JORF n°16 du 20 janvier 2000

III. - Sur les autres moyens tirés

de l'article 4 de la Déclaration de 1789

A. - Les requérants se prévalent également des dispositions de cet article pour soutenir que la loi méconnaît tant la liberté d'entreprendre que celle des salariés.

Le recours des députés conteste à cet égard les articles 8, 9 et 19 en soutenant que la fixation de la durée annuelle à 1 600 heures ainsi que les dispositions relatives aux cadres se traduiraient par une importante perte de la capacité de production des entreprises. Ils critiquent, de la même manière, les articles 2, 3, 4 et 17 en estimant excessives les contraintes tenant au déclenchement du repos compensateur, au temps d'habillage, aux astreintes et à la formation.

Les députés et les sénateurs voient en outre, dans ces différentes dispositions, une immixtion excessive de l'administration dans la gestion des entreprises.

Par ailleurs, la saisine des députés fait grief à l'article 5 de méconnaître la liberté des salariés en procédant, à leur place, à un choix entre temps libre et revenu. De même la loi pénaliserait-elle les salariés des entreprises dont la durée collective n'a pas été réduite à 35 heures, en les faisant contribuer au financement de la baisse des charges dans les autres entreprises.

B. - Ces moyens peuvent être accueillis.

1o S'agissant de la liberté d'entreprendre, les saisissants ne sont pas fondés à soutenir que la loi lui apporterait des limitations excédant celles qui sont admises par le Conseil constitutionnel, c'est-à-dire les limitations justifiées par l'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles, et n'ayant pas pour conséquence de dénaturer la portée de la liberté d'entreprendre. D'une part, ainsi que l'avait relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision déjà citée du 10 juin 1998 à propos de la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, la loi soumise aujourd'hui à l'examen du Conseil poursuit des finalités d'intérêt général qui se rattachent à des exigences constitutionnelles, celles qu'énoncent les cinquième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 en matière d'emploi et de participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail. D'autre part, l'abaissement de la durée légale du travail ne porte pas en elle-même à la liberté d'entreprendre une atteinte telle qu'elle en dénaturerait la portée, comme l'avait estimé au demeurant le Conseil dans sa décision du 10 juin 1998 précitée. On relèvera à cet égard que l'entrée en vigueur de la nouvelle durée légale s'accompagnera bien, comme l'avait relevé la même décision, d'un dispositif d'aide financière à caractère pérenne et structurel, rendu très largement accessible. Ce dispositif permettra de faciliter la mise en oeuvre d'organisations du travail sur la base de la nouvelle durée légale dans des conditions préservant la compétitivité des entreprises.

De façon plus spécifique, la loi n'implique nullement la baisse de la capacité de production des entreprises que les saisissants croient pouvoir annoncer comme inéluctable. De manière générale, si l'objectif du législateur est bien de susciter une diminution de la durée du travail effective de chaque salarié, cet objectif est parfaitement compatible avec le maintien, voire l'amélioration de la capacité de production globale de l'entreprise. La conjonction de gains de productivité et de création d'emplois supplémentaires est susceptible d'assurer la sauvegarde du potentiel global de production, dans des conditions financièrement supportables par l'entreprise grâce au jeu cumulé de gains d'efficience, liés notamment à une utilisation plus intensive des équipements, de la modération salariale dont conviennent les signataires des accords et de l'apport de l'aide financière. C'est au demeurant l'économie de la plupart des quelque 19 000 accords conclus en application de la loi du 13 juin 1998.

De plus, le dispositif de modulation que la loi consacre, en l'unifiant et en le clarifiant, permet aux entreprises qui ont en besoin de mieux ajuster leurs capacités de production aux caractéristiques de la demande. Il n'est pas exclusif de la possibilité de pratiquer des heures excédant le plafond de la modulation ou la durée moyenne sur l'année, qui sont alors traitées comme des heures supplémentaires. Enfin, s'agissant des cadres, la loi donne un cadre juridique, qui faisait jusqu'ici défaut, à la pratique d'horaires adaptés à la spécificité de cette catégorie de salariés et en particulier aux cadres disposant d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. S'il est vrai que cette sécurisation et cette clarification de l'organisation du temps de travail des cadres doivent se traduire par une réduction effective de la durée du travail pour les cadres concernés, la capacité productive de l'entreprise peut parfaitement être préservée dans le cours du processus, grâce à la fois à des gains d'efficacité dans l'organisation et les méthodes de travail internes à la délégation de certaines tâches à des non-cadres, et à des embauches de cadres.

En ce qui concerne l'immixtion administrative dans le fonctionnement des entreprises que les saisissants imputent à la loi, il y a lieu de relever le caractère quelque peu paradoxal dun tel grief dans la mesure où, d'une part, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a opté pour un mécanisme d'aide souple fondé sur une déclaration et un contrôle a posteriori par les agents compétents de l'URSSAF et l'inspection du travail et où, d'autre part, les saisissants se prévalent par ailleurs de façon contradictoire de ce choix pour déplorer qu'il aboutisse à dessaisir les pouvoirs publics de toute intervention dans le processus de conclusion des accords.

En tout état de cause, l'existence de mécanismes de contrôle est légitime et même indispensable compte tenu des enjeux en cause au regard du bon usage des fonds publics. Un contrôle est par ailleurs organisé selon des modalités qui assurent son objectivité, comme il a été souligné plus haut, à propos du caractère contradictoire des procédures préalables aux décisions de suspension ou de suppression des aides susceptibles d'intervenir en cas de méconnaissance des conditions légales.

2o En ce qui concerne la prétendue atteinte à la liberté des salariés, on relèvera tout d'abord que l'arbitrage entre temps libre et revenus n'a jamais été totalement laissé à la décision purement individuelle de chaque salarié, contrairement à ce que suggère l'argumentation des saisissants. En effet, la durée du travail dans l'entreprise était traditionnellement fixée par l'employeur avant que le législateur n'intervienne, notamment à partir de 1982, pour inciter à ce que ces questions fassent l'objet de négociations collectives, sans instituer pour autant une obligation d'aboutir. Et l'horaire collectif qui concerne encore une majorité de salariés reste fixé par l'employeur. Quant au passage à temps partiel, il ne constitue pas, en l'état de notre législation, un droit absolu et inconditionné, quand bien même la loi en cours d'examen comporte au VII de son article 12 de nouvelles dispositions destinées à rendre plus effective la notion de temps partiel choisi.

En outre, s'agissant du sort des salariés des entreprises qui continueraient de pratiquer une durée du travail supérieure à 35 heures, le choix d'une modalité spécifique de rémunération des heures supplémentaires se justifie, comme il sera précisé plus loin, par la volonté du législateur d'inciter l'ensemble des parties à s'orienter vers la réduction du temps de travail.

Enfin, il semble que les sénateurs à l'origine du recours se soient mépris sur la portée de la loi en suggérant que les salariés restant soumis à un horaire supérieur à 35 heures sans être couverts par un accord collectif se verraient imposer « le paiement en temps » de leurs heures supplémentaires. En effet, si l'octroi de la bonification sous forme de repos est de droit en l'absence de stipulation expresse d'un accord collectif prévoyant son paiement sous forme monétaire, le remplacement de l'intégralité de la rémunération des heures supplémentaires (paiement en principal de l'heure + bonification) par un repos équivalent reste subordonné à l'intervention d'un accord collectif le prévoyant, ou à défaut à l'absence d'opposition du comité d'entreprise ou des délégués du personnel dans les entreprises non assujetties à l'obligation de négocier (cf. le III de l'article L. 212-5 nouveau, issu de l'article 5 de la loi).


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III. - Sur les autres moyens tirés

de l'article 4 de la Déclaration de 1789

A. - Les requérants se prévalent également des dispositions de cet article pour soutenir que la loi méconnaît tant la liberté d'entreprendre que celle des salariés.

Le recours des députés conteste à cet égard les articles 8, 9 et 19 en soutenant que la fixation de la durée annuelle à 1 600 heures ainsi que les dispositions relatives aux cadres se traduiraient par une importante perte de la capacité de production des entreprises. Ils critiquent, de la même manière, les articles 2, 3, 4 et 17 en estimant excessives les contraintes tenant au déclenchement du repos compensateur, au temps d'habillage, aux astreintes et à la formation.

Les députés et les sénateurs voient en outre, dans ces différentes dispositions, une immixtion excessive de l'administration dans la gestion des entreprises.

Par ailleurs, la saisine des députés fait grief à l'article 5 de méconnaître la liberté des salariés en procédant, à leur place, à un choix entre temps libre et revenu. De même la loi pénaliserait-elle les salariés des entreprises dont la durée collective n'a pas été réduite à 35 heures, en les faisant contribuer au financement de la baisse des charges dans les autres entreprises.

B. - Ces moyens peuvent être accueillis.

1o S'agissant de la liberté d'entreprendre, les saisissants ne sont pas fondés à soutenir que la loi lui apporterait des limitations excédant celles qui sont admises par le Conseil constitutionnel, c'est-à-dire les limitations justifiées par l'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles, et n'ayant pas pour conséquence de dénaturer la portée de la liberté d'entreprendre. D'une part, ainsi que l'avait relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision déjà citée du 10 juin 1998 à propos de la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, la loi soumise aujourd'hui à l'examen du Conseil poursuit des finalités d'intérêt général qui se rattachent à des exigences constitutionnelles, celles qu'énoncent les cinquième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 en matière d'emploi et de participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail. D'autre part, l'abaissement de la durée légale du travail ne porte pas en elle-même à la liberté d'entreprendre une atteinte telle qu'elle en dénaturerait la portée, comme l'avait estimé au demeurant le Conseil dans sa décision du 10 juin 1998 précitée. On relèvera à cet égard que l'entrée en vigueur de la nouvelle durée légale s'accompagnera bien, comme l'avait relevé la même décision, d'un dispositif d'aide financière à caractère pérenne et structurel, rendu très largement accessible. Ce dispositif permettra de faciliter la mise en oeuvre d'organisations du travail sur la base de la nouvelle durée légale dans des conditions préservant la compétitivité des entreprises.

De façon plus spécifique, la loi n'implique nullement la baisse de la capacité de production des entreprises que les saisissants croient pouvoir annoncer comme inéluctable. De manière générale, si l'objectif du législateur est bien de susciter une diminution de la durée du travail effective de chaque salarié, cet objectif est parfaitement compatible avec le maintien, voire l'amélioration de la capacité de production globale de l'entreprise. La conjonction de gains de productivité et de création d'emplois supplémentaires est susceptible d'assurer la sauvegarde du potentiel global de production, dans des conditions financièrement supportables par l'entreprise grâce au jeu cumulé de gains d'efficience, liés notamment à une utilisation plus intensive des équipements, de la modération salariale dont conviennent les signataires des accords et de l'apport de l'aide financière. C'est au demeurant l'économie de la plupart des quelque 19 000 accords conclus en application de la loi du 13 juin 1998.

De plus, le dispositif de modulation que la loi consacre, en l'unifiant et en le clarifiant, permet aux entreprises qui ont en besoin de mieux ajuster leurs capacités de production aux caractéristiques de la demande. Il n'est pas exclusif de la possibilité de pratiquer des heures excédant le plafond de la modulation ou la durée moyenne sur l'année, qui sont alors traitées comme des heures supplémentaires. Enfin, s'agissant des cadres, la loi donne un cadre juridique, qui faisait jusqu'ici défaut, à la pratique d'horaires adaptés à la spécificité de cette catégorie de salariés et en particulier aux cadres disposant d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. S'il est vrai que cette sécurisation et cette clarification de l'organisation du temps de travail des cadres doivent se traduire par une réduction effective de la durée du travail pour les cadres concernés, la capacité productive de l'entreprise peut parfaitement être préservée dans le cours du processus, grâce à la fois à des gains d'efficacité dans l'organisation et les méthodes de travail internes à la délégation de certaines tâches à des non-cadres, et à des embauches de cadres.

En ce qui concerne l'immixtion administrative dans le fonctionnement des entreprises que les saisissants imputent à la loi, il y a lieu de relever le caractère quelque peu paradoxal dun tel grief dans la mesure où, d'une part, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a opté pour un mécanisme d'aide souple fondé sur une déclaration et un contrôle a posteriori par les agents compétents de l'URSSAF et l'inspection du travail et où, d'autre part, les saisissants se prévalent par ailleurs de façon contradictoire de ce choix pour déplorer qu'il aboutisse à dessaisir les pouvoirs publics de toute intervention dans le processus de conclusion des accords.

En tout état de cause, l'existence de mécanismes de contrôle est légitime et même indispensable compte tenu des enjeux en cause au regard du bon usage des fonds publics. Un contrôle est par ailleurs organisé selon des modalités qui assurent son objectivité, comme il a été souligné plus haut, à propos du caractère contradictoire des procédures préalables aux décisions de suspension ou de suppression des aides susceptibles d'intervenir en cas de méconnaissance des conditions légales.

2o En ce qui concerne la prétendue atteinte à la liberté des salariés, on relèvera tout d'abord que l'arbitrage entre temps libre et revenus n'a jamais été totalement laissé à la décision purement individuelle de chaque salarié, contrairement à ce que suggère l'argumentation des saisissants. En effet, la durée du travail dans l'entreprise était traditionnellement fixée par l'employeur avant que le législateur n'intervienne, notamment à partir de 1982, pour inciter à ce que ces questions fassent l'objet de négociations collectives, sans instituer pour autant une obligation d'aboutir. Et l'horaire collectif qui concerne encore une majorité de salariés reste fixé par l'employeur. Quant au passage à temps partiel, il ne constitue pas, en l'état de notre législation, un droit absolu et inconditionné, quand bien même la loi en cours d'examen comporte au VII de son article 12 de nouvelles dispositions destinées à rendre plus effective la notion de temps partiel choisi.

En outre, s'agissant du sort des salariés des entreprises qui continueraient de pratiquer une durée du travail supérieure à 35 heures, le choix d'une modalité spécifique de rémunération des heures supplémentaires se justifie, comme il sera précisé plus loin, par la volonté du législateur d'inciter l'ensemble des parties à s'orienter vers la réduction du temps de travail.

Enfin, il semble que les sénateurs à l'origine du recours se soient mépris sur la portée de la loi en suggérant que les salariés restant soumis à un horaire supérieur à 35 heures sans être couverts par un accord collectif se verraient imposer « le paiement en temps » de leurs heures supplémentaires. En effet, si l'octroi de la bonification sous forme de repos est de droit en l'absence de stipulation expresse d'un accord collectif prévoyant son paiement sous forme monétaire, le remplacement de l'intégralité de la rémunération des heures supplémentaires (paiement en principal de l'heure + bonification) par un repos équivalent reste subordonné à l'intervention d'un accord collectif le prévoyant, ou à défaut à l'absence d'opposition du comité d'entreprise ou des délégués du personnel dans les entreprises non assujetties à l'obligation de négocier (cf. le III de l'article L. 212-5 nouveau, issu de l'article 5 de la loi).