JORF n°304 du 31 décembre 2005

II. - SUR LE BIEN-FONDÉ DE LA DEMANDE DE BOUYGUES TELECOM

Bouygues Telecom rappelle, d'une part, que le tarif de terminaison d'appel SMS est soumis aux principes du CPCE, et signale, d'autre part, que la charge d'interconnexion fixée à 5,3 centimes d'euro en 1999 ne répond plus aux principes d'objectivité et de transparence, tels que posés par l'article D. 99-10 du CPCE.
L'opérateur considère que cette charge de terminaison n'est pas justifiée au regard des coûts d'Orange France et de SFR, ni au regard de la structure du marché. C'est dans ce contexte que Bouygues Telecom a entamé des négociations commerciales avec ses concurrents afin de procéder à une baisse conjointe et substantielle de ce tarif.
Bouygues Telecom a souhaité bénéficier d'un tarif de terminaison SMS supérieur à celui de ses concurrents pour les motifs suivants :
- la différence de coûts et de revenus associés à chacun des réseaux mobiles liés notamment à l'arrivée tardive de Bouygues Telecom sur le marché ;
- la taille des parcs de clients respectifs et la part de marché des trois opérateurs.
Bouygues Telecom rappelle que l'Autorité est fondée à apprécier les conditions tarifaires des conventions d'interconnexion. Il est donc demandé à l'Autorité de veiller au respect des principes d'objectivité et de transparence qui s'imposent à chaque opérateur en vue de pratiquer des tarifs raisonnables. Dès lors, il est justifié que les tarifs de gros suivent l'évolution des coûts réellement supportés par chacun des opérateurs.
Bouygues Telecom constate que SFR ne démontre pas le caractère déraisonnable de sa demande, laquelle peut en outre se prévaloir du principe d'équité mentionné à l'article L. 36-8 du CPCE.

A. - La demande de Bouygues Telecom est raisonnable et justifiée

A l'appui de sa demande, Bouygues Telecom souligne que :
- la charge d'interconnexion SMS actuelle de 5,3 centimes d'euro n'offre aucune marge de manoeuvre pour une diminution sensible des offres de détail. A ce titre, elle pénalise l'entreprise au regard de la structure du marché ;
- si le tarif actuel était justifié par rapport aux coûts sur la période 1999-2004, la proportionnalité n'est plus respectée au regard des coûts exposés depuis 2005 et a fortiori pour les années à venir ;
- la demande de Bouygues Telecom est justifiée tant par la position de SFR dans le passé que sur l'évolution du marché sur la période 1999-2004.

A.1. La situation du marché de la téléphonie mobile

Il est précisé que les opérateurs européens troisième entrant subissent un handicap lié à leur arrivée tardive qui, bien que compensé parfois par des mesures réglementaires adaptées, se traduit par des marchés structurellement déséquilibrés.
[...]
Bouygues Telecom estime qu'Orange France et SFR peuvent poursuivre une politique d'investissement sans conséquence sur leur marge de manoeuvre commerciale et que toutes barrières artificielles pénalisent l'acteur le plus fragile du marché.

A.2. Le tarif de terminaison d'appel SMS est défavorable
à Bouygues Telecom

Un tarif excessif au regard des prix de détail.
Bouygues Telecom précise que le poids de la terminaison SMS dans la construction d'une offre de détail est central notamment pour ce qui concerne les offres les plus attractives, dont le tarif est d'environ 7 centimes d'euro TTC par SMS.
Le prix de marché moyen du SMS se situe aux alentours de 12 centimes d'euro TTC et la charge d'interconnexion actuelle représente 53 % du prix de détail. Bouygues Telecom souligne que les 47 % restants doivent couvrir la prestation technique d'envoi du SMS qui nécessite le recours à des éléments de réseau plus nombreux que la terminaison d'appel vocal. Par ailleurs, les coûts commerciaux, de facturation et de recouvrement ne sont pas à négliger. L'opérateur affirme que la charge de terminaison actuelle est donc hors de proportion au regard du prix de détail.
Bouygues Telecom précise que la baisse de 20 % proposée par SFR porterait cette part à 43 %, ce qui est élevé au regard du partage des coûts sous-jacents entre l'émission du SMS et sa réception.
L'opérateur estime que sa proposition ramène le poids de la terminaison dans le prix de détail du SMS à 25 %, ce qui est cohérent avec les ratios existant sur d'autres marchés de téléphonie.
Bouygues Telecom rappelle que la charge de terminaison est un facteur limitant de l'évolution des prix de détail dans la mesure où les prix les plus bas sur le marché se situent entre 7 centimes d'euro TTC et 9 centimes d'euro TTC et permettent à peine de couvrir la terminaison d'appel seule.

Un tarif qui prive Bouygues Telecom de toute marge de manoeuvre.
Bouygues Telecom estime que les observations de SFR sont erronées et rejette l'argumentation selon laquelle une baisse de 50 % du tarif de terminaison SMS, plutôt que de 20 %, serait disproportionnée.
Sur les marges de manoeuvre existantes.
La société note que, dans ses observations, SFR prétend qu'un tarif d'interconnexion SMS de 4,3 centimes d'euro laisse à Bouygues Telecom une marge de [...] pour un SMS vendu 7 centimes TTC au détail.
Bouygues Telecom estime que ces arguments sont infondés et qu'un écart entre le tarif de terminaison et le prix public est insuffisant. L'opérateur indique qu'à titre d'exemple il ne saurait couvrir les coûts de commercialisation de service, ainsi qu'une marge raisonnable et que cet écart ne laisse pas de marge de manoeuvre en faveur d'une baisse des prix.
Bouygues Telecom souligne que le problème rencontré sur le service SMS est le même que pour les appels vocaux de mobile à mobile. La sortie du « Bill and Keep » fait peser de fortes contraintes sur la rentabilité de ses offres voix et laisse peu de place pour absorber des baisses du prix de détail des SMS en deçà des niveaux de prix actuels.
Sur l'équilibre des flux.
Bouygues Telecom relève que les courbes transmises par SFR démontrent que les flux de trafic avec ses concurrents [...] et que cette évolution est concomitante avec la baisse du prix de détail des SMS [...].
L'espace économique que lui laisse le tarif de terminaison actuel n'est pas suffisant pour proposer des offres commerciales aussi agressives. Bouygues Telecom souligne que le caractère attractif des forfaits SMS contribue au développement de l'usage, mais qu'elle ne peut en profiter dans la même proportion que ses concurrents. [...]
[...]
Sur l'impact des charges de terminaison.
La société Bouygues Telecom estime que l'importance des SMS « off-net » sur son réseau la rend plus sensible que ses concurrentes à l'interconnexion [...].
Sur le caractère contraignant des effets club.
Bouygues Telecom souligne qu'étant donné la charge de terminaison actuelle l'économie de ses offres SMS reposerait sur la stratégie de ses concurrents, notamment SFR qui disposerait de la faculté de réduire la rentabilité des offres de Bouygues Telecom par la généralisation d'offres « on-net » engendrant ainsi un déséquilibre du solde de SMS entrants/sortants.
Si SFR pratiquait des offres « on-net » agressives, Bouygues Telecom ne pourrait que proposer des prix attractifs vers l'ensemble des réseaux stimulant ainsi les flux « off-net » vers SFR, ce qui constituerait un transfert de marge vers SFR.
Bouygues Telecom note que les observations de SFR sur l'étude OVUM sont erronées car, dans le cas d'un marché pratiquant des prix « on-net », le plus petit opérateur pratique la plus forte remise sur les prix « on-net » pour compenser la moindre taille de son réseau. A ce propos, Bouygues Telecom indique également qu'un petit opérateur n'a que peu d'intérêt à pratiquer une différenciation « on-net »/« off-net » notamment dans un marché où la maturité est assurée.
Il est enfin précisé que la modélisation économique permet d'établir que de telles offres n'ont d'intérêt que pour les opérateurs disposant d'une part de marché importante et que, par conséquent, Orange France et SFR ont un intérêt à la mise en place de telles offres, ce qui n'est pas le cas de Bouygues Telecom.

A.3. Une demande proportionnée au regard des coûts

Bouygues Telecom considère que le tarif de terminaison qu'elle demande est proportionné au regard des coûts encourus par les opérateurs.
L'entreprise signale qu'elle a cherché à évaluer les coûts moyens d'interopérabilité du service SMS pour chacun des opérateurs sur la période 1999-2010 en construisant un modèle de coûts du SMS.
Bouygues Telecom indique que la méthode retenue est une modélisation de type CMILT « bottom-up » sur la base des coûts courants exposés pour la construction d'un réseau GSM permettant de fournir le service SMS également utilisée pour la fourniture d'un service de voix. Bouygues Telecom précise que les résultats de cette modélisation font apparaître pour SFR un coût moyen de terminaison du SMS sur la période 1999-2003 inférieur à [...] et inférieur à [...] pour la période 2004-2008, alors que le coût moyen de terminaison de Bouygues Telecom est évalué à [...] sur la période 1999-2003.
Bouygues Telecom souligne ainsi que ces résultats démontrent que, si le tarif d'interopérabilité appliqué sur la première période était cohérent avec les coûts supportés par les opérateurs pour la fourniture du service, ce tarif est désormais excessif au regard des coûts qui seront encourus sur la période 2004-2008 et paraissent donc justifier le niveau de baisse demandée, ainsi que la mise en place d'un tarif de 2,5 centimes d'euro.
Bouygues Telecom a estimé le coût de terminaison de SMS sur la base de ces coûts historiques pour l'année 2003. L'allocation des coûts au SMS repose sur :
- les coûts de réseau sur la base de l'usage ;
- les coûts communs en les répartissant entre les services voix et SMS au prorata des coûts réseau, ces coûts allouables au SMS étant ensuite répartis sur les différents types de SMS au prorata des volumétries correspondantes.
Bouygues Telecom souligne que cette méthode a permis de calculer un coût de terminaison du SMS pour 2003 de l'ordre de [...].

A.4. Une préoccupation constante de Bouygues Telecom

La société Bouygues Telecom précise que la transition entre les deux cadres réglementaires l'a conduite à concentrer ses efforts sur les analyses de marchés pertinents menés par l'Autorité. Ce n'est qu'après la transposition des directives que les incertitudes ont été levées sur les modalités d'une intervention de l'Autorité.

B. - La demande de Bouygues Telecom est proportionnée
B.1. Le « benchmark » européen proposé par SFR n'est pas pertinent

Bouygues Telecom estime que le « benchmark » transmis par SFR sur les niveaux de terminaison d'appel SMS ne permet pas d'étayer une analyse objective :
- il est rapporté que la France se situe parmi les pays dont le niveau de terminaison SMS est le plus élevé et son tarif supérieur à la moyenne européenne ;
- il n'est pas pris en compte la dynamique de baisse observée en Europe.
Bouygues Telecom indique que la majorité des pays européens pratiquent des tarifs d'interconnexion SMS inférieurs à la France : ainsi, au Danemark, le tarif pratiqué par TeliaMobile est de [...].
Bouygues Telecom considère qu'en faisant droit à sa demande l'Autorité fixerait le tarif de terminaison au niveau de celui du Danemark et qu'il ne s'agirait pas d'un non-sens économique, comme l'indique SFR. L'entreprise précise que le « benchmark » proposé par SFR ne tient pas compte de la date à laquelle a été fixée la terminaison SMS dans les pays concernés. En effet, le niveau élevé de la terminaison SMS en Europe s'explique par le fait que les niveaux de terminaison ont été fixées il y a plusieurs années, lors de la mise en place de l'interopérabilité du service SMS et que les coûts supportés par les opérateurs à la fin des années 1990 ne sont plus adéquats avec ceux supportés actuellement.
Bouygues Telecom considère donc qu'une demande de 2,5 centimes d'euro s'inscrit dans la tendance européenne. Une étude comparée des tarifs de terminaison et des offres de détails permet de constater qu'une charge d'interconnexion peu élevée favorise la baisse des tarifs de détail et par conséquent le développement des usages sur le marché de détail.

B.2. Sur la demande de Bouygues Telecom

Bouygues Telecom précise que, contrairement au prix de la terminaison d'appel SMS qui n'a pas évolué depuis 1999, les tarifs ont subi des baisses régulières correspondant à une baisse cumulée qui a dépassé le taux de 50 %.
Il est rappelé que les tarifs d'interconnexion fixe de France Télécom, lesquels correspondent à une activité régulée, sont orientés vers les coûts, ce qui explique que la baisse cumulée soit moins importante que dans le cas de la terminaison mobile.
Bouygues Telecom indique également que le tarif d'interconnexion de terminaison d'appel vocal de SFR a connu une baisse constante au cours des cinq dernières années correspondant à une diminution de 66 % depuis 1999, alors que celui du SMS n'a pas changé.
Bouygues Telecom note que, dans les deux cas, le volume de trafic échangé entre opérateurs a été multiplié par cinq et que, dans ce contexte, une baisse de 50 % ne constituerait qu'une remise à niveau de la terminaison SMS. Ainsi, à titre d'exemple, il est indiqué qu'en avril 2002 le tarif du dégroupage partiel a connu une baisse de 50 % passant de 6 euros par mois à 2,9 euros seulement par mois.

B.3. Sur le développement de nouveaux services

Bouygues Telecom précise que la rentabilité de services innovants s'étudie à long terme selon les besoins nouveaux suscités chez les consommateurs sans prendre en compte l'évolution du prix du service de SMS. Un lourd investissement a été consenti dans la téléphonie de troisième génération, alors que les prix de la téléphonie GSM étaient en baisse rendant moins attractive la technologie UMTS.

B.4. La demande de Bouygues Telecom n'a pas d'incidence
sur les résultats financiers de SFR

Bouygues Telecom considère qu'un tarif de terminaison d'appel SMS de 2,5 centimes d'euro est largement supérieur aux coûts supportés par SFR. Par suite, s'il était fait droit à sa demande et que la baisse du prix de gros soit répercutée en intégralité sur les prix de détail, le manque à gagner pour SFR ne devrait pas représenter plus de [...] ce qui est insignifiant au regard d'un chiffre d'affaires de [...] en 2004.

C. - Une demande d'asymétrie justifiée
C.1. Une demande d'asymétrie nécessaire à l'efficacité
économique de Bouygues Telecom

Bouygues Telecom estime qu'en mettant en avant ses bons résultats financiers et son bon positionnement en terme de parts de marché par rapport aux autres opérateurs troisièmes entrants en Europe, SFR montre en réalité le bien-fondé de sa demande.
L'étude effectuée par SFR est critiquable car :
- la rentabilité des opérateurs est mesurée par la seule part de l'« Operating Free Cash Flow » hors coûts d'acquisition et de rétention de clientèle comparée à la part de marché en valeur. Cette évaluation de la rentabilité n'est pas pertinente, car la téléphonie mobile est un marché où les coûts d'acquisition et de rétention de clientèle constituent une donnée de la stratégie commerciale d'un opérateur mobile. Exclure ces coûts de l'analyse revient à occulter un élément majeur d'appréciation et, en tout état de cause, avec un taux de churn supérieur à 20 % chaque année, la téléphonie mobile n'est pas un marché sur lequel ces critères sont adaptés ;
- l'année prise pour référence ne permet pas d'effectuer une comparaison fiable entre les opérateurs concernés puisqu'en 2004 la France était le seul pays où les opérateurs mobiles ne facturaient pas les terminaisons d'appel. Le chiffre d'affaires retenu pour Bouygues Telecom n'est pas comparable à celui des autres opérateurs.
Par ailleurs, Bouygues Telecom souligne que ses résultats financiers ne lui ont pas permis de rembourser ses dettes et de faire bénéficier ses actionnaires d'un retour sur investissement, ce qui n'est pas le cas de SFR qui dégage des bénéfices depuis plusieurs années.

C.2. La demande d'asymétrie est conforme à la jurisprudence

L'Autorité a accepté un différentiel tarifaire pour la terminaison d'appel pour une période transitoire arrivant à terme en 2008. Bouygues Telecom indique que, si une asymétrie tarifaire est justifiée entre deux opérateurs de réseaux de téléphonie mobile, la justification est encore plus évidente entre deux opérateurs de téléphonie mobile.
Bouygues Telecom indique qu'il faut distinguer les réseaux fixes et mobiles : les premiers pouvant déployer leurs infrastructures dans des zones rentables, alors que les seconds ont l'obligation de couvrir une part croissante de la population, y compris les zones non rentables.
Bouygues Telecom précise que l'investissement en infrastructures des opérateurs mobiles se situe à des niveaux comparables, alors que, pour les acteurs de la téléphonie fixe, les coûts de déploiement pèsent essentiellement sur France Télécom.
Bouygues Telecom souligne qu'avec 7,6 millions de clients elle est loin des 15 millions de clients de SFR et des 21 millions de clients d'Orange France.
L'opérateur estime qu'il supporte les mêmes coûts que ses concurrents sans bénéficier de revenus comparables en raison notamment de l'attribution tardive de sa licence GSM. Ce retard a été pris en compte par l'Autorité qui a mis en place une asymétrie tarifaire à son bénéfice sur le marché de gros de la terminaison d'appel vocal.
Bouygues Telecom considère que SFR ne tient pas compte des difficultés rencontrées par l'entreprise depuis le début d'exploitation de sa licence et qu'à ce titre sa demande d'asymétrie tarifaire est raisonnable et justifiée.
Pour ces motifs, Bouygues Telecom demande à l'Autorité de rejeter les arguments exposés par SFR et de faire droit à ses demandes.
Vu les réponses des parties au questionnaire des rapporteurs enregistrées le 23 septembre 2005 ;
Vu les réponses des parties au second questionnaire des rapporteurs enregistrées le 29 septembre 2005 ;
Vu les secondes observations en défense présentées par la société SFR enregistrées le 3 octobre 2005.