JORF n°18 du 21 janvier 1995

II. - Sur la police des manifestations (art. 13 et 15)

A. - Sur les restrictions administratives

de la liberté de manifester (art. 13)

Le droit de manifester est l'une des composantes essentielles (et historiquement les mieux fondées) de la liberté d'expression. Le caractère constitutionnel du principe qui consacre ce droit n'est pas sérieusement contestable.
La loi déférée, en prévoyant en particulier un régime extrêmement extensif de fouille des véhicules à l'occasion de manifestations sur la voie publique, met du même coup en cause également l'inviolabilité du domicile, dont le véhicule est le prolongement indétachable (Conseil constitutionnel no 76-75 DC du 12 janvier 1977, Rec. page 33), ainsi que le droit au respect de l'intimité et la vie privée (voir en ce sens le commentaire précité de cette décision aux << Grandes Décisions du Conseil constitutionnel >>, page 359).
Il convient dès lors de vérifier là encore que l'exercice de l'ensemble de ces droits fondamentaux n'est limité par la loi déférée que pour des raisons et dans des proportions strictement nécessaires à la poursuite de l'objectif constitutionnel de protection de l'ordre public.
Or, en premier lieu, la mesure prévue par la loi déférée apparaît comme excessivement << générale et absolue >> et, plus précisément, manifestement disproportionnée aux troubles à l'ordre public qu'elle prétend prévenir.
Ce sont plus de 7 000 manifestations qui se déroulent bon an mal an à Paris sur la voie publique. Il suffit de rappeler cette donnée statistique incontestable pour comprendre que la loi déférée a pour effet nécessaire de permettre la fouille discrétionnaire des véhicules en permanence dans toute l'agglomération parisienne, et pendant une très grande partie de l'année dans toutes les villes importantes de province... En d'autres termes, on se trouve en l'espèce, malgré les apparences et les précautions formelles du législateur, dans un cas tout à fait comparable à celui de 1976.
Au surplus, la loi déférée autorise la fouille des véhicules dès lors que << les circonstances font craindre des troubles graves à l'ordre public >>. Le recours à une formule aussi vague et imprécise est, là encore, constitutif d'un véritable abandon de compétence du législateur qui, en violation de l'article 34 de la Constitution, n'a pas édicté l'ensemble des règles qu'il lui appartenait de poser pour déterminer les garanties fondamentales de la liberté d'expression.
La loi déférée incite encore à la méconnaissance du principe de nécessité en ce qu'elle prévoit simplement que l'étendue des mesures prises par l'autorité de police doit << demeurer proportionnée aux nécessités que font apparaître les circonstances >>, non seulement en ce que la formule est à nouveau d'une imprécision liberticide mais aussi parce que l'adverbe << strictement (proportionnée) >> a disparu entre la première lecture par l'Assemblée nationale et la deuxième lecture par le Sénat, cette évolution autorisant l'administration à une lecture pour le moins extensive de l'habilitation que lui confère le législateur.
De surcroît, c'est au préfet que le pouvoir de violer le domicile est ainsi conféré discrétionnairement. Certes, le législateur s'est finalement résolu à prévoir de manière une fois encore imprécise et quasi symbolique le << contrôle >> a posteriori des autorités judiciaires, mais cette révérence contrainte ne saurait suffire à assurer le respect de l'article 66 de la Constitution, lequel, dès lors que la liberté individuelle est à nouveau incontestablement en cause, imposait que les éventuelles opérations de fouille des véhicules soient sinon placées sous la direction, du moins subordonnées à l'autorisation expresse du procureur de la République. Ni la liberté individuelle ni le droit de propriété ne sauraient être constitutionnellement placés sous la seule << protection >> du représentant local du Gouvernement...
Dans ces conditions, la loi déférée ne donnant en outre aucune directive au pouvoir réglementaire pour définir par exemple de manière précise et opératoire les << circonstances >> particulières qui seules justifieraient de telles opérations, l'abandon de compétence législative et la violation de l'article 34 de la Constitution n'en sont que plus patents.


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Version 1

II. - Sur la police des manifestations (art. 13 et 15)

A. - Sur les restrictions administratives

de la liberté de manifester (art. 13)

Le droit de manifester est l'une des composantes essentielles (et historiquement les mieux fondées) de la liberté d'expression. Le caractère constitutionnel du principe qui consacre ce droit n'est pas sérieusement contestable.

La loi déférée, en prévoyant en particulier un régime extrêmement extensif de fouille des véhicules à l'occasion de manifestations sur la voie publique, met du même coup en cause également l'inviolabilité du domicile, dont le véhicule est le prolongement indétachable (Conseil constitutionnel no 76-75 DC du 12 janvier 1977, Rec. page 33), ainsi que le droit au respect de l'intimité et la vie privée (voir en ce sens le commentaire précité de cette décision aux << Grandes Décisions du Conseil constitutionnel >>, page 359).

Il convient dès lors de vérifier là encore que l'exercice de l'ensemble de ces droits fondamentaux n'est limité par la loi déférée que pour des raisons et dans des proportions strictement nécessaires à la poursuite de l'objectif constitutionnel de protection de l'ordre public.

Or, en premier lieu, la mesure prévue par la loi déférée apparaît comme excessivement << générale et absolue >> et, plus précisément, manifestement disproportionnée aux troubles à l'ordre public qu'elle prétend prévenir.

Ce sont plus de 7 000 manifestations qui se déroulent bon an mal an à Paris sur la voie publique. Il suffit de rappeler cette donnée statistique incontestable pour comprendre que la loi déférée a pour effet nécessaire de permettre la fouille discrétionnaire des véhicules en permanence dans toute l'agglomération parisienne, et pendant une très grande partie de l'année dans toutes les villes importantes de province... En d'autres termes, on se trouve en l'espèce, malgré les apparences et les précautions formelles du législateur, dans un cas tout à fait comparable à celui de 1976.

Au surplus, la loi déférée autorise la fouille des véhicules dès lors que << les circonstances font craindre des troubles graves à l'ordre public >>. Le recours à une formule aussi vague et imprécise est, là encore, constitutif d'un véritable abandon de compétence du législateur qui, en violation de l'article 34 de la Constitution, n'a pas édicté l'ensemble des règles qu'il lui appartenait de poser pour déterminer les garanties fondamentales de la liberté d'expression.

La loi déférée incite encore à la méconnaissance du principe de nécessité en ce qu'elle prévoit simplement que l'étendue des mesures prises par l'autorité de police doit << demeurer proportionnée aux nécessités que font apparaître les circonstances >>, non seulement en ce que la formule est à nouveau d'une imprécision liberticide mais aussi parce que l'adverbe << strictement (proportionnée) >> a disparu entre la première lecture par l'Assemblée nationale et la deuxième lecture par le Sénat, cette évolution autorisant l'administration à une lecture pour le moins extensive de l'habilitation que lui confère le législateur.

De surcroît, c'est au préfet que le pouvoir de violer le domicile est ainsi conféré discrétionnairement. Certes, le législateur s'est finalement résolu à prévoir de manière une fois encore imprécise et quasi symbolique le << contrôle >> a posteriori des autorités judiciaires, mais cette révérence contrainte ne saurait suffire à assurer le respect de l'article 66 de la Constitution, lequel, dès lors que la liberté individuelle est à nouveau incontestablement en cause, imposait que les éventuelles opérations de fouille des véhicules soient sinon placées sous la direction, du moins subordonnées à l'autorisation expresse du procureur de la République. Ni la liberté individuelle ni le droit de propriété ne sauraient être constitutionnellement placés sous la seule << protection >> du représentant local du Gouvernement...

Dans ces conditions, la loi déférée ne donnant en outre aucune directive au pouvoir réglementaire pour définir par exemple de manière précise et opératoire les << circonstances >> particulières qui seules justifieraient de telles opérations, l'abandon de compétence législative et la violation de l'article 34 de la Constitution n'en sont que plus patents.