JORF n°0280 du 2 décembre 2008

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie le 12 mars 2007 par M. Simon Sutour, sénateur du Gard, des conditions dans lesquelles un détenu a été victime de violences de la part d'autres détenue le 12 juin 2006, alors qu'il était incarcéré à la maison d'arrêt de Nîmes.
La loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création de la commission fixe sa compétence, ses obligations et ses pouvoirs. Après enquête sur les faits et conformément à l'article 7, alinéa 1er, de cette loi, la commission a adressé ses avis et recommandations au garde des sceaux, le 14 avril 2008, lui demandant, en application du même article, de bien vouloir lui faire connaître la suite donnée à ceux-ci, dans un délai de deux mois. L'intégralité de cet avis, qui porte le numéro 2007-23, et des réponses qu'il a suscitées, est consultable sur le site internet http://www.cnds.fr.
Réunis en séance plénière le 20 octobre 2008, les membres de la commission ont pris connaissance de la réponse du garde des sceaux, datée du 21 juillet 2008. Estimant que plusieurs de leurs propositions n'avaient pas été suivies d'effet, ils ont décidé qu'un rapport spécial sur cette affaire serait adressé au Journal officiel pour publication, conformément à l'article 7, alinéa 3, de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000.
Tel est l'objet du présent rapport qui, après un bref rappel des faits et des constatations de la commission, reprendra ses recommandation, en soulignant toutes celles qui n'ont pas, à son avis, été prises en compte, et en insistant sur celles qui lui paraissent essentielles.
I. ― Les faits et les constatations de la commission :
Poursuivi avec quatre autres personnes dans une affaire de nature criminelle, M. E.M. a été transféré à la maison d'arrêt de Nîmes en mai 2006 pour comparaître devant la cour d'assises du Gard. Condamné le 9 juin suivant à la réclusion criminelle à perpétuité, à l'issue d'un procès très médiatisé, il a fait l'objet, trois jours après, d'une agression préméditée de la part de plusieurs détenus. Au nombre de quatre ou cinq, ceux-ci ont profité de l'ouverture concomitante de plusieurs portes par les surveillants présents à l'étage pour s'introduire dans sa cellule, neutraliser son codétenu, puis frapper M. E.M., tandis que ce dernier se recroquevillait au sol pour tenter de se protéger. A la suite de ces violences et selon un certificat médical établi le jour même, la victime a présenté une ecchymose orbitaire gauche, une plaie punctiforme frontale droite et des contusions thoraciques justifiant une incapacité temporaire totale de travail de trois jours.
Avant d'évoquer la consistance et le nombre des négligences professionnelles ayant favorisé ou suivi cette agression, il convient de rappeler qu'à l'issue du procès puis de ses échos dans la presse, les 9 et 10 juin 2006, des consignes particulières de protection avaient été rédigées, consignes prohibant la présence sur la coursive d'autres détenus lors de l'ouverture des cellules des accusés et prescrivant leur accompagnement systématique lors de leurs déplacements, ainsi que leur surveillance étroite. Ces consignes avaient été largement diffusées, à la fois par affichage et par mentions spécifiques portées sur les cahiers des gradés et surveillants d'étage. Elles complétaient au demeurant une « mise sous surveillance spéciale » inscrite du 6 au 13 juin 2006, à la demande de la direction, sur la fiche de renseignements informatisée concernant la victime, fiche consultable par l'ensemble des agents.
Or ces consignes n'ont pas été respectées et plusieurs manquements fautifs ont, par leur simultanéité ou leur succession, directement favorisé l'agression puis l'impunité de ses auteurs :
― un premier surveillant n'a pas, comme il en avait le devoir, rappelé l'existence de ces consignes particulières au surveillant d'étage, lors de la prise de service des agents placés sous sa responsabilité le jour de l'agression ;
― alors qu'il avait l'obligation de contrôler la bonne exécution des déplacements de détenus à l'intérieur de la détention et qu'il avait autorité pour les suspendre si nécessaire, il a délégué, sans impérieuse nécessité, ses responsabilités propres à un autre agent, lors de l'ouverture des cellules et du lancement du mouvement qui a permis l'agression ;
― durant la conduite de la victime au service médical de la maison d'arrêt, il a traité avec désinvolture les sollicitations du détenu, lui déconseillant notamment de porter plainte et ne lui posant aucune question sur l'agression elle-même et ses auteurs, contrairement aux exigences d'exemplarité et de neutralité explicitement posées par les articles D. 219, alinéa 2, et D. 220 alinéa 3, du code de procédure pénale ;
― le surveillant affecté au deuxième étage de la détention n'a, de son côté, nullement tenu compte des mentions portées sur son propre cahier de consignes ou sur le réseau informatique, et il a ainsi permis l'ouverture simultanée de plusieurs cellules, contrairement aux instructions reçues ;
― il a ensuite tronqué les informations portées à la connaissance de sa hiérarchie et multiplié des déclarations contradictoires et mensongères lors de ses auditions successives ;
― contrairement aux notes de service de la direction, les ouvertures des cellules du deuxième étage de la détention et de la grille palière donnant accès au rez-de-chaussée puis aux cours de promenade ont été effectuées sans coordination entre les trois surveillants présents : aucun d'eux notamment ne s'est posté devant la grille palière, ouverte avant comptage et palpation des détenus, ce qui a permis aux auteurs de l'agression de quitter la coursive et de se fondre dans la masse des détenus en mouvement ;
― enfin, aucun des agents présents n'a estimé devoir figer la situation en suspendant les mouvements en cours juste après les violences et l'alerte donnée, pour permettre le relevé d'identité des détenus déjà sortis de leurs cellules à ce moment-là et faciliter ainsi l'identification des agresseurs de M. E.M.
Les carences de la direction dans le suivi administratif de l'agression sont tout aussi nombreuses et caractérisées :
― en présence de violences commises en réunion et avec préméditation, caractérisant à la fois un délit, passible d'une peine de cinq ans d'emprisonnement, et une faute disciplinaire du premier degré, passible de quarante-cinq jours de cellule disciplinaire, le directeur de la maison d'arrêt aurait dû immédiatement lancer une enquête administrative pour tenter de recueillir toutes informations utiles à l'identification des auteurs de l'agression et des fautes professionnelles qui en avaient permis la réalisation : il ne l'a pas fait ;
― il n'a pas non plus dressé rapport des faits et avisé, directement et sans délai, le procureur de la République, comme la réglementation le lui impose, pour permettre à cette autorité de faire diligenter une enquête de police judiciaire ;
― lors de l'enquête qu'il a enfin effectuée du 16 au 19 juin à la demande de la direction régionale, il ne s'est enquis auprès des personnels entendus ni des raisons du non-respect des consignes particulières édictées à son initiative, ni des motifs d'ouverture de la grille palière sans contrôle ni palpation, contrairement à ses propres instructions ;
― le rapport adressé à la direction régionale le 19 juin par ses soins demeure totalement silencieux sur l'absence de rappel oral et de respect des consignes particulières de protection du détenu blessé par les fonctionnaires placés sous son autorité ;
― il n'a pas cru non plus utile de procéder ou faire procéder à l'audition de la victime et des détenus témoins des faits.
II. - Les recommandations de la commission et leurs suites :
Sur la forme, la commission a, dans son avis du 14 avril 2008, déploré l'absence de réponse du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nîmes aux demandes réitérées de communication de pièces de l'enquête judiciaire qu'elle lui avait adressées les 22 octobre 2007 et 5 mars 2008. Elle a donc souhaité que les termes de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 soient rappelés aux autorités judiciaires susceptibles d'être destinataires de telles demandes.
En définitive, la réponse du procureur de la République lui est parvenue après la transmission de son avis, le 21 avril 2008, et le garde des sceaux s'est engagé à rappeler aux procureurs généraux « l'obligation de répondre avec diligence aux requêtes de la commission et de lui transmettre les pièces demandées ».
Sur le fond, la commission a, en premier lieu, affirmé le caractère exceptionnel, voire unique, de l'avis de certains fonctionnaires interrogés, de l'attaque commando qui a eu lieu le 12 juin 2006 au sein d'un établissement pénitentiaire. Elle a également souligné la multiplicité, la simultanéité et la gravité des manquements par elle relevés, toutes ces caractéristiques rendant indispensables l'engagement de poursuites disciplinaires à l'encontre de chacun des fonctionnaires défaillants et le prononcé de sanctions adéquates.
Il résulte des termes de la réponse du garde des sceaux que :
― seul le surveillant d'étage a comparu devant le conseil de discipline national le 18 juin 2008 et s'est vu infliger une mesure d'exclusion temporaire de cinq jours avec sursis ;
― les deux surveillants qui l'ont assisté ont « fait l'objet d'une lettre d'observations de la part du directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse » ;
― il a simplement été rappelé au directeur de la maison d'arrêt de Nîmes à l'époque des faits « l'obligation de diligenter une enquête administrative sérieuse ».
Au regard de la modestie de ces réactions, de leur évidente disparité avec la gravité toute particulière des manquements fautifs ci-dessus détaillés, la commission considère que ses recommandations n'ont pas été suivies d'effet.
S'agissant du premier surveillant, aucune sanction n'avait été envisagée avant la transmission de l'avis de la commission au ministre de la justice. Au vu des déclarations du gradé à la commission reproduites dans l'avis, le garde des sceaux a estimé devoir le faire comparaître devant le conseil de discipline pour manquement à la neutralité, à l'objectivité et à l'impartialité dans les propos qu'il a tenus à l'égard de la victime.
La commission considère que les poursuites disciplinaires engagées contre ce gradé doivent viser non seulement ses propos et son attitude inacceptables lors de la conduite de la victime au service médical de la maison d'arrêt, mais aussi ses carences dans l'exécution de sa mission d'encadrement, carences qui se sont exprimées, d'une part, dans le non-rappel des consignes aux agents placés sous son contrôle lors de la prise de service, d'autre part, dans la délégation de ses propres responsabilités à un subalterne lors du lancement du mouvement des détenus qui a permis l'agression.
La commission a recommandé enfin de rappeler :
― aux directeurs d'établissements, dans le prolongement des articles 55 et 58 des règles pénitentiaires européennes, que « toute allégation d'infraction pénale commise en prison doit faire l'objet de la même enquête que celle réservée aux actes du même type commis à l'extérieur et doit être traitée conformément au droit interne », c'est-à-dire immédiatement dénoncée au procureur de la République ;
― aux gradés et surveillants que toute attitude discriminatoire à l'égard d'un détenu, pour quelque motif que ce soit, est prohibée, que les consignes doivent être rappelées par les gradés lors de la prise de service et respectées par tous, que les comptes rendus professionnels doivent être complets et dénués d'ambiguïté.
Le garde des sceaux n'a pas jugé ces rappels opportuns, les directeurs d'établissement « ne méconnaissant pas l'obligation de rendre compte au procureur de la République compétent des infractions dont ils ont connaissance, notamment de tout acte de violence », et les enseignements dispensés aux personnels de surveillance et gradés, dans le cadre des formations initiales et continues, mettant « l'accent sur le cadre déontologique dans lequel ils doivent exercer leurs fonctions ».
La commission estime cependant que les multiples manquements relevés à l'occasion de sa saisine démontrent l'utilité d'un rappel général des obligations propres aux agents, gradés et personnels de direction, obligations qui découlent toutes du principe général posé par l'article D. 189 du code de procédure pénale : « à l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale ».
Mais, pour en revenir à l'essentiel, dès lors qu'une expédition punitive préméditée a été menée par des détenus à l'encontre de l'un d'entre eux et dès lors que ses auteurs n'ont pu être identifiés en raison des négligences commises par des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, la commission estime que la multiplicité, la simultanéité et la gravité des fautes relevées laissent supposer, selon toute vraisemblance, une connivence, pour certains de ces agents, avec ces détenus.
Le refus, par le garde des sceaux, de prendre la mesure de l'extrême gravité du comportement de ces fonctionnaires justifie la décision exceptionnelle de la commission d'établir et de faire publier le présent rapport.
Fait à Paris, le 17 novembre 2008.


Historique des versions

Version 1

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie le 12 mars 2007 par M. Simon Sutour, sénateur du Gard, des conditions dans lesquelles un détenu a été victime de violences de la part d'autres détenue le 12 juin 2006, alors qu'il était incarcéré à la maison d'arrêt de Nîmes.

La loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création de la commission fixe sa compétence, ses obligations et ses pouvoirs. Après enquête sur les faits et conformément à l'article 7, alinéa 1er, de cette loi, la commission a adressé ses avis et recommandations au garde des sceaux, le 14 avril 2008, lui demandant, en application du même article, de bien vouloir lui faire connaître la suite donnée à ceux-ci, dans un délai de deux mois. L'intégralité de cet avis, qui porte le numéro 2007-23, et des réponses qu'il a suscitées, est consultable sur le site internet http://www.cnds.fr.

Réunis en séance plénière le 20 octobre 2008, les membres de la commission ont pris connaissance de la réponse du garde des sceaux, datée du 21 juillet 2008. Estimant que plusieurs de leurs propositions n'avaient pas été suivies d'effet, ils ont décidé qu'un rapport spécial sur cette affaire serait adressé au Journal officiel pour publication, conformément à l'article 7, alinéa 3, de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000.

Tel est l'objet du présent rapport qui, après un bref rappel des faits et des constatations de la commission, reprendra ses recommandation, en soulignant toutes celles qui n'ont pas, à son avis, été prises en compte, et en insistant sur celles qui lui paraissent essentielles.

I. ― Les faits et les constatations de la commission :

Poursuivi avec quatre autres personnes dans une affaire de nature criminelle, M. E.M. a été transféré à la maison d'arrêt de Nîmes en mai 2006 pour comparaître devant la cour d'assises du Gard. Condamné le 9 juin suivant à la réclusion criminelle à perpétuité, à l'issue d'un procès très médiatisé, il a fait l'objet, trois jours après, d'une agression préméditée de la part de plusieurs détenus. Au nombre de quatre ou cinq, ceux-ci ont profité de l'ouverture concomitante de plusieurs portes par les surveillants présents à l'étage pour s'introduire dans sa cellule, neutraliser son codétenu, puis frapper M. E.M., tandis que ce dernier se recroquevillait au sol pour tenter de se protéger. A la suite de ces violences et selon un certificat médical établi le jour même, la victime a présenté une ecchymose orbitaire gauche, une plaie punctiforme frontale droite et des contusions thoraciques justifiant une incapacité temporaire totale de travail de trois jours.

Avant d'évoquer la consistance et le nombre des négligences professionnelles ayant favorisé ou suivi cette agression, il convient de rappeler qu'à l'issue du procès puis de ses échos dans la presse, les 9 et 10 juin 2006, des consignes particulières de protection avaient été rédigées, consignes prohibant la présence sur la coursive d'autres détenus lors de l'ouverture des cellules des accusés et prescrivant leur accompagnement systématique lors de leurs déplacements, ainsi que leur surveillance étroite. Ces consignes avaient été largement diffusées, à la fois par affichage et par mentions spécifiques portées sur les cahiers des gradés et surveillants d'étage. Elles complétaient au demeurant une « mise sous surveillance spéciale » inscrite du 6 au 13 juin 2006, à la demande de la direction, sur la fiche de renseignements informatisée concernant la victime, fiche consultable par l'ensemble des agents.

Or ces consignes n'ont pas été respectées et plusieurs manquements fautifs ont, par leur simultanéité ou leur succession, directement favorisé l'agression puis l'impunité de ses auteurs :

― un premier surveillant n'a pas, comme il en avait le devoir, rappelé l'existence de ces consignes particulières au surveillant d'étage, lors de la prise de service des agents placés sous sa responsabilité le jour de l'agression ;

― alors qu'il avait l'obligation de contrôler la bonne exécution des déplacements de détenus à l'intérieur de la détention et qu'il avait autorité pour les suspendre si nécessaire, il a délégué, sans impérieuse nécessité, ses responsabilités propres à un autre agent, lors de l'ouverture des cellules et du lancement du mouvement qui a permis l'agression ;

― durant la conduite de la victime au service médical de la maison d'arrêt, il a traité avec désinvolture les sollicitations du détenu, lui déconseillant notamment de porter plainte et ne lui posant aucune question sur l'agression elle-même et ses auteurs, contrairement aux exigences d'exemplarité et de neutralité explicitement posées par les articles D. 219, alinéa 2, et D. 220 alinéa 3, du code de procédure pénale ;

― le surveillant affecté au deuxième étage de la détention n'a, de son côté, nullement tenu compte des mentions portées sur son propre cahier de consignes ou sur le réseau informatique, et il a ainsi permis l'ouverture simultanée de plusieurs cellules, contrairement aux instructions reçues ;

― il a ensuite tronqué les informations portées à la connaissance de sa hiérarchie et multiplié des déclarations contradictoires et mensongères lors de ses auditions successives ;

― contrairement aux notes de service de la direction, les ouvertures des cellules du deuxième étage de la détention et de la grille palière donnant accès au rez-de-chaussée puis aux cours de promenade ont été effectuées sans coordination entre les trois surveillants présents : aucun d'eux notamment ne s'est posté devant la grille palière, ouverte avant comptage et palpation des détenus, ce qui a permis aux auteurs de l'agression de quitter la coursive et de se fondre dans la masse des détenus en mouvement ;

― enfin, aucun des agents présents n'a estimé devoir figer la situation en suspendant les mouvements en cours juste après les violences et l'alerte donnée, pour permettre le relevé d'identité des détenus déjà sortis de leurs cellules à ce moment-là et faciliter ainsi l'identification des agresseurs de M. E.M.

Les carences de la direction dans le suivi administratif de l'agression sont tout aussi nombreuses et caractérisées :

― en présence de violences commises en réunion et avec préméditation, caractérisant à la fois un délit, passible d'une peine de cinq ans d'emprisonnement, et une faute disciplinaire du premier degré, passible de quarante-cinq jours de cellule disciplinaire, le directeur de la maison d'arrêt aurait dû immédiatement lancer une enquête administrative pour tenter de recueillir toutes informations utiles à l'identification des auteurs de l'agression et des fautes professionnelles qui en avaient permis la réalisation : il ne l'a pas fait ;

― il n'a pas non plus dressé rapport des faits et avisé, directement et sans délai, le procureur de la République, comme la réglementation le lui impose, pour permettre à cette autorité de faire diligenter une enquête de police judiciaire ;

― lors de l'enquête qu'il a enfin effectuée du 16 au 19 juin à la demande de la direction régionale, il ne s'est enquis auprès des personnels entendus ni des raisons du non-respect des consignes particulières édictées à son initiative, ni des motifs d'ouverture de la grille palière sans contrôle ni palpation, contrairement à ses propres instructions ;

― le rapport adressé à la direction régionale le 19 juin par ses soins demeure totalement silencieux sur l'absence de rappel oral et de respect des consignes particulières de protection du détenu blessé par les fonctionnaires placés sous son autorité ;

― il n'a pas cru non plus utile de procéder ou faire procéder à l'audition de la victime et des détenus témoins des faits.

II. - Les recommandations de la commission et leurs suites :

Sur la forme, la commission a, dans son avis du 14 avril 2008, déploré l'absence de réponse du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nîmes aux demandes réitérées de communication de pièces de l'enquête judiciaire qu'elle lui avait adressées les 22 octobre 2007 et 5 mars 2008. Elle a donc souhaité que les termes de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 soient rappelés aux autorités judiciaires susceptibles d'être destinataires de telles demandes.

En définitive, la réponse du procureur de la République lui est parvenue après la transmission de son avis, le 21 avril 2008, et le garde des sceaux s'est engagé à rappeler aux procureurs généraux « l'obligation de répondre avec diligence aux requêtes de la commission et de lui transmettre les pièces demandées ».

Sur le fond, la commission a, en premier lieu, affirmé le caractère exceptionnel, voire unique, de l'avis de certains fonctionnaires interrogés, de l'attaque commando qui a eu lieu le 12 juin 2006 au sein d'un établissement pénitentiaire. Elle a également souligné la multiplicité, la simultanéité et la gravité des manquements par elle relevés, toutes ces caractéristiques rendant indispensables l'engagement de poursuites disciplinaires à l'encontre de chacun des fonctionnaires défaillants et le prononcé de sanctions adéquates.

Il résulte des termes de la réponse du garde des sceaux que :

― seul le surveillant d'étage a comparu devant le conseil de discipline national le 18 juin 2008 et s'est vu infliger une mesure d'exclusion temporaire de cinq jours avec sursis ;

― les deux surveillants qui l'ont assisté ont « fait l'objet d'une lettre d'observations de la part du directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse » ;

― il a simplement été rappelé au directeur de la maison d'arrêt de Nîmes à l'époque des faits « l'obligation de diligenter une enquête administrative sérieuse ».

Au regard de la modestie de ces réactions, de leur évidente disparité avec la gravité toute particulière des manquements fautifs ci-dessus détaillés, la commission considère que ses recommandations n'ont pas été suivies d'effet.

S'agissant du premier surveillant, aucune sanction n'avait été envisagée avant la transmission de l'avis de la commission au ministre de la justice. Au vu des déclarations du gradé à la commission reproduites dans l'avis, le garde des sceaux a estimé devoir le faire comparaître devant le conseil de discipline pour manquement à la neutralité, à l'objectivité et à l'impartialité dans les propos qu'il a tenus à l'égard de la victime.

La commission considère que les poursuites disciplinaires engagées contre ce gradé doivent viser non seulement ses propos et son attitude inacceptables lors de la conduite de la victime au service médical de la maison d'arrêt, mais aussi ses carences dans l'exécution de sa mission d'encadrement, carences qui se sont exprimées, d'une part, dans le non-rappel des consignes aux agents placés sous son contrôle lors de la prise de service, d'autre part, dans la délégation de ses propres responsabilités à un subalterne lors du lancement du mouvement des détenus qui a permis l'agression.

La commission a recommandé enfin de rappeler :

― aux directeurs d'établissements, dans le prolongement des articles 55 et 58 des règles pénitentiaires européennes, que « toute allégation d'infraction pénale commise en prison doit faire l'objet de la même enquête que celle réservée aux actes du même type commis à l'extérieur et doit être traitée conformément au droit interne », c'est-à-dire immédiatement dénoncée au procureur de la République ;

― aux gradés et surveillants que toute attitude discriminatoire à l'égard d'un détenu, pour quelque motif que ce soit, est prohibée, que les consignes doivent être rappelées par les gradés lors de la prise de service et respectées par tous, que les comptes rendus professionnels doivent être complets et dénués d'ambiguïté.

Le garde des sceaux n'a pas jugé ces rappels opportuns, les directeurs d'établissement « ne méconnaissant pas l'obligation de rendre compte au procureur de la République compétent des infractions dont ils ont connaissance, notamment de tout acte de violence », et les enseignements dispensés aux personnels de surveillance et gradés, dans le cadre des formations initiales et continues, mettant « l'accent sur le cadre déontologique dans lequel ils doivent exercer leurs fonctions ».

La commission estime cependant que les multiples manquements relevés à l'occasion de sa saisine démontrent l'utilité d'un rappel général des obligations propres aux agents, gradés et personnels de direction, obligations qui découlent toutes du principe général posé par l'article D. 189 du code de procédure pénale : « à l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale ».

Mais, pour en revenir à l'essentiel, dès lors qu'une expédition punitive préméditée a été menée par des détenus à l'encontre de l'un d'entre eux et dès lors que ses auteurs n'ont pu être identifiés en raison des négligences commises par des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, la commission estime que la multiplicité, la simultanéité et la gravité des fautes relevées laissent supposer, selon toute vraisemblance, une connivence, pour certains de ces agents, avec ces détenus.

Le refus, par le garde des sceaux, de prendre la mesure de l'extrême gravité du comportement de ces fonctionnaires justifie la décision exceptionnelle de la commission d'établir et de faire publier le présent rapport.

Fait à Paris, le 17 novembre 2008.