JORF n°0135 du 13 juin 2009

  1. Le caractère flou et imprécis du manquement institué par la loi

L'ensemble du dispositif institué par la présente loi repose sur le manquement à l'obligation de surveillance de l'accès à internet créé par l'article 11 de la loi soumise à votre contrôle.
Or, les termes employés à cet article sont d'une imprécision telle que le manquement défini est édicté en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines et de l'article 34 en vertu duquel " la loi fixe les règles concernant... la détermination des crimes et des délits ainsi que les crimes qui leur sont applicables " (décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000). Votre juridiction a eu l'occasion de rappeler, à de nombreuses reprises, que ces dispositions imposent au législateur l'obligation " de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis " afin " d'exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines " (voir notamment votre décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006).
La création par la loi soumise à votre contrôle d'un délit de " manquement à l'obligation de surveillance " ne répond manifestement pas aux exigences d'une définition " claire et précise " des infractions. Ce manquement consiste en une omission des abonnés qui n'auraient pas mis en œuvre les moyens de surveillance nécessaires afin que leur accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction. Les abonnés seront donc sanctionnés pour n'avoir pas procédé à la sécurisation de leur connexion. Or, les moyens de sécurisation se développent et évoluent constamment, ce qui implique corrélativement l'obligation pour les abonnés de suivre et de s'adapter à ces évolutions.L'obligation ainsi imposée est donc évolutive et de ce fait incompatible avec l'exigence constitutionnelle de sécurité juridique.
Il apparaît par ailleurs que la frontière entre les notions de " piratage " et de " manquement à l'obligation de surveillance de sa connexion internet " n'est pas clairement établie. Le législateur n'a pas procédé à un choix clair en la matière puisque le téléchargement illégal constitue l'infraction recherchée, mais c'est le défaut de sécurisation qui sera juridiquement sanctionné. Or, en tant que tel, ce défaut de sécurisation ne porte préjudice à personne. En définitive, la loi aboutit à créer une confusion entre, d'une part, l'infraction de partage de fichier et, d'autre part, le défaut de sécurisation de la connexion de l'abonné (17). Ainsi, le seul fait de disposer d'une connexion internet constituera un risque juridique qui pèsera sur tout abonné. Ce risque sera considérablement accru dès lors que la connexion sera utilisée par différentes personnes dans le cadre familial, dans le cadre d'une entreprise ou encore d'une collectivité territoriale.

Ainsi, les compétences exercées par la HADOPI prendront appui sur un manquement défini en termes vagues et imprécis, exposant les abonnés à une insécurité juridique permanente incompatible avec les exigences dont vous assurez la protection.
Cet article apparaît ainsi tout à la fois contraire au principe de légalité des délits et des peines et à l'exigence constitutionnelle de sécurité juridique et appelle à ces deux titres la censure de votre juridiction.

______________
(17) Lors de la séance du 1er avril 2009 à l'Assemblée nationale, la ministre expliquait : " La Haute Autorité sanctionne le manquement à l'obligation de surveillance, qui est le fait de l'abonné, et non pas l'acte de contrefaçon, qui est le fait du téléchargeur illégal. Or ces deux infractions peuvent être commises par deux personnes différentes, l'abonné n'étant pas nécessairement le pirate. "


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Version 1

Le caractère flou et imprécis du manquement institué par la loi

L'ensemble du dispositif institué par la présente loi repose sur le manquement à l'obligation de surveillance de l'accès à internet créé par l'article 11 de la loi soumise à votre contrôle.

Or, les termes employés à cet article sont d'une imprécision telle que le manquement défini est édicté en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines et de l'article 34 en vertu duquel " la loi fixe les règles concernant... la détermination des crimes et des délits ainsi que les crimes qui leur sont applicables " (décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000). Votre juridiction a eu l'occasion de rappeler, à de nombreuses reprises, que ces dispositions imposent au législateur l'obligation " de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis " afin " d'exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines " (voir notamment votre décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006).

La création par la loi soumise à votre contrôle d'un délit de " manquement à l'obligation de surveillance " ne répond manifestement pas aux exigences d'une définition " claire et précise " des infractions. Ce manquement consiste en une omission des abonnés qui n'auraient pas mis en œuvre les moyens de surveillance nécessaires afin que leur accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction. Les abonnés seront donc sanctionnés pour n'avoir pas procédé à la sécurisation de leur connexion. Or, les moyens de sécurisation se développent et évoluent constamment, ce qui implique corrélativement l'obligation pour les abonnés de suivre et de s'adapter à ces évolutions.L'obligation ainsi imposée est donc évolutive et de ce fait incompatible avec l'exigence constitutionnelle de sécurité juridique.

Il apparaît par ailleurs que la frontière entre les notions de " piratage " et de " manquement à l'obligation de surveillance de sa connexion internet " n'est pas clairement établie.

Le législateur n'a pas procédé à un choix clair en la matière puisque le téléchargement illégal constitue l'infraction recherchée, mais c'est le défaut de sécurisation qui sera juridiquement sanctionné.

Or, en tant que tel, ce défaut de sécurisation ne porte préjudice à personne. En définitive, la loi aboutit à créer une confusion entre, d'une part, l'infraction de partage de fichier et, d'autre part, le défaut de sécurisation de la connexion de l'abonné (17). Ainsi, le seul fait de disposer d'une connexion internet constituera un risque juridique qui pèsera sur tout abonné. Ce risque sera considérablement accru dès lors que la connexion sera utilisée par différentes personnes dans le cadre familial, dans le cadre d'une entreprise ou encore d'une collectivité territoriale.

Ainsi, les compétences exercées par la HADOPI prendront appui sur un manquement défini en termes vagues et imprécis, exposant les abonnés à une insécurité juridique permanente incompatible avec les exigences dont vous assurez la protection.

Cet article apparaît ainsi tout à la fois contraire au principe de légalité des délits et des peines et à l'exigence constitutionnelle de sécurité juridique et appelle à ces deux titres la censure de votre juridiction.

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(17) Lors de la séance du 1er avril 2009 à l'Assemblée nationale, la ministre expliquait : " La Haute Autorité sanctionne le manquement à l'obligation de surveillance, qui est le fait de l'abonné, et non pas l'acte de contrefaçon, qui est le fait du téléchargeur illégal. Or ces deux infractions peuvent être commises par deux personnes différentes, l'abonné n'étant pas nécessairement le pirate. "