- Sur l'article 1er et sa conformité avec l'article 21
de la Constitution
L'article 21 de la Constitution dispose que « le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires ». Ainsi, le Premier ministre est seul titulaire du pouvoir réglementaire, notamment pour assurer l'exécution des lois, sous réserve du pouvoir dont dispose le Président de la République en application de l'article 13 de la Constitution et, le cas échéant, dans le cadre de l'article 16.
Le Conseil constitutionnel a admis, cependant, qu'un pouvoir réglementaire puisse être conféré à une autre autorité que le Premier ministre, « à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu » et que l'autorité titulaire d'un tel pouvoir soit « indépendante » dans son statut comme dans son comportement (Cons. const. 7 janvier 1991, no 248-89 DC).
Dès lors qu'un tel pouvoir réglementaire, permettant l'édiction de règles opposables aux administrés, est institué au profit d'une autorité autre que le Premier ministre, les conditions dans lesquelles ce pouvoir s'exerce « doivent être déterminées avec une précision suffisante » par le législateur, à défaut pour ce dernier de méconnaître la Constitution (Cons. const. 29 décembre 1998, no 98-405 DC).
C'est notamment le cas lorsque les règles posées par le législateur laissent, en raison de leur imprécision, une marge d'appréciation aux autorités chargées de les appliquer, celles-ci étant incitées ou contraintes à empiéter sur le domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel retient en effet, dans ce cas, que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence en laissant à d'autres l'exercice de celle-ci.
a) Or, il ressort de l'article L. 752-12 nouveau du code rural, tel qu'inséré dans ce code par l'article 1er de la loi déférée, que le législateur a confié un véritable pouvoir réglementaire aux organismes de mutualité sociale agricole, alors même que ce pouvoir n'a été défini avec aucune précision.
Par ailleurs, les pouvoirs conférés par le législateur aux organismes de mutualité sociale agricole s'analysent comme permettant la prise de décisions susceptibles de faire grief aux exploitants et entreprises agricoles (classement des exploitations, notamment).
Et il apparaît avec évidence que ce pouvoir, large et étendu, n'a pas été confié à des organes offrant toutes les garanties d'indépendance, conformément à l'exigence du Conseil constitutionnel. En effet, les caisses de MSA interviennent à la fois comme acteurs au niveau de la protection sociale de base comme de la protection complémentaire, régulateurs voire contrôleurs en matière d'assurance sociale agricole, et seront amenées à prendre des décisions faisant grief à d'autres intervenants dans ce secteur de la protection sociale.
Les sénateurs auteurs de la saisine considèrent que cette position de « juges et parties » des caisses de mutualité sociale agricole n'offre pas de garantie suffisante d'indépendance dans leur comportement, du fait du large pouvoir réglementaire qui leur est confié par la loi, vis-à-vis des autres organismes qui interviendront dans ce secteur de la protection sociale.
En conséquence, le dispositif du nouvel article L. 752-12 du code rural est de nature à favoriser la prise de décisions arbitraires à entraîner l'introduction d'éléments d'appréciation à caractère subjectif ouvrant la voie à des contestations, à créer des inégalités et des biais sérieux dans leur application.
b) De même, la délégation de compétence opérée par les articles L. 752-16 et L. 752-17 nouveaux du code rural au profit du ministre chargé de l'agriculture quant à la détermination des cotisations méconnaissent également l'article 21 de la Constitution.
Le ministre ne disposant pas d'un pouvoir réglementaire propre, il ne saurait se voir confier un tel pouvoir que dans la mesure où celui-ci serait limité tant par son champ d'application que par son contenu et que les règles seraient déterminées avec une précision suffisante (Cons. const. 29 décembre 1998, no 98-405 DC).
Or en l'espèce, aucune précision n'est apportée sur les modalités de calcul du montant des cotisations qui devront être fixées par arrêté du ministre chargé de l'agriculture.
Ainsi, en se bornant à renvoyer à un arrêté du ministre chargé de l'agriculture la détermination du montant des cotisations sans fixer lui-même des critères objectifs, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
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