1.7.2. Sur le refus des sociétés Numericable de procéder à une modification
des contrats de cession et les raisons mises en avant pour justifier ce refus
La traduction contractuelle des modifications des modalités d'accès au génie civil retenues dans la décision de l'Autorité incombait aux parties, étant entendu que leur marge de négociation dans ce cadre était limitée par les termes de la décision de l'Autorité relative au différend en cause.
C'est à ce titre que France Télécom a communiqué à Numericable, par trois courriers en date du 7 janvier 2011, des avenants, signés par elle, aux contrats de cession visant à adapter ces contrats conformément à la décision. Par la suite, France Télécom a maintenu sa volonté de voir les sociétés Numericable signer des avenants aux contrats de cession.
Il ressort des échanges entre les parties que les sociétés Numericable ont, de manière répétée, refusé le principe même d'une modification des contrats de cession, jusqu'à ce qu'elles décident, dans le contexte de la présente procédure, de transmettre à l'ARCEP (le 24 novembre 2011) puis à France Télécom (courrier en date du 29 novembre 2011) des avenants, signés par elles, reprenant l'essentiel des dispositions contenues dans ceux communiqués par France Télécom plus de dix mois auparavant.
Il convient d'analyser les motifs de refus avancés par les sociétés Numericable.
Sur le fait que l'Autorité n'aurait pas eu la compétence pour imposer une modification de leurs contrats de cession :
Dans un courrier adressé à France Télécom en date du 23 juin 2011, les sociétés Numericable ont indiqué qu'il était « absurde de nous opposer, dans le même délai, une prétendue "nécessité absolue de formaliser [...] les processus opérationnels qui seront modifiés, conformément au dispositif de la décision de l'ARCEP, dans les contrats en cours” » dès lors, expliquent-elles plus loin, que « [c]ette décision n'impose donc la signature d'aucun accord écrit quel qu'il soit, notamment dans la mesure ou l'ARCEP ne dispose pas d'un tel pouvoir ; [...] ».
L'Autorité considère que cette analyse, déjà mise en avant par les sociétés Numericable dans le cadre de la procédure de règlement de différend, revenait à remettre en cause l'application de la décision n° 2010-1179.
Or, la cour d'appel de Paris, dans son arrêt en date du 23 juin 2011, a rejeté le recours formé par les sociétés Numericable contre la décision n° 2010-1179, en soulignant précisément que « la mission régulatrice confiée par la loi à l'ARCEP lui donne notamment le pouvoir d'imposer aux opérateurs relevant de son autorité des prescriptions et des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l'exécution de leurs conventions et de restreindre ainsi, pour des motifs d'ordre public économique, le principe de liberté contractuelle dont ils bénéficient ».
L'Autorité rappelle que, conformément à l'article L. 36-8, les recours dirigés contre ses décisions de règlement de différend n'ont pas de caractère suspensif et que celles-ci sont par conséquent immédiatement exécutoires, sauf à ce qu'un sursis à exécution soit prononcé par la cour d'appel de Paris.
Dans le cas d'espèce, préjugeant ainsi de l'issue du recours en annulation qu'elles avaient introduit devant la cour d'appel de Paris, les sociétés Numericable ont refusé à la décision n° 2010-1179 son caractère pleinement exécutoire, et ce depuis sa notification aux parties le 8 novembre 2010.
Sur le fait que la modification contractuelle proposée par France Télécom le 7 janvier 2011 n'aurait pas été conforme à la décision n° 2010-1179 :
Dans leur courrier du 10 février 2011, premier courrier par lequel les sociétés Numericable ont fait part à France Télécom de leur refus de signer les avenants qui leur étaient proposés, celles-ci ont mis en avant le fait que ces avenants contenaient des clauses non conformes à la décision n° 2010-1179.
L'Autorité estime que si les avenants communiqués le 7 janvier 2011 par France Télécom avaient contenu des stipulations qu'elles analysaient comme non conformes à sa décision, il incombait aux sociétés Numericable de proposer à France Télécom les amendements qu'elles jugeaient adéquats pour assurer cette mise en conformité.
Il apparaît que les sociétés Numericable n'ont jamais cherché à discuter avec France Télécom du contenu des modifications à apporter aux contrats de cession jusqu'au 29 novembre 2011, date à laquelle elles ont finalement, sur les deux stipulations considérées par elles comme litigieuses, retenu une rédaction similaire à celle de France Télécom, sauf en ce qui concerne l'évolution des modalités d'accès dans le temps, dont elles ont accepté le principe mais n'ont pas retenu le processus de notification par courrier recommandé avec accusé de réception qui était prévu initialement par France Télécom.
L'argument tiré de la non-conformité de la proposition de France Télécom à la décision de l'Autorité ne peut donc justifier le refus d'accepter une modification des contrats de cession, d'autant plus qu'il n'a plus jamais été mis en avant par les sociétés Numericable dans la suite de leurs échanges avec France Télécom.
Sur le fait qu'une telle modification contractuelle était rendue impossible par les contentieux ouverts par les sociétés Numericable devant le tribunal de commerce de Paris et la chambre de commerce internationale :
Les sociétés Numericable indiquent, dans leur courrier du 10 février 2011, avoir déposé des demandes indemnitaires devant le tribunal de commerce de Paris et la chambre de commerce internationale en réparation du préjudice qu'elles estiment avoir subi du fait de la modification unilatérale de leurs contrats de session, préjudice qu'elles évaluent à hauteur de 3 124 890 000 euros.
Dans la suite des échanges avec France Télécom et les services de l'ARCEP, les sociétés Numericable indiquent qu'elles ne pourront consentir à la modification des contrats de cession que postérieurement au versement de l'indemnisation demandée et soutiennent que la signature d'avenants avec France Télécom équivaudrait à signifier leur accord pour cette modification et ainsi compromettre toute possibilité d'indemnisation dans le cadre de ces procédures.
L'Autorité rappelle que l'existence de procédures ouvertes par ailleurs devant d'autres instances ne saurait faire aucunement obstacle à l'exécution de sa décision.
Il appartenait en effet, le cas échéant, aux sociétés Numericable, si elles le jugeaient pertinent, d'assortir leur signature des avenants aux contrats de cession de toutes les réserves nécessaires pour ne pas compromettre les chances de succès des contentieux indemnitaires engagés. A ce titre, et contrairement à ce qu'avancent les sociétés Numericable dans leurs observations du 30 novembre 2011, il n'apparaît nullement dans les échanges entre les parties que France Télécom se soit opposée, jusqu'à son courrier en date du 8 septembre 2011, à ce que les sociétés Numericable assortissent la signature des avenants aux contrats de modification de telles réserves.
Ainsi, les sociétés Numericable indiquent dans leurs observations que « [c]e n'est que par lettre du 8 septembre 2011 que France Télécom a enfin accepté que des avenants signés par Numericable puissent comporter toutes les réserves nécessaires afin de préserver les droits de celle-ci dans le cadre des demandes indemnitaires en cours. C'est pourtant là un élément capital, qui a permis aux parties d'avancer significativement sur la question de la formalisation de la mise en œuvre de la décision par Numericable ».
Mais il n'est pas contesté que les sociétés Numericable n'ont jamais présenté une telle demande dans leurs échanges avec France Télécom, puisqu'elles se sont toujours opposées par principe à ce que les contrats de cession soient modifiés.
C'est précisément face à ce refus, justifié selon les sociétés Numericable par la nécessité de ne pas compromettre les contentieux indemnitaires introduits par elles, que France Télécom leur a indiqué qu'elles pouvaient recourir à ce procédé dans son courrier du 8 septembre 2011 :
« Numericable affirme encore et toujours pour refuser de signer les avenants qui lui ont été proposés que France Télécom chercherait à se prévaloir du fait que Numericable "en signant de tels avenants aurait accepté la modification de ces contrats et ne pourrait donc plus faire valoir ses droits”. A supposer même, quod non, que les modifications contractuelles à intervenir puissent ouvrir un quelconque droit à indemnité au profit de Numericable, l'on ne voit pas en quoi la signature d'avenant l'en priverait. En tant que de besoin, il suffirait d'ailleurs à Numericable d'assortir sa signature d'une réserve formelle sur ce point pour lever toute ambiguïté. [...] »
L'Autorité estime donc que cet argument n'était pas davantage de nature à l'exonérer de son obligation d'exécuter la décision.
Sur le fait que les délais d'exécution imposés par la décision n° 2010-1179 ne pouvaient pas matériellement être respectés par les sociétés Numericable :
Dans leurs observations du 30 novembre 2011, les sociétés Numericable font valoir que la décision n° 2010-1179 prévoyait des délais d'exécution qui ne pouvaient matériellement être respectés.
Ces sociétés avancent qu'elles sont dans une situation particulière en comparaison des autres opérateurs déployant des boucles optiques dans le génie civil de France Télécom en ce qu'elles exploitent des réseaux déjà présents dans le génie civil. Dès lors, selon ces sociétés, les modifications imposées par la décision de l'Autorité constitueraient un « bouleversement fondamental, non seulement de ses modes opératoires, mais, au-delà, de son modèle économique même ».
Par ailleurs, les sociétés Numericable considèrent qu'il ressort de la décision n° 2010-0854 de l'Autorité (8) que France Télécom s'est temporairement appliqué des processus dérogatoires et s'est octroyé des délais plus importants pour mettre en œuvre ces nouvelles modalités d'accès. Les sociétés Numericable estiment que cet état de fait n'est pas critiquable, qu'il se justifie pour un opérateur exploitant des réseaux déjà existants et qu'elles auraient dû bénéficier des mêmes facilités.
L'Autorité considère, en premier lieu, que les sociétés Numericable entretiennent une confusion dans leurs observations entre le délai de deux mois fixé dans sa décision, pour mettre en conformité les contrats de cession et le délai, pouvant être négocié entre les parties, pour mettre en œuvre de façon opérationnelle les nouvelles modalités d'accès dans le génie civil. En l'espèce, il avait été prévu dans les projets d'avenants communiqués par France Télécom le 7 janvier 2011 que ce délai de mise en œuvre, qui courait à compter de la signature des avenants, serait de trois mois. Dans les avenants finalement proposés par Numericable le 29 novembre 2011 et signés par France Télécom le 12 décembre 2011, ce délai de trois mois a été maintenu, sauf pour un des processus (la phase de travaux) pour lequel les sociétés Numericable ont proposé un délai de six mois que France Télécom a accepté.
L'Autorité rappelle qu'il n'a pas été demandé aux sociétés Numericable de mettre en œuvre de façon opérationnelle dans un délai de deux mois l'ensemble des modalités visées par sa décision mais de consentir, dans ce délai, à ce que ces modalités soient modifiées dans leurs contrats de cession. En ce qui concerne la mise en œuvre effective des nouvelles modalités, il appartenait aux sociétés Numericable, comme l'a souligné la cour d'appel dans son ordonnance du 3 février 2011, de « se rapprocher de France Télécom pour négocier un délai raisonnable de transition, ce qu'elle[s] ne démontre[nt] pas avoir fait [...] ».
L'Autorité considère donc enfin que les sociétés Numericable ne sauraient utilement se prévaloir des éventuels délais et processus dérogatoires, qu'elles n'établissent, en tout état de cause, aucunement, que France Télécom se serait appliqué pour mettre en œuvre les nouvelles modalités d'accès à son génie civil, puisque le retard imputé à ces sociétés concerne la signature des avenants et non la mise en œuvre de ces derniers.
L'Autorité estime donc qu'aucune difficulté sérieuse d'exécution ne s'opposait à l'exécution, dans les délais prévus, de la décision n° 2010-1179. L'Autorité relève à cet égard que, dans le contexte de la procédure ouverte à leur encontre sur le fondement de l'article L. 36-11, les sociétés Numericable ont communiqué à France Télécom, le 29 novembre 2011, des projets d'avenants et de leurs annexes, qui sont quasiment identiques à ceux communiqués initialement par France Télécom et intègrent des réserves par lesquelles les sociétés Numericable précisent que ces avenants ne sauraient être interprétés comme une renonciation de leur part aux contentieux indemnitaires qu'elles ont engagés. Lors de l'audience du 15 décembre 2011, les sociétés Numericable ont d'ailleurs indiqué que France Télécom avait signé les avenants proposés par les sociétés Numericable.
(8) Décision n° 2010-0854 en date du 20 juillet 2010 clôturant l'enquête administrative ouverte en application de l'article L. 32-4 du CPCE portant sur les conditions d'utilisation des infrastructures de génie civil de France Télécom pour le déploiement de la fibre dans la boucle locale.
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