La loi modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, adoptée le 28 juin 2000, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés, qui estiment que plusieurs dispositions de ce texte ne sont pas conformes à la Constitution. Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I. - Sur la procédure d'adoption de la loi
A. - La procédure parlementaire qui a abouti à la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a eu pour origine un projet de loi dont la rédaction a été complétée par une saisine rectificative. Dans sa rédaction initiale, le projet de loi adopté au conseil des ministres du 10 novembre 1998 se bornait à modifier les dispositions du titre III de la loi du 30 septembre 1986 relatif au secteur public de la communication audiovisuelle et à transposer des dispositions de la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989, révisée par la directive 97/36/CE du 30 juin 1997. Ce projet de loi a ensuite été complété par une lettre rectificative, adoptée au conseil des ministres du 19 avril 1999.
Au cours de la discussion parlementaire, des amendements ont été déposés, d'abord à l'initiative de la commission des affaires culturelles du Sénat, puis par le Gouvernement, afin de définir un cadre juridique pour la diffusion d'émissions audiovisuelles en mode numérique par voie hertzienne terrestre.
Pour contester la procédure d'élaboration de la loi, les auteurs de la saisine soutiennent que le projet de lettre rectificative n'a pas été soumis pour avis au Conseil d'Etat, ce qui constituerait une violation de l'article 39 de la Constitution. Ils estiment en outre que les articles relatifs aux services diffusés en mode numérique par voie hertzienne terrestre ont été adoptés en méconnaissance des règles relatives au droit d'amendement, eu égard à l'ampleur et à l'importance des dispositions en cause.
B. - Ces moyens ne sont pas fondés.
Le premier manque en fait. En effet, le projet de lettre rectificative a été examiné par l'assemblée générale du Conseil d'Etat le 15 avril 1999.
Quant au second, il appelle les remarques et précisions suivantes.
- Actuellement, les programmes d'émissions audiovisuelles sont diffusés en mode analogique, ce qui signifie que, sur une bande de fréquence donnée, il n'est possible de transmettre qu'une seule chaîne. Il est donc logique de prévoir, comme c'est le cas aux articles 25 et suivants de la loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction antérieure à la loi soumise au Conseil constitutionnel, que chaque service de communication audiovisuelle par voie hertzienne terrestre (c'est-à-dire, en langage commun, chaque chaîne de télévision ou de radio) doit obtenir l'autorisation d'utiliser à titre exclusif une portion du spectre hertzien.
Le déploiement des technologies numériques va profondément modifier cet état de fait. En effet, la numérisation de l'image et du son va permettre de « comprimer le signal » et, ainsi, de diffuser simultanément plusieurs programmes sur une même bande de fréquences. En l'état actuel de la technique, on estime que six chaînes de télévision pourraient être diffusées sur la portion de spectre hertzien qui est actuellement nécessaire pour retransmettre le programme d'une seule chaîne.
Dès lors, il n'est plus possible de maintenir l'état actuel du droit, aux termes duquel chaque chaîne de télévision ou de radio est autorisée à utiliser pour elle seule une bande de fréquence donnée.
Toutefois, l'élaboration du nouveau cadre juridique qu'implique, à terme, l'évolution des techniques de diffusion exigeait des études préalables, d'autant que la numérisation du signal va profondément modifier le paysage audiovisuel, puisque le nombre de chaînes disponibles par voie hertzienne terrestre passera d'une demi-douzaine à une trentaine. Or, en avril 1999, lorsque le Gouvernement a déposé son projet de loi, complété par la lettre rectificative, les études techniques et les analyses juridiques indispensables n'étaient pas disponibles.
Lors de la discussion du projet de loi en première lecture à l'Assemblée nationale, la ministre de la culture et de la communication annonçait le lancement d'une consultation publique au terme de laquelle le Gouvernement arrêterait sa position sur les différentes questions liées au développement futur de la télévision diffusée en mode numérique.
Cette consultation s'est achevée, en janvier 2000, par un rapport de synthèse rédigé par un groupe de travail que présidait M. Raphaël Hadas-Lebel, conseiller d'Etat.
Lors de la discussion du projet de loi en première lecture devant le Sénat, du 18 au 26 janvier 2000, le rapport de M. Hadas-Lebel venait d'être rendu public et le Gouvernement n'avait pas encore arrêté ses orientations. Sans attendre de connaître celles-ci, la commission des affaires culturelles du Sénat a pris l'initiative d'élaborer un cadre juridique d'ensemble pour la diffusion en mode numérique par voie hertzienne terrestre. Les amendements proposés par la commission furent adoptés par le Sénat malgré l'avis défavorable de la ministre de la culture et de la communication qui avait invoqué la nécessité d'examiner l'ensemble des solutions proposées par le rapport du groupe de travail avant de déterminer le parti à prendre.
C'est dans ces conditions que le Gouvernement, après avoir déterminé les orientations qu'il entendait suivre, a été amené à déposer, lors de la deuxième lecture du projet à l'Assemblée nationale, une série d'amendements ayant pour objet de définir le cadre juridique dans lequel se déploieront les services diffusés en mode numérique par voie hertzienne terrestre.
- Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, en agissant ainsi, le Gouvernement n'a pas excédé les limites inhérentes au droit d'amendement.
D'une part, en effet, le lien entre les dispositions introduites par voie d'amendement et le texte en discussion est manifeste puisqu'il s'agit de faire évoluer le régime d'autorisation des services de communication audiovisuelle pour tenir compte de l'évolution des techniques de diffusion. Ce point n'est d'ailleurs pas contesté par les saisissants.
D'autre part, les adjonctions au texte en discussion ne dépassent nullement, par leur objet ou leur portée, les limites inhérentes au droit d'amendement.
Le régime juridique qui est mis en place pour les services diffusés en mode numérique par voie hertzienne terrestre s'inscrit dans le prolongement du mécanisme d'autorisation prévu par la loi actuellement en vigueur pour les services diffusés en mode analogique. Il se borne à adapter les règles existantes, sans remettre en cause le principe selon lequel il appartient au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'organiser des appels à candidatures et de sélectionner, au vu de critères posés par la loi, les services qui seront autorisés à diffuser leur programme après conclusion d'une convention (cf. art. 30-1 à 30-5 nouveaux de la loi du 30 septembre 1986).
Quant au nombre d'amendements déposés par le Gouvernement, il n'était que de 29 en ce qui concerne les dispositions de fond, les 29 autres amendements ne portant que sur des mesures de coordination rédactionnelle.
Les adjonctions ainsi apportées au texte en discussion ne s'exposent donc pas à la censure. On soulignera, à cet égard, que celle que le Conseil constitutionnel a prononcée par la décision no 86-224 DC du 23 janvier 1987, dont se prévalent les requérants, visait un cas très particulier relevant de la notion de détournement de procédure. Depuis lors, la jurisprudence a admis qu'un texte fasse l'objet d'amendements d'une certaine ampleur, dès lors qu'ils présentaient un lien suffisant avec le projet déposé (cf. par exemple, à propos des dispositions réformant le régime des ouvertures de pharmacies, la décision no 99-416 DC du 23 juillet 1999).
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