JORF n°0009 du 11 janvier 2012

1.7.3. Sur l'imputabilité aux sociétés Numericable
du retard constaté dans l'exécution de la décision n° 2010-1179

Dans leurs observations du 30 novembre 2011, les sociétés Numericable font valoir qu'elles ont démontré leur volonté constante d'appliquer de bonne foi la décision n° 2010-1179, et que le « retard pris dans l'exécution de la décision n'est imputable ni à une mauvaise volonté de [leur] part ni à des manœuvres ou refus d'exécution de [leur] fait ».
Les sociétés Numericable mettent notamment en avant le fait :
― qu'à l'issue du rejet de leur demande de sursis à exécution en février 2011, elles ont entamé des travaux internes visant à recenser l'ensemble des questions et adaptations internes que supposait la mise en œuvre des nouvelles modalités d'accès au génie civil ;
― qu'elles en ont tiré une méthodologie de travail, qu'elles ont soumise à France Télécom et à l'ARCEP, dont la mise en œuvre nécessitait une participation diligente de France Télécom qui leur a été rapidement refusée, celle-ci exigeant au préalable la modification des contrats ;
― qu'elles ont ensuite, en septembre 2011, proposé la signature d'un engagement de respecter la décision, et que celui-ci était tout à la fois sérieux et opposable contrairement à qu'indique le rapport exposant les faits et les griefs communiqué le 15 novembre 2011 ;
― que cet engagement n'a suscité aucune réaction de la part de l'ARCEP et de France Télécom qui n'a jugé utile d'en signifier le rejet qu'auprès de l'Autorité ;
― que, finalement elles se sont résolues à signer des avenants modifiant les contrats de cession dès lors qu'elles ont constaté que France Télécom acceptait enfin qu'elles assortissent leur signature de réserves pour préserver leurs intérêts dans le cadre des actions engagées devant d'autres juridictions.
En définitive, les sociétés Numericable soutiennent que leur attitude depuis le prononcé de la décision ne peut être qualifiée de dilatoire et que l'« exécution de cette décision a soulevé des difficultés nombreuses, que les positions longtemps irréconciliables de France Télécom et de Numericable n'ont pas permis de surmonter rapidement ».
Cependant, et comme cela ressort des éléments analysés par l'Autorité, notamment au point 1.7.1 de la présente décision, les sociétés Numericable n'étaient pas fondées à soutenir qu'elles pouvaient exécuter la décision n° 2010-1179 sans consentir à la modification des contrats de cession. Ces sociétés ne sont pas davantage fondées à soutenir que le retard constaté dans l'exécution de la décision n° 2010-1179 résulterait de l'attitude de France Télécom.
Sur l'attitude des sociétés Numericable jusqu'au mois de septembre 2011 :
L'Autorité ne peut considérer que l'attitude des sociétés Numericable consistant à attendre le 3 février 2011, date à laquelle leur demande de sursis à exécution a été rejetée par la cour d'appel de Paris, pour considérer que « c'est donc à compter de cette date que la question de la mise en œuvre de son dispositif s'est imposée à Numericable », constitue la démonstration d'une volonté d'appliquer de bonne foi une décision exécutoire depuis le 8 novembre 2010.
Comme analysé précédemment, ces sociétés ne pouvaient ignorer que la décision de l'Autorité posait une obligation de modification des contrats de cession. Si les sociétés Numericable étaient parfaitement libres de mener des travaux visant à préparer la mise en œuvre des nouvelles modalités opérationnelles et d'inviter France Télécom à y participer, ces travaux pouvaient se dérouler parallèlement ou postérieurement à la modification des contrats.
Les réticences, et l'attitude prétendument non diligente de France Télécom à participer à ces travaux, ne sont nullement démontrées dès lors que France Télécom :
― a proposé dès le mois de janvier 2011 des projets d'avenants ;
― a accepté, tout en continuant à exiger que les contrats d'accès soient modifiés, de participer aux travaux intermédiaires qui visaient pourtant, pour l'essentiel, à adapter des processus internes à ces sociétés ; et
― a finalement accepté de signer, moins de deux semaines après leur communication, les avenants proposés par les sociétés Numericable.
Sur l'attitude des sociétés Numericable depuis le mois de septembre 2011 :
En ce qui concerne la proposition d'engagement communiquée en septembre 2011, et outre le caractère a priori redondant d'un engagement à respecter une décision de règlement de différend, l'Autorité estime que cet engagement ne pouvait être compris ni comme une application en soi de la décision en question ni même comme la démonstration d'une volonté d'appliquer in fine cette décision de bonne foi.
En effet, l'Autorité constate que ce projet, en dépit de la rédaction de son article 1er, aux termes duquel les sociétés Numericable s'engageaient « à se conformer en tous points et de bonne foi à la décision de l'ARCEP », comportait pourtant des dispositions immédiatement contraires à cette décision :
― en premier lieu, il ressort que cet engagement unilatéral n'avait pas pour objet de modifier les contrats de cession alors que cette modification était prescrite par la décision de l'Autorité ; à cet égard, si les parties étaient libres de définir quelle forme précise cette modification devait prendre, il était, en tout état de cause, indispensable que cette forme revête un caractère contractuel, dès lors que seul un nouveau contrat entre les parties concernées pouvait permettre de modifier le contenu des contrats de cession (9) ; il apparaît en outre que cette contractualisation formelle constitue une obligation au regard des dispositions du CPCE : il ressort en effet de l'article L. 34-8 du CPCE que « l'interconnexion ou l'accès font l'objet d'une convention de droit privé entre les parties concernées. Cette convention détermine, dans le respect des dispositions du présent code et des décisions prises pour son application, les conditions techniques et financières de l'interconnexion ou de l'accès. » (10) ;
― en deuxième lieu, cet engagement subordonnait la mise en œuvre des nouvelles modalités opérationnelles à la conduite préalable des travaux intermédiaires précités imposant la participation diligente de France Télécom (article 1er, point 1.2).
Il résulte de ce qui précède que cette proposition d'engagement n'était pas de nature à permettre l'exécution pleine et entière de la décision n° 2010-1179 et que c'est seulement une fois que la présente procédure a été ouverte à l'encontre des sociétés Numericable que cette décision a été mise en exécution.
Par conséquent, l'Autorité ne considère pas que les sociétés Numericable aient entendu appliquer de bonne foi la décision n° 2010-1179 jusqu'au 24 novembre 2011, qui ne présentait pourtant aucune difficulté sérieuse d'interprétation ou d'application. Alors que France Télécom n'a jamais entretenu de confusion quant à sa volonté de voir les contrats de cession être modifiés conformément à ses demandes initiales dans le cadre du différend réglé par l'Autorité, les sociétés Numericable s'y sont systématiquement opposées. Celles-ci ont choisi de déplacer les discussions avec France Télécom sur le terrain des adaptations internes que supposait l'éventuelle application des nouvelles modalités opérationnelles et tenté de qualifier la prudence et la réserve de France Télécom à participer à ces travaux comme constitutive d'une volonté d'entraver la bonne exécution de cette même décision.
Au regard de ce qui précède, l'Autorité constate que le retard d'exécution de la décision est entièrement imputable aux sociétés Numericable qui, pendant plus de dix mois, ont refusé délibérément, et sans raison valable, toute modification de leurs contrats de cession.
En réponse à un argument des sociétés Numericable, qui considèrent inéquitable que n'ait pas été ouverte une procédure, sur le fondement de l'article L. 36-11, à l'encontre de France Télécom, l'Autorité relève que cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur l'appréciation qui est faite, dans le cadre de la présente décision, des manquements imputés aux sociétés Numericable et de leur gravité.

(9) Comme le relevaient elles-mêmes les sociétés Numericable dans le cadre de la procédure de règlement de différend : « C'est bien pour cela que les contrats de cession ne sauraient être modifiés sans l'accord des deux parties » (page 9 des réponses de Numericable SAS et de NC Numericable au questionnaire adressé aux parties, en date du 20 septembre 2011). (10) L'article D. 99-6 du CPCE définit d'ailleurs les clauses devant figurer a minima dans ces conventions.


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Version 1

1.7.3. Sur l'imputabilité aux sociétés Numericable

du retard constaté dans l'exécution de la décision n° 2010-1179

Dans leurs observations du 30 novembre 2011, les sociétés Numericable font valoir qu'elles ont démontré leur volonté constante d'appliquer de bonne foi la décision n° 2010-1179, et que le « retard pris dans l'exécution de la décision n'est imputable ni à une mauvaise volonté de [leur] part ni à des manœuvres ou refus d'exécution de [leur] fait ».

Les sociétés Numericable mettent notamment en avant le fait :

― qu'à l'issue du rejet de leur demande de sursis à exécution en février 2011, elles ont entamé des travaux internes visant à recenser l'ensemble des questions et adaptations internes que supposait la mise en œuvre des nouvelles modalités d'accès au génie civil ;

― qu'elles en ont tiré une méthodologie de travail, qu'elles ont soumise à France Télécom et à l'ARCEP, dont la mise en œuvre nécessitait une participation diligente de France Télécom qui leur a été rapidement refusée, celle-ci exigeant au préalable la modification des contrats ;

― qu'elles ont ensuite, en septembre 2011, proposé la signature d'un engagement de respecter la décision, et que celui-ci était tout à la fois sérieux et opposable contrairement à qu'indique le rapport exposant les faits et les griefs communiqué le 15 novembre 2011 ;

― que cet engagement n'a suscité aucune réaction de la part de l'ARCEP et de France Télécom qui n'a jugé utile d'en signifier le rejet qu'auprès de l'Autorité ;

― que, finalement elles se sont résolues à signer des avenants modifiant les contrats de cession dès lors qu'elles ont constaté que France Télécom acceptait enfin qu'elles assortissent leur signature de réserves pour préserver leurs intérêts dans le cadre des actions engagées devant d'autres juridictions.

En définitive, les sociétés Numericable soutiennent que leur attitude depuis le prononcé de la décision ne peut être qualifiée de dilatoire et que l'« exécution de cette décision a soulevé des difficultés nombreuses, que les positions longtemps irréconciliables de France Télécom et de Numericable n'ont pas permis de surmonter rapidement ».

Cependant, et comme cela ressort des éléments analysés par l'Autorité, notamment au point 1.7.1 de la présente décision, les sociétés Numericable n'étaient pas fondées à soutenir qu'elles pouvaient exécuter la décision n° 2010-1179 sans consentir à la modification des contrats de cession. Ces sociétés ne sont pas davantage fondées à soutenir que le retard constaté dans l'exécution de la décision n° 2010-1179 résulterait de l'attitude de France Télécom.

Sur l'attitude des sociétés Numericable jusqu'au mois de septembre 2011 :

L'Autorité ne peut considérer que l'attitude des sociétés Numericable consistant à attendre le 3 février 2011, date à laquelle leur demande de sursis à exécution a été rejetée par la cour d'appel de Paris, pour considérer que « c'est donc à compter de cette date que la question de la mise en œuvre de son dispositif s'est imposée à Numericable », constitue la démonstration d'une volonté d'appliquer de bonne foi une décision exécutoire depuis le 8 novembre 2010.

Comme analysé précédemment, ces sociétés ne pouvaient ignorer que la décision de l'Autorité posait une obligation de modification des contrats de cession. Si les sociétés Numericable étaient parfaitement libres de mener des travaux visant à préparer la mise en œuvre des nouvelles modalités opérationnelles et d'inviter France Télécom à y participer, ces travaux pouvaient se dérouler parallèlement ou postérieurement à la modification des contrats.

Les réticences, et l'attitude prétendument non diligente de France Télécom à participer à ces travaux, ne sont nullement démontrées dès lors que France Télécom :

― a proposé dès le mois de janvier 2011 des projets d'avenants ;

― a accepté, tout en continuant à exiger que les contrats d'accès soient modifiés, de participer aux travaux intermédiaires qui visaient pourtant, pour l'essentiel, à adapter des processus internes à ces sociétés ; et

― a finalement accepté de signer, moins de deux semaines après leur communication, les avenants proposés par les sociétés Numericable.

Sur l'attitude des sociétés Numericable depuis le mois de septembre 2011 :

En ce qui concerne la proposition d'engagement communiquée en septembre 2011, et outre le caractère a priori redondant d'un engagement à respecter une décision de règlement de différend, l'Autorité estime que cet engagement ne pouvait être compris ni comme une application en soi de la décision en question ni même comme la démonstration d'une volonté d'appliquer in fine cette décision de bonne foi.

En effet, l'Autorité constate que ce projet, en dépit de la rédaction de son article 1er, aux termes duquel les sociétés Numericable s'engageaient « à se conformer en tous points et de bonne foi à la décision de l'ARCEP », comportait pourtant des dispositions immédiatement contraires à cette décision :

― en premier lieu, il ressort que cet engagement unilatéral n'avait pas pour objet de modifier les contrats de cession alors que cette modification était prescrite par la décision de l'Autorité ; à cet égard, si les parties étaient libres de définir quelle forme précise cette modification devait prendre, il était, en tout état de cause, indispensable que cette forme revête un caractère contractuel, dès lors que seul un nouveau contrat entre les parties concernées pouvait permettre de modifier le contenu des contrats de cession (9) ; il apparaît en outre que cette contractualisation formelle constitue une obligation au regard des dispositions du CPCE : il ressort en effet de l'article L. 34-8 du CPCE que « l'interconnexion ou l'accès font l'objet d'une convention de droit privé entre les parties concernées. Cette convention détermine, dans le respect des dispositions du présent code et des décisions prises pour son application, les conditions techniques et financières de l'interconnexion ou de l'accès. » (10) ;

― en deuxième lieu, cet engagement subordonnait la mise en œuvre des nouvelles modalités opérationnelles à la conduite préalable des travaux intermédiaires précités imposant la participation diligente de France Télécom (article 1er, point 1.2).

Il résulte de ce qui précède que cette proposition d'engagement n'était pas de nature à permettre l'exécution pleine et entière de la décision n° 2010-1179 et que c'est seulement une fois que la présente procédure a été ouverte à l'encontre des sociétés Numericable que cette décision a été mise en exécution.

Par conséquent, l'Autorité ne considère pas que les sociétés Numericable aient entendu appliquer de bonne foi la décision n° 2010-1179 jusqu'au 24 novembre 2011, qui ne présentait pourtant aucune difficulté sérieuse d'interprétation ou d'application. Alors que France Télécom n'a jamais entretenu de confusion quant à sa volonté de voir les contrats de cession être modifiés conformément à ses demandes initiales dans le cadre du différend réglé par l'Autorité, les sociétés Numericable s'y sont systématiquement opposées. Celles-ci ont choisi de déplacer les discussions avec France Télécom sur le terrain des adaptations internes que supposait l'éventuelle application des nouvelles modalités opérationnelles et tenté de qualifier la prudence et la réserve de France Télécom à participer à ces travaux comme constitutive d'une volonté d'entraver la bonne exécution de cette même décision.

Au regard de ce qui précède, l'Autorité constate que le retard d'exécution de la décision est entièrement imputable aux sociétés Numericable qui, pendant plus de dix mois, ont refusé délibérément, et sans raison valable, toute modification de leurs contrats de cession.

En réponse à un argument des sociétés Numericable, qui considèrent inéquitable que n'ait pas été ouverte une procédure, sur le fondement de l'article L. 36-11, à l'encontre de France Télécom, l'Autorité relève que cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur l'appréciation qui est faite, dans le cadre de la présente décision, des manquements imputés aux sociétés Numericable et de leur gravité.

(9) Comme le relevaient elles-mêmes les sociétés Numericable dans le cadre de la procédure de règlement de différend : « C'est bien pour cela que les contrats de cession ne sauraient être modifiés sans l'accord des deux parties » (page 9 des réponses de Numericable SAS et de NC Numericable au questionnaire adressé aux parties, en date du 20 septembre 2011). (10) L'article D. 99-6 du CPCE définit d'ailleurs les clauses devant figurer a minima dans ces conventions.