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(SOCIÉTÉ NOVAGRAAF TECHNOLOGIES)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 mai 2025 par le Conseil d'Etat (décision n° 501571 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Novagraaf Technologies par Me Frédéric Salat-Baroux, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1150 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 3° de l'article 131 de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées et du a du paragraphe II de l'article 134 de la même ordonnance.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- la loi n° 90-1052 du 26 novembre 1990 relative à la propriété industrielle ;
- l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées, prise sur le fondement de l'habilitation prévue à l'article 7 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, dont le délai est expiré ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la Compagnie nationale des conseils en propriété intellectuelle, intervenante à l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Bertrand Warusfel, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 3 juin 2025 ;
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 juin 2025 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour la société requérante par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, enregistrées le 18 juin 2025 ;
- les secondes observations présentées pour la Compagnie nationale des conseils en propriété intellectuelle par Me Warusfel, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu : Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Warusfel, pour la Compagnie nationale des conseils en propriété intellectuelle, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 17 juillet 2025 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 18 juillet 2025 ;
- la note en délibéré présentée pour l'intervenante par Me Warusfel, enregistrée le même jour ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
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Le 3° de l'article 131 de l'ordonnance du 8 février 2023 mentionnée ci-dessus prévoit qu'est abrogé :
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« Le deuxième alinéa de l'article L. 422-3 du code de la propriété intellectuelle ».
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Le a du paragraphe II de l'article 134 de la même ordonnance prévoit :
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« Les sociétés exerçant les activités mentionnées à l'article L. 422-1 du code de la propriété intellectuelle disposent d'un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la présente ordonnance pour se mettre en conformité avec les conditions édictées au 2° de l'article L. 422-7 du même code. A défaut de se mettre en conformité, ces sociétés seront radiées, par le directeur de l'Institut national de la protection industrielle, de la liste mentionnée à l'article L. 422-1 du même code ».
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Selon la société requérante, en abrogeant la dérogation à la règle selon laquelle le capital social des sociétés exerçant l'activité de conseil en propriété industrielle doit être majoritairement détenu par des membres de la profession, et en imposant aux sociétés qui bénéficiaient jusqu'alors de cette dérogation de se mettre en conformité avec une telle règle, ces dispositions imposeraient aux actionnaires tiers à cette profession une cession forcée de leurs parts sociales. Faute de prévoir des garanties suffisantes assurant, en particulier, à ces actionnaires la cession de leurs parts sociales à leur valeur réelle, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
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La société requérante soutient en outre que, pour les mêmes motifs, ces dispositions seraient contraires à la liberté d'entreprendre et à la garantie des droits.
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Enfin, selon elle, ces dispositions seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées.
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Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 3° de l'article 131 de l'ordonnance du 8 février 2023 ainsi que sur la première phrase du a du paragraphe II de l'article 134 de la même ordonnance.
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La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
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En application de l'article L. 422-1 du code de la propriété intellectuelle, l'exercice de la profession réglementée de conseil en propriété industrielle est subordonné, notamment, à l'inscription sur la liste des conseils en propriété industrielle établie par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle.
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En vertu de l'article L. 422-7 du même code, les professionnels ayant la qualité de conseil en propriété industrielle sont admis, pour exercer cette profession, à constituer une société civile professionnelle ou d'exercice libéral, ou toute société constituée sous une autre forme. Dans ce dernier cas, le 2° de cet article impose que les professionnels ayant la qualité de conseil en propriété industrielle détiennent plus de la moitié du capital social et des droits de vote.
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Toutefois, par dérogation, l'article L. 422-3 du même code prévoyait que les sociétés de conseil en propriété industrielle déjà constituées à la date d'entrée en vigueur de la loi du 26 novembre 1990 mentionnée ci-dessus pouvaient bénéficier d'une inscription sur la liste des conseils en propriété industrielle sans que ne leur soit applicable cette règle relative à la détention du capital social et des droits de vote.
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Les dispositions contestées de l'article 131 de l'ordonnance du 8 février 2023 suppriment cette dérogation à compter du 1er septembre 2024. En outre, les dispositions contestées de son article 134 fixent le délai dans lequel les sociétés qui bénéficiaient jusqu'alors de cette dérogation doivent, sauf à être radiées de la liste des conseils en propriété industrielle, se mettre en conformité avec les conditions édictées au 2° de l'article L. 422-7 du code de la propriété intellectuelle.
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En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 26 novembre 1990 qu'en imposant que les professionnels ayant la qualité de conseil en propriété industrielle détiennent plus de la moitié du capital social et des droits de vote lorsqu'ils exercent cette activité sous forme de société, le législateur a entendu assurer l'indépendance de cette profession afin de garantir la qualité, l'impartialité et la sécurité juridique des conseils qu'ils fournissent aux entreprises et aux inventeurs dans la protection de leurs droits.
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En mettant fin à la possibilité accordée, à titre dérogatoire, à certaines sociétés de conseil en propriété industrielle de ne pas être contrôlées majoritairement par des personnes exerçant cette profession réglementée, les dispositions contestées mettent en œuvre cet objectif d'intérêt général.
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En second lieu, d'une part, les dispositions contestées se bornent à rendre applicable, aux sociétés qui en étaient exemptées, une règle de répartition de leur capital social. Ainsi, elles n'ont ni pour objet, ni pour effet, d'instituer un mécanisme de cession forcée des parts sociales détenues par les personnes n'ayant pas la qualité de conseil en propriété industrielle.
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A cet égard, les modalités selon lesquelles les actionnaires de ces sociétés se mettent en conformité avec la règle relative à la détention du capital social et des droits de vote, le cas échéant par une cession de parts sociales ou une augmentation de capital, relèvent du libre choix de ces derniers.
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D'autre part, en prévoyant que les sociétés bénéficiant jusqu'alors de cette dérogation disposent d'un délai courant jusqu'au 1er septembre 2025 pour se mettre en conformité, les dispositions contestées de l'article 134 de l'ordonnance du 8 février 2023 leur ont laissé un délai suffisant à cette fin.
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Il résulte de ce qui précède que, au regard de l'objectif poursuivi, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance de ce droit doit donc être écarté. Il en va de même, pour les mêmes motifs, de ceux tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la garantie des droits.
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Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas non plus entachées d'incompétence négative et qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :
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