JORF n°0112 du 15 mai 2019

Délibération n°2019-089 du 25 avril 2019

Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE, et Jean-Laurent LASTELLE, commissaires.
La présente délibération est prise en application des dispositions du règlement (UE) n° 347/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2013 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes. En application de l'article 12 de ce dernier, elle a pour objet d'établir une décision de répartition transfrontalière des coûts du projet d'infrastructure de transport d'électricité Celtic entre la France et l'Irlande à la demande des gestionnaires de réseau de transport (GRT) français et irlandais, réseau de transport d'électricité (RTE) et Eirgrid, promoteurs du projet. Cette décision conjointe de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et de la Commission for Regulation of Utilities (CRU) se fonde notamment sur l'analyse des coûts et bénéfices du projet menée par RTE et Eirgrid.

SOMMAIRE

  1. Contexte
    1.1. Cadre européen pour le développement des interconnexions
    1.1.1. Le règlement (UE) n° 347/2013
    1.1.2. La recommandation de l'ACER n° 5/2015
    1.2. Cadre juridique français
    1.3. Calendrier
    1.4. Description du projet
    1.4.1. Caractéristiques techniques
    1.4.2. Calendrier de réalisation du projet

  2. Analyse couts-bénéfices du projet
    2.1. Méthodologie d'estimation des bénéfices prévisionnels
    2.2. Analyse des bénéfices
    2.2.1. Bénéfices monétisés
    2.2.2. Bénéfices non monétisés
    2.3. Analyse des coûts
    2.4. Calcul de VAN du projet
    2.5. Conclusions de l'analyse coûts-bénéfices

  3. Répartition transfrontalière des coûts du projet
    3.1 Répartition des coûts d'investissement du projet entre Eirgrid et RTE
    3.2. Répartition des coûts d'exploitation du projet
    3.3. Répartition des éventuels surcoûts
    3.4. Répartition des revenus d'interconnexion

  4. Demande de financement européen
    4.1. Externalités positives generées par le projet Celtic
    4.1.1. Solidarité et préservation du marché intérieur de l'électricité
    4.1.2. Sécurité d'approvisionnement
    4.1.3. Contribution à l'atteinte des objectifs énergie-climat de l'Union européenne
    4.2. Viabilité commerciale
    4.3. Conclusion sur le besoin de financement européen
    Décision de la CRE

  5. Contexte
    1.1. Cadre européen pour le développement des interconnexions
    1.1.1. Le règlement (UE) n° 347/2013

Le règlement (UE) n° 347/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2013 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes (« le Règlement ») vise à promouvoir l'interconnexion des réseaux européens. Il introduit notamment la notion de projet d'intérêt commun (PIC) qui, dans le domaine de l'électricité, peut concerner des infrastructures de transport, de stockage ou de réseaux intelligents (smart grids). Ces projets sont considérés par la Commission européenne comme contribuant à la mise en œuvre des corridors prioritaires pour la construction du marché intérieur de l'énergie.
La liste des PIC est adoptée par la Commission européenne sur proposition des groupes régionaux rattachés à chaque corridor prioritaire (1). Elle est renouvelée tous les deux ans. Le projet Celtic a été identifié comme PIC en 2013, 2015 et 2017 (PIC n° 1.6). Il est candidat à une inclusion dans la prochaine liste de PIC, qui sera adoptée en 2019.
Parmi les mesures destinées à favoriser la réalisation des PIC, le Règlement prévoit des mécanismes de financement visant à pallier les problèmes de viabilité commerciale des projets lorsque ceux-ci font obstacle à la prise de décision d'investissement. L'article 12 du Règlement dispose ainsi que, à la demande des porteurs de projet et sur la base d'une analyse des coûts et bénéfices pour les pays concernés, les autorités de régulation nationales compétentes décident, de manière coordonnée, d'une répartition des coûts d'investissement dans les six mois à compter de la réception de la dernière demande d'investissement. Cette décision ouvre la possibilité de solliciter une aide financière de l'Union européenne (UE) au titre de l'article 14 du Règlement.
Le Règlement dispose également que les porteurs de projet doivent inclure, dans leur demande d'investissement, une analyse coûts-bénéfices conforme à la méthodologie développée par le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (European Network of Transmission System Operators, ou « ENTSO-E »). La deuxième version de cette méthodologie (« la méthodologie CBA 2.0 ») a été approuvée par la Commission européenne en septembre 2018 (2).

1.1.2. La recommandation de l'ACER n° 5/2015

L'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) a publié une recommandation le 18 décembre 2015 (3), définissant des bonnes pratiques pour le traitement des demandes d'investissement dans le cadre du Règlement. Elle recommande en particulier de procéder à une répartition des coûts différente de celle qui serait a priori assumée par les porteurs de projet dans le cas où l'impact net de ce projet serait négatif pour l'un des pays hôtes.

1.2. Cadre juridique français

En application des dispositions des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de l'énergie, la CRE est compétente pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport d'électricité (TURPE). Ces tarifs sont calculés afin de couvrir l'ensemble des charges supportées par RTE, « dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d'un gestionnaire de réseau de transport efficace ».

1.3. Calendrier

A la suite des études préparatoires, RTE et Eirgrid ont saisi en septembre 2018 la CRE et la CRU d'une première demande d'investissement. A la demande des régulateurs, ils ont complété leur demande d'investissement par des éléments complémentaires. Le dossier a été considéré comme complet par les autorités de régulation le 20 novembre 2018, date à laquelle le délai d'instruction de six mois prévu par le Règlement a commencé à courir.
Sur la base de l'analyse du dossier, et d'échanges fournis entre la CRE et la CRU, les deux autorités de régulation ont chacune mené une consultation publique entre le 20 décembre 2018 et le 15 février 2019 (4). Six acteurs (EDF, Engie, Board Gáis Energy, l'ANODE, l'UFE et Co-entreprise de Transport d'Electricité), ainsi que quatre particuliers ont répondu à la consultation de la CRE. Les parties non confidentielles de ces réponses sont publiées sur le site internet de la CRE en même temps que la présente délibération. Dans leurs réponses, les acteurs répondent globalement partager les analyses préliminaires de la CRE. Ils considèrent qu'au-delà de l'intérêt économique, l'intérêt du projet se situe dans le maintien d'un lien entre le marché irlandais et le reste de l'Union européenne. Ils font part de leur inquiétude concernant les risques pesant sur le projet (conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l'UE, mise en service de GreenLink, surcoûts, développement de l'éolien irlandais) et ses conséquences possibles sur le niveau de TURPE.
Quinze acteurs ont répondu à la consultation publique de la CRU (le retour des acteurs est disponible sur le site internet de la CRU).

1.4. Description du projet
1.4.1. . Caractéristiques techniques

Le projet Celtic consiste en une liaison à courant continu à haute tension (CCHT) sous-marine d'environ 500 km, d'une capacité de 700 MW, entre les postes de Knockraha en Irlande et de La Martyre en France. Outre la liaison sous-marine, le projet comporte, pour chaque pays, les éléments suivants :

- un point d'atterrage où la liaison sous-marine arrive à terre ;
- une liaison terrestre CCHT (souterraine) entre le point d'atterrage et une station de conversion ;
- une station de conversion ;
- une liaison terrestre en courant alternatif à haute tension (souterraine) entre la station de conversion et le point de connexion au réseau ;
- un point de raccordement à un poste électrique existant sur le réseau de transport.

Celtic a une capacité relativement faible (700 MW) par rapport à des projets d'interconnexion comparables. Ce dimensionnement est adapté à la taille du système électrique irlandais dont l'élément d'injection et de soutirage le plus important aujourd'hui est l'interconnexion EWIC, de 500 MW. La capacité de l'interconnexion a été déterminée de manière à éviter des renforcements du réseau et des changements dans l'exploitation du système (par exemple, augmentation du niveau de capacités de réserve requis) trop importants en Irlande.
Par ailleurs, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne (Brexit) ferait de Celtic l'unique interconnexion entre l'Irlande et le reste de l'UE.

1.4.2. Calendrier de réalisation du projet

RTE et Eirgrid ont achevé les études de faisabilité préliminaire en 2014, puis de faisabilité en 2016. Le projet est actuellement en phase de conception initiale et pré-consultation. Celle-ci devrait s'achever en 2019. Selon le calendrier indiqué par les GRT dans la demande d'investissement, la phase de conception détaillée et d'obtention des autorisations s'étendra jusqu'en 2021, puis le projet entrera en construction en 2021, pour une mise en service prévue début 2026.

  1. Analyse coûts-bénéfices du projet

Les éléments d'estimation des bénéfices prévisionnels du projet et de résultats de l'analyse coûts-bénéfices ont déjà été présentés dans les consultations publiques française et irlandaise. Dans la consultation publique de la CRE étaient notamment présentées la proposition commune des GRT (cas de référence des GRT) et l'analyse qu'en effectuait la CRE.

2.1. Méthodologie d'estimation des bénéfices prévisionnels

Pour les analyses coûts-bénéfices du projet Celtic, les GRT utilisent le scénario Best Estimate (BE 2025) du TYNDP 2018 (Ten-Year Network Development Plan) pour modéliser l'année 2025 (5). L'évaluation des bénéfices pour l'année 2030 repose sur les quatre scénarios suivants :

- Sustainable Transition (ST) du TYNDP 2018 ;
- Distributed Generation (DG) du TYNDP 2018 ;
- European Commission (EuCo) du TYNDP 2018 ;
- Vision 1 du TYNDP 2016.

La CRE considère que les trois scénarios du TYNDP 2018 (ST, DG et EuCo), complétés par le scénario V1 du TYNDP 2016 constituent des visions encadrantes des différents futurs possibles du système électrique européen.
Par ailleurs, la CRE avait mis en évidence dans sa consultation publique que les hypothèses du TYNDP relatives aux capacités d'interconnexions ne comprenaient qu'une capacité d'interconnexion de l'ordre de 500 MW entre l'Irlande et la Grande Bretagne, correspondant à la capacité d'interconnexion actuellement disponible entre ces deux pays. Or, le projet GreenLink (entre l'Irlande et la Grande-Bretagne), d'une capacité de 500 MW, figure dans la liste des PIC et a récemment été déclaré comme étant dans l'intérêt des consommateurs irlandais par la CRU (6). La plupart des acteurs ayant répondu à la consultation publique française partagent l'analyse de la CRE, consistant à considérer le projet GreenLink dans les hypothèses de référence, portant ainsi la capacité d'interconnexion entre l'Irlande et la Grande Bretagne à 1 000 MW à l'horizon 2030.
L'analyse des coûts et bénéfices menée par les GRT prend en compte les paramètres suivants :

- le bien-être socio-économique (« socio-economic welfare » ou SEW) ;
- le coût des pertes électriques ;
- les bénéfices en termes de sécurité d'approvisionnement (SoS (7)) ;
- les dépenses d'investissement (CAPEX) ;
- les coûts d'opération et de maintenance (OPEX).

Les coûts et bénéfices pris en compte par les GRT sont dans l'ensemble cohérents avec la méthodologie CBA 2.0 établie par l'ENTSO-E. Néanmoins les GRT ont également cherché à quantifier les bénéfices en termes de sécurité d'approvisionnement au travers d'une méthode mise en œuvre à titre expérimental par l'ENTSO-E dans le cadre du TYNDP 2018.
Enfin, les GRT ont diminué les coûts et bénéfices en exploitation (SEW, pertes, sécurité d'approvisionnement) de 5 % pour refléter le taux prévisionnel de disponibilité de l'interconnexion, qu'ils estiment de 95 %.

2.2. Analyse des bénéfices
2.2.1. Bénéfices monétisés

Les économies de coûts de production, qui incluent les bénéfices liés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la réduction des volumes de production d'électricité d'origine renouvelable fatale écrêtés, constituent l'essentiel des bénéfices apportés par le projet.
Le tableau suivant détaille les économies prévisionnelles de coûts de combustible permises par le projet Celtic (SEW), les pertes générées par le projet sur le réseau européen, ainsi que les gains estimés par les GRT liés à la sécurité d'approvisionnement, dans le cas de référence des GRT (i.e. sans mise en service de GreenLink).

Tableau 1. - Estimation par les GRT du SEW, des pertes et des bénéfices en terme de sécurité d'approvisionnement dans le cas de référence des GRT

| Scénario |BE 2025|ST 2030|DG 2030|EuCo 2030|V1 2030| |-----------------------------------------------------------|-------|-------|-------|---------|-------| | SEW Europe (M€/an) | 47 | 91 | 82 | 76 | 66 | | Pertes Europe (M€/an) | - 17 | - 22 | - 22 | - 26 | - 29 | |Gains Europe liés à la sécurité d'approvisionnement (M€/an)| 32 | 42 | 38 | 24 | 25 |

2.2.2. Bénéfices non monétisés

Parmi les bénéfices d'un projet de transport d'électricité, certains indicateurs sont difficilement monétisables et sont généralement quantifiés dans leurs unités physiques typiques. Dans leur demande d'investissement, les GRT ont proposé des indicateurs d'intégration des énergies renouvelables et de variation des émissions de CO2. Ces indicateurs illustrent l'intérêt du projet à l'échelle européenne et sont chiffrés dans le tableau ci-dessous :

Tableau 2. - Estimation des bénéfices en termes d'insertion des EnR et de réduction des volumes de CO2 dans le cas de référence des GRT

| Scénario |ST 2030|DG 2030|EuCo 2030|V1 2030|Moyenne| |--------------------------------------|-------|-------|---------|-------|-------| | Intégration des EnR (GWh/an) | 840 | 840 | 810 | 688 | 795 | |Réduction des émissions de CO2 (kt/an)| 455 | 155 | 525 | 65 | 300 |

2.3. Analyse des coûts

Les coûts d'investissement communiqués pas RTE et Eirgrid sont estimés à 930 M€, avec une marge d'incertitude de - 110 / + 140 M€. La CRE a noté que la marge d'incertitude sur les CAPEX fournie par les GRT est importante. Cependant, celle-ci tient principalement aux incertitudes pesant sur les prix à l'issue du processus d'achat. Celles-ci ne pourront donc pas être levées avant le lancement des appels d'offres, c'est-à-dire après la validation de la demande d'investissement par les régulateurs.
Pour autant, la CRE estime que le projet présente un risque significatif de surcoûts au vu de ses caractéristiques et des éléments fournis par les GRT. Dans sa consultation publique, la CRU déclare avoir effectué une analyse comparative des différents postes de coûts suggérant que les coûts d'investissement pourraient dépasser de 20 % ceux indiqués par les GRT.
Les coûts d'exploitation et de maintenance sont estimés à 8,4 M€ par an par les GRT, ce qui n'appelle pas de commentaire de la CRE.

2.4. Calcul de VAN du projet

La demande d'investissement des GRT comprend une analyse coûts-bénéfices du projet au périmètre européen (8). Cette analyse prend en compte les dépenses d'investissements, les coûts d'exploitation et de maintenance, le coût des pertes électriques, les économies de coûts de combustibles pour la production d'électricité et les gains supposés en termes d'amélioration de la sécurité d'approvisionnement.
Le tableau suivant résume les résultats obtenus au périmètre européen, dans le cas de référence des GRT :

Tableau 3. - VAN du projet selon le cas de référence des GRT

| Scénario | ST | DG | EuCo | V1 |Moyenne| |----------------------------------|------|------|------|------|-------| | VAN (9) (sans SoS) |- 105|- 200|- 295|- 420|- 255 | |VAN (proposition des GRT avec SoS)| 350 | 220 |- 15 |- 130| 106 |

Le projet présente ainsi des bénéfices importants pour l'Union européenne et son marché intérieur, dont des externalités positives non monétisées, en particulier en matière d'intégration des énergies renouvelables dans le marché intérieur européen et de réduction des émissions de CO2.

2.5. Conclusions de l'analyse coûts-bénéfices

L'analyse coûts-bénéfices menée par les GRT indique que le projet Celtic est porteur de bénéfices importants à l'échelle de l'Union européenne, notamment dans les scénarios présentant une croissance économique soutenue et où les objectifs de politique énergétique européenne sont atteints. La VAN du projet atteint jusqu'à 350 M€ à l'échelle européenne dans le scénario ST en tenant compte de la valeur de la sécurité d'approvisionnement.
Certaines externalités positives non monétisées sont aussi à prendre en compte au niveau des bénéfices à l'échelle européenne. Le projet permettrait l'intégration de 795 GWh supplémentaires par an d'énergie renouvelable, en moyenne des quatre scénarios, en 2030. La substitution entre les différentes catégories de combustibles autorisée par le projet conduirait à une réduction moyenne des émissions de CO2 de 300 kt par an.
Cependant, les résultats sont assez contrastés en fonction des scénarios : les analyses de sensibilité mettent en avant l'impact à la baisse sur la rentabilité du projet de certains éléments, tels que l'augmentation de 500 MW du niveau d'interconnexion entre l'Irlande et la Grande-Bretagne, du moindre développement de la production éolienne sur l'île d'Irlande, de la révision à la baisse des projections à 2030 des prix des combustibles et du CO2 par rapport au TYNDP, ou encore d'un niveau de disponibilité de l'interconnexion inférieur à celui estimé par les GRT (95 %).
La viabilité économique du projet présentée par les GRT dépend par ailleurs fortement de la valeur qu'il génèrerait en terme d'amélioration de la sécurité d'approvisionnement des pays concernés. Or, sur le plan méthodologique, dans la mesure où les parcs de production tendent à être surdimensionnés dans les scénarios du TYNDP, le calcul de la valeur économique de la sécurité d'approvisionnement par les GRT consiste à réadapter les parcs des différents pays pour respecter strictement les critères nationaux de sécurité d'approvisionnement. Par conséquent, les économies de coûts de combustibles et les bénéfices en termes de sécurité d'approvisionnement sont estimés sur la base d'hypothèses différentes, ce qui interroge sur la pertinence d'additionner ces deux bénéfices.
La CRE exprime ainsi un certain nombre de réserves sur la méthodologie proposée par les GRT, alors que les résultats obtenus peuvent atteindre des valeurs très significatives. A titre de comparaison, la CRU a mandaté des consultants pour analyser les bénéfices du projet Celtic sans modifier les parcs de production fixés dans les scénarios. Cette analyse a abouti à une valeur négligeable de sécurité d'approvisionnement. Par ailleurs, les acteurs ayant contribué à la consultation publique française ont globalement partagé l'analyse de la CRE sur le sujet.
Ces mêmes acteurs ont aussi répondu partager l'inquiétude de la CRE quant aux risques de surcoûts. Dans un contexte de concurrence importante entre les projets d'interconnexions et de raccordements, les coûts d'achat des câbles et les tarifs des services de pose (notamment l'utilisation des navires capables de conduire de telles opérations) sont susceptibles d'être supérieurs aux estimations des GRT. En outre, des risques opérationnels conséquents pèsent sur le projet en raison de la longueur de la liaison sous-marine.
En conclusion, le projet présente donc un intérêt économique et environnemental fort, malgré des risques importants. En outre, ces bénéfices, et notamment les externalités positives non monétisées, dépassent largement la France et l'Irlande. Le projet présente également un intérêt politique important, à savoir la volonté d'établir un lien physique direct entre le réseau électrique irlandais et celui du reste de l'UE, dans un contexte de décision du Royaume-Uni de sortir de l'UE et de solidarité entre les Etats membres de l'Union.

  1. Répartition transfrontalière des coûts du projet
    3.1. Répartition des coûts d'investissement du projet entre Eirgrid et RTE

Dans leur dossier de demande d'investissement, les GRT ont proposé que chacun prenne à sa charge la moitié des coûts du projet, conformément à leur répartition géographique. Cependant, l'évaluation du projet met en avant une répartition déséquilibrée des bénéfices bruts (10) entre la France et l'Irlande dans tous les scénarios, ce qui conduit à des impacts net (VAN) très contrastés entre les deux pays. La VAN française est ainsi négative dans tous les scénarios (entre - 250 M€ et - 120 M€) sans prendre en compte les bénéfices de sécurité d'approvisionnement tels que monétisés par les GRT, et négative dans deux des quatre scénarios en prenant en compte cette évaluation (- 83 M€ en moyenne des quatre scénarios dans cette configuration).
Afin d'assurer un équilibre entre l'impact net du projet en France et en Irlande, la CRE et la CRU se sont entendues pour appliquer une répartition des coûts proportionnelle aux bénéfices bruts du projet pour les deux pays.
Le tableau ci-dessous présente l'évaluation de la répartition des bénéfices bruts du projet entre la France et l'Irlande selon les différents scénarios modélisés par les GRT (ainsi qu'avec et sans la prise en compte des bénéfices de sécurité d'approvisionnement tels que calculés par les GRT), et sous l'hypothèse de la réalisation du projet GreenLink entre l'Irlande et la Grande-Bretagne.

Tableau 4. - Répartition des bénéfices bruts du projet (avec et sans la mise en service de GreenLink)

| Scenario | | ST | DG |EuCo| V1 | | |------------------------------------------------|------------------------|-------|----|----|----|----| | Avec SoS |Cas de référence des GRT|Irlande|64 %|62 %|81 %|73 %| | France | 36 % | 38 % |19 %|27 %| | | |Sensibilité avec la mise en service de GreenLink| Irlande | 56 % |60 %|66 %|58 %| | | France | 44 % | 40 % |34 %|42 %| | | | Sans SoS |Cas de référence des GRT|Irlande|71 %|69 %|76 %|67 %| | France | 29 % | 31 % |24 %|33 %| | | |Sensibilité avec la mise en service de GreenLink| Irlande | 64 % |75 %|66 %|55 %| | | France | 36 % | 25 % |34 %|45 %| | |

Les analyses de la CRE et de la CRU mettent en avant une répartition très variable des bénéfices bruts du projet selon les scénarios : entre 50 % et 80 % des bénéfices reviennent ainsi à l'Irlande (et symétriquement 50 % à 20 % à la France).
Tenant compte de ces analyses ainsi que des différents facteurs de risques affectant la valeur du projet, la CRE et la CRU se sont ainsi accordées pour qu'Eirgrid porte 65 % des coûts estimés du projet (qui s'élèvent à 930 M€), et RTE 35 %.

3.2. Répartition des coûts d'exploitation du projet

Dans leur demande d'investissement, Eirgrid et RTE proposent de répartir les coûts d'opération et de maintenance à parts égales entre les deux opérateurs. La CRE et la CRU n'y voient pas d'objections.

3.3. Répartition des éventuels surcoûts

RTE et Eirgrid estiment les coûts d'investissements du projet à 930 M€, avec une marge d'incertitude de - 110/+140 M€. Cependant, l'analyse menée par la CRU met en avant un risque de dépassement des coûts pouvant aller jusqu'à 20 % de l'estimation des GRT.
Sous réserve des modalités liées à l'obtention et au partage de la subvention européenne qui serait sollicitée par les GRT au titre du mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE), la CRE et la CRU se sont accordées pour que les éventuels surcoûts du projet soient partagés à parts égales entre Eirgrid et RTE.
Par ailleurs, RTE et Eirgrid devront soumettre périodiquement à leurs régulateurs respectifs des estimations de coûts mises à jour (au moins tous les six mois ou à la demande des régulateurs) et feront immédiatement rapport aux deux régulateurs de tout changement substantiel de ces estimations. Les GRT ne devront pas engager de dépenses significatives (en dehors des activités de développement du projet) tant que le processus d'appels d'offres pour la réalisation du projet ne sera pas achevé et que le coût total des principaux contrats de fourniture (y compris les câbles) n'est pas connu. De plus, si le montant de ces contrats venait à dépasser les coûts estimés (au-delà de 20 % de l'évaluation initiale) ou si les coûts totaux du projet devaient être revus sensiblement à la hausse (au-delà de 20% de l'évaluation initiale), la CRU et la CRE conviennent de consulter les parties au projet et de revoir la présente décision afin de réexaminer l'opportunité d'investir dans le projet et/ou la décision de répartition transfrontalière en ce qui concerne les surcoûts.
Comme indiqué à l'article 12(5) du Règlement, les régulateurs porteront une attention particulière à l'efficacité des coûts engagés par les GRT. Ainsi, conformément aux conditions fixées par le tarif TURPE 5 (11), qui prévoit un mécanisme de régulation incitative pour les grands projets d'interconnexion, la CRE prévoit de fixer les paramètres de cette régulation pour le projet Celtic, en particulier s'agissant des incitations à la maîtrise des coûts.

3.4. Répartition des revenus d'interconnexion

La CRE et la CRU se sont mises d'accord sur une répartition des revenus d'interconnexions (y compris la rente de congestion) à parts égales entre Eirgrid et RTE.

  1. Demande de financement européen

En application des dispositions de l'article 12(4) du Règlement, la décision de répartition transfrontalière des coûts doit tenir compte des « besoins potentiels d'aide financière » du projet.
L'article 14(2) du Règlement décrit également les conditions que les PIC doivent respecter afin d'être éligibles à une aide financière de l'Union européenne. En plus d'avoir fait l'objet d'une décision coordonnée de partage transfrontalier des coûts, les PIC doivent respecter les deux conditions suivantes :

- l'analyse des coûts et bénéfices doit fournir des preuves concernant « l'existence d'externalités positives significatives, telles que la sécurité de l'approvisionnement, la solidarité ou l'innovation » ;
- l'évaluation du projet doit apporter la preuve que le projet n'est « pas viable commercialement selon le plan d'affaires et les autres évaluations réalisées, notamment par des investisseurs ou créanciers potentiels ou par l'autorité de régulation nationale ».

La CRU et la CRE, dans leur décision commune, considèrent que ces conditions sont remplies et que le projet Celtic est éligible à une aide financière de l'Union européenne dans le cadre du MIE, comme montré ci-dessous.

4.1. Externalités positives générées par le projet Celtic

En plus des critères d'éligibilité fixés par le Règlement, l'article 4 du règlement (UE) n° 1316/2013 fixe les critères d'intégration des marchés, de durabilité et de sécurité de l'approvisionnement comme objectifs du MIE lors de l'évaluation des demandes de subventions.
La CRE considère que le projet Celtic génère des externalités positives significatives, notamment en termes de solidarité et de sécurité d'approvisionnement, et qu'il contribue à l'atteinte des objectifs de l'Union européenne, notamment en ce qui concerne l'intégration des marchés et la durabilité. Ces externalités ne bénéficient pas seulement aux pays hôtes, mais aussi à l'Union européenne dans son ensemble. Elles représentent par ailleurs un bénéfice pour la société mais n'ont pas de caractère financier de nature à compenser les revenus manquants et l'absence de viabilité commerciale démontrée ci-dessous.

4.1.1. Solidarité et préservation du marché intérieur de l'électricité

Le projet Celtic sera la première liaison électrique directe entre l'Irlande et l'Europe continentale. En raison de sa situation géographique, l'Irlande n'est reliée au marché européen de l'électricité qu'avec le Royaume-Uni, qui a activé l'article 50 du Traité sur l'Union européenne exprimant ainsi la volonté de se retirer de l'Union.
Dans cette configuration, l'établissement d'un lien physique avec le continent serait le seul moyen de garantir une liaison directe de l'Irlande avec le reste du marché intérieur européen de l'électricité. Il serait donc bénéfique pour l'Irlande et pour le marché de l'UE dans son ensemble. Grâce à cette interconnexion, l'Irlande pourrait notamment participer au marché intérieur européen de l'électricité, à la sécurité d'approvisionnement de l'UE et récolter les bénéfices découlant des synergies entre les pays de l'UE pour la réalisation des objectifs énergétiques européens.
Les analyses des GRT indiquent notamment que ce projet d'interconnexion facilitera l'intégration des énergies renouvelables en Irlande et lui permettra ainsi de respecter ces engagements en matière de développement des énergies renouvelables et de décarbonisation de son économie.
Celtic permettra ainsi à l'Irlande de rester directement connectée au marché européen de l'électricité et contribuera à atténuer les effets négatifs du Brexit sur le système électrique irlandais et à préserver l'intégrité du marché intérieur de l'énergie. Ce projet concrétise ainsi la solidarité de l'Union européenne envers l'Irlande dans le contexte politique actuel.

4.1.2. Sécurité d'approvisionnement

Les bénéfices du projet concernant l'amélioration de la sécurité d'approvisionnement sont difficiles à monétiser en raison de l'absence d'une méthodologie d'évaluation solide. Malgré ces difficultés, Eirgrid et RTE ont tenté de quantifier ces bénéfices : selon leurs simulations, les bénéfices en termes de sécurité d'approvisionnement dépassent largement la France et l'Irlande et pourraient atteindre 20 à 30 M€ pour l'Union européenne dans son ensemble en 2030.
La CRE considère que la méthodologie des GRT manque de robustesse et peut surestimer les bénéfices du projet en termes de sécurité d'approvisionnement. Elle reconnait cependant que le projet contribuera à diversifier les sources d'approvisionnement françaises et irlandaises et à la sécurité d'approvisionnement de l'UE dans son ensemble.

4.1.3. Contribution à l'atteinte des objectifs énergie-climat de l'Union européenne

Le projet Celtic contribuera également aux objectifs énergétiques et climatiques de l'Union européenne, tels que l'intégration des marchés et la durabilité.
Celtic sera ainsi un élément clé pour la réalisation du marché intérieur de l'énergie. Cette nouvelle interconnexion permettra en effet l'augmentation des échanges d'électricité entre les pays européens et contribuera à réduire au global les prix de l'énergie, au bénéfice des consommateurs finals.
Celtic contribuera également à la réalisation de l'objectif européen en matière de développement durable, en facilitant la réduction des obstacles au développement des sources d'énergie renouvelables. Selon l'évaluation des GRT, fondée sur la méthodologie de l'ENTSO-E, le projet contribuera à intégrer les énergies renouvelables jusqu'à 840 GWh/an en 2030 (dans les scénarios ST et DG, et 795 GWh/an en moyenne de tous les scénarios des GRT). Il permettra de réduire les émissions de CO2 de 300 kt/an en moyenne de tous les scénarios en 2030. Celtic contribuera ainsi à l'utilisation optimale des énergies renouvelables entre l'Irlande et le reste de l'UE.

4.2. Viabilité commerciale

En plus de la nécessité d'attester l'existence d'externalités positives significatives, l'article 14(2) du Règlement dispose que l'analyse des coûts et bénéfices doit démontrer que le projet n'est « pas viable commercialement selon le plan d'affaires et les autres évaluations réalisées, notamment par des investisseurs ou créanciers potentiels ou par l'autorité de régulation nationale ». Les régulateurs considèrent que cette condition est remplie et que le projet est éligible, comme montré ci-dessous.
Les plans d'affaires présentés par les promoteurs du projet dans la partie 7 de la demande d'investissement aboutissent à des valeurs financières actualisées nettes négatives à leur périmètre. Ils ont été établis au niveau du projet en comparant les revenus issus de la vente des capacités avec les coûts d'investissements, d'entretien et de maintenance de l'interconnexion.
L'analyse de la viabilité économique du point de vue des tarifs d'utilisation des réseaux, c'est-à-dire en considérant les pertes sur l'interconnexion et sur les réseaux nationaux, ainsi que la baisse des rentes de congestion induite sur les autres interconnexions, fait apparaître que la rente de congestion du câble Celtic n'est pas suffisante pour couvrir les impacts tarifaires négatifs (sans même considérer l'amortissement et la rémunération des CAPEX associés).

Tableau 5. - Impact des coûts et bénéfices sur le tarif

| Coûts et bénéfices portés par le tarif (M€/an) |Sans GreenLink|Avec GreenLink| | | |------------------------------------------------------------|--------------|--------------|-----|-----| | FR | IE | FR | IE | | | Rente de congestion | 20 | 4 | 11 |-10 | | Pertes | - 15 | - 10 |- 15|- 10| | OPEX | - 4 | - 4 |- 4 |- 4 | | Impact sur les tarifs hors CAPEX | 1 | - 10 |- 8 |- 24| |Impact sur les tarifs en incluant les CAPEX (65 % IE/35% FR)| - 27 | - 62 |- 36|- 76|

Note. - Une valeur négative signifie une augmentation du tarif de réseau payé par les utilisateurs.

Sans une subvention conséquente, le projet augmenterait les tarifs de réseaux dans des proportions qui nuiraient à son acceptabilité.
Par conséquent, la CRE considère que l'échelle nationale constitue le périmètre pertinent pour juger de la viabilité commerciale du projet.
Il apparaît également nécessaire de tenir compte de l'impact des différents facteurs de risque, tels que mis en évidence par l'analyse coûts-bénéfices, sur la viabilité commerciale du projet :

- risque de surcoûts d'investissement : des surcoûts d'investissement de 20 % des coûts estimés par les GRT pourraient amputer la VAN de 130 M€ à l'échelle européenne (65 M€ pour la France) ;
- disponibilité de l'interconnexion : les GRT supposent un taux de disponibilité de 95 %, ce qui pourrait être surestimé. Un taux de disponibilité inférieur à celui retenu par les GRT (de 70 %, tel qu'envisagé par la CRU dans les analyses de sensibilité présentées dans sa consultation publique) pourrait réduire la VAN du projet de 245 M€ à l'échelle européenne (90 M€ pour la France) ;
- impact de GreenLink : la construction de GreenLink conduirait à réduire les bénéfices apportés par le projet Celtic et pourrait amputer la VAN du projet jusqu'à 320 M€ à l'échelle européenne (60 M€ pour la France) ;
- évaluation de la contribution à l'amélioration de la sécurité d'approvisionnement : la méthodologie utilisée par les GRT pour estimer la valeur capacitaire surestime vraisemblablement cette contribution ;
- développement des capacités éoliennes en Irlande : l'Irlande a établi des objectifs élevés en termes de développement éolien ; si les capacités installées estimées pour 2025 dans le TYNDP 2018 ne sont atteintes qu'en 2030, la VAN du projet pourrait être réduite de 55 M€ à l'échelle européenne (45 M€ pour la France) ;
- évolution des mix énergétiques en Irlande et en France et prix de commodités : les scenarios EuCo et V1 conduisent à des VAN bien plus faibles que les deux autres scenarios ; les écarts de VAN entre les scénarios les plus favorables et les moins favorables dépassent 350 M€ à l'échelle européenne (200 M€ pour la France).

Etant donné les bénéfices et externalités vis-à-vis des objectifs européens, notamment en ce qui concerne la solidarité européenne dans le contexte du Brexit, la CRE estime que la subvention européenne devrait permettre à la fois de refléter la valeur de ces externalités auprès des utilisateurs de réseaux qui financent in fine l'investissement et d'en garantir la viabilité commerciale en réduisant les impacts potentiels cumulés d'une partie de ces risques.

4.3. Conclusion sur le besoin de financement européen

Selon les dispositions de l'article 10(3) du règlement (UE) n° 1316/2013, les PIC sont éligibles à une assistance financière au titre du MIE pouvant aller jusqu'à 50% de leurs coûts d'investissement. Ce taux peut être porté à 75 % pour les projets qui « garantissent un degré élevé de sécurité d'approvisionnement à l'échelle régionale ou de l'Union, renforcent la solidarité de l'Union ou proposent des solutions hautement innovantes ». Au regard de l'analyse des externalités générées par le projet Celtic, les régulateurs considèrent qu'il pourrait bénéficier de cette disposition.
Le projet Celtic apporte des externalités qui bénéficieront non seulement aux pays hôtes du projet, mais aussi à d'autres parties prenantes, ainsi qu'à l'Union européenne dans son ensemble. Ces externalités, comme la solidarité européenne ou la contribution aux objectifs européens en matière d'énergie et de climat, sont très conséquentes, notamment dans le contexte du Brexit et étant donné la situation géographique de l'Irlande. Elles sont cependant difficilement quantifiables économiquement, voire non quantifiables pour certaines.
Par ailleurs, étant donné les incertitudes et les risques liés au projet, la viabilité commerciale pour la France et l'Irlande nécessite un support financier conséquent de l'Union européenne.
En particulier, en l'absence de subvention, en prenant en compte la répartition des CAPEX décidée par la CRE et la CRU dans la présente décision (soit 35 % des CAPEX à la charge de RTE), la VAN au périmètre de la France reste négative dans l'ensemble des scénarios (cf. tableau 6 ci-dessous).
En effet, ainsi qu'elle l'avait exposé lors de la consultation publique, au vu de l'avancement du projet GreenLink et de l'absence de pouvoir de décision sur ce projet, la CRE considère que les analyses coûts-bénéfices de Celtic doivent prendre en compte la réalisation du projet GreenLink. De plus, la CRE considère que la méthodologie de calcul de la valeur capacitaire utilisée par les GRT ne présente pas les garanties nécessaires à une prise en compte dans l'évaluation économique du projet.
En conséquence, compte tenu du partage des coûts retenu entre la France et l'Irlande, la CRE avait considéré dans la consultation publique que RTE devrait bénéficier d'une subvention minimum de 165 M€, montant qui permet d'annuler la VAN du projet au périmètre de la France.

Tableau 6. - VAN du projet et niveau de subvention permettant d'annuler la VAN pour la France dans le cas d'un partage des coûts à 65/35 entre Eirgrid et RTE (et sous l'hypothèse d'une capacité d'interconnexion de 1000 MW entre l'Irlande et la Grande-Bretagne)

| Scénario | ST | DG | EuCo | V1 |Moyenne| |------------------------------------------------------------|-----|------|------|------|-------| | VAN France (hors SoS) |- 80|- 165|- 155|- 120|- 130 | |Niveau de subvention permettant d'annuler la VAN France (12)| 100 | 205 | 200 | 155 | 165 |

Il ressort des contributions à la consultation publique que les acteurs de marché, comme la CRE, soulignent les risques élevés associés à ce projet, qui pourraient conduire à ce que ses bénéfices pour la collectivité française ne compensent pas la totalité des coûts qui seront mis à la charge des consommateurs finals, y compris avec le niveau de subvention envisagé par la CRE dans sa consultation publique (qui était fixé de telle sorte à annuler en moyenne des quatre scénarios la VAN du projet pour la France).
Les calculs de sensibilités intégrant des niveaux de disponibilité moindres de l'interconnexion, les aléas portant sur les coûts ou les évolutions du mix énergétique telles que le développement effectif de l'éolien en Irlande mettent en évidence des risques importants qui pèsent sur la viabilité commerciale du projet. La matérialisation de ces risques pourrait se traduire par une diminution de la VAN du projet et donc par une VAN négative pour la France. Pour garantir la viabilité commerciale du projet pour la France et compte tenu de l'évaluation de l'impact de ces différents risques, présentée au 4.2 de la présente décision, la CRE estime que la subvention devrait être relevée a minima de 30 M€ par rapport au niveau de subvention minimum estimé lors de la consultation publique, soit un montant total de 195 M€ de subvention pour la France. A titre d'illustration, ce niveau correspond à une baisse du taux de disponibilité de l'interconnexion de 15 % par rapport au scénario initial, hypothèse plus proche de celle retenue par la CRU pour effectuer ses analyses de sensibilité dans sa consultation publique.
Par conséquent, la CRU et la CRE ont convenu que la subvention devait couvrir au minimum 60 % du coût d'investissement estimé du projet, et que cette subvention devrait être répartie de manière analogue aux coûts d'investissement, soit 35 % pour la France, ce qui correspond à un montant de 195 M€. En outre, si l'aide financière de l'UE n'atteint pas 60 % des coûts d'investissement estimés du projet, dont 195 M€ pour la France, la CRE et la CRU conviennent de revoir la décision relative à la répartition des coûts du projet.
Enfin, la CRE et la CRU ont convenu que tout montant de soutien financier de l'Union européenne perçu supérieur au montant minimum requis (60 % des coûts d'investissement estimés du projet, partagés à 65/35 entre Eirgrid et RTE) sera d'abord utilisé pour couvrir les éventuels surcoûts (i.e. au-dessus de 930 M€).

Décision de la CRE

La CRE adopte la décision relative au traitement de la demande de RTE et d'Eirgrid de répartition transfrontalière des coûts, qui a été rédigée conjointement par la CRE et la CRU et est annexée à la présente délibération.
La CRE et la CRU décident que :

- le montant des coûts d'investissement estimé du projet Celtic (i.e. 930 M€) sera supporté à 65 % par Eirgrid, et à 35 % par RTE ;
- les éventuels surcoûts du projet (i.e. au-dessus de 930 M€) seront supportés à parts égales entre Eirgrid et RTE.

Cette décision de répartition transfrontalière des coûts est basée sur un partage à parts égales des coûts d'opération et de maintenance du projet ainsi que des revenus d'interconnexions issus de la rente de congestion du projet entre Eirgrid et RTE.
Par ailleurs, si le coût des principaux contrats de fourniture (y compris des câbles) venait à dépasser les coûts estimés (au-delà de 20 % de l'évaluation initiale) ou si les coûts totaux du projet devaient être revus sensiblement à la hausse (au-delà de 20 % de leur évaluation initiale), la CRU et la CRE conviennent de consulter les parties au projet et de revoir la présente décision afin de réexaminer l'opportunité d'investir dans le projet et/ou la décision de répartition transfrontalière en ce qui concerne les surcoûts.
De plus, la CRE et la CRU soutiennent la candidature d'Eirgrid et RTE à une aide financière européenne au titre du MIE. Etant donné les externalités positives qui seront générées par le projet notamment en termes de solidarité et de sécurité d'approvisionnement, ainsi que sa contribution à la réalisation des objectifs énergétiques européens, la CRE et la CRU considèrent que le projet devrait bénéficier d'un soutien financier substantiel de la part de l'Union européenne, correspondant à au moins 60% des coûts d'investissement estimés du projet (les régulateurs considèrent en effet que le projet est éligible à l'obtention d'une subvention pouvant aller jusqu'à 75 % de ses coûts d'investissement, comme prévu par l'article 10(3) du règlement (UE) n° 1316/2013). Ce montant devrait être partagé de la même manière que les CAPEX, soit à 65 % pour Eirgrid, et 35 % pour RTE. Si l'aide financière de l'UE n'atteint pas 60 % des coûts d'investissement estimés du projet, dont 35 % attribués à la France, soit 195 M€, la CRE et la CRU conviennent de revoir la décision relative à la répartition des coûts du projet.
Enfin, la CRE et la CRU décident que, si le soutien financier de l'Union européenne est supérieur au montant minimum requis (60 % des coûts d'investissement estimés du projet, partagés à 65/35 entre Eirgrid et RTE) l'excédent sera consacré en priorité à la couverture des éventuels surcoûts (i.e. au-dessus de 930 M€).
Dans la mesure où ils correspondent à ceux d'un opérateur efficace, les coûts effectivement supportés par RTE dans les conditions fixées par la présente décision de répartition des coûts et après déduction des aides financières de l'Union européenne seront intégrés au tarif du gestionnaire de réseau, en application des règles tarifaires en vigueur. La CRE définira par ailleurs les paramètres de la régulation incitative qui s'appliquera au projet Celtic dans les conditions fixées par le tarif TURPE 5 (13).
La présente délibération sera transmise à la CRU. Elle sera également notifiée à RTE et à l'ACER.
La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française et transmise au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré à Paris, le 25 avril 2019.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

J.-F. Carenco

(1) Les Etats appartenant à un corridor prioritaire constituent un groupe régional chargé de la sélection des projets d'intérêt commun, auquel participent des représentants des Etats membres, des autorités nationales de régulation et des opérateurs de réseau, ainsi que la Commission européenne, l'Agence pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) et le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (ENTSO-E).

(2) https://tyndp.entsoe.eu/Documents/TYNDP%20documents/Cost%20Benefit%20Analysis/2018-10-11-tyndp-cba-20.pdf.

(3) https://www.acer.europa.eu/Official_documents/Acts_of_the_Agency/Recommendations/ACER%20Recommendation%2005-2015.pdf.

(4) Consultation publique CRU - CRU/18/265; Consultation publique CRE - n° 2018-015. Une version non confidentielle de la demande d'investissement a été publiée avec les consultations publiques.

(5) Les bénéfices du projet ne sont calculés qu'à partir de 2026, date de mise en service prévisionnelle de l'interconnexion. Le scénario BE 2025 est donc uniquement utilisé pour interpoler les résultats entre 2025 et 2030.

(6) https://www.cru.ie/wp-content/uploads/2018/10/CRU18216-Greenlink-determination-paper-1.pdf.

(7) Security of Supply.

(8) i.e. le périmètre incluant les pays dont les GRT sont membres de l'ENTSO-E (pays membres de l'Union européenne, ainsi que l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l'Islande, le Monténégro, la République de Macédoine du Nord, la Norvège, la Serbie et la Suisse).

(9) Valeur Actuelle Nette.

(10) Bénéfices bruts : VAN du projet hors CAPEX (incluant les OPEX, les pertes et la rente de congestion partagée à 50/50 entre Eirgrid et RTE).

(11) Délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans le domaine de tension HTB.

(12) Ce niveau de subvention sera réparti à travers le temps suivant la répartition des CAPEX de sorte que la valeur actualisée de la subvention annule la VAN du projet.

(13) Délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dans le domaine de tension HTB.