour peine afin de collecter sur place des éléments, dont les évolutions ultérieures risquent néanmoins de rester méconnues. Des informations sont ponctuellement glanées auprès du représentant du bureau de la gestion des détentions de la DAP qui est associé, dans le cadre des évaluations initiales, aux commissions de suivi. De même, aucune information formalisée n'est communiquée aux détenus qui doivent s'en remettre au bouche-à-oreille. Outre l'incertitude qu'elle entraîne, cette situation constitue un risque d'atteinte important aux droits fondamentaux des personnes évaluées, qui pourront être affectées dans un établissement qui, finalement, ne répondra pas à leurs besoins familiaux, médicaux, professionnels, etc. Il appartient à la DAP de fournir au CNE des informations précises, harmonisées et actualisées sur les établissements pénitentiaires de destination et sur les délais moyens d'attente pour y être effectivement transférés. Ces informations doivent également être accessibles aux détenus.

2.3. Les équipes du CNE pâtissent d'une forte instabilité et d'un manque de formation continue

Compte tenu de la tutelle du centre pénitentiaire auxquels ils sont rattachés, les directeurs des quartiers CNE n'ont pas la maîtrise des ressources humaines et peinent à assurer le maintien des professionnels, surveillants et CPIP (17), au sein de la structure. Les modalités particulières de leur recrutement et de leur remplacement en cas d'absence entraînent une fluctuation des organigrammes. Or, l'équipe du CNE étant réduite, toute baisse d'effectif impacte le travail d'évaluation. L'absence de statut propre de psychologue au sein de l'administration pénitentiaire, en cours de réforme durant la rédaction de cet avis (18), complique également leur recrutement en raison de salaires peu attractifs et de la précarité de leur contrat. S'ajoute à ces difficultés le fait que certains sites ne disposent pas non plus d'un budget propre. Le CGLPL estime que la DAP doit s'assurer du fonctionnement effectif des sites et réfléchir à des évolutions en matière de ressources humaines pour faciliter le recrutement pérenne de professionnels volontaires et qualifiés.
Outre les difficultés de recrutement, de remplacement et de stabilisation des effectifs, aucune offre de formation spécifique n'est proposée aux agents exerçant au CNE. Cette lacune alimente, au sein du personnel rencontré, le sentiment latent de « ne pas réellement savoir si on fait bien ». Les quinze jours de formation dispensés à l'ensemble des professionnels avant l'ouverture du site d'Aix-Luynes ont été décidés et élaborés par le binôme de direction. A l'initiative des sites, des formations collectives sont parfois organisées lors des « semaines blanches » entre deux sessions mais des agents y renoncent, la période étant consacrée à la rédaction des synthèses. Certains directeurs envisagent d'organiser eux-mêmes des formations, en rémunérant les intervenants sur le budget du site mais celui-ci est insuffisant pour une telle entreprise. Or, certains d'entre eux, en particulier les psychologues, n'ont pas connaissance du système judiciaire pénal et pénitentiaire (19). Aucun échange n'est organisé institutionnellement pour permettre aux agents des sites du CNE d'échanger, de mutualiser et de faire évoluer leurs pratiques. Enfin, la mise en œuvre de groupes réflexifs, pourtant indispensables dans un site dont la vocation est d'évaluer des personnes aux profils complexes, repose entièrement et uniquement sur les équipes de direction qui rencontrent parfois des difficultés pour ce faire. Compte tenu de la mission particulière du CNE, la DAP doit proposer des formations spécifiques, initiales et continues, à l'ensemble des membres des équipes pluridisciplinaires, les réunir régulièrement au niveau central et organiser dans les sites des réunions d'analyse des pratiques.

  1. Le CNE constitue une rupture dans le parcours des personnes évaluées, rupture attentatoire à leurs droits

La prise en charge matérielle ou administrative au CNE s'effectue généralement dans le respect des personnes, les contrôleurs ayant notamment relevé l'attention soutenue des équipes intervenant sur le site d'Aix-Luynes. Les équipes sont soucieuses d'éviter toute difficulté susceptible de nuire à la bonne conduite de la session, exclusivement tournée vers l'évaluation. A l'exception du centre pénitentiaire de Fresnes (20), les détenus sont hébergés dans des locaux en excellent état et bien entretenus. La dimension réduite des quartiers et le nombre suffisant de surveillants permettent une grande réactivité. Il en découle des mouvements fluides sans surenchère sécuritaire, même s'il est parfois complexe pour des détenus qui bénéficiaient d'une certaine liberté de circulation en centre de détention ou en maison centrale d'accepter d'être de nouveau soumis au régime « portes fermées ». Les incidents sont rares et concernent le plus souvent la découverte de produits interdits tels que des téléphones portables. Le traitement des requêtes orales et écrites est rapide et efficace.
Cet environnement globalement satisfaisant est néanmoins insuffisant pour compenser les atteintes aux droits attachées au transfert qu'il nécessite. Loin de dynamiser le parcours en fin de peine, l'orientation au CNE entraîne en effet avant tout une série de ruptures. Ces dernières peuvent dissuader une partie de la population de maintenir leur demande d'aménagement de peine, ce qui entre en contradiction avec l'objectif de lutte contre la récidive et de réinsertion qui leur est prêté.

3.1. Rupture dans la continuité des soins, notamment spécialisés

Si la prise en charge médicale pendant le temps de l'évaluation est assurée pour les soins courants, l'accès aux médecins spécialistes est impossible dans plusieurs sites, les délais de rendez-vous étant trop longs au regard de la durée de la session ; seule l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) de Fresnes a adopté une logique inverse et priorise ces consultations au regard de la brièveté du séjour des détenus évalués. Le passage au CNE peut donc constituer une rupture dans le parcours médical de certains détenus, comme en témoigne la compagne de l'un d'eux : « Sa consultation prévue en cardiologie se trouve annulée… le CNE n'est pas prévu pour avoir des soins, autres que médicamenteux. Ils ne vont pas s'embêter à faire passer des examens médicaux pour des séjours temporaires… Il aura finalement perdu 5 séances de kiné. Mais dans cette maladie-là, l'arrêt des soins remet le malade dans l'état antérieur ». Cette situation est aggravée par des modalités de transmission des informations médicales diversement organisée d'un site à l'autre. Si cet impératif est visé par la note de 2015, aucun texte ne précise la forme que doit prendre cette transmission. Les USMP du CNE sollicitent les dossiers médicaux auprès de celle de l'établissement de départ, en amont de la date de transfert, certains sites ayant mis en place une fiche de renseignements à compléter (mentionnant les traitements en cours, le mode de dispensation et leur durée). Mais les USMP intervenant tant au sein des sites qu'au sein des établissements d'origine relèvent de leurs établissements de rattachement respectifs ; leur mode d'organisation et de fonctionnement ne sont pas uniformes et leurs systèmes d'information ne sont ni unifiés, ni toujours compatibles. La procédure de transmission des informations médicales en amont et en aval de la session au CNE doit être formalisée entre les unités sanitaires pour optimiser la continuité des soins. Par ailleurs, la durée de séjour au CNE ne saurait justifier un refus d'accès aux soins spécialisés.

3.2. Rupture dans l'accès au travail et augmentation des dépenses

Bien que la transmission des comptes nominatifs soit faite rapidement et que les liens avec les régies des établissements d'origine soient fluides, les détenus sont dans l'impossibilité de travailler durant le temps de la session d'évaluation, tant aux ateliers qu'au service général (21). En l'absence d'activité professionnelle et donc de rémunération, les condamnés qui ont mis en œuvre des versements volontaires dans le cadre de leur parcours d'exécution de peine se voient donc contraints de les interrompre. Cette « parenthèse » de six semaines est d'autant plus préjudiciable aux ressources des intéressés qu'elle peut se prolonger durablement pour les détenus amenés à patienter au centre pénitentiaire à l'issue de leur évaluation (22). Et pour ceux qui sont réaffectés rapidement dans leur établissement d'origine, le risque est grand d'attendre plusieurs semaines avant d'être à nouveau classés sur un poste, sans assurance d'en retrouver. Là encore, l'interruption de la rémunération et les risques de perte d'emploi est un motif de renoncement pour les personnes dites « aménageables ». Contrairement aux personnes évaluées en début de peine, qui ont vocation à quitter leur établissement d'origine, l'hypothèse d'un transfert temporaire au CNE des personnes évaluées en fin de peine ne devrait pas emporter de conséquences sur leur relation de travail. Les personnes qui travaillaient précédemment doivent voir leur rémunération maintenue pendant la durée de la session et avoir la garantie de retrouver leur poste lors de leur retour dans leur établissement d'origine (23).
L'impossibilité - variable selon les établissements d'origine - d'apporter un certain nombre de biens et denrées, oblige les personnes détenues à les racheter pour améliorer l'ordinaire, pendant le temps de la session. Des dysfonctionnements relatifs à la gestion des paquetages ont été par ailleurs observés, en particulier au CNE de Réau ; la cause en est notamment le manque d'information des établissements d'origine qui font parfois un amalgame entre les deux types d'évaluation et conservent le paquetage de détenus qui seront finalement affectés ailleurs ; d'autres établissement en facturent le transport. Nonobstant la durée de leur placement au CNE, les personnes évaluées doivent pouvoir emporter, sans frais, tout équipement personnel depuis leur établissement d'origine.
Enfin, l'éloignement imposé peut avoir des effets sur le budget téléphonique des détenus, privés, de facto, de la visite de leurs proches. Au regard du risque de diminution des ressources et d'éloignement géographique des personnes évaluées, l'administration pénitentiaire doit prévoir une aide téléphonique et visiophonique permettant de maintenir les liens avec l'extérieur pendant la durée du placement au CNE, comme lors de la crise sanitaire.

3.3. Rupture dans le maintien des liens avec l'extérieur

Le droit de visite est maintenu au CNE, mais son exercice est limité : le nombre de personnes qui reçoivent des visites durant leur évaluation est très faible. Le site de Lille-Sequedin, contrairement aux autres, n'autorise pas des parloirs doubles et des parloirs deux jours consécutifs alors même que cette possibilité faciliterait la venue des familles. Le droit de visite est également entravé du fait du délai de traitement des demandes d'accès aux unités de vie familiale (UVF) des établissements qui en disposent (Aix-Luynes et Réau), qui dépasse la durée du séjour. Seules les personnes dont le placement au CNE se prolonge peuvent y avoir accès. Le CNE est ainsi perçu par certains visiteurs comme une épreuve supplémentaire, qui « teste au maximum la résistance des liens familiaux en rendant les échanges difficiles et les visites des familles très écourtées ». Les règles encadrant l'accès aux parloirs et aux UVF doivent être assouplies et, plus généralement, toute mesure facilitatrice de l'accès des personnes évaluées aux dispositifs de visite doit être prise pour leur permettre de maintenir leurs liens familiaux.

  1. L'issue du CNE est source d'incertitude tant pour les évalués que pour les évaluateurs
    4.1. La confidentialité de la synthèse d'évaluation porte atteinte aux droits de la défense des personnes évaluées

Une fois l'évaluation terminée, les conclusions de l'équipe sont, au mieux, restituées oralement au cours d'un entretien qui n'est ni systématique ni institutionnalisé dans chaque site. Les synthèses d'évaluation ne sont pas communiquées aux détenus ; la règlementation précise que la synthèse d'évaluation initiale est versée au dossier pénal et constitue un document administratif communicable au condamné (24), dans le cas où il en ferait la demande. La décision de transfert en établissement pour peine est le seul document transmis à l'intéressé : elle mentionne l'établissement de destination, les motifs succincts de la décision et précise qu'elle se fonde sur « les avis émanant de la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation ». Les décisions de première affectation en établissement pour peine sont en principe insusceptibles de recours, à moins que le requérant n'établisse que cette décision met en cause gravement ses droits fondamentaux. L'interprétation restrictive de cette exception par les tribunaux administratifs et l'impossibilité de disposer de l'ensemble des pièces qui fondent la décision rendent néanmoins l'issue de ce recours hasardeuse. Certaines personnes tentent toutefois de s'opposer à la décision d'affectation qui les concernent, sans succès : « Vous indiquez que votre proposition [d'affectation à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charentes-Maritimes)] “correspond au mieux à mon profil” or les professionnels du CNE ont selon leurs dires été favorables à un centre de détention en région parisienne, j'ai donc été surpris […]. Vous proposez un “maintien des liens familiaux par les UVF” or mon épouse ne pourra jamais se déplacer pas plus que les autres membres de ma famille, prêts à venir en parloir en région parisienne. Je resterai donc seul. Vous soulignez “une prise en charge adaptée” […] Je suis prêt à poursuivre et formaliser ce travail personnel en centre de détention où les liens avec ma famille seront maintenus. Je ne serais plus isolé et dépressif. […] Je vous propose d'être au plus proche du département X ». En pratique, la décision d'affectation emporte un caractère irrémédiable et il appartiendra au détenu de déposer une demande de transfert depuis son établissement d'accueil.
S'agissant de la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation de fin de peine, elle est adressée à l'autorité judiciaire, la règlementation pénitentiaire précisant qu'elle est considérée comme un document « préparatoire à la décision judiciaire » et qu'« elle n'est pas communicable à la personne condamnée », ni à son avocat. La note de la DAP prévoit seulement la possibilité d'une communication de la synthèse par le juge de l'application des peines au greffe pénitentiaire de l'établissement du condamné (D. 214-11 du code pénitentiaire). Cette pratique porte atteinte à l'effectivité des droits de la défense et au principe du contradictoire : le contenu de la synthèse d'évaluation de fin de peine revêt une utilité fondamentale à l'appui des discussions à venir autour de la demande de libération conditionnelle de l'intéressé qui doit pouvoir en prendre connaissance au plus tôt.
Le rapport de synthèse de l'évaluation, document support de la décision d'affectation en établissement pour peine, du futur parcours d'exécution de peine ou de la préparation de l'audience devant le tribunal de l'application des peines (TAP), doit être notifié sans délai à la personne concernée, dans une langue et en des termes qu'elle comprend. Cette notification doit s'accompagner d'une information claire relative aux voies de recours offertes à l'intéressé, qui doit disposer de toute pièce utile à leur exercice.
La personne détenue orientée en établissement pour peine doit être en mesure de faire valoir ses observations auprès de l'autorité décisionnaire. A cette fin, elle doit pouvoir être reçue par cette autorité et si elle le souhaite, être assistée par un avocat. Ses observations doivent être consignées dans le dossier.

4.2. La portée de la synthèse d'évaluation sur la construction d'un parcours d'exécution de peine est très limitée

Le CGLPL relève que la synthèse d'évaluation initiale, qui pourrait constituer une aide à la prise en charge, n'est pas systématiquement adressée au psychologue du parcours d'exécution de peine (PEP) ou au SPIP de l'établissement de destination. Davantage une « photographie à l'instant T » utile aux autorités pénitentiaires à l'appui de leur décision, l'intérêt potentiel de ce travail pluridisciplinaire après le cycle est méconnu. Contrairement au principe fixé par la réglementation, ce dispositif contribue peu ou pas, en réalité, à l'élaboration du parcours pénitentiaire des personnes évaluées.
Cette faillite du dispositif fait écho, dans le cadre des évaluations de fin de peine, au défaut d'information des équipes, qui ne sont pas informées des suites données à leurs avis par la juridiction d'application des peines. Ni les SPIP ni les psychologues PEP des établissements dans lesquels se préparent les demandes d'aménagement de peine ne sont davantage destinataires de la synthèse, réservée à l'autorité judiciaire.
Ainsi, l'affectation au CNE ne s'intègre guère au parcours d'exécution de peine dont il vient régulièrement, au contraire, illustrer les échecs.
Aux dires de plusieurs agents, l'évaluation de fin de peine au CNE est trop fréquemment l'occasion de constater que « de nombreuses personnes ont traversé leur détention sans avoir amorcé le moindre travail sur les faits et leurs projets de sortie ». L'intérêt de l'évaluation s'en trouve altéré et les membres de l'équipe ont le sentiment d'outrepasser leurs fonctions en tentant de définir, trop tard, le contenu d'une prise en charge pour les quelques années restantes. Lors d'un entretien avec un contrôleur, un professionnel déclare : « ces évaluations de fin de peine sont un peu étranges car elles font le constat de l'échec (ou non) de la prise en charge du détenu par l'administration elle-même. L'évaluation, qui va venir le sanctionner, devrait surtout sanctionner l'administration ».

(1) Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
(2) A savoir les crimes commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration, ou commis sur une victime majeure avec une ou plusieurs circonstances aggravantes, ou commis sur une victime majeure en état de récidive légale.
(3) Procédure décrite dans le rapport du CGLPL, « Radicalisation et respect des droits fondamentaux », 2020.
(4) En application de l'article 729 du CPP, il s'agit des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, à une peine d'une durée égale ou supérieure à 15 ans pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru ou à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à dix ans pour une infraction mentionnée à l'article 706-53-13 CPP, relevant du champ d'application de la rétention de sûreté. Nota. - Depuis la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, l'avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS), autrefois systématiquement saisie pour avis à l'occasion de l'examen des libérations conditionnelles du public susmentionné, n'est plus recueilli. Le tribunal de l'application des peines peut désormais octroyer une libération conditionnelle aux condamnés directement après l'évaluation pluridisciplinaire réalisée au CNE.
(5) Cette faculté prévue à l'article 723-29 du CPP est laissée à l'appréciation du juge de l'application des peines ou du procureur de la République.
(6) Dénommé « Réau » ci-après.
(7) En pratique, ce nombre est réduit : à Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône), par exemple, cinq places sont réservées pour des auxiliaires, postes occupés par des détenus déjà évalués en attente de transfert.
(8) Le site de Réau (Seine-et-Marne) du 3 au 5 mai 2021, d'Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône) du 3 au 7 mai 2021, de Fresnes (Val-de-Marne) du 10 au 12 mai 2021 et de Lille-Sequedin (Nord) du 18 au 19 mai 2021. Les rapports de ces visites sont disponibles sur le site du CGLPL (www.cglpl.fr).
(9) Par une circulaire de la direction de l'administration pénitentiaire du 4 avril 2022 relative à l'évaluation des publics susceptibles de faire l'objet de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion applicable aux auteurs d'infractions terroristes au sein du centre national d'évaluation des personnes radicalisées (CNER). Ce centre n'a, à la date de publication du présent avis, pas encore été visité par le CGLPL.
(10) Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, JORF 4 juin 2020.
(11) Rapport parlementaire sur les problématiques pénitentiaires en outre-mer, mai 2014. Le groupe de travail propose également de « restreindre le caractère obligatoire préalablement à l'octroi d'une mesure d'aménagement de peine du recours à l'expertise psychiatrique et du passage au CNE aux cas les plus graves » (proposition n° 22).
(12) CGLPL, Rapport de vérifications sur place : « Isolées en détention ordinaire, la situation des personnes sourdes incarcérées », 25 avril 2019.
(13) La commission Cotte (Pour une refonte du droit des peines, décembre 2015) avait proposé, à ce titre, que les évaluations de fins de peine ne soient imposées qu'aux condamnés à perpétuité et restent facultatives pour les autres.
(14) La note de 2015 précise : « L'organisation retenue vise à garantir l'autonomie du site de CNE vis-à-vis de l'établissement pénitentiaire en ce qui concerne le déroulement des évaluations ».
(15) En principe, un dossier d'évaluation initiale doit contenir : le dossier d'orientation, les pièces judiciaires (ordonnance de mise en accusation, réquisitoire définitif, décision de condamnation pénale, décision de condamnation civile), les expertises psychiatriques ou psychologiques réalisées dans le cadre de l'instruction de l'affaire, les enquêtes de personnalité et les permis de visite. Les dossiers constitués dans l'optique d'une évaluation de fin de peine doivent être a minima complétés par l'ordonnance de placement au CNE de la juridiction d'application des peines, les expertises psychiatriques obligatoires et actualisées visées par l'article 712-21 du CPP, et les comptes-rendus rédigés dans le cadre du parcours d'exécution de peine (PEP).
(16) L'article 73 (IV) de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice créé « à titre expérimental, un répertoire des dossiers uniques de personnalité, placé sous l'autorité du ministre de la justice et sous le contrôle d'un magistrat, destiné à mutualiser et centraliser les informations relatives à la personnalité des personnes majeures faisant l'objet […] de l'exécution d'une peine pour des faits punis d'une peine d'emprisonnement de trois ans, afin de permettre leur partage entre l'autorité judiciaire et les services d'insertion et de probation, pour faciliter la prise de décision par l'autorité judiciaire, pour améliorer la qualité de la prise en charge de ces personnes et pour prévenir le renouvellement des infractions ».
(17) Pour ces derniers, la procédure est complexe et son issue incertaine. Ils doivent d'abord obtenir leur mutation auprès du SPIP de l'établissement, puis solliciter leur affectation au CNE, ce qui ne permet pas un recrutement optimal. A l'inverse, des CPIP qui ne l'ont pas demandé peuvent se voir affecter au CNE.
(18) Décret n° 2021-1606 du 8 décembre 2021 relatif au statut particulier du corps des psychologues du ministère de la justice.
(19) A Fresnes, un processus d'accueil pour les psychologues contractuels a été mis en place à compter de novembre 2021 pour permettre une assimilation rapide des enjeux propres au CNE et depuis janvier 2021 des temps d'échange interprofessionnels sont organisés toutes les six semaines. A Lille-Sequedin, une forme d'autoformation a été mise en place : les CPIP et les psychologues établissent régulièrement, à destination de l'ensemble du personnel du CNE, des fiches sur certains notions pénales ou psychologiques, permettant à chacun de disposer d'un référentiel de connaissances et de repères facilement accessibles. Elle est très utilisée par les nouveaux arrivants.
(20) Les cellules et les cours de promenade du CNE ainsi que les parloirs du centre pénitentiaire de Fresnes sont indignes. Si, depuis la visite des contrôleurs, des réparations ont été effectuées, le site nécessite des travaux de réfection d'ampleur, que le CGLPL a déjà recommandés à plusieurs reprises. Voir notamment les recommandations en urgence du CGLPL relatives à la maison d'arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), publiées au Journal officiel de la République française du 14 décembre 2016, ainsi que le rapport de la troisième visite de l'établissement, du 12 au 15 novembre 2019 (www.cglpl.fr).
(21) Les postes d'auxiliaires au CNE sont tenus, à Lille-Sequedin, par une personne écrouée au quartier maison d'arrêt du centre pénitentiaire, à Aix-Luynes et Fresnes par des personnes ayant terminé leur session d'évaluation. A Réau, l'entretien est assuré par des détenus auxiliaires affectés à l'unité d'accueil et de transfert (UAT).
(22) Malgré une offre de travail relativement importante à l'UAT de Réau avec, notamment, des postes « réservés » au service général et aux ateliers.
(23) Conformément, sur ce dernier point, au sens des articles L. 412-8 et R. 412-15 du code pénitentiaire tel qu'interprété par le Vademecum de l'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (ATIGIP) sur la réforme du travail pénitentiaire.
(24) La note précise « La communication de la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation de la personnalité constitue une décision et doit à ce titre faire l'objet d'une notification ou être accompagnée d'un formulaire permettant d'accuser réception ».


Historique des versions

Version 1

Le centre national d'évaluation (CNE) est un service de l'administration pénitentiaire spécialisé dans l'examen de la situation de certaines personnes détenues majeures, parmi celles qui ont été condamnées aux plus longues peines d'incarcération. Initialement baptisé « centre national d'orientation » (en 1951) puis « d'observation » (en 1985) et dévolu à une mission d'affectation en établissements « pour peine » (centres de détention et maisons centrales), le CNE a vu son mandat élargi par l'entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008 (1) relative, notamment, à la rétention de sûreté. Il procède aujourd'hui à deux types d'évaluation :

- l'évaluation initiale, prévue à l'article 717-1-A du code de procédure pénale (CPP), permet de déterminer l'établissement pour peine dans lequel seront affectées les personnes condamnées à la réclusion criminelle pour une durée supérieure ou égale à 15 ans pour des crimes limitativement énumérés par la loi (2), dans l'année de leur condamnation définitive. A titre facultatif, le ministère de la justice peut également décider du passage au CNE de certains détenus (notamment ceux qui sont écroués pour des faits de terrorisme, cette évaluation se superposant alors à celle qui peut également être conduite dans les quartiers d'évaluation de la radicalisation [3]) ;

- l'évaluation de fin de peine, prévue à l'article 730-2 du même code, est obligatoire dans le cadre de l'examen d'une demande de libération conditionnelle des personnes condamnées aux peines les plus longues (4) et à la réclusion criminelle à perpétuité. Les personnes susceptibles de faire l'objet d'une surveillance judiciaire (5) lors de leur libération peuvent aussi être évaluées au CNE, à la demande de l'autorité judiciaire.

Historiquement implanté au centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), le CNE dispose aujourd'hui de trois sites supplémentaires intégrés aux centres pénitentiaires Sud Francilien - Réau (6) (Seine-et-Marne) depuis 2011, de Lille-Sequedin (Nord) depuis 2012 et d'Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône) depuis 2019. Hermétiquement séparés du reste de la détention, ces quartiers disposent d'un total théorique de 169 places pour les hommes (7) et assurent les deux types d'évaluation, à l'exception du site de Lille-Sequedin qui ne procède qu'aux évaluations de fin de peine. Les femmes sont orientées vers la maison d'arrêt des femmes (MAF) de Fresnes (quatre places pour les deux types d'évaluation) ou au centre de détention des femmes (CDF) de Réau (quatre places pour des évaluations de fin de peine). Quel que soit le type d'évaluation, les détenus sont affectés au CNE pour six semaines pendant lesquelles ils ont vocation à rencontrer les membres d'une équipe pluridisciplinaire composée de surveillants, de psychologues, de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) et des directeurs de la structure. En évaluation initiale, un agent du bureau de la gestion des détentions de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) intervient lors de la commission pluridisciplinaire de mi-session pour donner son avis et apporter des informations sur les taux d'occupation et les particularismes des établissements envisagés. Les sessions d'évaluation sont fixées annuellement, entrecoupées d'une semaine « blanche » pendant laquelle le départ des détenus évalués laisse place à l'arrivée de nouveaux. La synthèse d'évaluation écrite par l'équipe pluridisciplinaire tient lieu de support à la décision de transfert prise par la DAP dans le cas d'une évaluation initiale ou, dans celui d'une évaluation de fin de peine, à l'examen des demandes d'aménagement de peine par le tribunal de l'application des peines (TAP).

En 2021, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) s'est rendu dans les quatre sites du CNE pour contrôler le respect des droits fondamentaux des personnes qui y sont évaluées (8). Pour étayer le présent avis, le CGLPL s'est également appuyé sur les témoignages écrits qui lui ont été adressés.

Au vu de ses analyses et constats, il estime que tels qu'ils sont actuellement mis en œuvre, ces dispositifs d'évaluation entraînent des atteintes à une partie des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Les ruptures qu'un placement au CNE entraîne découragent parfois les condamnés au point de renoncer à demander un aménagement de peine, étape pourtant essentielle d'un parcours de réinsertion. Le fonctionnement de ce centre aux quatre sites décentralisés présente des incohérences qui mettent en cause la pertinence même de l'outil. Cet avis appelle à l'évolution du dispositif, à l'heure où un nouveau site spécialisé dans l'évaluation de fin de peine de certains auteurs d'infractions terroristes est créé au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) (9).

1. Le CNE, dont la gestion est lourde et lente, fonctionne selon un cadre incertain

1.1. Les délais d'attente à l'arrivée et au départ retardent l'orientation en établissement pour peine et bouleversent les démarches de préparation à la sortie

Chaque année, près de 800 personnes transitent par le CNE. Bien qu'un quatrième site (Aix-Luynes) ait ouvert en 2019, les délais d'affectation et de sortie de ces centres sont longs et supérieurs à ceux prévus par la loi. Les contrôleurs ont examiné le délai dans lequel les personnes condamnées relevant d'une évaluation obligatoire sont affectées au CNE dans le cadre de leur évaluation initiale. Selon les termes de l'article L. 211-3 du code pénitentiaire, les personnes condamnées auxquelles reste à exécuter une peine d'une durée supérieure à deux ans devraient pouvoir obtenir, à leur demande, un transfèrement en établissement pour peines dans le délai de neuf mois. Pour les condamnés relevant d'une évaluation préalable au CNE, dans les termes de l'art. 717-1-A du code de procédure pénale, cette affectation au CNE doit intervenir dans un délai supérieur au droit commun, à savoir « l'année qui suit la condamnation définitive ». En pratique, les délais moyens d'attente pour le seul transfert au CNE sont largement supérieurs, oscillant de quatorze à dix-huit mois selon les sites. Certaines personnes attendent plus de deux ans.

Les évaluations de fin de peine pâtissent également de délais d'attente importants, contraires aux dispositions légales qui encadrent dans un délai de six mois la saisine initiale du CNE par le TAP et la transmission de la synthèse d'évaluation à cette même autorité (art. D. 527-1 CPP). Une attente moyenne de huit à dix mois (certains délais pouvant avoisiner deux ans) sépare l'ordonnance de placement d'un individu au CNE et le départ de l'intéressé dans l'un des sites. A ce délai s'ajoute celui qui est nécessaire à l'évaluation, à la rédaction et à la transmission de la synthèse pluridisciplinaire au tribunal qui peut atteindre quatre mois. De tels délais alourdissent la procédure d'examen d'une demande d'aménagement de peine et sont de nature à décourager les intéressés en perturbant l'organisation de leurs projets à l'extérieur, en particulier lorsqu'une promesse d'embauche ou une place d'hébergement ont été obtenus.

S'agissant du départ du CNE, les personnes accueillies en évaluation de fin de peine rejoignent rapidement leur établissement d'origine. En revanche, l'attente est beaucoup plus longue pour les détenus ayant rejoint le centre dans le but d'une évaluation initiale. En effet, avant d'être transféré, il faut attendre la décision d'affectation de l'administration centrale, puis qu'une place se libère dans l'établissement de destination. Or, certains d'entre eux présentent des délais d'attente supérieurs à une année. Le taux d'occupation des établissements pour peine est d'ailleurs une variable essentielle dans la préconisation qui sera rendue par l'équipe pluridisciplinaire du CNE. Le choix de l'établissement de destination tient compte de cette contrainte, dont le représentant de la DAP est l'expert. En cela, le CNE constitue plus un outil de répartition des flux de la population pénale sur le territoire qu'un outil d'individualisation des parcours. Le CGLPL rappelle sa recommandation minimale n° 50 (10), selon laquelle l'orientation doit se faire dans l'intérêt exclusif des personnes qu'elle concerne et ne saurait avoir pour finalité de répondre aux contraintes d'organisation de l'administration.

A l'issue de la session, l'intéressé patiente dans des quartiers réservés (les hommes étant isolés du reste de la population pénale) à Fresnes et à Aix-Luynes, ou à l'unité d'accueil et de transfert (UAT) de Réau. Or, la prise en charge au sein de ces quartiers, qui ne devrait constituer qu'un sas très court, n'est pas adaptée en matière d'activités, de suivi sanitaire ou encore d'application des peines. De nombreux détenus se disent en difficulté lors de ce temps d'attente, qualifié par certains agents de « nouveau choc carcéral ». La situation est aggravée pour les femmes, qui sont évaluées puis patientent à la MAF de Fresnes, fréquemment surpeuplée : « Résultat, on a été obligé de nous doubler. Comme si cette période n'était pas assez traumatisante et compliquée à gérer avec soi-même. Je suis depuis dix semaines avec une grosse fumeuse (selon ses mots à elle, elle fume encore plus à cause du stress et de l'inactivité) » ; « Je pensais être transférée rapidement suite au CNE qui se termine, mais je dois y rester encore des mois avant d'être transférée. Je suis loin de ma famille, nous sommes tous fatigués et usés, je n'en peux plus ». Au total, le délai prévu par l'article L. 211-3 du code pénitentiaire est rarement respecté pour ces détenus condamnés à de longues peines.

Les délais de transfert au CNE doivent être réduits pour permettre une orientation rapide des personnes condamnées en établissement pour peine et l'examen des demandes d'aménagement de peine en temps utile. A l'issue de la session, les condamnés doivent rejoindre leur établissement de destination dans les plus brefs délais. L'information qui leur est délivrée lors de leur départ du CNE vers la détention « classique » où ils patientent doit être améliorée afin de limiter leur perte de repères.

1.2. Les détenus peinent à comprendre le dispositif d'évaluation

Si certains détenus ont le sentiment d'avoir été « enfin écoutés », d'autres, qui s'en sont ouverts au CGLPL, remettent en question l'intérêt même de leur évaluation au CNE, effectuée par des personnes « qu'on ne connait pas » dans un temps relativement court : « J'ai eu deux entretiens ici. Mon évaluation en six ans de maison d'arrêt est plus conséquente que six semaines ici, ça paraît dérisoire » ; « C'est beaucoup de logistique et de frais pour pas grand-chose ».

Le CNE apparaît d'ailleurs parfois comme une formalité administrative. Les contrôleurs ont ainsi observé le cas de nombreuses personnes pour lesquelles le choix d'établissement pour peine était arrêté dès les premiers jours de l'évaluation, le passage au centre se bornant à confirmer une préconisation antérieure. C'est spécialement le cas des personnes souffrant de troubles psychiatriques, comme s'en inquiétait un professionnel : « l'administration centrale sait déjà où elle veut les affecter. Dans ce cas cela n'a pas de plus-value, on va simplement les perturber encore davantage ». Trois publics particulièrement mal intégrés au dispositif souffrent de cette perte de sens, les détenus ultramarins, transférés à des milliers de kilomètres de leurs attaches, les femmes et les personnes non francophones. Pour les premiers, en 2014, un groupe de parlementaires préconisait la création, « à titre expérimental », d'un centre national d'évaluation (CNE) « ambulatoire » pour les collectivités d'outre-mer. Il s'interrogeait également sur la pertinence d'une évaluation menée loin de l'« univers culturel » des détenus, dont le transfert n'est d'ailleurs pas toujours possible eu égard à leur situation administrative ou à leur état de santé (11). La crainte est grande, pour les personnes évaluées en début de peine, d'être affecté dans un établissement en métropole et nombreuses sont celles qui se résignent à une sortie « sèche » pour éviter l'évaluation de fin de peine.

Les femmes, minoritaires, comme toujours, n'intègrent pas les sites du CNE, réservés aux hommes, mais sont transférées dans les quartiers pour femmes des centres pénitentiaires de Réau ou de Fresnes. Mal intégrées, elles se sentent délaissées, à l'écart du CNE et des équipes qui ne se déplacent pour les rencontrer qu'en fonction de leur disponibilité. « Les conditions d'accueil pour les femmes ne sont absolument pas adaptées […] Pour les hommes il y a un quartier dédié où les surveillants ont le temps de veiller sur les détenus, mais pour les femmes, le CNE, c'est la MAF [de Fresnes] surpeuplée. Quand on débarque des quatre coins du pays, on a besoin d'un peu plus d'attention, de temps, et d'une considération particulière, donc de structures adaptées et personnel adéquat ».

Enfin, l'accueil des personnes non francophones est également insuffisamment organisé. Si les sites de Fresnes, Lille-Sequedin et Réau disposent d'un accès à des systèmes d'interprétariats, ce n'est pas le cas d'Aix-Luynes qui a recours aux services d'agents pour certaines traductions ; cette solution n'est pas satisfaisante, qu'il s'agisse de délivrer une information complète ou de réaliser les entretiens. De surcroît, l'insuffisante formation des interprètes aux enjeux et au contenu de l'évaluation entraîne parfois une forme d'« autocensure » des évaluateurs qui se sentent contraints « d'aller à l'essentiel ». Enfin, aucune solution pérenne n'a été trouvée pour les personnes sourdes maîtrisant la langue des signes française (LSF), et encore moins pour celles qui ne la maîtrisent pas (12).

Pour toutes et tous, en dépit de ces différences de traitement, les sessions d'évaluation se succèdent, guidées par les seuls critères légaux, strictement et immuablement imposés. Or, devant ces constats, on ne peut que s'interroger sur la pertinence de cet outil, imposé de manière rigide et systématique à l'ensemble des détenus qui en relèvent légalement. Le dispositif mériterait d'être assoupli, a fortiori au regard du contexte de saturation de l'outil. La loi doit être modifiée (13) afin que l'affectation au CNE soit personnalisée et constitue un réel apport aux parcours étudiés. Lorsque tel est le cas, l'évaluation doit s'effectuer dans le respect des droits des personnes évaluées, notamment le maintien de leurs liens familiaux, et mise en œuvre sans que leur prise en charge ne s'en trouve dégradée. A ce titre, le CNE doit disposer d'un système de traduction adapté à la complexité des informations recueillies.

Enfin, les critères légaux qui imposent une évaluation restent obscurs pour de nombreux détenus, voire des professionnels. Cet impératif est parfois découvert en fin de parcours, comme l'explique un détenu qui, fort d'une promesse d'embauche, a pourtant été convoqué peu de temps avant l'examen de sa demande de libération conditionnelle : « on me dit que je dois finalement aller au CNE (…) avant de pouvoir passer en aménagement (ascenseur émotionnel), chose que je n'ai jamais entendu parler ou bien même été informé. Ce CNE tombe du ciel à la dernière minute ». De plus, les informations transmises aux détenus par certains sites du CNE sont lacunaires : la durée et le contenu de l'évaluation, le régime de détention et la perspective possible d'une longue attente sont rarement connus des professionnels de l'établissement de départ et tous les sites du CNE ne transmettent pas aux détenus un courrier d'information sur le déroulement de leur transfert et de leur séjour. Les hypothèses d'affectation au CNE manquent de publicité et mériteraient d'être expliquées aux personnes susceptibles d'y être évaluées dès le début de leur parcours et en tout état de cause, de manière anticipée, avant que l'intéressé ne puisse prétendre à un aménagement de peine. Une information claire sur le cadre et les enjeux de l'évaluation au CNE doit également être délivrée en amont des sessions aux personnes détenues et aux services des établissements d'origine.

1.3. Faute de définition des concepts qui fondent les évaluations et de visibilité sur leur utilité, les intervenants peinent à trouver du sens à leur travail

La note de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) du 17 juillet 2015 relative au CNE prévoit que l'évaluation initiale vise à « proposer une affectation en établissement pour peine adaptée à la personnalité des condamnés et à formuler des préconisations de prise en charge dans le cadre de l'élaboration de leur parcours d'exécution de peine », tandis que l'évaluation de fin de peine a vocation à « déterminer l'existence ou la persistance d'une dangerosité éventuelle chez les condamnés dans le cadre de l'examen d'une demande d'aménagement de peine ou d'une mesure de sûreté ».

La compétence du CNE en fin de peine s'inscrit dans une politique pénitentiaire où l'évaluation des individus prend, comme dans le reste de la société, une place de plus en plus importante. Tout au long de son parcours, le détenu fera l'objet d'évaluations successives sous diverses formes, par différents services : elles ne seront pour autant ni mutualisées ni mises en miroir. L'injonction actuelle d'évaluer les parcours de vie, les comportements et les discours, dans le but de prédire le risque d'un nouveau passage à l'acte et la crédibilité de l'amendement, interroge. Concept central de l'évaluation de fin de peine, les CNE sont confrontés à l'opacité d'une commande publique reposant sur une notion de dangerosité qui n'est jamais définie. Sans instructions sur ce sujet, les sites interprètent donc diversement la notion. Certaines synthèses du site de Fresnes insistent sur le projet de sortie, sans quantifier un risque de récidive. Au sein du site d'Aix-Luynes, le pôle de surveillance évalue une dangerosité carcérale, le pôle insertion et probation une dangerosité criminologique et un risque de récidive, le pôle psychologique une vulnérabilité psychique, et le pôle psychotechnique une évaluation du projet de sortie. Le site de Lille-Sequedin propose une graduation du degré de récidive, tandis que l'équipe de Réau tente de « comprendre le fait criminel », « de qualifier le risque » et « l'évolution du positionnement et de la réflexion sur le passage à l'acte ». Un professionnel résume l'ambiguïté du travail de prédiction qui leur est confié : « On ne peut pas être aussi tranché, c'est pour ça que les synthèses sont si longues ». Le CNE ne peut avoir de sens que si le législateur clarifie sa demande et que la DAP fasse clairement savoir aux personnels des différents sites de ce qui en est attendu.

L'impact des évaluations sur l'élaboration d'un parcours d'exécution de peine ou à l'appui d'une demande d'aménagement doit être analysé. Le bilan qui en sera tiré doit permettre d'identifier l'opportunité du recours à ce dispositif et, le cas échéant, préciser le cadre de ce qui est attendu des pôles composant l'équipe pluridisciplinaire.

2. Le CNE manque d'outils de travail et souffre d'un pilotage défaillant

Les visites ont mis en exergue la faible assistance offerte par la DAP aux sites du CNE, qui lui sont pourtant rattachés. Le CNE, en tant qu'entité nationale, est dépeint comme une « coquille vide » par certains professionnels : il n'existe pas de responsable spécifique au niveau national, ni de pilotage formel de l'activité des sites, ni de contrôle hiérarchique. Or, les sites dépendent théoriquement d'une double hiérarchie, celle de la DAP pour ce qui concerne la stricte évaluation des détenus (14), et celle du centre pénitentiaire dans lequel ils sont implantés pour les autres aspects. Cette tutelle est plus ou moins prégnante selon les sites.

2.1. L'activité et les méthodes d'évaluation sont insuffisamment définies et encadrées

L'activité des sites ne fait pas l'objet d'instructions particulières de la part de la DAP. Les directeurs ne disposent d'aucune lettre de mission ou d'une fiche de poste de la part de la DAP s'agissant de leurs fonctions au CNE ; l'équipe de direction du CNE d'Aix-Luynes a assuré seule l'ouverture du site, sans bénéficier d'un accompagnement suffisant par le niveau central ; la note de cadrage de la DAP du 17 juillet 2015, qui n'a pas été actualisée depuis cette date, ne mentionne pas son existence. La DAP doit assurer le pilotage de l'activité du CNE, coordonner l'action des sites du CNE en lien avec les directeurs interrégionaux des services pénitentiaires et les chefs d'établissement dans le souci d'harmoniser leur fonctionnement. Elle doit également effectuer chaque année un bilan de l'activité du CNE.

Les méthodes d'évaluation ne font pas davantage l'objet d'une réflexion ou d'un étayage. La note de cadrage précitée ne précise ni la fréquence minimum ni la répartition des entretiens, s'en tenant à définir, pour chaque pôle, le cadre de l'évaluation sans en définir précisément les outils. Les méthodes se construisent donc localement et empiriquement. La fréquence des entretiens est néanmoins jugée insuffisante par la plupart des agents et de nombreux détenus. Trois sites utilisent les activités comme outil d'évaluation mais pas celui de Lille-Sequedin. A ce sujet, le CGLPL estime en tout état de cause, que si les activités servent à évaluer, elles doivent être pensées en ce sens et proposées dans cette perspective et en fonction de leur utilité. En ce cas, elles doivent être complétées par des activités de détente, simplement occupationnelles. Les outils d'évaluation doivent être harmonisés entre les sites, contrôlés dans leur qualité et leur efficacité. Les personnes évaluées doivent être clairement informées, en toute transparence, des moyens utilisés pour conduire l'évaluation dont elles sont l'objet et, notamment, de la prise en compte de leur implication et comportement dans le cadre de leurs activités. Enfin, les personnes détenues ne sauraient faire l'objet d'une évaluation constante dans l'ensemble de leurs actions ou activités quotidiennes ; elles doivent pouvoir occuper leur quotidien d'activités hors du regard de l'évaluateur.

Dans ce flou normatif généralisé, des pratiques non règlementaires sont mises au service de l'objectif d'évaluation.

Au CNE, les modalités de gestion des correspondances échappent ainsi aux services du vaguemestre. Le courrier passe entre les mains des surveillants du CNE qui en prennent connaissance, ce procédé étant présenté comme faisant partie du processus d'évaluation et permettant, selon les professionnels, d'obtenir des informations complémentaires, notamment sur le mode et le réseau relationnel de la personne évaluée. A l'exception du site de Fresnes, les conversations téléphoniques sont systématiquement écoutées par les membres de l'équipe. La lecture des courriers et l'écoute des conversations téléphoniques des personnes détenues au CNE, par des agents non habilités, à des fins d'évaluation, sont dépourvues de base légale, l'article L. 345-3 du code pénitentiaire ne prévoyant ce contrôle que « lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité ». Elles constituent une atteinte aux droits des personnes, d'autant plus mal vécue qu'elle peut être réalisée par le surveillant « qui ouvre la porte tous les jours », de même qu'une atteinte au respect de leur vie privée et familiale, à l'intimité et au secret des correspondances. Ces pratiques doivent cesser.

2.2. Les évaluateurs ne disposent pas de l'ensemble des informations indispensables

Les contrôleurs ont constaté des carences dans la mise à disposition des outils nécessaires à l'examen de la situation des condamnés. Les dossiers d'évaluation initiale (15), qui constituent le point de départ de l'évaluation, sont souvent transmis incomplets ; certains documents font fréquemment défaut comme le rapport réalisé par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de l'établissement de départ, la synthèse effectuée par la psychologue PEP (parcours d'exécution de peine), l'éventuelle synthèse d'évaluation initiale, les expertises, etc. Ces difficultés, que le dispositif du dossier unique de personnalité (DUP) prévu par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 (16) doit permettre de résoudre, sont un obstacle à la reconstitution du parcours de la personne. La DAP doit mettre en place un système de communication permettant au CNE de disposer, en amont, des éléments d'information permettant de retracer le parcours d'exécution de peine de chaque personne évaluée ; elle doit s'assurer que l'ensemble des pièces judiciaires et pénitentiaires nécessaires aux évaluateurs leur est transmis en temps utile.

Par ailleurs, dans le cadre de leur mission de proposition d'affectation, les équipes des CNE ne disposent pas d'éléments précis et actualisés sur les établissements pénitentiaires, concernant par exemple la présence d'infrastructures adaptées aux personnes à mobilité réduite, les offres de formation, de travail, d'activités sportives et socio-culturelles, les offres de soins, les programmes collectifs, la présence de structures de maintien des liens familiaux, etc. Il n'existe pas non plus de communication des délais moyens d'attente pour les différents établissements pour peine. Chaque site se constitue artisanalement des fiches sur les établissements sans qu'aucune mutualisation n'en soit faite au niveau central, ni entre sites. Certaines équipes organisent des visites d'établissements pour peine afin de collecter sur place des éléments, dont les évolutions ultérieures risquent néanmoins de rester méconnues. Des informations sont ponctuellement glanées auprès du représentant du bureau de la gestion des détentions de la DAP qui est associé, dans le cadre des évaluations initiales, aux commissions de suivi. De même, aucune information formalisée n'est communiquée aux détenus qui doivent s'en remettre au bouche-à-oreille. Outre l'incertitude qu'elle entraîne, cette situation constitue un risque d'atteinte important aux droits fondamentaux des personnes évaluées, qui pourront être affectées dans un établissement qui, finalement, ne répondra pas à leurs besoins familiaux, médicaux, professionnels, etc. Il appartient à la DAP de fournir au CNE des informations précises, harmonisées et actualisées sur les établissements pénitentiaires de destination et sur les délais moyens d'attente pour y être effectivement transférés. Ces informations doivent également être accessibles aux détenus.

2.3. Les équipes du CNE pâtissent d'une forte instabilité et d'un manque de formation continue

Compte tenu de la tutelle du centre pénitentiaire auxquels ils sont rattachés, les directeurs des quartiers CNE n'ont pas la maîtrise des ressources humaines et peinent à assurer le maintien des professionnels, surveillants et CPIP (17), au sein de la structure. Les modalités particulières de leur recrutement et de leur remplacement en cas d'absence entraînent une fluctuation des organigrammes. Or, l'équipe du CNE étant réduite, toute baisse d'effectif impacte le travail d'évaluation. L'absence de statut propre de psychologue au sein de l'administration pénitentiaire, en cours de réforme durant la rédaction de cet avis (18), complique également leur recrutement en raison de salaires peu attractifs et de la précarité de leur contrat. S'ajoute à ces difficultés le fait que certains sites ne disposent pas non plus d'un budget propre. Le CGLPL estime que la DAP doit s'assurer du fonctionnement effectif des sites et réfléchir à des évolutions en matière de ressources humaines pour faciliter le recrutement pérenne de professionnels volontaires et qualifiés.

Outre les difficultés de recrutement, de remplacement et de stabilisation des effectifs, aucune offre de formation spécifique n'est proposée aux agents exerçant au CNE. Cette lacune alimente, au sein du personnel rencontré, le sentiment latent de « ne pas réellement savoir si on fait bien ». Les quinze jours de formation dispensés à l'ensemble des professionnels avant l'ouverture du site d'Aix-Luynes ont été décidés et élaborés par le binôme de direction. A l'initiative des sites, des formations collectives sont parfois organisées lors des « semaines blanches » entre deux sessions mais des agents y renoncent, la période étant consacrée à la rédaction des synthèses. Certains directeurs envisagent d'organiser eux-mêmes des formations, en rémunérant les intervenants sur le budget du site mais celui-ci est insuffisant pour une telle entreprise. Or, certains d'entre eux, en particulier les psychologues, n'ont pas connaissance du système judiciaire pénal et pénitentiaire (19). Aucun échange n'est organisé institutionnellement pour permettre aux agents des sites du CNE d'échanger, de mutualiser et de faire évoluer leurs pratiques. Enfin, la mise en œuvre de groupes réflexifs, pourtant indispensables dans un site dont la vocation est d'évaluer des personnes aux profils complexes, repose entièrement et uniquement sur les équipes de direction qui rencontrent parfois des difficultés pour ce faire. Compte tenu de la mission particulière du CNE, la DAP doit proposer des formations spécifiques, initiales et continues, à l'ensemble des membres des équipes pluridisciplinaires, les réunir régulièrement au niveau central et organiser dans les sites des réunions d'analyse des pratiques.

3. Le CNE constitue une rupture dans le parcours des personnes évaluées, rupture attentatoire à leurs droits

La prise en charge matérielle ou administrative au CNE s'effectue généralement dans le respect des personnes, les contrôleurs ayant notamment relevé l'attention soutenue des équipes intervenant sur le site d'Aix-Luynes. Les équipes sont soucieuses d'éviter toute difficulté susceptible de nuire à la bonne conduite de la session, exclusivement tournée vers l'évaluation. A l'exception du centre pénitentiaire de Fresnes (20), les détenus sont hébergés dans des locaux en excellent état et bien entretenus. La dimension réduite des quartiers et le nombre suffisant de surveillants permettent une grande réactivité. Il en découle des mouvements fluides sans surenchère sécuritaire, même s'il est parfois complexe pour des détenus qui bénéficiaient d'une certaine liberté de circulation en centre de détention ou en maison centrale d'accepter d'être de nouveau soumis au régime « portes fermées ». Les incidents sont rares et concernent le plus souvent la découverte de produits interdits tels que des téléphones portables. Le traitement des requêtes orales et écrites est rapide et efficace.

Cet environnement globalement satisfaisant est néanmoins insuffisant pour compenser les atteintes aux droits attachées au transfert qu'il nécessite. Loin de dynamiser le parcours en fin de peine, l'orientation au CNE entraîne en effet avant tout une série de ruptures. Ces dernières peuvent dissuader une partie de la population de maintenir leur demande d'aménagement de peine, ce qui entre en contradiction avec l'objectif de lutte contre la récidive et de réinsertion qui leur est prêté.

3.1. Rupture dans la continuité des soins, notamment spécialisés

Si la prise en charge médicale pendant le temps de l'évaluation est assurée pour les soins courants, l'accès aux médecins spécialistes est impossible dans plusieurs sites, les délais de rendez-vous étant trop longs au regard de la durée de la session ; seule l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) de Fresnes a adopté une logique inverse et priorise ces consultations au regard de la brièveté du séjour des détenus évalués. Le passage au CNE peut donc constituer une rupture dans le parcours médical de certains détenus, comme en témoigne la compagne de l'un d'eux : « Sa consultation prévue en cardiologie se trouve annulée… le CNE n'est pas prévu pour avoir des soins, autres que médicamenteux. Ils ne vont pas s'embêter à faire passer des examens médicaux pour des séjours temporaires… Il aura finalement perdu 5 séances de kiné. Mais dans cette maladie-là, l'arrêt des soins remet le malade dans l'état antérieur ». Cette situation est aggravée par des modalités de transmission des informations médicales diversement organisée d'un site à l'autre. Si cet impératif est visé par la note de 2015, aucun texte ne précise la forme que doit prendre cette transmission. Les USMP du CNE sollicitent les dossiers médicaux auprès de celle de l'établissement de départ, en amont de la date de transfert, certains sites ayant mis en place une fiche de renseignements à compléter (mentionnant les traitements en cours, le mode de dispensation et leur durée). Mais les USMP intervenant tant au sein des sites qu'au sein des établissements d'origine relèvent de leurs établissements de rattachement respectifs ; leur mode d'organisation et de fonctionnement ne sont pas uniformes et leurs systèmes d'information ne sont ni unifiés, ni toujours compatibles. La procédure de transmission des informations médicales en amont et en aval de la session au CNE doit être formalisée entre les unités sanitaires pour optimiser la continuité des soins. Par ailleurs, la durée de séjour au CNE ne saurait justifier un refus d'accès aux soins spécialisés.

3.2. Rupture dans l'accès au travail et augmentation des dépenses

Bien que la transmission des comptes nominatifs soit faite rapidement et que les liens avec les régies des établissements d'origine soient fluides, les détenus sont dans l'impossibilité de travailler durant le temps de la session d'évaluation, tant aux ateliers qu'au service général (21). En l'absence d'activité professionnelle et donc de rémunération, les condamnés qui ont mis en œuvre des versements volontaires dans le cadre de leur parcours d'exécution de peine se voient donc contraints de les interrompre. Cette « parenthèse » de six semaines est d'autant plus préjudiciable aux ressources des intéressés qu'elle peut se prolonger durablement pour les détenus amenés à patienter au centre pénitentiaire à l'issue de leur évaluation (22). Et pour ceux qui sont réaffectés rapidement dans leur établissement d'origine, le risque est grand d'attendre plusieurs semaines avant d'être à nouveau classés sur un poste, sans assurance d'en retrouver. Là encore, l'interruption de la rémunération et les risques de perte d'emploi est un motif de renoncement pour les personnes dites « aménageables ». Contrairement aux personnes évaluées en début de peine, qui ont vocation à quitter leur établissement d'origine, l'hypothèse d'un transfert temporaire au CNE des personnes évaluées en fin de peine ne devrait pas emporter de conséquences sur leur relation de travail. Les personnes qui travaillaient précédemment doivent voir leur rémunération maintenue pendant la durée de la session et avoir la garantie de retrouver leur poste lors de leur retour dans leur établissement d'origine (23).

L'impossibilité - variable selon les établissements d'origine - d'apporter un certain nombre de biens et denrées, oblige les personnes détenues à les racheter pour améliorer l'ordinaire, pendant le temps de la session. Des dysfonctionnements relatifs à la gestion des paquetages ont été par ailleurs observés, en particulier au CNE de Réau ; la cause en est notamment le manque d'information des établissements d'origine qui font parfois un amalgame entre les deux types d'évaluation et conservent le paquetage de détenus qui seront finalement affectés ailleurs ; d'autres établissement en facturent le transport. Nonobstant la durée de leur placement au CNE, les personnes évaluées doivent pouvoir emporter, sans frais, tout équipement personnel depuis leur établissement d'origine.

Enfin, l'éloignement imposé peut avoir des effets sur le budget téléphonique des détenus, privés, de facto, de la visite de leurs proches. Au regard du risque de diminution des ressources et d'éloignement géographique des personnes évaluées, l'administration pénitentiaire doit prévoir une aide téléphonique et visiophonique permettant de maintenir les liens avec l'extérieur pendant la durée du placement au CNE, comme lors de la crise sanitaire.

3.3. Rupture dans le maintien des liens avec l'extérieur

Le droit de visite est maintenu au CNE, mais son exercice est limité : le nombre de personnes qui reçoivent des visites durant leur évaluation est très faible. Le site de Lille-Sequedin, contrairement aux autres, n'autorise pas des parloirs doubles et des parloirs deux jours consécutifs alors même que cette possibilité faciliterait la venue des familles. Le droit de visite est également entravé du fait du délai de traitement des demandes d'accès aux unités de vie familiale (UVF) des établissements qui en disposent (Aix-Luynes et Réau), qui dépasse la durée du séjour. Seules les personnes dont le placement au CNE se prolonge peuvent y avoir accès. Le CNE est ainsi perçu par certains visiteurs comme une épreuve supplémentaire, qui « teste au maximum la résistance des liens familiaux en rendant les échanges difficiles et les visites des familles très écourtées ». Les règles encadrant l'accès aux parloirs et aux UVF doivent être assouplies et, plus généralement, toute mesure facilitatrice de l'accès des personnes évaluées aux dispositifs de visite doit être prise pour leur permettre de maintenir leurs liens familiaux.

4. L'issue du CNE est source d'incertitude tant pour les évalués que pour les évaluateurs

4.1. La confidentialité de la synthèse d'évaluation porte atteinte aux droits de la défense des personnes évaluées

Une fois l'évaluation terminée, les conclusions de l'équipe sont, au mieux, restituées oralement au cours d'un entretien qui n'est ni systématique ni institutionnalisé dans chaque site. Les synthèses d'évaluation ne sont pas communiquées aux détenus ; la règlementation précise que la synthèse d'évaluation initiale est versée au dossier pénal et constitue un document administratif communicable au condamné (24), dans le cas où il en ferait la demande. La décision de transfert en établissement pour peine est le seul document transmis à l'intéressé : elle mentionne l'établissement de destination, les motifs succincts de la décision et précise qu'elle se fonde sur « les avis émanant de la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation ». Les décisions de première affectation en établissement pour peine sont en principe insusceptibles de recours, à moins que le requérant n'établisse que cette décision met en cause gravement ses droits fondamentaux. L'interprétation restrictive de cette exception par les tribunaux administratifs et l'impossibilité de disposer de l'ensemble des pièces qui fondent la décision rendent néanmoins l'issue de ce recours hasardeuse. Certaines personnes tentent toutefois de s'opposer à la décision d'affectation qui les concernent, sans succès : « Vous indiquez que votre proposition [d'affectation à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charentes-Maritimes)] “correspond au mieux à mon profil” or les professionnels du CNE ont selon leurs dires été favorables à un centre de détention en région parisienne, j'ai donc été surpris […]. Vous proposez un “maintien des liens familiaux par les UVF” or mon épouse ne pourra jamais se déplacer pas plus que les autres membres de ma famille, prêts à venir en parloir en région parisienne. Je resterai donc seul. Vous soulignez “une prise en charge adaptée” […] Je suis prêt à poursuivre et formaliser ce travail personnel en centre de détention où les liens avec ma famille seront maintenus. Je ne serais plus isolé et dépressif. […] Je vous propose d'être au plus proche du département X ». En pratique, la décision d'affectation emporte un caractère irrémédiable et il appartiendra au détenu de déposer une demande de transfert depuis son établissement d'accueil.

S'agissant de la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation de fin de peine, elle est adressée à l'autorité judiciaire, la règlementation pénitentiaire précisant qu'elle est considérée comme un document « préparatoire à la décision judiciaire » et qu'« elle n'est pas communicable à la personne condamnée », ni à son avocat. La note de la DAP prévoit seulement la possibilité d'une communication de la synthèse par le juge de l'application des peines au greffe pénitentiaire de l'établissement du condamné (D. 214-11 du code pénitentiaire). Cette pratique porte atteinte à l'effectivité des droits de la défense et au principe du contradictoire : le contenu de la synthèse d'évaluation de fin de peine revêt une utilité fondamentale à l'appui des discussions à venir autour de la demande de libération conditionnelle de l'intéressé qui doit pouvoir en prendre connaissance au plus tôt.

Le rapport de synthèse de l'évaluation, document support de la décision d'affectation en établissement pour peine, du futur parcours d'exécution de peine ou de la préparation de l'audience devant le tribunal de l'application des peines (TAP), doit être notifié sans délai à la personne concernée, dans une langue et en des termes qu'elle comprend. Cette notification doit s'accompagner d'une information claire relative aux voies de recours offertes à l'intéressé, qui doit disposer de toute pièce utile à leur exercice.

La personne détenue orientée en établissement pour peine doit être en mesure de faire valoir ses observations auprès de l'autorité décisionnaire. A cette fin, elle doit pouvoir être reçue par cette autorité et si elle le souhaite, être assistée par un avocat. Ses observations doivent être consignées dans le dossier.

4.2. La portée de la synthèse d'évaluation sur la construction d'un parcours d'exécution de peine est très limitée

Le CGLPL relève que la synthèse d'évaluation initiale, qui pourrait constituer une aide à la prise en charge, n'est pas systématiquement adressée au psychologue du parcours d'exécution de peine (PEP) ou au SPIP de l'établissement de destination. Davantage une « photographie à l'instant T » utile aux autorités pénitentiaires à l'appui de leur décision, l'intérêt potentiel de ce travail pluridisciplinaire après le cycle est méconnu. Contrairement au principe fixé par la réglementation, ce dispositif contribue peu ou pas, en réalité, à l'élaboration du parcours pénitentiaire des personnes évaluées.

Cette faillite du dispositif fait écho, dans le cadre des évaluations de fin de peine, au défaut d'information des équipes, qui ne sont pas informées des suites données à leurs avis par la juridiction d'application des peines. Ni les SPIP ni les psychologues PEP des établissements dans lesquels se préparent les demandes d'aménagement de peine ne sont davantage destinataires de la synthèse, réservée à l'autorité judiciaire.

Ainsi, l'affectation au CNE ne s'intègre guère au parcours d'exécution de peine dont il vient régulièrement, au contraire, illustrer les échecs.

Aux dires de plusieurs agents, l'évaluation de fin de peine au CNE est trop fréquemment l'occasion de constater que « de nombreuses personnes ont traversé leur détention sans avoir amorcé le moindre travail sur les faits et leurs projets de sortie ». L'intérêt de l'évaluation s'en trouve altéré et les membres de l'équipe ont le sentiment d'outrepasser leurs fonctions en tentant de définir, trop tard, le contenu d'une prise en charge pour les quelques années restantes. Lors d'un entretien avec un contrôleur, un professionnel déclare : « ces évaluations de fin de peine sont un peu étranges car elles font le constat de l'échec (ou non) de la prise en charge du détenu par l'administration elle-même. L'évaluation, qui va venir le sanctionner, devrait surtout sanctionner l'administration ».

(1) Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

(2) A savoir les crimes commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration, ou commis sur une victime majeure avec une ou plusieurs circonstances aggravantes, ou commis sur une victime majeure en état de récidive légale.

(3) Procédure décrite dans le rapport du CGLPL, « Radicalisation et respect des droits fondamentaux », 2020.

(4) En application de l'article 729 du CPP, il s'agit des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, à une peine d'une durée égale ou supérieure à 15 ans pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru ou à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à dix ans pour une infraction mentionnée à l'article 706-53-13 CPP, relevant du champ d'application de la rétention de sûreté. Nota. - Depuis la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, l'avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS), autrefois systématiquement saisie pour avis à l'occasion de l'examen des libérations conditionnelles du public susmentionné, n'est plus recueilli. Le tribunal de l'application des peines peut désormais octroyer une libération conditionnelle aux condamnés directement après l'évaluation pluridisciplinaire réalisée au CNE.

(5) Cette faculté prévue à l'article 723-29 du CPP est laissée à l'appréciation du juge de l'application des peines ou du procureur de la République.

(6) Dénommé « Réau » ci-après.

(7) En pratique, ce nombre est réduit : à Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône), par exemple, cinq places sont réservées pour des auxiliaires, postes occupés par des détenus déjà évalués en attente de transfert.

(8) Le site de Réau (Seine-et-Marne) du 3 au 5 mai 2021, d'Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône) du 3 au 7 mai 2021, de Fresnes (Val-de-Marne) du 10 au 12 mai 2021 et de Lille-Sequedin (Nord) du 18 au 19 mai 2021. Les rapports de ces visites sont disponibles sur le site du CGLPL (www.cglpl.fr).

(9) Par une circulaire de la direction de l'administration pénitentiaire du 4 avril 2022 relative à l'évaluation des publics susceptibles de faire l'objet de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion applicable aux auteurs d'infractions terroristes au sein du centre national d'évaluation des personnes radicalisées (CNER). Ce centre n'a, à la date de publication du présent avis, pas encore été visité par le CGLPL.

(10) Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, JORF 4 juin 2020.

(11) Rapport parlementaire sur les problématiques pénitentiaires en outre-mer, mai 2014. Le groupe de travail propose également de « restreindre le caractère obligatoire préalablement à l'octroi d'une mesure d'aménagement de peine du recours à l'expertise psychiatrique et du passage au CNE aux cas les plus graves » (proposition n° 22).

(12) CGLPL, Rapport de vérifications sur place : « Isolées en détention ordinaire, la situation des personnes sourdes incarcérées », 25 avril 2019.

(13) La commission Cotte (Pour une refonte du droit des peines, décembre 2015) avait proposé, à ce titre, que les évaluations de fins de peine ne soient imposées qu'aux condamnés à perpétuité et restent facultatives pour les autres.

(14) La note de 2015 précise : « L'organisation retenue vise à garantir l'autonomie du site de CNE vis-à-vis de l'établissement pénitentiaire en ce qui concerne le déroulement des évaluations ».

(15) En principe, un dossier d'évaluation initiale doit contenir : le dossier d'orientation, les pièces judiciaires (ordonnance de mise en accusation, réquisitoire définitif, décision de condamnation pénale, décision de condamnation civile), les expertises psychiatriques ou psychologiques réalisées dans le cadre de l'instruction de l'affaire, les enquêtes de personnalité et les permis de visite. Les dossiers constitués dans l'optique d'une évaluation de fin de peine doivent être a minima complétés par l'ordonnance de placement au CNE de la juridiction d'application des peines, les expertises psychiatriques obligatoires et actualisées visées par l'article 712-21 du CPP, et les comptes-rendus rédigés dans le cadre du parcours d'exécution de peine (PEP).

(16) L'article 73 (IV) de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice créé « à titre expérimental, un répertoire des dossiers uniques de personnalité, placé sous l'autorité du ministre de la justice et sous le contrôle d'un magistrat, destiné à mutualiser et centraliser les informations relatives à la personnalité des personnes majeures faisant l'objet […] de l'exécution d'une peine pour des faits punis d'une peine d'emprisonnement de trois ans, afin de permettre leur partage entre l'autorité judiciaire et les services d'insertion et de probation, pour faciliter la prise de décision par l'autorité judiciaire, pour améliorer la qualité de la prise en charge de ces personnes et pour prévenir le renouvellement des infractions ».

(17) Pour ces derniers, la procédure est complexe et son issue incertaine. Ils doivent d'abord obtenir leur mutation auprès du SPIP de l'établissement, puis solliciter leur affectation au CNE, ce qui ne permet pas un recrutement optimal. A l'inverse, des CPIP qui ne l'ont pas demandé peuvent se voir affecter au CNE.

(18) Décret n° 2021-1606 du 8 décembre 2021 relatif au statut particulier du corps des psychologues du ministère de la justice.

(19) A Fresnes, un processus d'accueil pour les psychologues contractuels a été mis en place à compter de novembre 2021 pour permettre une assimilation rapide des enjeux propres au CNE et depuis janvier 2021 des temps d'échange interprofessionnels sont organisés toutes les six semaines. A Lille-Sequedin, une forme d'autoformation a été mise en place : les CPIP et les psychologues établissent régulièrement, à destination de l'ensemble du personnel du CNE, des fiches sur certains notions pénales ou psychologiques, permettant à chacun de disposer d'un référentiel de connaissances et de repères facilement accessibles. Elle est très utilisée par les nouveaux arrivants.

(20) Les cellules et les cours de promenade du CNE ainsi que les parloirs du centre pénitentiaire de Fresnes sont indignes. Si, depuis la visite des contrôleurs, des réparations ont été effectuées, le site nécessite des travaux de réfection d'ampleur, que le CGLPL a déjà recommandés à plusieurs reprises. Voir notamment les recommandations en urgence du CGLPL relatives à la maison d'arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), publiées au Journal officiel de la République française du 14 décembre 2016, ainsi que le rapport de la troisième visite de l'établissement, du 12 au 15 novembre 2019 (www.cglpl.fr).

(21) Les postes d'auxiliaires au CNE sont tenus, à Lille-Sequedin, par une personne écrouée au quartier maison d'arrêt du centre pénitentiaire, à Aix-Luynes et Fresnes par des personnes ayant terminé leur session d'évaluation. A Réau, l'entretien est assuré par des détenus auxiliaires affectés à l'unité d'accueil et de transfert (UAT).

(22) Malgré une offre de travail relativement importante à l'UAT de Réau avec, notamment, des postes « réservés » au service général et aux ateliers.

(23) Conformément, sur ce dernier point, au sens des articles L. 412-8 et R. 412-15 du code pénitentiaire tel qu'interprété par le Vademecum de l'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (ATIGIP) sur la réforme du travail pénitentiaire.

(24) La note précise « La communication de la synthèse pluridisciplinaire d'évaluation de la personnalité constitue une décision et doit à ce titre faire l'objet d'une notification ou être accompagnée d'un formulaire permettant d'accuser réception ».