1.4.1.3. Sur le règlement proposé par les sociétés Numericable
Les sociétés Numericable indiquent avoir soumis à l'ARCEP et à France Télécom le 29 novembre 2011 des projets d'avenants modifiés et signés qui pourront entrer en vigueur dès lors que France Télécom y consentira.
Pour les sociétés Numericable, ces avenants sont conformes à ceux adressés par France Télécom le 7 janvier 2011, avec deux ajouts importants :
― un préambule complété qui présente les conditions dans lesquelles interviennent ces avenants ;
― une clause de réserve relative aux droits de Numericable dans les actions judiciaires en cours.
Par ailleurs, les sociétés Numericable indiquent que ces avenants prévoient un aménagement limité de certains délais de mise en œuvre en ce qui concerne les opérations de travaux.
Les sociétés Numericable estiment que France Télécom ne devrait avoir aucune difficulté pour signer ces avenants. Elles ajoutent que : « Dès lors, l'ensemble des parties devrait pouvoir considérer que le problème soulevé par l'exécution de la décision se trouve réglé, et l'ARCEP décider qu'il n'y a pas lieu, dans ces circonstances, d'appliquer une sanction. »
En conclusion, les sociétés Numericable estiment que le retard pris dans l'exécution de la décision n'est pas imputable à une mauvaise volonté de Numericable, ni à des manœuvres ou refus d'exécution, et que l'exécution a soulevé de nombreuses difficultés « du fait des positions longtemps irréconciliables des parties ».
Elles indiquent que ce retard leur a été préjudiciable car il a retardé leur programme de modernisation de leurs réseaux. Elles considèrent que « Numericable ne peut donc être suspectée d'en avoir profité, et encore moins de l'avoir suscité à dessein ».
Les sociétés Numericable jugent que France Télécom, en position de force, a systématiquement entendu imposer à Numericable des solutions défavorables (signature des avenants, sans accord préalable sur les questions opérationnelles), ce qui « n'a pas facilité les choses ».
Elles estiment avoir montré qu'elles ont réellement cherché de bonne foi à permettre cette bonne exécution et « qu'il serait particulièrement inéquitable de considérer qu'[elles] [ont] commis un manquement dans le cadre de l'exécution de la décision et de [leur] infliger une sanction à ce titre ».
Les sociétés Numericable estiment enfin qu'il est inéquitable « que la présente procédure n'ait pas été engagée également à l'encontre de France Télécom, dont les actions et réactions ont largement pesé dans le délai pris pour assurer cette exécution et s'en trouvent directement à l'origine, et alors que par définition la question de la mise en conformité de contrats bilatéraux requiert l'implication et la bonne foi des deux parties ».
1.4.2. Observations formulées lors de l'audience du 15 décembre 2011
Lors de l'audience du 15 décembre 2011, les sociétés Numericable ont formulé des observations reprenant pour l'essentiel les arguments mis en avant dans leurs observations écrites. Elles ont tout particulièrement souhaité mettre en avant les points rapportés ci-après.
A titre liminaire, les sociétés Numericable ont indiqué que, de 2005 à 2010, elles avaient mené un programme de modernisation des réseaux câblés ayant permis l'équipement de 4,5 millions de foyers en connexions très haut débit de type Fttb, et qu'elles disposaient, à ce titre, d'un avantage concurrentiel important sur ce marché, qui constituait le principal vecteur de leur valorisation vis-à-vis de leurs actionnaires.
Les sociétés Numericable ont ensuite rappelé que leurs droits d'accès au génie civil de France Télécom étaient fondamentaux dans leur modèle économique, ce qui expliquait que leur éventuelle remise en cause ait conduit à engager un certain nombre d'actions contentieuses au cours des dix-huit derniers mois.
Ces sociétés ont rappelé qu'il était essentiel que le programme de modernisation des réseaux puisse se poursuivre, ce qui n'était plus le cas depuis la mi-2010. Alors que l'objectif initial était de rénover [...] prises par an, environ seulement [...] prises l'avaient été depuis la mi-2010. Cette situation, extrêmement dommageable pour les sociétés Numericable, s'explique par la situation de blocage entraînée par le règlement de différend, et ensuite les difficultés relatives à la mise en œuvre de la décision de l'Autorité.
A ce titre, les sociétés Numericable ont rappelé qu'il leur était impossible de renoncer à leurs droits à indemnisation, et que c'est précisément ce à quoi aurait abouti le fait de suivre la position initiale de France Télécom, mais que la solution finalement trouvée a permis de lever ce risque dès lors qu'il est clair désormais que les sociétés Numericable n'ont accepté ces avenants que contraintes.
Elles ont également réaffirmé que c'est à partir du moment où France Télécom leur a proposé d'émettre des réserves que la situation de blocage a pu être surmontée, et que si elles avaient, de leur côté, initialement proposé de telles réserves, cela aurait été rejeté par France Télécom car leur pouvoir de négociation vis-à-vis de France Télécom a toujours été inexistant.
Les représentants des sociétés Numericable ont indiqué que les nouveaux avenants avaient été acceptés et signés la veille de l'audience par France Télécom.
Les sociétés Numericable ont par ailleurs affirmé qu'elles avaient toujours souhaité exécuter la décision n° 2010-1179 mais que cette exécution impliquait la participation des deux parties, et qu'il avait été impossible d'en discuter avec France Télécom. Ainsi, les sociétés Numericable ont indiqué que France Télécom, après avoir accepté de participer aux travaux proposés par les sociétés Numericable au mois de mai 2011, avait finalement refusé d'y donner suite.
Les sociétés Numericable, après avoir indiqué :
― qu'elles pouvaient être considérées, après France Télécom, comme l'acteur connaissant le mieux le génie civil accueillant les réseaux de communication électroniques ;
― bien connaître le contenu de l'offre GC Fttx grâce à la société Completel, appartenant au même groupe qu'elles, signataire de cette offre,
ont expliqué qu'elles en avaient tiré comme conclusion que les modalités prévues par cette offre n'étaient pas transposables en l'état dans le cas de la modernisation des réseaux câblés, et que la question des adaptations propres à leur situation particulière devait nécessairement être traitée au préalable avec France Télécom.
C'est ce constat qui explique, selon les sociétés Numericable, la volonté qu'elles ont eu de travailler avec France Télécom pour adapter les modalités opérationnelles, et ainsi, selon elles, de rendre possible l'exécution de la décision. Les sociétés Numericable ont ainsi rappelé que, selon elles, les avenants communiqués par France Télécom étaient imprécis et ne prenaient pas en compte leur situation particulière, notamment en ce qui concerne les parties coaxiales de leurs réseaux.
Les sociétés Numericable ont indiqué que, jusqu'à l'été 2011, elles avaient cherché à éviter une application de la décision n° 2010-1179 consistant en une modification des contrats d'accès car elles estimaient que cela aurait affaibli leur position dans le cadre des contentieux indemnitaires. Elles ont reconnu, dès lors, avoir eu, initialement, une démarche peu proactive en ce qui concerne la modification des contrats.
Elles ont également affirmé que, selon elles, l'objet de la décision n° 2010-1179 demeurait fondamentalement l'alignement des modalités opérationnelles, et qu'il aurait suffi, pour exécuter la décision, de modifier les seules annexes techniques des contrats d'accès existants, ce qui aurait conduit à des modifications mieux adaptées à la situation particulière des sociétés Numericable.
Les sociétés Numericable ont par ailleurs indiqué avoir réalisé de leur côté tous les travaux qu'elles pouvaient réaliser seules pour adapter leurs processus aux nouvelles modalités d'accès.
Enfin, les sociétés Numericable ont estimé que, dès lors qu'elles n'avaient pas poursuivi la modernisation des réseaux câblés depuis notification de la décision n° 2010-1179, elles n'avaient pas méconnu les obligations posées par cette décision et n'avaient ainsi pas créé de préjudice pour des tiers.
1.5. Observations de la société France Télécom
Dans un courrier du 18 novembre 2011 adressé au directeur des affaires juridiques de l'ARCEP, France Télécom a indiqué n'avoir aucun commentaire à faire sur le rapport exposant les faits et les griefs retenus à l'encontre de Numericable SAS et de NC Numericable, rapport qui lui a été adressé par un courrier en date du 15 novembre 2011.
Analyse de l'Autorité
1.6. Sur la procédure
Dans leurs observations en réponse au rapport exposant les faits et les griefs, les sociétés Numericable indiquent qu'elles n'ont pas été destinataires en copie du courrier en date du 29 septembre 2011 adressé par France Télécom à l'Autorité, dans lequel France Télécom semble, selon elles, rejeter la proposition d'engagement formulée par les sociétés Numericable le 27 septembre 2011, et qu'elles n'ont appris l'existence de ce courrier qu'en prenant connaissance du rapport exposant les faits et les griefs.
Néanmoins, le principe du contradictoire a été parfaitement respecté dès lors que Numericable a pu prendre connaissance de ce courrier lors de la consultation du dossier d'instruction le 18 novembre 2011.
Par ailleurs, les sociétés Numericable critiquent dans leurs observations le fait que le rapport exposant les faits et les griefs ne fasse pas mention d'une réunion qui s'est tenue le 16 mai 2011 avec les services de l'ARCEP, réunion au cours de laquelle ces sociétés ont présenté la méthodologie qu'elles comptaient soumettre le 27 mai suivant à France Télécom, et indiquent que cette réunion a ensuite donné lieu à un projet de compte rendu établi par les services de l'ARCEP dont il n'est pas davantage fait mention.
Il ressort toutefois du rapport exposant les faits et les griefs que celui-ci décrit les échanges intervenus entre les parties et mentionne la réunion s'étant tenue le 27 mai 2011 au cours de laquelle les sociétés Numericable ont soumis à France Télécom le même document de présentation de méthodologie que celui présenté lors de la réunion du 16 mai 2011. Ce document de présentation est bien présent dans le dossier d'instruction, à la différence du projet de compte rendu de la réunion du 16 mai 2011, qui n'a été jamais été validé par les sociétés Numericable et qui n'y figure donc pas. Ces éléments figurant dans les observations des sociétés Numericable du 30 novembre 2011, ils sont en tout état de cause pris en compte par l'Autorité dans le cadre de la présente analyse.
1.7. Sur les manquements imputés aux sociétés Numericable
1.7.1. Sur l'existence, dans la décision n° 2010-1179,
d'une obligation de modifier les contrats de cession dans un délai de deux mois
L'Autorité a été saisie, le 7 juillet 2010, de deux demandes de règlement de différend par France Télécom à l'encontre des sociétés Numericable. Ces demandes sont intervenues à la suite de l'échec des négociations visant la modification d'un ensemble de stipulations contenues dans les quatre contrats de cession de réseaux câblés conclus entre France Télécom et les sociétés Numericable en 1999, 2001 et 2002. Les demandes de France Télécom visaient à ce que l'Autorité imposât une modification des stipulations desdits contrats pour les mettre en conformité avec les modalités d'intervention dans le génie civil de France Télécom prévues par l'offre GC Fttx.
C'est bien comme cela que les sociétés Numericable ont interprété les demandes de France Télécom dans le cadre du règlement de différend. Ces sociétés ont ainsi indiqué dans leurs observations en réponse devant l'Autorité que les demandes de France Télécom conduiraient à « une remise en cause totalement déséquilibrée des conventions d'accès » (6), ou encore dans leur réponse au questionnaire des rapporteurs (7) que « [...] C'est bien pour cela que les contrats de cession ne sauraient être modifiés sans l'accord des deux parties [...] ».
Après avoir analysé le caractère nécessaire et équitable des demandes de France Télécom, par sa décision n° 2010-1179 en date du 4 novembre 2010, l'Autorité a fait droit à l'essentiel des demandes de France Télécom. L'Autorité a retenu qu'un ensemble précis de modalités d'accès aux infrastructures de génie civil de France Télécom prévues dans les contrats de cession devaient être modifiées, et ce dans un délai de deux mois à compter de la notification de sa décision.
Les modalités devant être modifiées étaient explicitement et limitativement indiquées dans l'article 1er de la décision n° 2010-1179. Il s'agissait des modalités relatives :
« [...]
― aux déclarations précédant toute intervention sur le génie civil de France Télécom ;
― aux principes généraux des commandes ;
― à la fourniture de la documentation préalable ;
― à la phase d'études ;
― à la commande d'accès ;
― à la phase de travaux ;
― aux prestations complémentaires pendant la phase études et/ou la phase travaux, à l'exception de la prestation d'accompagnement pour accéder aux chambres sécurisées, et ;
― à la maintenance [...]. »
Le contenu des modifications contractuelles attendues était en outre précisément défini dans les demandes de France Télécom.
L'Autorité souligne que sa décision n° 2010-1179 ne pouvait donc donner lieu à aucune difficulté d'interprétation quant aux obligations qu'elle posait, qu'il s'agisse des modifications contractuelles attendues ou du délai dans lequel celles-ci devaient intervenir.
Cette absence de difficulté d'interprétation a été confirmée dans le cadre des contentieux engagés par les sociétés Numericable devant la cour d'appel de Paris.
Dans ses observations du 18 janvier 2011, dans le cadre de la procédure de sursis à exécution engagée par les sociétés Numericable devant la cour d'appel de Paris, l'Autorité écrivait notamment que sa décision imposait « une obligation de faire pesant sur Numericable consistant à se rapprocher de France Télécom pour procéder à ces modifications contractuelles ». L'Autorité indiquait encore que « [L]e délai de deux mois pour modifier une convention, lorsque le sens de l'adaptation contractuelle est déjà défini, n'est nullement déraisonnable ».
L'ordonnance de la cour d'appel de Paris du 3 février 2011, rejetant la demande de sursis à exécution, indiquait que la décision de l'Autorité n'était pas susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives pour les sociétés Numericable, au motif, notamment, que celles-ci « ne [peuvent] démontrer que la modification contractuelle imposée par la décision aura des conséquences négatives irréversibles sur [leur] situation » et que « la signature et l'exécution d'avenants ne sont certes pas des dispositions de moyen et long terme et laisseraient à une éventuelle annulation de la décision une large potentialité d'effets concrets ».
Or, il apparaît que, jusqu'au 29 novembre 2011, les sociétés Numericable ont constamment indiqué à France Télécom qu'elles considéraient que la décision n° 2010-1179 n'imposait pas une modification des contrats de cession mais uniquement la mise en œuvre des nouvelles modalités opérationnelles d'accès au génie civil de France Télécom dans la cadre de la modernisation de leurs réseaux câblés, étant précisé par ces sociétés que cette mise en œuvre ne pouvait pas être conduite sans l'implication diligente de France Télécom dans un ensemble de travaux intermédiaires, et notamment d'ateliers de travail, visant notamment à définir des adaptations spécifiques à la situation particulière des sociétés Numericable.
Dans leurs observations en réponse au rapport exposant les faits et les griefs, les sociétés Numericable indiquent qu'à l'occasion d'une réunion s'étant tenue le 16 mai 2011 avec l'ARCEP elles ont présenté une synthèse des questions et des travaux intermédiaires (ateliers de travail) qu'elles entendaient proposer à France Télécom et « que rien, à ce stade des contacts avec l'Autorité (soit au mois de mai 2011), ne semblait indiquer que l'application de sa décision exigerait la signature d'avenants avec France Télécom ».
Il apparaît donc que les sociétés Numericable ont délibérément et constamment dénaturé les obligations parfaitement claires qui leur incombaient aux termes de la décision n° 2010-1179 de l'Autorité.
(6) Paragraphe 198 des observations de NC Numericable en date du 9 août 2010 et paragraphe 200 des observations de Numericable SAS en date du 9 août 2010. (7) Page 9 des réponses de Numericable SAS et de NC Numericable au questionnaire adressé aux parties en date du 20 septembre 2011.
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