JORF n°304 du 31 décembre 2005

II. - RECEVABILITÉ

A. - Sur le champ des négociations commerciales et l'échec de ces négociations

Il ressort des éléments du dossier que Bouygues Telecom a adressé à SFR un courrier du 11 octobre 2004 par lequel l'opérateur annonçait sa volonté de procéder à une baisse « significative » de son tarif de terminaison d'appel SMS tout en demandant à SFR de procéder elle-même à « une baisse de 50 % » de son tarif.
Après plusieurs échanges, SFR a informé Bouygues Telecom par courrier du 13 juin 2005 qu'elle entendait baisser son tarif de terminaison SMS d'environ 20 % à compter du 1er septembre 2005, soit un tarif de 4,3 centimes d'euro HT. Cette proposition de baisse était conditionnée à une application réciproque et symétrique de la part des cocontractants et s'inscrivait dans la continuité des différents contrats d'interfonctionnement SMS et MMS liant les deux sociétés. Dans ce cadre, SFR a demandé à Bouygues Telecom de lui retourner dans un délai de 10 jours un exemplaire dudit courrier avec la mention « Bon pour accord ».
Bouygues Telecom indique qu'un entretien téléphonique s'est déroulé le 16 juin 2005 au cours duquel un nouveau compromis aurait été recherché, en vain. SFR ne mentionne pas cet échange téléphonique dans ses observations.
SFR conteste qu'il y ait eu un quelconque échec des négociations. S'agissant plus particulièrement de la demande tendant à ce que l'ARCEP fixe le tarif de terminaison SMS de Bouygues Telecom à un niveau supérieur à celui de SFR, la partie défenderesse affirme que ce point n'a jamais fait l'objet d'une quelconque négociation et qu'elle a été informée de cette nouvelle demande par la lettre du 8 juillet 2005 par laquelle Bouygues Telecom constatait l'échec des négociations, avant de saisir l'Autorité du présent litige trois jours plus tard.
Il ressort en premier lieu des pièces transmises par les parties que les négociations ont principalement porté sur le tarif de terminaison d'appel SMS de SFR à l'égard de Bouygues Telecom, mais que le tarif de terminaison d'appel SMS de Bouygues Telecom à l'égard de SFR était également l'objet des négociations. En effet, la proposition du 13 juin 2005 de SFR consistait en une baisse de son tarif sous réserve d'une baisse équivalente pratiquée par Bouygues Telecom. De la même manière, Bouygues Telecom demandait à SFR, dans son courrier du 11 octobre 2004, de baisser son tarif après avoir précisé qu'elle entendait pratiquer une baisse significative sur son propre tarif.
En second lieu, il ressort des éléments du dossier que Bouygues Telecom n'a obtenu satisfaction sur aucun des deux aspects de sa demande (baisse du tarif de SFR de 50 % et instauration d'un écart tarifaire à son avantage).
L'Autorité relève donc que les négociations commerciales entre les parties ont bien échoué, tant en ce qui concerne le tarif de terminaison d'appel SMS de SFR à l'égard de Bouygues Telecom que celui de Bouygues Telecom à l'égard de SFR.

B. - Sur la recevabilité des demandes des parties

Dans sa saisine en date du 11 juillet 2005, Bouygues Telecom demande à l'Autorité de :
- se déclarer compétente pour connaître du différend qui l'oppose à SFR ;
- fixer le tarif de terminaison d'appel SMS interpersonnels de SFR à 2,5 centimes d'euro à compter du 1er juillet 2005 ;
- reconnaître que Bouygues Telecom est bien fondé à solliciter un tarif de terminaison SMS interpersonnels plus élevé que celui de ses concurrents, avec un écart comparable à celui existant dans le cadre de la terminaison d'appel vocal (en l'espèce 3 centimes d'euro).
SFR, dans son premier mémoire en défense du 29 août 2005, demande à l'Autorité de rejeter l'ensemble des demandes de Bouygues Telecom. Dans ses observations en réplique du 3 octobre 2005, SFR demande en outre à l'Autorité :
- à titre principal, de rejeter purement et simplement l'ensemble des demandes de Bouygues Telecom ;
- à titre subsidiaire, de fixer le tarif de terminaison de SMS des trois opérateurs mobiles à 4,3 centimes d'euro au 1er septembre 2005.
L'article L. 36-8-I, alinéa 2, du CPCE dispose que, dans le cadre de sa compétence, l'ARCEP règle le litige en précisant « les conditions équitables d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés ». S'agissant plus particulièrement des pouvoirs d'intervention de l'Autorité en matière tarifaire, la cour d'appel de Paris souligne, dans un arrêt en date du 20 janvier 2004, que « le principe de liberté tarifaire (...) n'est pas absolu et n'exclut pas que [l'Autorité] y apporte des restrictions tenant compte notamment d'un objectif d'efficacité économique, de la nécessité d'assurer un développement compétitif du marché, ainsi qu'un équilibre équitable entre les intérêts légitimes des différents opérateurs du secteur des télécommunications. » (2).
Ainsi, les demandes relatives à la fixation des tarifs de terminaison d'appel SMS sur les réseaux des opérateurs mobiles concernés sont recevables.

C. - Sur le critère de bonne foi dans les négociations

La société SFR rappelle que, selon le considérant n° 32 de la directive n° 2002/21/CE « cadre » du 7 mars 2002, qui traite de la procédure de règlement de litige, il convient que la « partie lésée qui a négocié de bonne foi sans parvenir à un accord ait la faculté de faire appel à une autorité réglementaire nationale pour résoudre le litige ». Or, SFR indique que Bouygues Telecom n'a pas négocié de bonne foi et qu'au demeurant un accord verbal entre les parties avait été trouvé, de sorte que l'opérateur demandeur n'est pas fondé à saisir l'Autorité pour régler le litige.
Il y a lieu de relever que le considérant invoqué, qui renvoie à l'article 20 de la directive « cadre » susmentionnée, tend surtout à garantir aux opérateurs concernés la possibilité d'accéder à l'autorité réglementaire nationale compétente afin que leur cause soit entendue et que le litige qui s'est formé soit résolu. Par ailleurs, ni l'article 20 de la directive « cadre », ni l'article 5, § 4, de la directive « accès » ne subordonnent la recevabilité de la demande à une quelconque évaluation de la « bonne foi » des parties durant la négociation.
L'article 5, § 4, précité dispose : « En ce qui concerne l'accès et l'interconnexion, les Etats membres veillent à ce que l'autorité réglementaire nationale puisse intervenir de sa propre initiative, lorsque cela se justifie, ou à la demande d'une des parties concernées, en l'absence d'accord entre les entreprises, afin de garantir le respect des objectifs fondamentaux prévus à l'article 8 de la directive 2002/21/CE (directive "cadre). »
Par ailleurs, l'article L. 36-8 dispose : « En cas de refus d'accès ou d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut être saisie du différend par l'une ou l'autre des parties. »
Le droit national ne fait donc pas plus référence à la « bonne foi » des parties au cours des négociations que le droit communautaire dérivé.

D. - Sur le détournement de procédure allégué par SFR

SFR considère que Bouygues Telecom détourne de sa finalité la procédure de règlement de différend. Les demandes présentées par Bouygues Telecom consistent, selon elle, à :
- imposer une obligation d'orientation vers les coûts, ce qui reviendrait à contourner le cadre de la régulation ex ante prévue aux articles L. 37-1 et suivants du CPCE (analyse de marché) ;
- faire sanctionner un manquement à une obligation réglementaire (le fait que les conditions tarifaires des conventions d'interconnexion et d'accès doivent respecter les principes d'objectivité et de transparence), ce qui reviendrait à contourner la procédure de sanction prévue à l'article L. 36-11 du CPCE.
SFR reproche ainsi à Bouygues Telecom d'instrumentaliser la procédure en cherchant à obtenir l'adoption de mesures de régulation ex ante et non le règlement d'un différend relatif aux modalités d'une relation commerciale.
En revanche, SFR ne conteste pas qu'il appartient à l'Autorité de fixer les conditions tarifaires de la terminaison d'appel SMS, mais souligne qu'au-delà des principes d'objectivité et de transparence des tarifs invoqués par Bouygues Telecom, c'est l'équité qui doit guider l'appréciation du litige, notamment dans « la fixation de conditions financières raisonnables et proportionnées, d'un tarif juste au regard des prétentions des parties ».
Bouygues Telecom estime que la procédure du règlement de différend est la seule adaptée au cas d'espèce. D'une part, étant donné le temps imparti, la procédure liée à une analyse de marché est inapplicable et son annonce n'est pas de nature à exclure du champ de la procédure du règlement de différend toute matière se rapportant à cette analyse. D'autre part, la procédure relative au règlement de différend est adaptée à la situation dès lors qu'il y a échec des négociations commerciales portant sur une prestation d'interconnexion.
L'Autorité rappelle qu'elle est tenue de trancher un différend, dans la mesure où la demande est recevable au regard des dispositions de l'article L. 36-8 du CPCE, et ce, quand bien même une analyse de marché serait en cours concernant le marché en cause (au cas d'espèce le marché de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles).
En effet, sur le fondement de l'article L. 36-8-I précité du CPCE, l'Autorité tranche les litiges en précisant « les conditions équitables d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion et l'accès doivent être assurés ». Suivant les prescriptions de l'article R. 11-1 du CPCE, elle rend sa décision dans le délai de quatre mois sauf circonstance exceptionnelle.
La mise en oeuvre de ce mécanisme ne saurait donc être confondue avec la procédure distincte d'analyse des marchés qui, en application des dispositions des articles L. 37-1 et suivants du CPCE, vise à imposer des obligations réglementaires ex ante au vu des obstacles au développement de la concurrence identifiés sur le marché concerné. En outre, cette procédure suppose de procéder à une consultation publique, de recueillir l'avis du Conseil de la concurrence et de notifier les projets de décisions à la Commission européenne.
Dans le premier cas, il est question de mettre en oeuvre une compétence quasi juridictionnelle, sous le contrôle du juge judiciaire, dans les conditions prévues par le législateur et de prononcer à ce titre, ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel, « des décisions exécutoires prises dans l'exercice de prérogatives de puissance publique » (3).
Dans le second cas, il s'agit de mener sur la base de critères précis une analyse de l'évolution de la situation concurrentielle sur un marché donné pour, selon les situations, déterminer les meilleurs dispositifs de correction ex ante susceptibles d'être appliqués pour remédier aux imperfections qui auront pu être identifiées.
Les deux mécanismes sont autonomes et ne s'excluent nullement.
Un règlement de différend peut ainsi intervenir dans le contexte d'un litige formé à l'occasion de l'exercice des activités de communications électroniques sur un marché régulé au titre de la régulation sectorielle relative à l'analyse de marché. De même, un litige peut tout aussi bien être tranché en équité, entre des opérateurs pour des prestations non régulées, mais relevant du régime de l'accès ou de l'interconnexion.
Les fondements juridiques des deux procédures sont distincts, l'objet du règlement de litige est différent de celui de l'analyse des marchés et leurs effets ne sont pas identiques. Aucune priorité, ni aucune subordination ne saurait être accordée à l'une plutôt qu'à l'autre. Dès lors, l'ARCEP ne peut écarter la compétence qu'elle tire des dispositions de l'article L. 36-8 susvisé.
Au cas d'espèce, l'Autorité rappelle que, dans le cadre de l'analyse des marchés, elle a envoyé des questionnaires portant sur les « services de communications mobiles SMS » aux différents acteurs concernés le 29 juillet 2004 puis a lancé une consultation publique sur l'analyse du marché de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles le 24 octobre 2005. Ces éléments n'impliquent aucunement la suspension de la compétence de règlement de litige qui appartient à l'ARCEP.
Dans ces conditions, l'Autorité est appelée à résoudre le différend en équité, ce qui implique d'apprécier les demandes des parties au regard des obligations qui leur sont effectivement opposables à la date de la décision, et plus généralement au regard des objectifs de la régulation, tels qu'ils figurent dans les dispositions de l'article L. 32-1 du CPCE précité.
Dans ce cadre, étant entendu que les parties bénéficient de la reconnaissance légale d'un droit à l'interconnexion et d'une obligation de conclure les conventions s'y rapportant, conformément aux prescriptions de l'article L. 34-8 du CPCE, l'Autorité veillera notamment à ce que sa décision préserve en particulier les conditions d'exercice « d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques » (4). En revanche, l'Autorité rappelle qu'à ce jour les opérateurs concernés ne sont pas soumis à une obligation de contrôle tarifaire ex ante telle qu'elle pourrait être imposée dans le cadre d'une analyse de marché.

Pour toutes ces raisons, l'Autorité considère que la demande de Bouygues Telecom est recevable et se déclare compétente pour connaître du différend qui l'oppose à SFR, tant en ce qui concerne le tarif de terminaison d'appel SMS de SFR à l'égard de Bouygues Telecom que celui de Bouygues Telecom à l'égard de SFR.