III. - Sur la méconnaissance des principes constitutionnels
de participation et de négociation collective
S'il est vrai que le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dispose que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » - conférant ainsi valeur constitutionnelle au principe de participation et au droit à la négociation collective des conditions de travail -, l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale (jurisprudence constante).
En conséquence, c'est au législateur qu'il revient soit de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garantie de la mise en oeuvre de cette disposition soit, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions de travail ou aux relations du travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser après une concertation appropriée, les modalités concrètes de mise en oeuvre des normes qu'il édicte (no 89-257 DC du 25 juillet 1989, rec. p. 59) même si cette disposition constitutionnelle (8e alinéa) « n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer que dans tous les cas cette détermination soit subordonnée à la conclusion d'accords collectifs » (no 93-328 DC du 16 décembre 1993, Rec. p. 547).
En d'autres termes, si le législateur peut renvoyer la fixation des modalités d'application de la loi à un accord collectif, il n'est pas tenu de le faire par la Constitution. Mais, lorsqu'il le fait, la loi doit respecter le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, c'est-à-dire les principes de participation et de négociation collective.
Dès lors, si la loi subordonne sa mise en oeuvre à la conclusion d'accords collectifs et si la négociation collective doit avoir un sens sauf à être dénaturée, le contenu de ces accords ne peut constitutionnellement être prédéterminé par la loi. Or, tel est très exactement le cas de la présente loi.
On a déjà vu que si la loi n'obligeait pas juridiquement les entreprises à négocier des accords collectifs pour se mettre en conformité avec la réduction de la durée légale, elle les contraignait à le faire puisque sont subordonnés à la conclusion d'un accord :
- le bénéfice des versements financiers compensatoires (art. 19) ;
- la possibilité de payer en argent les bonifications pour heures supplémentaires (art. 5-II) ;
- l'annualisation de la durée du travail (art. 8-I) ;
- l'octroi de la réduction de la durée du travail sous forme de jours de repos répartis sur l'année (art. 9-II) ;
- le décompte de la durée du travail des cadres sur une base forfaitaire annuelle calculée en heures ou en jours (art. 11) ;
- la mise en place du temps partiel annualisé (art. 12-B) et du travail intermittent (art. 14) ;
- l'organisation de la formation professionnelle en dehors du temps de travail (art. 17-I) ;
- la garantie que la réduction d'horaires ne constitue pas une modification du contrat de travail (art. 30-I) et que le refus d'une modification du contrat consécutive à une modification d'horaires constitue un licenciement individuel réputé fondé sauf une cause réelle et sérieuse (art. 30-II).
Dès lors, eu égard à l'importance qui s'attache pour les entreprises à chacune de ces questions, celles-ci seront nécessairement conduites à conclure des accords collectifs pour mettre en oeuvre la loi nouvelle.
Or, loin de laisser aux négociateurs le soin de trouver le niveau de compromis sur lequel ils pourraient s'accorder, la loi prédétermine en fait le résultat des négociations en fixant notamment :
- à 1 600 heures le volume de la durée annuelle du travail (art. 8, 9 et 19) ;
- à 39 heures par semaine le seuil de déclenchement des heures supplémentaires en cas d'octroi de la réduction de la durée du travail sous forme de jours de repos (art. 9) ;
- à 217 jours par an le nombre maximum de jours de travail des cadres (art. 11) ;
- l'ensemble des paramètres du temps partiel annualisé et du travail intermittent (art. 12 et 14) ;
- la définition des formations susceptibles d'être organisées hors du temps de travail (art. 17) ;
- le montant de la compensation financière de la réduction de la durée du travail au niveau du SMIC (art. 32).
Dès lors, même si, dans certains cas, les paramètres ainsi fixés par la loi sont des maxima, les enjeux économiques de la réduction de la durée du travail sont tels qu'ils ne laissent aucune marge de manoeuvre aux négociateurs pour trouver des compromis en deçà de ces maxima. En conséquence, les articles précités ci-dessus de la loi fixent bien les résultats de la négociation et dépossèdent les partenaires sociaux de leur droit à la négociation collective. Ils sont de ce fait contraires à la Constitution.
Pour toutes ces raisons, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la réduction négociée du temps de travail et lui demandent de déclarer non conformes à la Constitution les articles 5, 8, 9, 11, 17, 19, 20, 21, 28, 30 et 32. Ces articles représentant l'essentiel de la présente loi, tant dans son esprit que dans la fin qu'elle poursuit, ils lui demandent en conséquence de déclarer non conforme à la Constitution la loi en son entier.
(Liste des signataires : voir décision no 99-423 DC.)
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