La loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, adoptée le 4 décembre 2001, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs. Les requérants invoquent, à l'encontre de ce texte, de nombreux moyens qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I. - Sur les critiques dirigées contre l'ensemble de la loi
A. - Les auteurs des recours adressent à plusieurs dispositions de la loi déférée des critiques qui, selon les sénateurs, mettent en cause la constitutionnalité du texte dans son ensemble.
Certaines de ces critiques concernent des transferts de charges au profit du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC). Selon les requérants, ces transferts porteraient atteinte à l'équilibre financier de la sécurité sociale, et plus précisément à celui de la branche maladie, ainsi qu'à l'équilibre du fonds de solidarité vieillesse (FSV). Les sénateurs mettent également en cause la contribution, prévue par l'article 42, de la branche maladie au financement du plan « BIOTOX ». Ils critiquent, de même, les dispositions des articles 59 et 68 prévoyant que les excédents de la branche famille pour 2000 abonderont le fonds d'investissement pour la petite enfance et le fonds de réserve des retraites. S'agissant de ce dernier, ils contestent aussi l'article 67, qui lui affecte des recettes précédemment destinées à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés.
Les députés et sénateurs requérants mettent ensuite en cause la sincérité des prévisions de recettes par catégorie, figurant à l'article 16, et des objectifs de dépenses énoncés à l'article 69. S'agissant des premières, ces évaluations ne tiendraient pas compte de l'évolution de la situation économique et reposeraient sur des recettes hypothétiques. Les sénateurs contestent, en particulier, le fait que la réévaluation des prévisions ne porte que sur la contribution sociale de solidarité des sociétés. S'agissant des dépenses, l'article 69 ne prendrait pas en compte les mesures prévues par les articles 59 et 68, ce qui se traduirait par une fausse amélioration du solde. Les requérants considèrent en outre que la prise en charge par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) du congé de paternité de devrait pas apparaître dans les objectifs de dépenses de la branche famille, lequel serait surestimé. Selon les auteurs des deux saisines, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) serait, à l'inverse, sous-estimé.
Enfin, les sénateurs, auteurs du second recours, contestent les prévisions révisées pour 2001, figurant aux articles 17, 70 et 72. Ils font en particulier grief au Gouvernement de ne pas avoir réévalué suffisamment les prévisions de recettes.
B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait faire sienne cette argumentation.
- S'agissant des transferts de charges, le recours des sénateurs repose sur des prémisses contestables, dans la mesure où l'argumentation sur laquelle il s'appuie revient à postuler que l'équilibre de chacune des branches - voire celui des organismes concourant au financement de la sécurité sociale - constituerait une condition de la conformité à la Constitution des dispositions introduites dans une loi de financement de la sécurité sociale.
Or cette thèse ne découle ni de la lettre de la loi constitutionnelle du 22 février 1996, ni des débats qui en ont précédé l'adoption. Sans doute le rétablissement de l'équilibre des comptes sociaux constitue-t-il un objectif que le constituant a entendu prendre en compte. Sans doute aussi le débat auquel donne lieu, chaque année, la loi de financement est-il de nature à permettre que soient réunies les conditions d'un retour à l'équilibre. Mais l'on ne saurait, pour autant, critiquer utilement des dispositions contenues dans une telle loi au seul motif que leur impact sur l'une des branches ou sur l'un des organismes concourant au financement de la sécurité sociale serait négatif.
Le moyen tiré d'une atteinte à l'équilibre, notamment à celui des branches, est donc inopérant.
En tout état de cause, on observera que le régime général demeure globalement excédentaire : ni le projet de loi initial - ainsi que le montre le tableau figurant page 30 de son annexe C -, ni le texte issu du débat parlementaire ne remettent en cause cet excédent.
- En ce qui concerne la sincérité des prévisions, les différentes critiques contenues dans les recours appellent les trois séries d'observations suivantes :
a) S'agissant en premier lieu des évaluations de recettes, il est nécessaire de bien distinguer ce qui relève des débats d'experts ou de l'appréciation politique de ce qui peut mettre en cause la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale au regard du principe de sincérité.
Les chiffres retenus par le Gouvernement peuvent évidemment faire l'objet de débats mais, au plan juridique, seule une surévaluation manifeste, certaine et volontaire des prévisions dénaturant la signification du contrôle parlementaire sur ces prévisions, pourrait donner prise à un contrôle de constitutionnalité.
Or, tel n'est pas le cas, le Gouvernement s'étant fondé sur des projections étayées par des travaux d'experts, cohérentes avec celles du projet de loi de finances pour 2002 et présentées à la commission économique de la nation du mois de septembre.
Le principe de sincérité s'applique ici à un exercice de prévision qui est marqué par des aléas importants. Il s'agit en effet d'évaluer, avant que l'année soit achevée, les recettes de l'ensemble de l'année suivante ; à ce titre, la prévision des recettes pour l'année 2002 comporte encore plus d'incertitudes que celle de recettes de l'année en cours.
Les hypothèses macro-économiques retenues dans le rapport économique, social et financier (RESF) associé au projet de loi de finances pour 2002 tablent sur une croissance française de 2,3 % en 2001 et 2,5 % en 2002, avec la possibilité d'un point bas à 2,1 % en 2001 et à 2,25 % en 2002 compte tenu des incertitudes notamment liées aux attentats du 11 septembre. La masse salariale du secteur marchand progresserait de 5,8 % en 2001 et de 5,0 % en 2002, avec une croissance de l'emploi salarié de 2,8 % en 2001 et de 1,7 % en 2002 et une croissance des salaires nominaux par tête de 2,9 % cette année et de 3,3 % l'an prochain.
Ces hypothèses rejoignaient celles de l'ensemble des prévisionnistes au début du mois de septembre. A cette date, le consensus des prévisionnistes internationaux (« Consensus Forecast ») envisageait ainsi une croissance française de 2,4 % en 2001 et de 2,5 % en 2002.
Par ailleurs, les dernières prévisions disponibles publiées au cours des deux derniers mois confortent jusqu'à présent ces projections. Certains résultats sont même meilleurs que ce qui était envisagé :
- les comptes trimestriels du troisième trimestre 2001 publiés par l'INSEE le 23 novembre dernier mettent en évidence une hausse de 0,5 % du PIB au troisième trimestre, après 0,2 % au deuxième trimestre. L'acquis de croissance à la fin du troisième trimestre pour l'année 2001 (1) s'inscrit ainsi à 2,1 %, en cohérence avec les prévisions du RESF ;
- selon une enquête récente réalisée par le ministère de l'emploi et de la solidarité, l'emploi salarié marchand dans le secteur concurrentiel aurait progressé de 0,3 % par trimestre au deuxième et au troisième trimestre, ce qui porte l'acquis de croissance pour 2001 à près de 3,0 %, un niveau supérieur aux projections du RESF pour l'ensemble de l'année (2,8 %) ;
- enfin, le salaire mensuel de base de l'ensemble des salariés a progressé de 0,7 % au troisième trimestre, après 0,5 % au deuxième trimestre, ce qui a alimenté le pouvoir d'achat des ménages, comme envisagé dans les prévisions du RESF ;
- par ailleurs, les dernières données disponibles sur le recouvrement des cotisations conduisent à réviser à la hausse les recettes du régime général pour l'année 2001. L'hypothèse de croissance en moyenne annuelle s'établirait à 6,5 %, soit un gain de 0,6 % par rapport aux comptes prévisionnels. Ce gain de recettes en 2001 devrait avoir une incidence positive sur les comptes 2002 présentés en annexe du projet de loi.
Les prévisions publiées par les organismes publics ou privés dans le courant du mois d'octobre et de novembre ont souligné la dégradation de la conjoncture internationale et les conséquences économiques néfastes des attentats du 11 septembre. Cependant, les résultats statistiques publiés jusqu'à présent, dans un contexte de baisse des prix du pétrole et de réponse rapide de la politique économique, suggèrent que certains de ces organismes ont peut-être surréagi négativement aux événements récents. Le Gouvernement met en oeuvre une stratégie qui combine le souci de renforcer la croissance et de la protéger autant que possible, et qui a montré son efficacité lors des chocs précédents. Les baisses d'impôts et de cotisations sociales s'inscrivent dans cette logique.
Quant au taux de croissance de l'ONDAM, pour juger de son réalisme, il faut garder à l'esprit qu'on est en présence d'un objectif de dépenses et non pas d'une enveloppe budgétaire limitative. Il ne s'agit donc pas d'un montant maximum de dépenses, mais d'un seuil défini en fonction des choix de santé publique, au-delà duquel des mécanismes de régulation des dépenses doivent être mis en oeuvre. Les dépassements qui ont pu être observés au cours des exercices récents ne remettent donc pas en cause cet objectif dans son principe.
Le taux de 4,0 % inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 est proche du taux de croissance du PIB prévu. Cet objectif peut être considéré comme volontariste, mais il est en phase avec la croissance de la richesse nationale. Au demeurant, les mesures prises en matière de dépenses de santé devraient permettre d'infléchir l'évolution des dépenses à l'avenir.
On relèvera d'ailleurs que les dépassements constatés dans le passé ne représentent qu'une très faible proportion des dépenses totales (1,5 % par rapport à l'ONDAM inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001), soit l'ordre de grandeur de l'erreur de prévision. De ce fait, ils n'ont en définitive pas remis en cause les équilibres globaux de l'assurance maladie.
b) En deuxième lieu, il convient de souligner que, pour la première fois cette année, la loi de financement de la sécurité sociale comprend des agrégats de dépenses et de recettes révisés, afin de tenir compte de la décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000 sur la loi de finances rectificative pour 2000 : cette décision ayant censuré le transfert au FOREC du reliquat des droits sur les tabacs perçus par l'Etat, au motif qu'aucune loi de financement n'avait pris en compte l'incidence de cette opération et qu'aucune ne pouvait plus le faire avant la fin de l'exercice considéré, les articles 17, pour les recettes, et 70, pour les dépenses, enregistrent donc l'impact financier des mesures nouvelles intervenues depuis le vote de la loi de financement pour 2001 sur les dépenses et les recettes de l'année 2001.
Par ailleurs, dans un souci de sincérité et d'exactitude, il a été décidé de retenir comme base pour bâtir ces agrégats révisés les dernières prévisions de dépenses et de recettes établies à l'occasion de la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2001, ces chiffres correspondant aux dernières données disponibles.
On notera que cette innovation importante de la loi de financement pour 2002 va dans le sens d'une meilleure information du Parlement.
c) S'agissant enfin des critiques concernant plus particulièrement les évaluations de recettes relatives à la la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés (C3S), il convient de préciser que c'est un impôt assis sur le chiffre d'affaires des sociétés au taux de 0,13 %, recouvré pour le compte de l'Etat par la caisse d'assurance vieillesse des commerçants (ORGANIC).
L'essentiel du produit de la contribution de l'année en cours est affecté, en vertu de l'article L. 651-1 du code de la sécurité sociale, au financement de l'ORGANIC, de la CANCAVA (caisse d'assurance vieillesse des artisans) et de la CANAM (caisse d'assurance maladie des travailleurs non salariés non agricoles). Depuis 1999, une partie de ce produit est aussi affectée exceptionnellement au financement du régime des exploitants agricoles (BAPSA).
En application des articles L. 651-1, L. 135-3 (4o) et L. 135-7 (1o et 2o), tout ou partie du solde de la contribution est affecté l'année suivante (n + 1) :
- d'une part, au fonds de solidarité vieillesse (FSV), dont l'éventuel excédent est lui-même transféré en tout ou partie au fonds de réserve pour les retraites (FRR) l'année n + 2 ;
- d'autre part, directement, au fonds de réserve pour les retraites.
Au regard de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année n, les montants d'acomptes de C3S affectés à l'ORGANIC, la CANCAVA, la CANAM et le BAPSA sont pris en compte dans l'agrégat des recettes (ligne impôts et taxes affectés). Le solde de l'année n compte tenu du versement des acomptes, affecté à ces caisses, puis le solde disponible affecté au FSV et/ou directement au FFR sont pris en compte dans l'agrégat recettes de l'année n + 1.
En 2001, il avait été prévu d'affecter 1,830 Md de francs de C3S au BAPSA. Dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2001, le Gouvernement a proposé au Parlement d'augmenter cette somme de 1,542 Md de francs (art. 8 du projet de loi). Cet abondement supplémentaire est prélevé sur le solde de C3S 2001 en attente d'affectation, lequel solde s'est révélé supérieur à 0,8 Md de francs à ce qui était initialement prévu. En effet, le compte de la contribution enregistrait au 31 octobre une rentrée effective de 19,9 Mds de francs contre 19,1 Mds de francs prévus.
Le Gouvernement a, par conséquent, fait adopter par le Parlement, deux modifications de la loi déférée :
- une modification de l'agrégat recettes révisé pour 2001 (art. 17) qui a été majoré de 1,5 Md de francs correspondant à l'affectation de cette somme au BAPSA ;
- une modification de l'agrégat recettes pour 2002 (art. 16) qui a été minoré de 0,7 Md de francs. En effet, cet agrégat enregistre la diminution de 1,5 Md de francs du solde 2001 de C3S du fait du versement supplémentaire au BAPSA, mais aussi le supplément de 0,8 Md de francs constaté, supplément qui n'avait pas été pris en compte lors de l'élaboration du projet de LFSS.
Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les évaluations portant sur cette contribution sont donc aussi sincères et exhaustives qu'il est possible.
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