JORF n°303 du 31 décembre 2000

IX. - Sur l'article 48

A. - L'article L. 35-6 du code des postes et télécommunications fixe le principe d'une rémunération versée aux opérateurs pour les prescriptions exigées par la défense et la sécurité publique, en particulier pour celles qui concernent les interceptions téléphoniques.

Dans la perspective de l'extension ou de la mise à niveau des réseaux existants et de la construction des nouveaux réseaux de télécommunications, l'article 48 de la loi déférée prévoit une modification de l'article L. 35-6, afin d'assurer la prise en charge, par les opérateurs, d'une partie de ces dépenses.

Les investissements, ainsi que le choix des solutions technologiques les mieux adaptées, relèvent en vertu de cet article de la responsabilité des opérateurs, tandis que l'Etat participe au financement des frais d'exploitation de ces systèmes, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Les parlementaires requérants estiment que la mise à la charge des opérateurs de ces investissements est constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publiques et critiquent l'absence d'indemnisation. Ils considèrent également que l'article 48 porte atteinte à des situations légalement acquises et qu'il est entaché d'incompétence négative.

B. - Ces moyens ne sont pas de nature à justifier la censure de l'article 48.

  1. S'agissant, en premier lieu, de l'égalité devant les charges publiques, ce principe ne fait pas obstacle à ce que des sujétions particulières puissent être imposées à une catégorie d'opérateurs économiques, sans pour autant prévoir une compensation indemnitaire totale, dès lors qu'elles s'inscrivent dans un objectif d'intérêt général et qu'elles correspondent à la nécessité de répondre à des risques intrinsèques au secteur économique concerné.

A cet égard, l'argumentation que les requérants tirent du caractère régalien des missions en cause et de la jurisprudence du Conseil d'Etat relative au financement des missions de la gendarmerie sur les autoroutes ne peut être considérée comme décisive. Dans l'arrêt Wajs et Monnier du 30 octobre 1996 dont se prévalent les requérants, le Conseil d'Etat a jugé que le coût de telles missions ne peut être mis, par décret, à la charge des concessionnaires d'autoroute, c'est-à-dire des usagers, à travers la répercussion de ce coût dans le montant des péages. Il s'agit de dépenses qui ne sont pas essentiellement exposées dans l'intérêt de ceux à qui un décret avait entendu les faire supporter par un mécanisme de redevances, mais dans l'intérêt général.

La conclusion de ce raisonnement, tout comme celle du raisonnement analogue fait par la haute juridiction administrative dans ses décisions sur le financement des contrôles de sécurité dans les aéroports, est simplement que le pouvoir réglementaire n'est pas compétent pour décider de faire supporter par l'usager d'un service des dépenses qui ne sont pas essentiellement exposées dans son intérêt propre.

Dégagée pour encadrer l'action de l'autorité administrative, cette jurisprudence n'est pas transposable au cas où le législateur lui-même intervient pour imposer une telle sujétion. C'est d'ailleurs ce que le Conseil constitutionnel a admis lorsqu'il a eu à connaître de la taxe créée à la suite de la censure, par le Conseil d'Etat, du mécanisme de redevance qui avait été auparavant mis en place pour financer les missions de sûreté dans les aéroports : la décision no 98-405 DC du 29 décembre 1998 juge expressément que le législateur n'a pas créé de rupture caractérisée de l'égalité entre les redevables de cette taxe et les autres citoyens.

En l'espèce, ce n'est pas un mécanisme de taxe qui a été retenu, mais le législateur n'a pas davantage créé de rupture d'égalité en imposant aux opérateurs des obligations spécifiques. Tout comme les compagnies aériennes qui supportent, à travers la taxe mise en place par la loi de finances pour 1999, le financement de missions de sûreté dont le développement est lié à la croissance de l'activité du transport aérien, le développement des réseaux de télécommunications s'accompagne d'un accroissement de risques réels, pour la défense et la sécurité publique, qui justifient que les opérateurs contribuent à y répondre de façon appropriée.

En particulier, la technologie du téléphone mobile se caractérise par :

- des difficultés très grandes de localisation géographique des appels, contrairement aux communications par liaison fixe, qui lui confèrent un caractère attractif pour des usages délictueux ;

- l'existence de possibilités, largement utilisées par les usagers, de prépaiement des communications par cartes anonymes qui, contrairement aux abonnements, ne permettent pas l'identification aisée de l'origine des appels, faute de la possibilité d'y associer un compte d'abonné ou un compte bancaire ;

- et, au surplus, une évolution très rapide des technologies, qui impose un renouvellement des méthodes et matériels d'interception et leur conception parallèlement au développement de ces technologies.

L'obligation qui pèse sur les opérateurs s'analyse comme une condition particulière, à laquelle est soumis l'exercice de l'activité concernée. Elle vise à rendre possible l'exercice des interceptions, sans pour autant substituer les opérateurs à l'Etat dans la mise en oeuvre de cette mesure. Elle peut être comparée aux contraintes qui pèsent, par exemple, sur les exploitants de dépôts d'hydrocarbures qui ont l'obligation de maintenir un niveau minimal de stock stratégique, permettant notamment de garantir l'approvisionnement énergétique de la force publique.

Les opérateurs étant dans une situation spécifique, au regard des besoins nouveaux de sécurité induits par le développement de leurs réseaux, le législateur a pu légitimement leur imposer les obligations que prévoit l'article 48.

Ainsi, en clarifiant le régime des responsabilités applicables, la mesure en cause amène les opérateurs à prendre en compte les systèmes d'interception dès la conception de leur réseau de télécommunications comme l'implique la loi du 10 juillet 1991, ce qui doit permettre une meilleure performance technique et une disponibilité de ces systèmes dès l'ouverture au public.

  1. En deuxième lieu, c'est à tort que les requérants se prévalent de la jurisprudence issue de l'article 17 de la Déclaration de 1789 pour critiquer l'absence d'une indemnité « juste et préalable ».

Une mesure comme celle qui est en cause ici ne saurait, en effet, s'analyser comme une dépossession du droit de propriété ou d'un démembrement de celui-ci.

  1. En troisième lieu, le moyen tiré d'une atteinte aux situation acquises est inopérant : s'il est exact que, dans sa rédaction jusque-là applicable, l'article L. 35-6 du code des postes et télécommunications ne prévoyait pas d'imposer les mêmes contraintes aux opérateurs, cette circonstance ne fait évidemment pas obstacle à ce que le législateur adopte ensuite des dispositions différentes, si elles lui paraissent plus appropriées.

  2. S'agissant enfin du moyen tiré de l'incompétence négative, on observera que la loi fixe le principe de l'obligation et de la réalisation des investissements par les opérateurs. Elle fixe également le principe d'une participation de l'Etat au financement des charges d'exploitation que devront supporter les opérateurs pour la mise en oeuvre des moyens nécessaires.

Il ne résulte pas de l'article 34 de la Constitution que la loi devait énoncer en détail le mode de calcul de cette participation.


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Version 1

IX. - Sur l'article 48

A. - L'article L. 35-6 du code des postes et télécommunications fixe le principe d'une rémunération versée aux opérateurs pour les prescriptions exigées par la défense et la sécurité publique, en particulier pour celles qui concernent les interceptions téléphoniques.

Dans la perspective de l'extension ou de la mise à niveau des réseaux existants et de la construction des nouveaux réseaux de télécommunications, l'article 48 de la loi déférée prévoit une modification de l'article L. 35-6, afin d'assurer la prise en charge, par les opérateurs, d'une partie de ces dépenses.

Les investissements, ainsi que le choix des solutions technologiques les mieux adaptées, relèvent en vertu de cet article de la responsabilité des opérateurs, tandis que l'Etat participe au financement des frais d'exploitation de ces systèmes, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Les parlementaires requérants estiment que la mise à la charge des opérateurs de ces investissements est constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publiques et critiquent l'absence d'indemnisation. Ils considèrent également que l'article 48 porte atteinte à des situations légalement acquises et qu'il est entaché d'incompétence négative.

B. - Ces moyens ne sont pas de nature à justifier la censure de l'article 48.

1. S'agissant, en premier lieu, de l'égalité devant les charges publiques, ce principe ne fait pas obstacle à ce que des sujétions particulières puissent être imposées à une catégorie d'opérateurs économiques, sans pour autant prévoir une compensation indemnitaire totale, dès lors qu'elles s'inscrivent dans un objectif d'intérêt général et qu'elles correspondent à la nécessité de répondre à des risques intrinsèques au secteur économique concerné.

A cet égard, l'argumentation que les requérants tirent du caractère régalien des missions en cause et de la jurisprudence du Conseil d'Etat relative au financement des missions de la gendarmerie sur les autoroutes ne peut être considérée comme décisive. Dans l'arrêt Wajs et Monnier du 30 octobre 1996 dont se prévalent les requérants, le Conseil d'Etat a jugé que le coût de telles missions ne peut être mis, par décret, à la charge des concessionnaires d'autoroute, c'est-à-dire des usagers, à travers la répercussion de ce coût dans le montant des péages. Il s'agit de dépenses qui ne sont pas essentiellement exposées dans l'intérêt de ceux à qui un décret avait entendu les faire supporter par un mécanisme de redevances, mais dans l'intérêt général.

La conclusion de ce raisonnement, tout comme celle du raisonnement analogue fait par la haute juridiction administrative dans ses décisions sur le financement des contrôles de sécurité dans les aéroports, est simplement que le pouvoir réglementaire n'est pas compétent pour décider de faire supporter par l'usager d'un service des dépenses qui ne sont pas essentiellement exposées dans son intérêt propre.

Dégagée pour encadrer l'action de l'autorité administrative, cette jurisprudence n'est pas transposable au cas où le législateur lui-même intervient pour imposer une telle sujétion. C'est d'ailleurs ce que le Conseil constitutionnel a admis lorsqu'il a eu à connaître de la taxe créée à la suite de la censure, par le Conseil d'Etat, du mécanisme de redevance qui avait été auparavant mis en place pour financer les missions de sûreté dans les aéroports : la décision no 98-405 DC du 29 décembre 1998 juge expressément que le législateur n'a pas créé de rupture caractérisée de l'égalité entre les redevables de cette taxe et les autres citoyens.

En l'espèce, ce n'est pas un mécanisme de taxe qui a été retenu, mais le législateur n'a pas davantage créé de rupture d'égalité en imposant aux opérateurs des obligations spécifiques. Tout comme les compagnies aériennes qui supportent, à travers la taxe mise en place par la loi de finances pour 1999, le financement de missions de sûreté dont le développement est lié à la croissance de l'activité du transport aérien, le développement des réseaux de télécommunications s'accompagne d'un accroissement de risques réels, pour la défense et la sécurité publique, qui justifient que les opérateurs contribuent à y répondre de façon appropriée.

En particulier, la technologie du téléphone mobile se caractérise par :

- des difficultés très grandes de localisation géographique des appels, contrairement aux communications par liaison fixe, qui lui confèrent un caractère attractif pour des usages délictueux ;

- l'existence de possibilités, largement utilisées par les usagers, de prépaiement des communications par cartes anonymes qui, contrairement aux abonnements, ne permettent pas l'identification aisée de l'origine des appels, faute de la possibilité d'y associer un compte d'abonné ou un compte bancaire ;

- et, au surplus, une évolution très rapide des technologies, qui impose un renouvellement des méthodes et matériels d'interception et leur conception parallèlement au développement de ces technologies.

L'obligation qui pèse sur les opérateurs s'analyse comme une condition particulière, à laquelle est soumis l'exercice de l'activité concernée. Elle vise à rendre possible l'exercice des interceptions, sans pour autant substituer les opérateurs à l'Etat dans la mise en oeuvre de cette mesure. Elle peut être comparée aux contraintes qui pèsent, par exemple, sur les exploitants de dépôts d'hydrocarbures qui ont l'obligation de maintenir un niveau minimal de stock stratégique, permettant notamment de garantir l'approvisionnement énergétique de la force publique.

Les opérateurs étant dans une situation spécifique, au regard des besoins nouveaux de sécurité induits par le développement de leurs réseaux, le législateur a pu légitimement leur imposer les obligations que prévoit l'article 48.

Ainsi, en clarifiant le régime des responsabilités applicables, la mesure en cause amène les opérateurs à prendre en compte les systèmes d'interception dès la conception de leur réseau de télécommunications comme l'implique la loi du 10 juillet 1991, ce qui doit permettre une meilleure performance technique et une disponibilité de ces systèmes dès l'ouverture au public.

2. En deuxième lieu, c'est à tort que les requérants se prévalent de la jurisprudence issue de l'article 17 de la Déclaration de 1789 pour critiquer l'absence d'une indemnité « juste et préalable ».

Une mesure comme celle qui est en cause ici ne saurait, en effet, s'analyser comme une dépossession du droit de propriété ou d'un démembrement de celui-ci.

3. En troisième lieu, le moyen tiré d'une atteinte aux situation acquises est inopérant : s'il est exact que, dans sa rédaction jusque-là applicable, l'article L. 35-6 du code des postes et télécommunications ne prévoyait pas d'imposer les mêmes contraintes aux opérateurs, cette circonstance ne fait évidemment pas obstacle à ce que le législateur adopte ensuite des dispositions différentes, si elles lui paraissent plus appropriées.

4. S'agissant enfin du moyen tiré de l'incompétence négative, on observera que la loi fixe le principe de l'obligation et de la réalisation des investissements par les opérateurs. Elle fixe également le principe d'une participation de l'Etat au financement des charges d'exploitation que devront supporter les opérateurs pour la mise en oeuvre des moyens nécessaires.

Il ne résulte pas de l'article 34 de la Constitution que la loi devait énoncer en détail le mode de calcul de cette participation.