JORF n°0021 du 26 janvier 2011

  1. Sur la rupture d'égalité devant les charges publiques :
    En l'absence de disposition particulière en la matière, les déclarations du ministre, ainsi que la fiche explicative annexée à la note du ministère de la justice présentant les la réforme (cf. les annexes I et II au présent recours), indiquent que c'est le « régime de droit commun qui s'applique ».
    Il en résulte que, suivant les cas, les avoués ne seront pas indemnisés de la même façon.
    Ainsi, s'agissant de la fraction de l'indemnité tendant à réparer la perte du droit de présentation, il est apparu qu'elle serait soumise au régime des plus-values professionnelles (PV).
    L'avoué exerçant à titre individuel se verra ainsi soumis au paiement d'une PV calculée sur la différence entre la fraction de l'indemnité dont il s'agit et le prix d'acquisition de l'office.
    En revanche, selon les informations fournies par le ministère (cf. annexe II), l'avoué associé ayant intégré une société civile professionnelle (SCP) devra supporter une PV calculée non pas sur la différence entre la fraction de l'indemnité lui revenant au prorata des parts détenues et le prix d'acquisition de ses parts, mais entre la fraction de l'indemnité lui revenant au prorata des parts détenues et la valeur de l'office au jour de la constitution de la SCP.
    Il y a ainsi une inégalité de traitement entre les deux situations.
    Il y aura également une inégalité de traitement au sein d'une même SCP entre l'avoué associé à l'origine de la création de la SCP (dont la situation est comparable à l'avoué exerçant à titre individuel) et l'avoué intégré postérieurement, qui, en outre, s'il est encore endetté au jour de la promulgation de la loi, pourrait percevoir une somme nette finalement inférieure à la valeur de ses parts.
    De même, l'avoué associé au sein d'une SCP n'ayant pas opté à l'impôt sur les sociétés (IS) et l'avoué associé au sein d'une SCP ayant opté pour l'IS ne bénéficient pas du même traitement fiscal.
    Pourtant, en l'absence de réforme, si l'un comme l'autre avaient quitté la profession (pour faire valoir leurs droits à la retraite ou non) en cédant leurs parts, ils auraient supporté uniquement la PV calculée sur la différence entre le prix de revente et le prix d'acquisition de leurs parts.
    Ainsi que cela a été exposé précédemment, l'avoué associé intégré après constitution d'une SCP n'ayant pas opté pour l'IS se verra imposé au paiement d'un impôt sur les PV supérieur à ce qu'il aurait dû supporter s'il avait cédé ses parts.
    Dans le cas de l'avoué associé d'une SCP ayant opté pour l'IS, la fraction de l'indemnité concernée sera tout d'abord soumise au régime de la PV, laquelle sera soumise à l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun de 33,33 %, puis le solde (déduction faite de l'IS) sera, comme les produits, réparti entre les associés et amputé des prélèvements sociaux s'élevant globalement à 30,10 % (18 % + 12,1 %).
    Enfin, il y a également différenciation de traitement entre l'avoué faisant valoir ses droits à la retraite après promulgation de la loi et l'avoué devant poursuivre une activité professionnelle. En l'état des textes en vigueur, et notamment de l'article 54 de la loi de finances rectificative pour 2009 (5), l'avoué décidant de faire valoir ses droits à la retraite sera exonéré de toute imposition, alors que l'avoué poursuivant une activité professionnelle (comme avocat ou non) sera soumis au régime des PV, voire de manière additionnelle, à l'IS, puis aux prélèvements sociaux pour les avoués associés des sociétés soumises à l'IS.
    Ainsi, des avoués ayant prêté serment la même année, ayant investi la même somme et ayant subi le même préjudice ne pourront prétendre à une même indemnisation nette d'impôt au titre du droit de présentation suivant qu'ils :
    ― exercent en nom propre ou en société ;
    ― sont à l'origine de la création de la SCP ou l'ont intégrée ;
    ― sont associés d'une SCP ayant opté pour l'IS ou non ;
    ― ont la possibilité ou non de faire valoir leurs droits à la retraite.
    Selon votre jurisprudence constante, si « le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général », c'est « pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996, cons. 8) et, par conséquent, « toute différence de traitement qui ne serait pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi se trouve (...) prohibée » (décision n° 91-304 DC du 15 janvier 1992, cons. 15).
    Or ici aucune des différences de traitement indemnitaire qui viennent d'être évoquées ne saurait être justifiée au regard de l'objectif que la loi poursuit, à savoir précisément l'indemnisation des avoués. A préjudice identique, il n'y aura pas d'indemnité identique, pour des raisons qui ne sont pas en lien, même indirect, avec la loi, mais en lien avec le régime fiscal dont relèvent les avoués (une étude riche d'enseignements qui a été rédigée par une étude d'avoués sur la fiscalité des indemnités et adressée au groupe socialiste du Sénat figure en annexe III du présent recours).
    Cette situation démontre ainsi que, de par son silence, outre le fait qu'elle entraînera une rupture d'égalité devant les charges publiques, la loi adoptée ne permettra pas, pour tous, une réparation intégrale.

(5) Loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009.


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Version 1

2. Sur la rupture d'égalité devant les charges publiques :

En l'absence de disposition particulière en la matière, les déclarations du ministre, ainsi que la fiche explicative annexée à la note du ministère de la justice présentant les la réforme (cf. les annexes I et II au présent recours), indiquent que c'est le « régime de droit commun qui s'applique ».

Il en résulte que, suivant les cas, les avoués ne seront pas indemnisés de la même façon.

Ainsi, s'agissant de la fraction de l'indemnité tendant à réparer la perte du droit de présentation, il est apparu qu'elle serait soumise au régime des plus-values professionnelles (PV).

L'avoué exerçant à titre individuel se verra ainsi soumis au paiement d'une PV calculée sur la différence entre la fraction de l'indemnité dont il s'agit et le prix d'acquisition de l'office.

En revanche, selon les informations fournies par le ministère (cf. annexe II), l'avoué associé ayant intégré une société civile professionnelle (SCP) devra supporter une PV calculée non pas sur la différence entre la fraction de l'indemnité lui revenant au prorata des parts détenues et le prix d'acquisition de ses parts, mais entre la fraction de l'indemnité lui revenant au prorata des parts détenues et la valeur de l'office au jour de la constitution de la SCP.

Il y a ainsi une inégalité de traitement entre les deux situations.

Il y aura également une inégalité de traitement au sein d'une même SCP entre l'avoué associé à l'origine de la création de la SCP (dont la situation est comparable à l'avoué exerçant à titre individuel) et l'avoué intégré postérieurement, qui, en outre, s'il est encore endetté au jour de la promulgation de la loi, pourrait percevoir une somme nette finalement inférieure à la valeur de ses parts.

De même, l'avoué associé au sein d'une SCP n'ayant pas opté à l'impôt sur les sociétés (IS) et l'avoué associé au sein d'une SCP ayant opté pour l'IS ne bénéficient pas du même traitement fiscal.

Pourtant, en l'absence de réforme, si l'un comme l'autre avaient quitté la profession (pour faire valoir leurs droits à la retraite ou non) en cédant leurs parts, ils auraient supporté uniquement la PV calculée sur la différence entre le prix de revente et le prix d'acquisition de leurs parts.

Ainsi que cela a été exposé précédemment, l'avoué associé intégré après constitution d'une SCP n'ayant pas opté pour l'IS se verra imposé au paiement d'un impôt sur les PV supérieur à ce qu'il aurait dû supporter s'il avait cédé ses parts.

Dans le cas de l'avoué associé d'une SCP ayant opté pour l'IS, la fraction de l'indemnité concernée sera tout d'abord soumise au régime de la PV, laquelle sera soumise à l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun de 33,33 %, puis le solde (déduction faite de l'IS) sera, comme les produits, réparti entre les associés et amputé des prélèvements sociaux s'élevant globalement à 30,10 % (18 % + 12,1 %).

Enfin, il y a également différenciation de traitement entre l'avoué faisant valoir ses droits à la retraite après promulgation de la loi et l'avoué devant poursuivre une activité professionnelle. En l'état des textes en vigueur, et notamment de l'article 54 de la loi de finances rectificative pour 2009 (5), l'avoué décidant de faire valoir ses droits à la retraite sera exonéré de toute imposition, alors que l'avoué poursuivant une activité professionnelle (comme avocat ou non) sera soumis au régime des PV, voire de manière additionnelle, à l'IS, puis aux prélèvements sociaux pour les avoués associés des sociétés soumises à l'IS.

Ainsi, des avoués ayant prêté serment la même année, ayant investi la même somme et ayant subi le même préjudice ne pourront prétendre à une même indemnisation nette d'impôt au titre du droit de présentation suivant qu'ils :

― exercent en nom propre ou en société ;

― sont à l'origine de la création de la SCP ou l'ont intégrée ;

― sont associés d'une SCP ayant opté pour l'IS ou non ;

― ont la possibilité ou non de faire valoir leurs droits à la retraite.

Selon votre jurisprudence constante, si « le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général », c'est « pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996, cons. 8) et, par conséquent, « toute différence de traitement qui ne serait pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi se trouve (...) prohibée » (décision n° 91-304 DC du 15 janvier 1992, cons. 15).

Or ici aucune des différences de traitement indemnitaire qui viennent d'être évoquées ne saurait être justifiée au regard de l'objectif que la loi poursuit, à savoir précisément l'indemnisation des avoués. A préjudice identique, il n'y aura pas d'indemnité identique, pour des raisons qui ne sont pas en lien, même indirect, avec la loi, mais en lien avec le régime fiscal dont relèvent les avoués (une étude riche d'enseignements qui a été rédigée par une étude d'avoués sur la fiscalité des indemnités et adressée au groupe socialiste du Sénat figure en annexe III du présent recours).

Cette situation démontre ainsi que, de par son silence, outre le fait qu'elle entraînera une rupture d'égalité devant les charges publiques, la loi adoptée ne permettra pas, pour tous, une réparation intégrale.

(5) Loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009.