Or en l'espèce, et contrairement au précédent évoqué par l'étude d'impact de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes, il ne s'agit pas là d'expérimenter un nouveau procédé technique, mais bien de toucher directement à la liberté individuelle du justiciable. En effet, si en soi l'expérimentation consiste à procéder à une forme d'échevinage des tribunaux pour une certaine catégorie de délits, il n'en demeure pas moins qu'elle aura des conséquences sur la liberté individuelle des personnes concernées, puisqu'il ne saurait être nié que la différence de composition des tribunaux emportera des différences sur le contenu de leur décision.
Certes, il ressort clairement des travaux préparatoires et des débats que l'on ignore à ce jour dans quel sens cette nouvelle composition fera pencher la balance, si ce sera vers plus ou moins de sévérité dans les décisions rendues. Mais c'est précisément cette inconnue qui est porteuse d'arbitraire dans l'application du nouveau dispositif, car cette rupture d'égalité devant la justice aura nécessairement pour conséquence une rupture d'égalité dans l'application de la loi ; rature qui sera fondée non pas sur un élément rationnel et objectif lié au comportement même du justiciable, mais sur le seul lieu où il se trouve.
Un exemple flagrant de rupture d'égalité découle également de la rédaction même du nouvel article 399-7 du code de procédure pénale. Il prévoit en effet que lorsque le tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne est saisi selon la procédure de comparution immédiate, le prévenu pourra faire non pas l'objet d'une détention provisoire de droit commun de trois jours, mais d'une détention d'un délai exceptionnel de huit jours !
Enfin les requérants attirent votre particulière attention sur la lecture qui doit être faite de votre décision n° 2007-557 DC. Dans cette décision, vous aviez validé la possibilité de traiter différemment les étrangers s'agissant des modalités d'établissement de la preuve de leur état civil. Vous auriez pu à cette fin vous contenter de constater que le dispositif en cause avait été adopté sur le fondement de l'article 37-1 pour justifier cette atteinte au principe d'égalité. Mais, précisément, ce n'est pas ce que vous avez fait. Au contraire, vous aviez préalablement relevé que « les ressortissants d'Etats dont l'état civil présente des carences en raison de la défaillance des registres ou de l'importance des comportements frauduleux ne se trouvent pas, au regard des actes de l'état civil, dans la même situation que les ressortissants des autres Etats » (cons. 12). Et ce n'est qu'après que vous avez validé le dispositif sur le fondement du droit à l'expérimentation (cons. 13).
En d'autres termes, il ressort de cette décision que le droit à l'expérimentation n'exclut en rien le principe selon lequel seule une différence objective de situation justifie qu'il soit recouru à une expérimentation dans un cas et pas dans un autre. Or, comme il l'a déjà été relevé par les auteurs de la saisine, le lieu de la commission d'une infraction identique ne constitue en rien une différence de situation qui justifie une différence de traitement judiciaire.
C'est donc bien parce que le législateur a porté une atteinte arbitraire et disproportionnée au principe d'égalité devant la loi et la justice qu'il encourt ici votre censure.
Par ailleurs, le principe d'égalité n'est pas seul en cause, et, contrairement à vos exigences, comme il va l'être maintenant démontré, le législateur, en recourant à cette expérimentation, ne s'est pas gardé de « ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle » (2004-503 DC du 12 août 2004, cons. 9).
2. Quant au caractère limité et réversible de l'expérimentation :
Comme il est indiqué dans le commentaire aux Cahiers de votre décision n° 2004-503 DC précitée, les « travaux parlementaires de la révision montrent que l'encadrement nécessaire [de l'expérimentation] réside dans les éléments suivants : objet limité, conditions précises, durée limitée, réversibilité, bilan ».
Sur ces cinq exigences, trois ne sont pas respectées en l'espèce : la limitation de l'objet de la loi ; la précision des conditions d'application de l'expérimentation ; et sa réversibilité. L'objet et la réversibilité seront traités ici, la précision des conditions ci-après au titre de l'incompétence négative du législateur (3).
(3) V. infra 3.
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