II. - Sur les dispositions ayant une incidence
sur l'exercice 2000
A. - Plusieurs dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 sont contestées au regard de leur incidence sur l'exercice 2000.
- Ainsi, l'article 59 a pour objet de doter le fonds d'investissement pour la petite enfance d'une somme de 1,5 milliard de francs, prélevée sur l'excédent de la CNAF pour l'exercice 2000. De son côté, l'article 68 prévoit le versement au fonds de réserve pour les retraites d'une somme de 5 milliards de francs, également prélevée sur le même excédent.
Selon les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, ces deux articles n'auraient pas leur place dans la loi déférée, dans la mesure où ils ne concernent que les comptes de l'exercice 2000.
- Par ailleurs, le deuxième alinéa du II de l'article 12 procède à l'annulation des créances sur le FOREC, enregistrées par l'ACOSS et par les différents régimes concernés, et se rapportant à la compensation par cet établissement des allégements de charges, prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Il prévoit également la modification des comptes 2000 des organismes de sécurité sociale pour tenir compte de cette mesure.
Les auteurs des deux recours contestent cet article en lui faisant grief de remettre en cause les conditions générales de l'équilibre de la sécurité sociale en 2000, sans que la présente loi comporte une disposition rectifiant les prévisions de recette pour cet exercice. Ils considèrent que cette mesure ne repose pas sur un motif d'intérêt général et que la loi ne peut remettre en cause les comptes d'exercices clos, alors que les règles de la compatibilité auraient dû conduire à imputer cette mesure sur l'exercice 2001. Seraient en outre méconnus l'exigence de clarté de la loi, le principe d'annualité et la capacité de contrôle du Parlement sur les comptes de la sécurité sociale.
B. - Ces critiques ne sont pas fondées.
- S'agissant des articles 59 et 68, les requérants se méprennent, tant sur la portée des dispositions en cause que sur les principes régissant l'insertion de dispositions dans une loi de financement.
Ces deux dispositions ont en effet pour seul objet, et pour seul effet, d'affecter à des fins particulières qu'elles définissent, et à compter de la publication de la présente loi, une partie des excédents de la branche famille constatés en 2000.
Elles retracent ainsi des mouvements financiers très importants au sein des organismes entrant dans le champ des loi de financement de la sécurité sociale ou entre eux. Aucune disposition constitutionnelle ou organique ne fait obstacle à ce que le législateur se prononce sur l'utilisation des reports à nouveau inscrits aux comptes de bilan après la clôture de ces derniers. Il paraît même particulièrement légitime que le Parlement soit en mesure de statuer sur cette utilisation dans le cadre de l'examen de ces lois.
De plus, tant l'abondement de 1,5 Md du fonds d'investissement pour la petite enfance que le prélèvement de 5 Mds sur l'excédent 2000 de la branche famille en faveur du fonds de réserve pour les retraites affectent directement la trésorerie du régime général soit en 2001, soit en 2002, en fonction des dates respectives du paiement des investissement en crèches et de l'exécution du transfert vers le FRR. Or, dès lors, d'une part, que la trésorerie du régime général et les conditions de son équilibre entrent bien dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale, d'autre part que la loi de financement pour 2002 peut aussi rectifier la loi précédente, c'est à bon droit que les articles en cause ont été introduits dans la loi déférée.
- Quant à l'article 12, les critiques qui lui sont adressées appellent les observations suivantes :
a) En premier lieu, cet article tire les conséquences d'un constat, qui est que les recettes encaissées par le FOREC au cours de l'année 2000 se sont révélées insuffisantes pour compenser l'intégralité des exonérations qui auraient dû être prises en charge par ce fonds.
Le régime général étant en excédent en encaissement/décaissement en 2000 sans que cette créance ait été honorée, il a été jugé opportun de tirer les conséquences de cette situation en procédant à leur annulation. Cette mesure, qui a le mérite de la clarté, a paru préférable à la solution de facilité qui aurait consisté à laisser les régimes de sécurité sociale conserver ces créances dans leurs bilans.
Au total, le montant de l'annulation de créances prévu par la loi s'élève à environ 16,2 milliards de francs en droits constatés.
Cette annulation, qui signifie que des remboursements qui devaient intervenir si la loi était demeurée inchangée n'interviendront finalement pas, ne présente aucun caractère rétroactif. Elle procède d'un choix d'opportunité auquel le Parlement a procédé, comme il lui était loisible de le faire, en considération de la situation des organismes créanciers et des finances publiques. Un tel choix ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel.
Par ailleurs, il est prévu - et il s'agit là d'une mesure distincte - que les organismes de sécurité sociale rectifient leurs comptes 2000 pour tirer les conséquences de cette annulation. Sans doute les règles comptables traditionnelles auraient-elles justifié un enregistrement de cette opération dans les comptes 2001. En effet, une annulation de créance doit donner lieu à l'inscription d'une charge équivalente dans le compte de résultat de l'organisme considéré. Le comptable doit, en principe, passer cette écriture dans les comptes ouverts au moment où il devient certain que la créance ne sera jamais honorée. En l'absence de précision sur le mode de comptabilisation à retenir, les comptables des organismes de sécurité sociale concernés auraient normalement été conduits à passer une charge dans leurs comptes 2001, dès la publication de la loi, comme la Cour des comptes a eu l'occasion de le préciser.
Mais ces règles comptables ne procèdent d'aucune norme supérieure dont le respect s'imposerait au législateur. Il est donc loisible à ce dernier de prescrire l'application de règles différentes. Or, dans la mesure où ces créances sont nées au cours de l'année 2000, il est apparu plus conforme à la logique économique de décider que les organismes concernés devraient enregistrer l'annulation des créances sur le FOREC dans leurs comptes 2000.
Il est vrai que, à la différence de la disposition de l'article qui annule la créance, celle qui prend parti sur l'imputation comptable présente un caractère rétroactif, dans la mesure où, s'appliquant à des exercices clos, elle affecte des situations juridiquement constituées. Mais il convient à cet égard de souligner que, en dehors du domaine pénal, et sous réserve des limitations apportées par la jurisprudence en matière de validation ou de mesures d'effet équivalent, le principe demeure qu'il est normalement permis au législateur d'édicter des dispositions rétroactives. En particulier, aucun principe de valeur constitutionnelle ne lui interdit de prescrire la correction de comptes d'exercices clos.
A cet égard, c'est à tort que les requérants se prévalent de la jurisprudence sur les mesures fiscales rétroactives, marquée notamment par la décision no 98-404 DC du 18 décembre 1998. La censure alors prononcée était en effet spécialement motivée par la circonstance que la mesure en cause conduisait à majorer, pour un nombre significatif d'entreprises, une contribution exceptionnelle due pour un exercice antérieur, et qui avait déjà été recouvrée depuis deux ans. Rien de tel ici où la mesure n'a aucun caractère fiscal et n'affecte en rien le patrimoine des particuliers : il s'agit seulement de corriger les comptes d'un nombre restreint d'organismes de sécurité sociale.
Rien ne s'oppose donc à ce que le législateur choisisse, comme il l'a fait, de privilégier, pour des motifs de logique économique, l'enregistrement comptable d'une décision d'annulation de créances sur l'exercice sur lequel elles sont nées.
b) En deuxième lieu, l'argument selon lequel l'enregistrement de l'annulation de la créance des régimes sur le FOREC sur les comptes 2000 porterait atteinte à la capacité de contrôle du Parlement ne peut davantage être accueilli.
En effet, l'opération d'annulation de créances et ses modalités auraient difficilement pu être arrêtées de façon plus transparente à l'égard du Parlement, puisque c'est le législateur lui-même qui les a déterminées par le vote de la loi de financement de la sécurité sociale. Il a donc pu en apprécier pleinement la portée.
Par ailleurs, si l'opération d'annulation de créances prévue à l'article 12 a bien un impact sur les comptes 2000 des organismes de sécurité sociale, il est inexact d'en déduire un affaiblissement de la capacité de contrôle du Parlement. En effet, lorsque le Parlement doit donner son avis sur les comptes des régimes de sécurité sociale à une date donnée, il ne peut, par définition, le faire qu'en prenant en compte l'état du droit à cet instant, de même que les données économiques et sociales connues au moment où il se prononce. Tout changement ultérieur de législation ou de circonstances rend nécessaire une correction des appréciations portées antérieurement, mais ne témoigne en rien d'une atteinte au pouvoir de contrôle du Parlement.
c) En troisième lieu, cette mesure entre parfaitement dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale tel que défini à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale et pouvait, à ce titre, figurer dans la présente loi. En effet, la décision d'annuler les créances enregistrées par les régimes de sécurité sociale sur le FOREC au titre de l'exercice 2000 a, de toute évidence, un impact financier sur ces régimes : à défaut d'annulation, ces créances auraient été honorées au cours de cette année 2001 ou au cours de l'année 2002 et les recettes ainsi reçues auraient donc augmenté à due concurrence.
Quant à l'exercice 2000, on soulignera qu'un éventuel vote du Parlement sur des comptes modifiés n'est pas prévu par les dispositions organiques régissant les lois de financement. Ce vote serait, en toute hypothèse, sans objet car ces lois n'adoptent pas des comptes en tant que tels mais des objectifs de recettes et de dépenses. En outre, il importe de souligner que, compte tenu des règles de présentation qui prévalaient alors, ces objectifs avaient été adoptés en encaissement/décaissement dans le cadre de la loi de financement pour 2000, et non en droits constatés. Or une annulation de dette ne peut, par définition, avoir d'effet que sur des comptes tenus en droits constatés.
La rectification explicite des montants sur lesquels le législateur s'était alors prononcé n'aurait donc pas eu de sens.
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