JORF n°289 du 14 décembre 2000

Sur les atteintes à l'effectivité des attributions

des collectivités territoriales

Le prélèvement opéré par l'article 55 sur les ressources fiscales des communes porte tout d'abord atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, en ce sens qu'il empêche ces collectivités d'exercer effectivement leurs attributions.

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les règles énoncées par le législateur, certes compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution, ne doivent pas avoir pour effet de réduire les attributions effectives des organes délibérants des collectivités territoriales et plus particulièrement de diminuer les ressources fiscales de ces collectivités au point de méconnaître la compétence propre des collectivités locales et d'entraver leur libre administration.

Sur le plan financier, le Conseil a clairement posé les limites des charges financières que le législateur peut imposer aux collectivités territoriales. Il juge ainsi que « les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration » (C. const., no 90-277 DC, 25 juillet 1990, Rec. 70 ; repris à l'identique dans C. const., no 91-298 DC, 24 juillet 1991, Rec. 82).

La décision rendue par le Conseil concernant la suppression progressive de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle a précisé que la constitutionnalité d'une atteinte aux ressources fiscales des collectivités locales est subordonnée à l'institution d'une contrepartie fondée précisément sur des critères d'indexation et de durée pour garantir le maintien d'un volume global de ressources pour les collectivités territoriales considérées (C. const., no 98-405 DC du 29 décembre 1998, Rec. 326).

La suppression de la part régionale de la taxe d'habitation vient de donner l'occasion au Conseil de préciser encore sa jurisprudence, en énonçant que les règles posées par la loi sur le fondement des articles 34 et 72 « ne sauraient avoir pour effet de diminuer les ressources globales des collectivités territoriales ou de réduire la part de leurs recettes fiscales dans ces ressources au point d'entraver leur libre administration » (C. const., no 2000-432 DC, 12 juillet 2000, Loi de finances rectificative pour 2000, JO, 14 juillet 2000, p. 10808). A cet égard, si les recettes fiscales propres d'une collectivité territoriale disparaissaient ou devenaient insuffisantes, elle ne pourrait faire face à des dépenses imprévues, ce qui pourrait compromettre la continuité de services publics locaux ou l'ordre public, portant atteinte à des principes de valeur constitutionnelle. Plus généralement, une dépendance excessive par rapport à l'Etat viderait de sa substance l'autonomie locale, contrevenant ainsi à l'article 72 de la Constitution.

Ainsi, lorsque le législateur décide de supprimer ou de réduire une ressource des collectivités territoriales, le respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales et de la jurisprudence du Conseil lui imposent de ne le faire que dans une mesure limitée, en appliquant des critères de durée et de limitation des montants, tout en précisant clairement la finalité de la mesure qui doit être fondée sur des critères objectifs.

Or, à ces différents égards, l'atteinte aux ressources fiscales des collectivités territoriales contenue dans l'article 55 du présent texte dépasse le seuil admis par la jurisprudence constitutionnelle et les limites qu'elle a fixées en vertu du principe de libre administration des collectivités locales.

En effet, le mécanisme prévu à l'article 55 touche le coeur des ressources fiscales des collectivités territoriales en opérant un prélèvement sur les quatre impôts directs locaux parmi les plus anciens et les plus essentiels perçus par les communes, à savoir la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, la taxe d'habitation et la taxe professionnelle (cf. art. L. 302-6 du code de la construction et de l'habitation). En faisant supporter aux collectivités locales une charge nouvelle dont elles ne peuvent par essence fixer précisément à l'avance le montant, il ne permet pas de garantir l'effectivité des attributions des collectivités territoriales, parce qu'il risque d'empêcher les communes de pouvoir exercer effectivement et librement leurs compétences, voire de ne plus pouvoir faire face à des dépenses pourtant obligatoires. Autrement dit, ce dispositif législatif conduirait ainsi à vider de sa substance la notion même d'autonomie des collectivités communales.

Cette augmentation est confortée par l'absence de toute limitation de durée du dispositif, qui est donc destiné à continuer à s'appliquer, même si le seuil de 20 % de logements sociaux est atteint ou dépassé, ce qui enlève d'ailleurs toute logique à ce seuil de 20 % et à la mesure elle-même. Le texte ne prévoit aucun plafond au-delà duquel le prélèvement ne serait plus effectué, par exemple, une fois le seuil de logements sociaux atteint (cf. C. const., no 91-291 DC, 6 mai 1991).

De plus, le prélèvement opéré ne s'accompagne d'aucune mesure de compensation de la part de l'Etat. Or, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette compensation par le budget de l'Etat est une nécessité pour que la part fiscale des ressources des communes soit assurée et qu'ainsi le principe de leur libre administration soit respecté. Cette compensation, qui répond donc à une exigence constitutionnelle, relève du domaine, constitutionnellement défini, des lois de finances. Autrement dit, les mesures inscrites dans l'article 55 du texte déféré doivent être considérées comme contraires à la Constitution, soit parce qu'elles ne comportent aucune mesure de compensation, alors qu'il s'agit d'une exigence constitutionnelle, soit parce qu'elles anticipent un dispositif qui devrait être inscrit dans une loi de finances future, ce qui revient à lier donc à l'avenir le législateur financier, ce qui est contraire à la Constitution et à l'ordonnance du 2 janvier 1959, relative aux lois de finances (décision no 82-142 DC, 27 juillet 1982, Rec. 52).

Enfin, le prélèvement prévu par l'article 55, fondé sur la seule référence à la « mixité sociale », se révèle dépourvu d'une justification clairement définie en droit, alors que la jurisprudence du Conseil exige que le dispositif législatif portant atteinte aux ressources des collectivités locales précise clairement la finalité de la mesure qui doit être fondée sur des critères objectifs.


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Version 1

Sur les atteintes à l'effectivité des attributions

des collectivités territoriales

Le prélèvement opéré par l'article 55 sur les ressources fiscales des communes porte tout d'abord atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, en ce sens qu'il empêche ces collectivités d'exercer effectivement leurs attributions.

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les règles énoncées par le législateur, certes compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution, ne doivent pas avoir pour effet de réduire les attributions effectives des organes délibérants des collectivités territoriales et plus particulièrement de diminuer les ressources fiscales de ces collectivités au point de méconnaître la compétence propre des collectivités locales et d'entraver leur libre administration.

Sur le plan financier, le Conseil a clairement posé les limites des charges financières que le législateur peut imposer aux collectivités territoriales. Il juge ainsi que « les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration » (C. const., no 90-277 DC, 25 juillet 1990, Rec. 70 ; repris à l'identique dans C. const., no 91-298 DC, 24 juillet 1991, Rec. 82).

La décision rendue par le Conseil concernant la suppression progressive de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle a précisé que la constitutionnalité d'une atteinte aux ressources fiscales des collectivités locales est subordonnée à l'institution d'une contrepartie fondée précisément sur des critères d'indexation et de durée pour garantir le maintien d'un volume global de ressources pour les collectivités territoriales considérées (C. const., no 98-405 DC du 29 décembre 1998, Rec. 326).

La suppression de la part régionale de la taxe d'habitation vient de donner l'occasion au Conseil de préciser encore sa jurisprudence, en énonçant que les règles posées par la loi sur le fondement des articles 34 et 72 « ne sauraient avoir pour effet de diminuer les ressources globales des collectivités territoriales ou de réduire la part de leurs recettes fiscales dans ces ressources au point d'entraver leur libre administration » (C. const., no 2000-432 DC, 12 juillet 2000, Loi de finances rectificative pour 2000, JO, 14 juillet 2000, p. 10808). A cet égard, si les recettes fiscales propres d'une collectivité territoriale disparaissaient ou devenaient insuffisantes, elle ne pourrait faire face à des dépenses imprévues, ce qui pourrait compromettre la continuité de services publics locaux ou l'ordre public, portant atteinte à des principes de valeur constitutionnelle. Plus généralement, une dépendance excessive par rapport à l'Etat viderait de sa substance l'autonomie locale, contrevenant ainsi à l'article 72 de la Constitution.

Ainsi, lorsque le législateur décide de supprimer ou de réduire une ressource des collectivités territoriales, le respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales et de la jurisprudence du Conseil lui imposent de ne le faire que dans une mesure limitée, en appliquant des critères de durée et de limitation des montants, tout en précisant clairement la finalité de la mesure qui doit être fondée sur des critères objectifs.

Or, à ces différents égards, l'atteinte aux ressources fiscales des collectivités territoriales contenue dans l'article 55 du présent texte dépasse le seuil admis par la jurisprudence constitutionnelle et les limites qu'elle a fixées en vertu du principe de libre administration des collectivités locales.

En effet, le mécanisme prévu à l'article 55 touche le coeur des ressources fiscales des collectivités territoriales en opérant un prélèvement sur les quatre impôts directs locaux parmi les plus anciens et les plus essentiels perçus par les communes, à savoir la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, la taxe d'habitation et la taxe professionnelle (cf. art. L. 302-6 du code de la construction et de l'habitation). En faisant supporter aux collectivités locales une charge nouvelle dont elles ne peuvent par essence fixer précisément à l'avance le montant, il ne permet pas de garantir l'effectivité des attributions des collectivités territoriales, parce qu'il risque d'empêcher les communes de pouvoir exercer effectivement et librement leurs compétences, voire de ne plus pouvoir faire face à des dépenses pourtant obligatoires. Autrement dit, ce dispositif législatif conduirait ainsi à vider de sa substance la notion même d'autonomie des collectivités communales.

Cette augmentation est confortée par l'absence de toute limitation de durée du dispositif, qui est donc destiné à continuer à s'appliquer, même si le seuil de 20 % de logements sociaux est atteint ou dépassé, ce qui enlève d'ailleurs toute logique à ce seuil de 20 % et à la mesure elle-même. Le texte ne prévoit aucun plafond au-delà duquel le prélèvement ne serait plus effectué, par exemple, une fois le seuil de logements sociaux atteint (cf. C. const., no 91-291 DC, 6 mai 1991).

De plus, le prélèvement opéré ne s'accompagne d'aucune mesure de compensation de la part de l'Etat. Or, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette compensation par le budget de l'Etat est une nécessité pour que la part fiscale des ressources des communes soit assurée et qu'ainsi le principe de leur libre administration soit respecté. Cette compensation, qui répond donc à une exigence constitutionnelle, relève du domaine, constitutionnellement défini, des lois de finances. Autrement dit, les mesures inscrites dans l'article 55 du texte déféré doivent être considérées comme contraires à la Constitution, soit parce qu'elles ne comportent aucune mesure de compensation, alors qu'il s'agit d'une exigence constitutionnelle, soit parce qu'elles anticipent un dispositif qui devrait être inscrit dans une loi de finances future, ce qui revient à lier donc à l'avenir le législateur financier, ce qui est contraire à la Constitution et à l'ordonnance du 2 janvier 1959, relative aux lois de finances (décision no 82-142 DC, 27 juillet 1982, Rec. 52).

Enfin, le prélèvement prévu par l'article 55, fondé sur la seule référence à la « mixité sociale », se révèle dépourvu d'une justification clairement définie en droit, alors que la jurisprudence du Conseil exige que le dispositif législatif portant atteinte aux ressources des collectivités locales précise clairement la finalité de la mesure qui doit être fondée sur des critères objectifs.