JORF n°0161 du 13 juillet 2021

Ce texte est une simplification générée par une IA.
Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.

Rapport sur les conditions de détention au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses

Résumé Le rapport sur la prison de Toulouse-Seysses montre des conditions de détention très mauvaises, avec trop de détenus, des violences fréquentes et des conditions de vie indignes. Il demande des mesures urgentes pour améliorer la situation. Le rapport critique également l'absence de mesures efficaces pour remédier à ces problèmes et appelle à une action immédiate pour améliorer les conditions de vie des détenus.

L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) permet à cette autorité, lorsqu'elle constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations, de leur impartir un délai pour y répondre et, à l'issue de ce délai, de constater s'il a été mis fin à la violation signalée. S'il l'estime nécessaire, le CGLPL rend immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues. Les présentes recommandations ont été adressées au garde des sceaux, ministre de la justice, et au ministre des solidarités et de la santé. Un délai de deux semaines leur a été imparti pour faire connaître leurs observations, ci-après reproduites.
La visite du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, effectuée par onze contrôleurs du 31 mai au 11 juin 2021, a donné lieu au constat d'un nombre important de dysfonctionnements graves qui permettent de considérer que les conditions de vie des personnes détenues au sein de cet établissement sont indignes.
Cette situation semble être le résultat de la dégradation d'une situation ancienne et connue, la précédente visite du même établissement par le CGLPL en juin 2017 ayant déjà donné lieu à des constats de surpopulation carcérale et de violences.

  1. La surpopulation est dramatiquement élevée et entraîne des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes détenues

La capacité opérationnelle du quartier de la maison d'arrêt des hommes est de 482 places. Au moment du contrôle, l'établissement héberge 898 détenus, soit un taux d'occupation de 186 %. 173 d'entre eux dorment sur un matelas posé sur le sol. La situation est similaire au sein du quartier de la maison d'arrêt des femmes, qui héberge 58 personnes pour une capacité de 40, soit un taux d'occupation de 145 % ; cinq d'entre elles sont contraintes de dormir sur un matelas au sol. Le quartier des arrivants n'est pas épargné puisqu'il compte onze matelas au sol au premier jour du contrôle. Malgré les mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire, il y a toujours eu des matelas au sol au sein de cet établissement - seize en mai 2020.
Le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses compte près de 200 matelas au sol ce qui représente près du quart du nombre de matelas au sol pour l'ensemble des établissements pénitentiaires en France (1). Cette situation est inacceptable.
Depuis la fin de l'année 2020, le nombre de personnes détenues augmente continûment et entraîne une surpopulation plus élevée encore que celle dénoncée par le CGLPL en 2017. Cette surpopulation endémique est connue mais peu questionnée par les acteurs locaux, qu'il s'agisse des magistrats ou du personnel pénitentiaire. Elle est liée à un double facteur : d'une part, un grand nombre d'entrées en détention pour des peines courtes, et d'autre part, des sorties qui pâtissent d'un manque d'organisation.

1.1. Des peines d'emprisonnement nombreuses et courtes

En 2019, hors crise sanitaire, la moyenne mensuelle des arrivées en détention s'élevait à 310 contre 301 sorties.
Ce nombre élevé des arrivées et des départs épuise l'ensemble des services pénitentiaires. Les surveillants sont les premiers à indiquer aux contrôleurs que ce phénomène, dit des « portes tournantes », retire tout sens à leur métier.
La durée moyenne d'incarcération au sein de l'établissement n'est que de 4,5 mois contre une moyenne nationale de 9,7 mois en 2019 (2). Les faits poursuivis sont d'une gravité relative, quoique marqués par la récidive, et sanctionnés par de courtes peines d'emprisonnement. La part des peines de 6 mois ou moins est de 35,2 % en janvier 2021 pour une moyenne nationale de 24 %.
Ces peines sont trop brèves pour être investies par les personnes détenues, a fortiori dans un établissement surpeuplé dans lequel les délais d'attente pour accéder à des activités sont longs. Il doit également être rappelé que la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit pourtant l'aménagement ou la conversion des peines de moins de six mois (3) et leur exécution en milieu ouvert.
Les contrôleurs ont également relevé un lien étroit entre les mesures d'incarcération et les mesures de rétention administrative dont la conjonction entraîne un sur-enfermement des étrangers, aggravé par la crise sanitaire. En 2019, la part des personnes écrouées de nationalité étrangère, pour la plupart en situation irrégulière, était de 26,5 % ; elle s'élève à 36 % en 2020. Début juin 2021, l'établissement comptait 471 personnes détenues de nationalité étrangère, soit une part qui dépasse 40 %. Ces incarcérations sanctionnent généralement des infractions à la législation sur les étrangers. Les contrôleurs ont ainsi relevé, en juin 2021, la condamnation d'une personne à une peine de deux mois d'emprisonnement ferme pour des faits de soustraction à une mesure de reconduite à la frontière. Des personnes étrangères sont régulièrement condamnées en comparution immédiate pour des faits de maintien irrégulier sur le territoire français : plusieurs peines de trois à six mois d'emprisonnement ont ainsi été prononcées avec mandat de dépôt courant mai 2021.

1.2. Les décisions de justice ne tiennent pas compte de la surpopulation carcérale

L'administration pénitentiaire et les magistrats font le constat de la surpopulation sans la prendre en compte ou la mentionner dans leur politique d'octroi de réduction de peine, d'aménagement de peine ou de libération sous contrainte. Aucun rapport du service pénitentiaire d'insertion et de probation, aucun avis de l'administration pénitentiaire et du procureur de la République ou décision de magistrat de l'application des peines dont les contrôleurs ont pris connaissance n'en fait état alors que l'article 707 du code de procédure pénale prévoit que « toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire ».
En 2020, 35 % des détenus du centre pénitentiaire étaient des prévenus (4). Tous les interlocuteurs rencontrés ont indiqué que la mesure d'assignation à résidence sous surveillance électronique n'était pas utilisée.
Le taux d'octroi des libérations sous contrainte est étonnamment faible, de l'ordre de 1 à 3 %, alors même que la loi de programmation de la justice susvisée en a élargi les critères. Certains professionnels en font une interprétation propre, estimant à tort que seul un projet construit permet de fonder une sortie anticipée à ce titre. D'autres assurent, également à tort, qu'une personne en état de récidive doit être exclue du dispositif légal. Les détenus sont mal informés de leurs droits et des possibilités de bénéficier d'un parcours d'exécution de peine. Beaucoup, découragés, ne formulent aucune demande (5).
Dans ce contexte, il est regrettable de relever que le dernier conseil d'évaluation a eu lieu le 13 juin 2018. Chargé d'évaluer les conditions de fonctionnement de l'établissement et de proposer les mesures propres à l'améliorer, il devrait en principe se tenir une fois l'an ; cette lacune contribue à occulter les difficultés structurelles de l'établissement.
Le niveau de la surpopulation carcérale au sein du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses est inacceptable. Il est connu de tous mais aucune mesure n'est mise en œuvre pour y remédier. La suppression immédiate des encellulements à trois et la fin du recours à des matelas au sol doivent être le premier objectif. Des protocoles ayant pour objectif la déflation carcérale, associant les différents acteurs de la chaîne pénale, doivent être mis en place sous la responsabilité des autorités judiciaires.

  1. Les hommes et les femmes détenus dans les quartiers maison d'arrêt vivent dans des conditions de détention indignes au regard des critères de la jurisprudence européenne

Sous l'impulsion de la jurisprudence européenne, et singulièrement de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) JMB contre France (6), les juridictions, administrative et judiciaire, retiennent quatre critères au regard desquels elles examinent la dignité des conditions de détention : l'espace personnel dont les personnes détenues disposent pour vivre, les conditions d'hygiène, le respect de leur intimité et le temps passé en cellule. A l'aune de ces critères, les conditions de détention des personnes détenues au sein des quartiers maison d'arrêt de l'établissement sont susceptibles d'être qualifiées d'indignes.

2.1. Les personnes détenues disposent d'un espace personnel de moins de 3 m2 en cellule pour vivre

Il ressort de la jurisprudence européenne (7) que chaque détenu placé en cellule collective doit bénéficier d'une surface personnelle minimale de 3 m2 hors installations sanitaires. A défaut, ce manque d'espace personnel donne lieu à une présomption de violation de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Lorsqu'il est compris entre 3 et 4 m2, l'espace personnel est considéré comme insuffisant mais d'autres aspects des conditions de détention sont pris en compte - comme le respect des exigences sanitaires et d'hygiène de base, l'aération, le respect de l'intimité dans les toilettes, l'accès à la lumière et à l'air naturels.
Le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, construit pour une capacité théorique de 655 places (8) a, dès son ouverture en 2003, vu ses cellules doublées puis des matelas ajoutés au sol. A ce jour, pratiquement aucun détenu n'est seul en cellule.
L'établissement compte deux types de cellules, respectivement d'une surface de 10,2 m2 et 13,8 m2. Afin de déterminer la surface à disposition de chaque personne pour y vivre, les contrôleurs ont déduit l'espace des sanitaires, les lits superposés, la table, les chaises (deux ou trois selon l'occupation de la cellule), l'étagère, dont la taille diffère selon qu'il s'agit d'une petite ou grande cellule (ou les casiers utilisés comme étagère puisque certaines cellules ne disposent même pas d'un rangement), le réfrigérateur et le cas échéant, le matelas au sol.
Ils observent que dans une cellule de 10,2 m2, il reste 2,70 m2 par personne pour une occupation de deux personnes et 1,28 m2 par personne pour une occupation de trois personnes. Dans une cellule de 13,8 m2, deux personnes peuvent disposer de 4,41 m2 par personne et 2,42 m2 par personne lorsqu'elles sont trois.
Enfin, la suroccupation concerne jusqu'aux trois cellules pour les personnes à mobilité réduite (PMR). Conçues en principe pour permettre aux personnes en situation de handicap et aux soignants de disposer d'un espace suffisant pour se mouvoir, ces cellules sont toutes les trois doublées. Au moment de la visite, la première héberge deux personnes ne présentant pas de handicap apparent ; la deuxième accueille deux personnes dont une en fauteuil roulant ; enfin, la troisième est équipée de deux lits médicalisés et accueille une personne tétraplégique et la seconde en fauteuil roulant sous oxygène. Ces deux personnes n'ont pas suffisamment d'espace pour se mouvoir correctement avec leurs fauteuils.

2.2. Les nuisibles et le manque d'hygiène

Les contrôleurs ont constaté la présence de cafards et de punaises dans les parties communes ainsi que dans les cellules et lits des détenus. Certains détenus ont indiqué s'envelopper étroitement de leur drap la nuit pour éviter que les cafards ne courent sur leur corps. D'autres introduisent du papier toilette dans leurs oreilles pour empêcher que ces insectes y pénètrent pendant leur sommeil.
Des rats courent dans des espaces de promenade jonchés de détritus. Des amas d'ordures s'entassent au pied des bâtiments et ne sont pas ramassés quotidiennement, contrairement à ce qui a été indiqué aux contrôleurs. Un cas de leptospirose (9) a été signalé.
La dégradation des locaux, préoccupante, est aggravée par la surpopulation. Les cellules sont pour la majorité en mauvais état. Les toilettes, souvent bouchées, ne sont pas toujours réparées dans des délais raisonnables. Trois personnes détenues dans une même cellule ont ainsi été contraintes de déféquer dans un seau pendant plusieurs semaines, selon leurs déclarations. L'eau de la douche ne s'évacue pas toujours correctement ; certains détenus tentent de la récupérer à l'aide d'une pelle.
Les cellules PMR sont dans un état grave de vétusté et de délabrement (moisissures aux murs des sanitaires, douche bouchée, porte des sanitaires cassée depuis plus de six mois…). Le matériel médical est entreposé n'importe où, les repas sont pris sur un plateau posé sur les genoux. Le manque de place entrave l'intervention de l'infirmière et la confidentialité des soins n'est pas respectée.
Le manque de personnel de surveillance complique les mouvements et l'accès du partenaire privé aux locaux lorsqu'il doit effectuer les travaux de maintenance. A l'ouverture de l'établissement en 2003, un surveillant par étage était prévu pour cinquante détenus. Au moment de la visite, au quartier de la maison d'arrêt des hommes 1, un surveillant s'occupe de 136 détenus. En maison d'arrêt 2, selon les étages, un surveillant est présent pour 90 à 120 personnes.

2.3. Une absence totale d'intimité

Les portes battantes présentes à l'ouverture de l'établissement pour séparer l'espace de la cellule et celui des sanitaires sont toutes cassées. Il ne subsiste aucun cloisonnement permettant de préserver un minimum d'intimité lorsqu'une personne détenue se lave ou se rend aux toilettes.

2.4. Un temps excessif passé en cellule

Très peu de personnes accèdent à une activité, qu'il s'agisse de formation ou de travail, et les activités sportives et socioculturelles n'ont pas repris depuis mars 2020, à l'exception de quelques heures de sport ne bénéficiant qu'à quelques détenus. Le nombre de places de travail et en formation professionnelle permet à moins de 20 % des personnes détenues de sortir de leur cellule (10), mais lors de la visite, ces activités sont dans leur quasi-totalité à l'arrêt. La plupart des personnes détenues restent ainsi en cellule et bénéficient au mieux d'une heure de promenade par jour. Le climat d'insécurité qui règne en détention conduit certains à ne pas se rendre en promenade ou à ne s'y rendre qu'en semaine (11).
Le temps passé en cellule avoisine donc les 22 heures par jour, et plus pour les personnes vulnérables ou craignant pour leur sécurité.
La rénovation de la maison d'arrêt constitue une urgence, notamment en ce qui concerne les locaux d'hébergement, le mobilier et les sanitaires. Des mesures de dératisation et de désinsectisation d'une ampleur adaptée à la situation, avec obligation de résultat, doivent être mises en œuvre immédiatement. Le traitement de la surpopulation et la mise en place d'activités doivent permettre d'assurer aux personnes détenues des conditions de vie dignes.

  1. L'intégrité physique des personnes détenues n'est pas assurée

La dignité des conditions de détention ne se résume pas aux conditions matérielles d'hébergement. Elle dépend également étroitement de la prise en charge des détenus et de la capacité des services auxquels ils sont confiés à garantir le respect de leurs droits et d'assurer la protection de leur intégrité physique.

3.1. Un climat de violences et d'insécurité permanent
3.1.1. De graves carences dans le traitement des violences entre détenus

Chaque année sont décomptées environ 150 interventions pour des violences entre personnes détenues. Les incidents et violences, quotidiens au dire de tous, ne sont pas systématiquement tracés dans GENESIS, de sorte que les difficultés sont insuffisamment répertoriées, analysées et traitées. Aucun travail de prévention ou de règlement des conflits n'est mis en place.
De nombreux détenus ont témoigné de ce climat de violence généralisé, en cellule et dans les cours de promenade où les agressions sont fréquentes, parfois commises en réunion, parfois avec des armes artisanales. Peu avant l'arrivée des contrôleurs, un détenu a été blessé par une arme artisanale durant son sommeil. Pendant le contrôle, des détenus se sont battus en cellule ; un autre a été sérieusement blessé à l'aide d'une arme artisanale lors de la promenade. Selon les témoignages recueillis, les surveillants n'entrent pas en cours de promenade mais attendent que la victime soit ramenée par d'autres détenus ou se déplace à l'entrée pour l'extraire. Par crainte des agressions, de trop nombreuses personnes ne sortent plus de leur cellule.

3.1.2. Les violences entre détenus et surveillants

La surpopulation et l'inactivité forcée des détenus, dont un nombre important parle peu ou mal le français et sont livrés à eux-mêmes, entraînent d'inévitables tensions.
L'exercice du métier de surveillant dans ces conditions est d'une évidente difficulté. Le personnel de surveillance n'est aucunement placé dans des conditions lui permettant de mobiliser les pratiques professionnelles qui lui sont enseignées et recommandées par la direction de l'administration pénitentiaire, notamment dans le cadre des politiques de prévention des violences.
D'après les éléments recueillis sur place, en 2020, l'établissement décomptait 64 agressions physiques de personnes détenues sur surveillants, et 114 faits de violences verbales.
Les contrôleurs ont également recueilli des témoignages nombreux et concordants de personnes détenues dénonçant des recours excessifs à la force et des violences de la part de surveillants. Des entretiens avec des professionnels l'ont confirmé. Une très large majorité des personnes détenues entendues par les contrôleurs fait état de violences verbales habituelles - injures, menaces, brimades. Les détenus indiquent ne pas oser porter plainte par crainte de représailles.
Privés d'autonomie, les détenus sont en effet tributaires de la disponibilité et de la bonne volonté du personnel, qui peut décider de ne pas prendre en compte une demande, ne pas transmettre un courrier, faire patienter des heures puis de refuser un déplacement vers le parloir ou tout autre rendez-vous, même médical.
L'ambiance en détention est délétère. La direction de l'établissement s'y rend trop rarement et n'y est pas identifiée, n'effectuant qu'exceptionnellement des entretiens avec les détenus. Le plan d'objectifs prioritaires de la structure prévoit la mise en place d'un comité de pilotage par semestre sur les violences, ainsi que la rédaction d'une procédure de saisie et de suivi des causes des violences dans GENESIS. Un tableau des incidents est dressé, ce qui semble totalement insuffisant et bien peu concret pour assurer la sécurité de tous.
Afin de mettre un terme au climat de violence qui règne dans l'établissement, la direction doit être plus présente en détention et assurer un contrôle. Toute allégation de violence doit être recensée, tracée et faire l'objet d'un contrôle systématique par la direction. Des mesures immédiates doivent être prises, en particulier par la diffusion de consignes, la mise en place d'actions de formation et par un renforcement de l'encadrement.

3.2. Des conditions d'accès aux soins dégradées, qui ne garantissent pas la protection de l'intégrité physique des détenus

La protection de l'intégrité physique des personnes détenues au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses est par surcroit gravement compromise par les dysfonctionnements affectant leur accès aux soins en milieu hospitalier.

3.2.1. L'accès aux soins des personnes détenues n'est pas assuré

L'accès aux soins des personnes détenues est un droit constitutionnellement garanti au titre de la protection de la santé (12) ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui en fait une des composantes de la protection contre les traitements inhumains ou dégradants garantie par l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 en réaffirme le principe dans son article 46 aux termes duquel « la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population ».
Toute atteinte au principe de l'accès aux soins est susceptible d'entraîner une perte de chance, parfois vitale, pour les personnes concernées, voire de caractériser un déni de soins. Les constats effectués par le CGLPL à ce titre au sein du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses sont particulièrement préoccupants.
La diminution importante des extractions médicales, actée fin 2015 lors de la renégociation du contrat national de l'administration pénitentiaire avec l'entreprise SODEXO a déjà été dénoncée dans le rapport de la visite réalisée en juin 2017 par le CGLPL. L'établissement est passé de cinq à quatre, puis à un seul véhicule par jour pour les extractions médicales. Deux extractions sont possibles par jour ouvré, ce qui entraîne des retards de soins.
La situation, connue tant des personnes détenues que des soignants, a pour effet direct la diminution des demandes d'extractions pour les consultations et examens programmés (plus de 10 % entre 2017 et 2019), les premières renonçant à les solliciter tandis que les seconds hésitent à les prescrire. Un rendez-vous programmé est toujours susceptible d'être annulé au dernier moment en cas d'extraction urgente et imprévue ; le taux d'annulation, en augmentation, oscille entre 51 et 56 %. Toutes extractions décomptées, ce sont plus de 65 % des besoins qui ne sont pas satisfaits faute de moyen de transport.
Il en résulte également une prise en charge défaillante dans certaines disciplines spécialisées comme l'ophtalmologie, la neurologie ou la chirurgie orthopédique. Le départ de ces praticiens spécialistes intervenant précédemment à l'unité sanitaire et n'ayant pas été remplacés, n'a pu être compensé par des consultations ou examens au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse faute d'extraction possible. Le nombre de consultations spécialisées a chuté de plus de 70 % en dix ans nonobstant une augmentation de 20 % des consultations au sein de l'unité sanitaire.
Enfin, la troisième conséquence est l'impact direct sur la santé des détenus. Ces pertes de chance ont été largement documentées par le responsable de l'unité de soins somatiques, l'ensemble des autorités concernées (sanitaires, pénitentiaires et judiciaires) en ayant été informées.
Plusieurs cas ont été rapportés aux contrôleurs pour illustrer cet état de fait : celui d'un anévrisme cérébral diagnostiqué et rompu avant chirurgie par retard de prise en charge. Celui d'une suspicion de tumeur pulmonaire, pour laquelle la demande de scanner a été annulée plusieurs fois, entraînant un retard de soin. D'autres cas ont été évoqués : des retards de fibroscopie gastrique devant un syndrome ulcéreux et l'absence d'échographie dans les 48 heures d'une colique néphrétique. Ce mode de fonctionnement dégradé induit pour les patients des conséquences potentiellement graves, mais aussi une lassitude des équipes médicales et soignantes. Cette situation s'est en outre aggravée depuis le début de l'année en raison de la présence dans l'établissement de trois patients dont l'état requiert des séances de dialyse régulières nécessitant neuf extractions médicales impératives chaque semaine.
Malgré les alertes régulièrement lancées depuis presque cinq ans par le responsable de l'unité sanitaire, les autorités pénitentiaires, judicaires et sanitaires n'ont pris aucune mesure pour remédier à cette situation.

3.2.2. Aucune mesure n'est mise en place pour tenter d'y remédier

Le CHU de Toulouse ne semble pas en avoir pris toute la mesure des risques graves que cette situation fait courir aux patients. Cet établissement, pourtant pilote depuis de nombreuses années en matière de télémédecine, n'a pas cherché à la mettre en place au bénéfice des détenus, alors même que l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire est l'un de ses services. Non seulement cette abstention contribue au risque de perte de chance auquel sont exposés les patients détenus du fait des carences affectant leur prise en charge, mais elle entraîne également une inégalité de traitement entre ces derniers et les patients libres.
De manière plus générale, l'établissement a pris un retard important dans l'informatisation du fonctionnement de l'unité de soins. Il n'existe pas de dossier médical informatisé, d'actes de consultation à distance, pharmaceutiques et iconographiques (d'autant que le CHU dispose d'un dispositif de transmission de données) et l'absence de possibilité de staffs cliniques en visioconférence ne permet pas d'améliorer cette situation. La mobilisation de ces moyens technologiques permettrait de pallier certaines des insuffisances observées.
Une prise en charge médicale somatique adaptée aux besoins et droits des patients détenus doit être mise en place sans délai. L'ensemble des moyens légaux susceptibles d'assurer l'accès aux soins (permission de sortir, libération conditionnelle, suspension de peine) doit être mis en œuvre. Les extractions médicales nécessaires doivent être assurées.

Conclusion

Le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses doit faire l'objet, d'une part, de mesures urgentes concernant la surpopulation pénale, la rénovation des cellules, la désinfection, l'accès aux soins somatiques et, d'autre part, d'une reprise en mains du fonctionnement de l'établissement, notamment pour faire cesser le climat de violence ainsi que de garantir au personnel des conditions normales d'exercice de sa mission et aux détenus le respect de leur dignité, de leur intégrité physique et de leurs droits fondamentaux. Il est demandé aux ministres de la justice et de la santé de faire procéder à une inspection approfondie de l'établissement et d'informer le CGLPL de ses conclusions ainsi que du suivi du plan d'action qui en découlera.

(1) 850 matelas au sol à la date du 1er mai 2021, Statistique des établissements des personnes écrouées en France, 1er mai 2021, ministère de la justice, direction de l'administration pénitentiaire, bureau de la donnée.

(2) Cette moyenne concerne à l'ensemble des établissements pénitentiaires.

(3) L'article 747-1 du code de procédure pénale organise la conversion de la peine.

(4) 30 % en 2019.

(5) C'est notamment le cas des personnes non-francophones.

(6) CEDH, arrêt du 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15.

(7) CEDH, arrêt du 20 octobre 2016, Mursic c. Croatie, n° 7334/13, §§ 136 à 140 ; arrêt du 30 janvier 2020, JMB et autres c. France, n° 9672/15, §§ 256 et 257.

(8) Auxquelles s'ajoutent 101 places au sein du quartier semi-liberté.

(9) La leptospirose est une maladie « qui se transmet par l'eau contaminée par les urines de rongeurs […] Elle débute par une forte fièvre avec des frissons, des maux de tête, des nausées, des vomissements, des douleurs musculaires et articulaires. Elle peut évoluer vers une atteinte de différents organes (reins, foie, poumons, cerveau). Dans 20 % des cas, elle se complique. Dans les formes graves, on observe une insuffisance rénale associée à des troubles neurologiques (convulsion, coma) et des hémorragies plus ou moins graves. » Source : Vidal en ligne.

(10) D'après le rapport de 2019 du Conseil économique social et environnemental (CESE) relatif à « la réinsertion des personnes détenues : l'affaire de tous et toutes », 28 % des détenus disposaient d'une activité rémunérée en France.

(11) Le nombre de personnes sur les cours de promenade le week-end est plus important, travailleurs et non-travailleurs n'y étant plus séparés, et les risques de violences sont accrus.

(12) Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, article 11.


Historique des versions

Version 1

L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) permet à cette autorité, lorsqu'elle constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations, de leur impartir un délai pour y répondre et, à l'issue de ce délai, de constater s'il a été mis fin à la violation signalée. S'il l'estime nécessaire, le CGLPL rend immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues. Les présentes recommandations ont été adressées au garde des sceaux, ministre de la justice, et au ministre des solidarités et de la santé. Un délai de deux semaines leur a été imparti pour faire connaître leurs observations, ci-après reproduites.

La visite du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, effectuée par onze contrôleurs du 31 mai au 11 juin 2021, a donné lieu au constat d'un nombre important de dysfonctionnements graves qui permettent de considérer que les conditions de vie des personnes détenues au sein de cet établissement sont indignes.

Cette situation semble être le résultat de la dégradation d'une situation ancienne et connue, la précédente visite du même établissement par le CGLPL en juin 2017 ayant déjà donné lieu à des constats de surpopulation carcérale et de violences.

1. La surpopulation est dramatiquement élevée et entraîne des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes détenues

La capacité opérationnelle du quartier de la maison d'arrêt des hommes est de 482 places. Au moment du contrôle, l'établissement héberge 898 détenus, soit un taux d'occupation de 186 %. 173 d'entre eux dorment sur un matelas posé sur le sol. La situation est similaire au sein du quartier de la maison d'arrêt des femmes, qui héberge 58 personnes pour une capacité de 40, soit un taux d'occupation de 145 % ; cinq d'entre elles sont contraintes de dormir sur un matelas au sol. Le quartier des arrivants n'est pas épargné puisqu'il compte onze matelas au sol au premier jour du contrôle. Malgré les mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire, il y a toujours eu des matelas au sol au sein de cet établissement - seize en mai 2020.

Le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses compte près de 200 matelas au sol ce qui représente près du quart du nombre de matelas au sol pour l'ensemble des établissements pénitentiaires en France (1). Cette situation est inacceptable.

Depuis la fin de l'année 2020, le nombre de personnes détenues augmente continûment et entraîne une surpopulation plus élevée encore que celle dénoncée par le CGLPL en 2017. Cette surpopulation endémique est connue mais peu questionnée par les acteurs locaux, qu'il s'agisse des magistrats ou du personnel pénitentiaire. Elle est liée à un double facteur : d'une part, un grand nombre d'entrées en détention pour des peines courtes, et d'autre part, des sorties qui pâtissent d'un manque d'organisation.

1.1. Des peines d'emprisonnement nombreuses et courtes

En 2019, hors crise sanitaire, la moyenne mensuelle des arrivées en détention s'élevait à 310 contre 301 sorties.

Ce nombre élevé des arrivées et des départs épuise l'ensemble des services pénitentiaires. Les surveillants sont les premiers à indiquer aux contrôleurs que ce phénomène, dit des « portes tournantes », retire tout sens à leur métier.

La durée moyenne d'incarcération au sein de l'établissement n'est que de 4,5 mois contre une moyenne nationale de 9,7 mois en 2019 (2). Les faits poursuivis sont d'une gravité relative, quoique marqués par la récidive, et sanctionnés par de courtes peines d'emprisonnement. La part des peines de 6 mois ou moins est de 35,2 % en janvier 2021 pour une moyenne nationale de 24 %.

Ces peines sont trop brèves pour être investies par les personnes détenues, a fortiori dans un établissement surpeuplé dans lequel les délais d'attente pour accéder à des activités sont longs. Il doit également être rappelé que la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit pourtant l'aménagement ou la conversion des peines de moins de six mois (3) et leur exécution en milieu ouvert.

Les contrôleurs ont également relevé un lien étroit entre les mesures d'incarcération et les mesures de rétention administrative dont la conjonction entraîne un sur-enfermement des étrangers, aggravé par la crise sanitaire. En 2019, la part des personnes écrouées de nationalité étrangère, pour la plupart en situation irrégulière, était de 26,5 % ; elle s'élève à 36 % en 2020. Début juin 2021, l'établissement comptait 471 personnes détenues de nationalité étrangère, soit une part qui dépasse 40 %. Ces incarcérations sanctionnent généralement des infractions à la législation sur les étrangers. Les contrôleurs ont ainsi relevé, en juin 2021, la condamnation d'une personne à une peine de deux mois d'emprisonnement ferme pour des faits de soustraction à une mesure de reconduite à la frontière. Des personnes étrangères sont régulièrement condamnées en comparution immédiate pour des faits de maintien irrégulier sur le territoire français : plusieurs peines de trois à six mois d'emprisonnement ont ainsi été prononcées avec mandat de dépôt courant mai 2021.

1.2. Les décisions de justice ne tiennent pas compte de la surpopulation carcérale

L'administration pénitentiaire et les magistrats font le constat de la surpopulation sans la prendre en compte ou la mentionner dans leur politique d'octroi de réduction de peine, d'aménagement de peine ou de libération sous contrainte. Aucun rapport du service pénitentiaire d'insertion et de probation, aucun avis de l'administration pénitentiaire et du procureur de la République ou décision de magistrat de l'application des peines dont les contrôleurs ont pris connaissance n'en fait état alors que l'article 707 du code de procédure pénale prévoit que « toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire ».

En 2020, 35 % des détenus du centre pénitentiaire étaient des prévenus (4). Tous les interlocuteurs rencontrés ont indiqué que la mesure d'assignation à résidence sous surveillance électronique n'était pas utilisée.

Le taux d'octroi des libérations sous contrainte est étonnamment faible, de l'ordre de 1 à 3 %, alors même que la loi de programmation de la justice susvisée en a élargi les critères. Certains professionnels en font une interprétation propre, estimant à tort que seul un projet construit permet de fonder une sortie anticipée à ce titre. D'autres assurent, également à tort, qu'une personne en état de récidive doit être exclue du dispositif légal. Les détenus sont mal informés de leurs droits et des possibilités de bénéficier d'un parcours d'exécution de peine. Beaucoup, découragés, ne formulent aucune demande (5).

Dans ce contexte, il est regrettable de relever que le dernier conseil d'évaluation a eu lieu le 13 juin 2018. Chargé d'évaluer les conditions de fonctionnement de l'établissement et de proposer les mesures propres à l'améliorer, il devrait en principe se tenir une fois l'an ; cette lacune contribue à occulter les difficultés structurelles de l'établissement.

Le niveau de la surpopulation carcérale au sein du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses est inacceptable. Il est connu de tous mais aucune mesure n'est mise en œuvre pour y remédier. La suppression immédiate des encellulements à trois et la fin du recours à des matelas au sol doivent être le premier objectif. Des protocoles ayant pour objectif la déflation carcérale, associant les différents acteurs de la chaîne pénale, doivent être mis en place sous la responsabilité des autorités judiciaires.

2. Les hommes et les femmes détenus dans les quartiers maison d'arrêt vivent dans des conditions de détention indignes au regard des critères de la jurisprudence européenne

Sous l'impulsion de la jurisprudence européenne, et singulièrement de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) JMB contre France (6), les juridictions, administrative et judiciaire, retiennent quatre critères au regard desquels elles examinent la dignité des conditions de détention : l'espace personnel dont les personnes détenues disposent pour vivre, les conditions d'hygiène, le respect de leur intimité et le temps passé en cellule. A l'aune de ces critères, les conditions de détention des personnes détenues au sein des quartiers maison d'arrêt de l'établissement sont susceptibles d'être qualifiées d'indignes.

2.1. Les personnes détenues disposent d'un espace personnel de moins de 3 m2 en cellule pour vivre

Il ressort de la jurisprudence européenne (7) que chaque détenu placé en cellule collective doit bénéficier d'une surface personnelle minimale de 3 m2 hors installations sanitaires. A défaut, ce manque d'espace personnel donne lieu à une présomption de violation de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Lorsqu'il est compris entre 3 et 4 m2, l'espace personnel est considéré comme insuffisant mais d'autres aspects des conditions de détention sont pris en compte - comme le respect des exigences sanitaires et d'hygiène de base, l'aération, le respect de l'intimité dans les toilettes, l'accès à la lumière et à l'air naturels.

Le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, construit pour une capacité théorique de 655 places (8) a, dès son ouverture en 2003, vu ses cellules doublées puis des matelas ajoutés au sol. A ce jour, pratiquement aucun détenu n'est seul en cellule.

L'établissement compte deux types de cellules, respectivement d'une surface de 10,2 m2 et 13,8 m2. Afin de déterminer la surface à disposition de chaque personne pour y vivre, les contrôleurs ont déduit l'espace des sanitaires, les lits superposés, la table, les chaises (deux ou trois selon l'occupation de la cellule), l'étagère, dont la taille diffère selon qu'il s'agit d'une petite ou grande cellule (ou les casiers utilisés comme étagère puisque certaines cellules ne disposent même pas d'un rangement), le réfrigérateur et le cas échéant, le matelas au sol.

Ils observent que dans une cellule de 10,2 m2, il reste 2,70 m2 par personne pour une occupation de deux personnes et 1,28 m2 par personne pour une occupation de trois personnes. Dans une cellule de 13,8 m2, deux personnes peuvent disposer de 4,41 m2 par personne et 2,42 m2 par personne lorsqu'elles sont trois.

Enfin, la suroccupation concerne jusqu'aux trois cellules pour les personnes à mobilité réduite (PMR). Conçues en principe pour permettre aux personnes en situation de handicap et aux soignants de disposer d'un espace suffisant pour se mouvoir, ces cellules sont toutes les trois doublées. Au moment de la visite, la première héberge deux personnes ne présentant pas de handicap apparent ; la deuxième accueille deux personnes dont une en fauteuil roulant ; enfin, la troisième est équipée de deux lits médicalisés et accueille une personne tétraplégique et la seconde en fauteuil roulant sous oxygène. Ces deux personnes n'ont pas suffisamment d'espace pour se mouvoir correctement avec leurs fauteuils.

2.2. Les nuisibles et le manque d'hygiène

Les contrôleurs ont constaté la présence de cafards et de punaises dans les parties communes ainsi que dans les cellules et lits des détenus. Certains détenus ont indiqué s'envelopper étroitement de leur drap la nuit pour éviter que les cafards ne courent sur leur corps. D'autres introduisent du papier toilette dans leurs oreilles pour empêcher que ces insectes y pénètrent pendant leur sommeil.

Des rats courent dans des espaces de promenade jonchés de détritus. Des amas d'ordures s'entassent au pied des bâtiments et ne sont pas ramassés quotidiennement, contrairement à ce qui a été indiqué aux contrôleurs. Un cas de leptospirose (9) a été signalé.

La dégradation des locaux, préoccupante, est aggravée par la surpopulation. Les cellules sont pour la majorité en mauvais état. Les toilettes, souvent bouchées, ne sont pas toujours réparées dans des délais raisonnables. Trois personnes détenues dans une même cellule ont ainsi été contraintes de déféquer dans un seau pendant plusieurs semaines, selon leurs déclarations. L'eau de la douche ne s'évacue pas toujours correctement ; certains détenus tentent de la récupérer à l'aide d'une pelle.

Les cellules PMR sont dans un état grave de vétusté et de délabrement (moisissures aux murs des sanitaires, douche bouchée, porte des sanitaires cassée depuis plus de six mois…). Le matériel médical est entreposé n'importe où, les repas sont pris sur un plateau posé sur les genoux. Le manque de place entrave l'intervention de l'infirmière et la confidentialité des soins n'est pas respectée.

Le manque de personnel de surveillance complique les mouvements et l'accès du partenaire privé aux locaux lorsqu'il doit effectuer les travaux de maintenance. A l'ouverture de l'établissement en 2003, un surveillant par étage était prévu pour cinquante détenus. Au moment de la visite, au quartier de la maison d'arrêt des hommes 1, un surveillant s'occupe de 136 détenus. En maison d'arrêt 2, selon les étages, un surveillant est présent pour 90 à 120 personnes.

2.3. Une absence totale d'intimité

Les portes battantes présentes à l'ouverture de l'établissement pour séparer l'espace de la cellule et celui des sanitaires sont toutes cassées. Il ne subsiste aucun cloisonnement permettant de préserver un minimum d'intimité lorsqu'une personne détenue se lave ou se rend aux toilettes.

2.4. Un temps excessif passé en cellule

Très peu de personnes accèdent à une activité, qu'il s'agisse de formation ou de travail, et les activités sportives et socioculturelles n'ont pas repris depuis mars 2020, à l'exception de quelques heures de sport ne bénéficiant qu'à quelques détenus. Le nombre de places de travail et en formation professionnelle permet à moins de 20 % des personnes détenues de sortir de leur cellule (10), mais lors de la visite, ces activités sont dans leur quasi-totalité à l'arrêt. La plupart des personnes détenues restent ainsi en cellule et bénéficient au mieux d'une heure de promenade par jour. Le climat d'insécurité qui règne en détention conduit certains à ne pas se rendre en promenade ou à ne s'y rendre qu'en semaine (11).

Le temps passé en cellule avoisine donc les 22 heures par jour, et plus pour les personnes vulnérables ou craignant pour leur sécurité.

La rénovation de la maison d'arrêt constitue une urgence, notamment en ce qui concerne les locaux d'hébergement, le mobilier et les sanitaires. Des mesures de dératisation et de désinsectisation d'une ampleur adaptée à la situation, avec obligation de résultat, doivent être mises en œuvre immédiatement. Le traitement de la surpopulation et la mise en place d'activités doivent permettre d'assurer aux personnes détenues des conditions de vie dignes.

3. L'intégrité physique des personnes détenues n'est pas assurée

La dignité des conditions de détention ne se résume pas aux conditions matérielles d'hébergement. Elle dépend également étroitement de la prise en charge des détenus et de la capacité des services auxquels ils sont confiés à garantir le respect de leurs droits et d'assurer la protection de leur intégrité physique.

3.1. Un climat de violences et d'insécurité permanent

3.1.1. De graves carences dans le traitement des violences entre détenus

Chaque année sont décomptées environ 150 interventions pour des violences entre personnes détenues. Les incidents et violences, quotidiens au dire de tous, ne sont pas systématiquement tracés dans GENESIS, de sorte que les difficultés sont insuffisamment répertoriées, analysées et traitées. Aucun travail de prévention ou de règlement des conflits n'est mis en place.

De nombreux détenus ont témoigné de ce climat de violence généralisé, en cellule et dans les cours de promenade où les agressions sont fréquentes, parfois commises en réunion, parfois avec des armes artisanales. Peu avant l'arrivée des contrôleurs, un détenu a été blessé par une arme artisanale durant son sommeil. Pendant le contrôle, des détenus se sont battus en cellule ; un autre a été sérieusement blessé à l'aide d'une arme artisanale lors de la promenade. Selon les témoignages recueillis, les surveillants n'entrent pas en cours de promenade mais attendent que la victime soit ramenée par d'autres détenus ou se déplace à l'entrée pour l'extraire. Par crainte des agressions, de trop nombreuses personnes ne sortent plus de leur cellule.

3.1.2. Les violences entre détenus et surveillants

La surpopulation et l'inactivité forcée des détenus, dont un nombre important parle peu ou mal le français et sont livrés à eux-mêmes, entraînent d'inévitables tensions.

L'exercice du métier de surveillant dans ces conditions est d'une évidente difficulté. Le personnel de surveillance n'est aucunement placé dans des conditions lui permettant de mobiliser les pratiques professionnelles qui lui sont enseignées et recommandées par la direction de l'administration pénitentiaire, notamment dans le cadre des politiques de prévention des violences.

D'après les éléments recueillis sur place, en 2020, l'établissement décomptait 64 agressions physiques de personnes détenues sur surveillants, et 114 faits de violences verbales.

Les contrôleurs ont également recueilli des témoignages nombreux et concordants de personnes détenues dénonçant des recours excessifs à la force et des violences de la part de surveillants. Des entretiens avec des professionnels l'ont confirmé. Une très large majorité des personnes détenues entendues par les contrôleurs fait état de violences verbales habituelles - injures, menaces, brimades. Les détenus indiquent ne pas oser porter plainte par crainte de représailles.

Privés d'autonomie, les détenus sont en effet tributaires de la disponibilité et de la bonne volonté du personnel, qui peut décider de ne pas prendre en compte une demande, ne pas transmettre un courrier, faire patienter des heures puis de refuser un déplacement vers le parloir ou tout autre rendez-vous, même médical.

L'ambiance en détention est délétère. La direction de l'établissement s'y rend trop rarement et n'y est pas identifiée, n'effectuant qu'exceptionnellement des entretiens avec les détenus. Le plan d'objectifs prioritaires de la structure prévoit la mise en place d'un comité de pilotage par semestre sur les violences, ainsi que la rédaction d'une procédure de saisie et de suivi des causes des violences dans GENESIS. Un tableau des incidents est dressé, ce qui semble totalement insuffisant et bien peu concret pour assurer la sécurité de tous.

Afin de mettre un terme au climat de violence qui règne dans l'établissement, la direction doit être plus présente en détention et assurer un contrôle. Toute allégation de violence doit être recensée, tracée et faire l'objet d'un contrôle systématique par la direction. Des mesures immédiates doivent être prises, en particulier par la diffusion de consignes, la mise en place d'actions de formation et par un renforcement de l'encadrement.

3.2. Des conditions d'accès aux soins dégradées, qui ne garantissent pas la protection de l'intégrité physique des détenus

La protection de l'intégrité physique des personnes détenues au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses est par surcroit gravement compromise par les dysfonctionnements affectant leur accès aux soins en milieu hospitalier.

3.2.1. L'accès aux soins des personnes détenues n'est pas assuré

L'accès aux soins des personnes détenues est un droit constitutionnellement garanti au titre de la protection de la santé (12) ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui en fait une des composantes de la protection contre les traitements inhumains ou dégradants garantie par l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 en réaffirme le principe dans son article 46 aux termes duquel « la qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population ».

Toute atteinte au principe de l'accès aux soins est susceptible d'entraîner une perte de chance, parfois vitale, pour les personnes concernées, voire de caractériser un déni de soins. Les constats effectués par le CGLPL à ce titre au sein du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses sont particulièrement préoccupants.

La diminution importante des extractions médicales, actée fin 2015 lors de la renégociation du contrat national de l'administration pénitentiaire avec l'entreprise SODEXO a déjà été dénoncée dans le rapport de la visite réalisée en juin 2017 par le CGLPL. L'établissement est passé de cinq à quatre, puis à un seul véhicule par jour pour les extractions médicales. Deux extractions sont possibles par jour ouvré, ce qui entraîne des retards de soins.

La situation, connue tant des personnes détenues que des soignants, a pour effet direct la diminution des demandes d'extractions pour les consultations et examens programmés (plus de 10 % entre 2017 et 2019), les premières renonçant à les solliciter tandis que les seconds hésitent à les prescrire. Un rendez-vous programmé est toujours susceptible d'être annulé au dernier moment en cas d'extraction urgente et imprévue ; le taux d'annulation, en augmentation, oscille entre 51 et 56 %. Toutes extractions décomptées, ce sont plus de 65 % des besoins qui ne sont pas satisfaits faute de moyen de transport.

Il en résulte également une prise en charge défaillante dans certaines disciplines spécialisées comme l'ophtalmologie, la neurologie ou la chirurgie orthopédique. Le départ de ces praticiens spécialistes intervenant précédemment à l'unité sanitaire et n'ayant pas été remplacés, n'a pu être compensé par des consultations ou examens au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse faute d'extraction possible. Le nombre de consultations spécialisées a chuté de plus de 70 % en dix ans nonobstant une augmentation de 20 % des consultations au sein de l'unité sanitaire.

Enfin, la troisième conséquence est l'impact direct sur la santé des détenus. Ces pertes de chance ont été largement documentées par le responsable de l'unité de soins somatiques, l'ensemble des autorités concernées (sanitaires, pénitentiaires et judiciaires) en ayant été informées.

Plusieurs cas ont été rapportés aux contrôleurs pour illustrer cet état de fait : celui d'un anévrisme cérébral diagnostiqué et rompu avant chirurgie par retard de prise en charge. Celui d'une suspicion de tumeur pulmonaire, pour laquelle la demande de scanner a été annulée plusieurs fois, entraînant un retard de soin. D'autres cas ont été évoqués : des retards de fibroscopie gastrique devant un syndrome ulcéreux et l'absence d'échographie dans les 48 heures d'une colique néphrétique. Ce mode de fonctionnement dégradé induit pour les patients des conséquences potentiellement graves, mais aussi une lassitude des équipes médicales et soignantes. Cette situation s'est en outre aggravée depuis le début de l'année en raison de la présence dans l'établissement de trois patients dont l'état requiert des séances de dialyse régulières nécessitant neuf extractions médicales impératives chaque semaine.

Malgré les alertes régulièrement lancées depuis presque cinq ans par le responsable de l'unité sanitaire, les autorités pénitentiaires, judicaires et sanitaires n'ont pris aucune mesure pour remédier à cette situation.

3.2.2. Aucune mesure n'est mise en place pour tenter d'y remédier

Le CHU de Toulouse ne semble pas en avoir pris toute la mesure des risques graves que cette situation fait courir aux patients. Cet établissement, pourtant pilote depuis de nombreuses années en matière de télémédecine, n'a pas cherché à la mettre en place au bénéfice des détenus, alors même que l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire est l'un de ses services. Non seulement cette abstention contribue au risque de perte de chance auquel sont exposés les patients détenus du fait des carences affectant leur prise en charge, mais elle entraîne également une inégalité de traitement entre ces derniers et les patients libres.

De manière plus générale, l'établissement a pris un retard important dans l'informatisation du fonctionnement de l'unité de soins. Il n'existe pas de dossier médical informatisé, d'actes de consultation à distance, pharmaceutiques et iconographiques (d'autant que le CHU dispose d'un dispositif de transmission de données) et l'absence de possibilité de staffs cliniques en visioconférence ne permet pas d'améliorer cette situation. La mobilisation de ces moyens technologiques permettrait de pallier certaines des insuffisances observées.

Une prise en charge médicale somatique adaptée aux besoins et droits des patients détenus doit être mise en place sans délai. L'ensemble des moyens légaux susceptibles d'assurer l'accès aux soins (permission de sortir, libération conditionnelle, suspension de peine) doit être mis en œuvre. Les extractions médicales nécessaires doivent être assurées.

Conclusion

Le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses doit faire l'objet, d'une part, de mesures urgentes concernant la surpopulation pénale, la rénovation des cellules, la désinfection, l'accès aux soins somatiques et, d'autre part, d'une reprise en mains du fonctionnement de l'établissement, notamment pour faire cesser le climat de violence ainsi que de garantir au personnel des conditions normales d'exercice de sa mission et aux détenus le respect de leur dignité, de leur intégrité physique et de leurs droits fondamentaux. Il est demandé aux ministres de la justice et de la santé de faire procéder à une inspection approfondie de l'établissement et d'informer le CGLPL de ses conclusions ainsi que du suivi du plan d'action qui en découlera.

(1) 850 matelas au sol à la date du 1er mai 2021, Statistique des établissements des personnes écrouées en France, 1er mai 2021, ministère de la justice, direction de l'administration pénitentiaire, bureau de la donnée.

(2) Cette moyenne concerne à l'ensemble des établissements pénitentiaires.

(3) L'article 747-1 du code de procédure pénale organise la conversion de la peine.

(4) 30 % en 2019.

(5) C'est notamment le cas des personnes non-francophones.

(6) CEDH, arrêt du 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15.

(7) CEDH, arrêt du 20 octobre 2016, Mursic c. Croatie, n° 7334/13, §§ 136 à 140 ; arrêt du 30 janvier 2020, JMB et autres c. France, n° 9672/15, §§ 256 et 257.

(8) Auxquelles s'ajoutent 101 places au sein du quartier semi-liberté.

(9) La leptospirose est une maladie « qui se transmet par l'eau contaminée par les urines de rongeurs […] Elle débute par une forte fièvre avec des frissons, des maux de tête, des nausées, des vomissements, des douleurs musculaires et articulaires. Elle peut évoluer vers une atteinte de différents organes (reins, foie, poumons, cerveau). Dans 20 % des cas, elle se complique. Dans les formes graves, on observe une insuffisance rénale associée à des troubles neurologiques (convulsion, coma) et des hémorragies plus ou moins graves. » Source : Vidal en ligne.

(10) D'après le rapport de 2019 du Conseil économique social et environnemental (CESE) relatif à « la réinsertion des personnes détenues : l'affaire de tous et toutes », 28 % des détenus disposaient d'une activité rémunérée en France.

(11) Le nombre de personnes sur les cours de promenade le week-end est plus important, travailleurs et non-travailleurs n'y étant plus séparés, et les risques de violences sont accrus.

(12) Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, article 11.