JORF n°18 du 21 janvier 1995

LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION

RELATIVE A LA SECURITE

I. - Sur l'article 10 de la loi déférée

L'argumentation exposée par les auteurs des deux recours est d'abord paradoxale et par là même inopérante. Méconnaissant que les activités de vidéosurveillance sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public n'étaient jusqu'ici nullement encadrées par la loi, les recours critiquent en vérité des dispositions protectrices de la liberté personnelle et de la vie privée, dispositions dont l'invalidation serait dommageable du point de vue des exigences mêmes dont les requérants se présentent comme les défenseurs.
Au surplus leur argumentation est inexacte sur plusieurs points essentiels. 1. L'argumentation des requérants est paradoxale et, par là même,
inopérante.
La simple lecture des dispositions critiquées montre dans quel esprit s'est prononcé le législateur: concilier deux ordres d'exigence d'égale valeur constitutionnelle.
La première de ces exigences est la sauvegarde de la vie privée et de la liberté personnelle, que le développement << sauvage >> de la vidéosurveillance est, dans certaines hypothèses, susceptible de léser.
La seconde est la sauvegarde de la sécurité et de l'ordre publics, sans lesquels les droits de l'homme les plus élémentaires - la sécurité personnelle, la liberté d'aller et de venir - seraient quotidiennement bafoués, comme le démontre malheureusement une actualité abondante.
A cet effet, les dispositions critiquées fixent des règles de fond et de procédure dont l'objectif est d'encadrer les activités de vidéosurveillance, de façon à prévenir les risques d'atteinte à la liberté personnelle et à la vie privée.
a) Des règles de fond:
La transmission et l'enregistrement d'images prises sur la voie publique,
par le moyen de la vidéosurveillance, ne peuvent être mis en oeuvre par les autorités publiques qu'aux fins d'assurer la sauvegarde d'impératifs d'ordre public incontestables, limitativement énumérés par la loi (cf. II de l'article 10) et dans la limite des compétences de ces autorités. Qui plus est, le II de l'article 10 ajoute à ces conditions que la vidéosurveillance ne peut être mise en oeuvre par les autorités publiques compétentes, aux fins de prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens, que << dans des lieux particulièrement exposés à des risques d'agression et de vol >>.
S'agissant de la vidéosurveillance privée, celle-ci est confinée par la loi déférée aux lieux et établissements ouverts au public particulièrement exposés aux risques d'agression et de vol et aux seules fins d'y assurer la sécurité des personnes et des biens.
La vidéosurveillance sur la voie publique ne doit pas permettre de visualiser les images de l'intérieur des immeubles d'habitation ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées.
Le public doit être informé, de façon claire et permanente, de l'existence du système de vidéosurveillance et de l'autorité ou de la personne responsable.
Sauf enquête de flagrant délit, enquête préliminaire ou information judiciaire, les enregistrements sont détruits dans un délai maximum fixé par l'autorisation et qui ne peut excéder un mois (cf. IV de l'article 10).
L'accès aux enregistrements des personnes dont l'image est enregistrée est aménagé par l'article 10 (cf. V) selon des modalités très proches de celles fixées par la loi du 6 janvier 1978 pour l'accès aux traitements de données nominatives.
Divers recours, administratifs ou juridictionnels, sont ouverts aux personnes concernées: saisine de la commission départementale, saisine du juge des référés, saisine de la juridiction compétente au fond, plainte pénale.
La méconnaissance des obligations imposées par l'article 10 aux personnes qui procèdent à des opérations de vidéosurveillance est en effet pénalement sanctionnée (cf. VI de l'article 10).
Enfin, lorsque l'enregistrement des images sert à constituer un fichier nominatif, et que celui-ci soit ou non automatisé, les dispositions protectrices de la loi du 6 janvier 1978 sont applicables, concurremment avec celles de la loi déférée (cf. I de l'article 10).
b) Des règles de procédure:
L'installation d'un système de vidéosurveillance est désormais subordonnée à une autorisation préfectorale. Sauf en matière de défense nationale, cette autorisation est délivrée après avis d'une commission départementale présidée par un magistrat (cf. III de l'article 10). On notera que la procédure ainsi prévue, sur deux points au moins, est plus protectrice que celle organisée par la loi du 6 janvier 1978 pour les traitements automatisés d'informations nominatives: d'une part, en effet, la disposition critiquée ne fait naître d'autorisation tacite qu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, alors que, selon l'article 15 de la loi de 1978, applicable aux traitements publics,
l'avis de la C.N.I.L. est réputé favorable à l'expiration d'un délai de deux mois seulement; d'autre part, les systèmes de vidéosurveillance privés comme publics sont soumis à autorisation par la loi déférée, alors que la loi << informatique et libertés >> soumet à une simple déclaration les traitements automatisés d'informations nominatives mis en oeuvre par le secteur privé (art. 16 de la loi de 1978).
L'autorisation doit prescrire toutes les précautions utiles, en particulier quant à la qualité des personnes chargées de l'exploitation du système et du visionnage des images et quant aux mesures à prendre pour assurer le respect des dispositions de la loi (information du public, modalités d'accès, durée de conservation...).
Ce simple rappel des dispositions critiquées dévoile le caractère paradoxal de la position des requérants: s'ils obtenaient l'invalidation de ce dispositif, les exigences constitutionnelles qu'ils entendent défendre seraient beaucoup moins bien satisfaites. On retrouverait alors en effet l'état de droit antérieur, lequel ignorait tout des nouvelles règles de procédure et de fond posées par l'article 10.
S'il aboutissait, le recours entraînerait donc une << régression >> de la protection des libertés et droits fondamentaux assez analogue à celles auxquelles font référence les décisions du Conseil constitutionnel citées dans la saisine (no 84-181 DC, no 84-185 DC, no 93-325 DC).
La contradiction interne de leur démarche n'ayant pu échapper aux auteurs de la saisine, il faut bien conclure que celle-ci est exclusivement motivée par des raisons de pure symbolique politique.
2. Au surplus, l'argumentation des requérants est inexacte sur plusieurs points essentiels.
Sans qu'il soit besoin de répondre en détail à une argumentation dont on a déjà dit le caractère globalement inopérant, force est cependant de relever les inexactitudes qui, viciant des éléments essentiels de la thèse des saisissants, démontrent une deuxième fois son absence de portée:
a) Les requérants feignent d'abord d'ignorer que, convenablement encadrée,
la vidéosurveillance participe de la sauvegarde d'exigences de valeur constitutionnelle. Parce qu'elle exerce un effet dissuasif sur la commission d'infractions (comme le montrent toutes les expérimentations), parce qu'elle peut apporter aux enquêtes judiciaires de précieux éléments d'information (c'est par exemple grâce à des enregistrements d'images effectués dans un supermarché qu'ont été retrouvés les auteurs de l'assassinat du petit James Bulger en Grande-Bretagne), parce qu'elle permet de réguler des systèmes complexes tels que le trafic automobile, la vidéosurveillance contribue à protéger les personnes et les biens, à maintenir l'ordre public et à assurer le bon fonctionnement de dispositifs de contrôle techniques dont les dérèglements sont lourds de conséquences pour la société.
b) Les requérants méconnaissent par ailleurs que, si les autorités publiques compétentes ne sauraient déléguer la << part régalienne >> de la fonction de maintien de l'ordre public (au sens le plus général du terme), il est non moins indispensable, dans une société aussi anonyme, complexe et vulnérable que la nôtre, d'associer, dans une certaine mesure, la société civile à la sauvegarde de l'ordre et de la sécurité publics.
Le devoir d'assistance aux autorités policières et judiciaires, l'obligation de porter témoignage sont connus de toutes les sociétés démocratiques.
Par ailleurs, les personnes privées exerçant leurs activités dans des lieux ouverts au public sont d'ores et déjà soumises à diverses obligations légales les conduisant à prendre des mesures pour assurer la protection de leurs clients et de leurs salariés.
Ainsi, les exploitants de cafés-bars et de discothèques sont tenus d'assurer le bon ordre dans leurs établissements, en vertu du code des débits de boissons; ils en sont responsables vis-à-vis de l'administration, même s'ils ne doivent pas se considérer comme des agents de l'ordre public.
En outre, les établissements recevant du public sont tenus par les articles R. 123-1 et suivants du code de la construction de prendre des dispositions contre les risques d'incendie et de panique.
Par ailleurs, la cour d'appel de Paris (7e chambre, section A), par un arrêt du 4 mars 1987, a rappelé que les banques sont tenues à une obligation de moyens pour assurer la sécurité de leurs clients dans leurs locaux.
Parmi ces mesures, l'installation de caméras de vidéosurveillance, qui fera l'objet d'une information adéquate, n'a rien de disproportionné au regard des risques encourus. Le public, lui, ne s'y trompe pas, qui, tous les sondages le montrent, se sent infiniment plus protégé que menacé par ces dispositifs et préfère de beaucoup la << captation >> provisoire des visages à une agression à main armée.
c) Il est totalement inexact d'affirmer que la loi déférée soustrairait quoi que ce soit aux compétences de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (C.N.I.L.). Le I de l'article 10 ne fait à cet égard que rappeler, sans en modifier les contours, le champ d'application de la loi du 6 janvier 1978: les traitements automatisés de données nominatives et les fichiers nominatifs. Tant que l'enregistrement des images ne vient pas alimenter un traitement nominatif ou un fichier nominatif, il reste en dehors du champ d'application de la loi du 6 janvier 1978, en vertu des dispositions mêmes de cette loi.
On ne pourrait soutenir le contraire qu'en estimant que l'enregistrement d'un visage, dépourvu de toute référence nominative, est en soi une donnée nominative au motif qu'il << porte l'empreinte >> d'une personnalité. Mais pareille thèse est contredite par les termes de la loi de 1978, comme par l'examen de ses travaux préparatoires.
Elle conduirait d'ailleurs à des conséquences absurdes, comme l'a notamment souligné le rapport de la C.N.I.L. sur la base duquel a été prise la délibération du 21 juin 1994 invoquée par les requérants:
- droit de rectification (mais comment rectifier une image?);
- application de la procédure très lourde prévue à l'article 31 de la loi de 1978 (décret en Conseil d'Etat pris sur avis conforme de la C.N.I.L.), même pour les opérations de vidéosurveillance privées les plus banales (surveillance des établissements bancaires);
- superposition de législations et de procédures de contrôle différentes,
même pour les dispositifs les plus simples de vidéosurveillance;
- gonflement démesuré du champ d'application de cette législation spéciale qu'est et doit rester la loi du 6 janvier 1978, puisque, virtuellement, tout le domaine audiovisuel y serait attrait;
d) Egalement inexacte est l'affirmation selon laquelle la procédure d'autorisation préfectorale constitue une délégation du pouvoir réglementaire confié au Premier ministre par l'article 21 de la Constitution. A la vérité, le préfet se bornera à prendre des actes individuels. Si de tels actes étaient réglementaires, une multitude de régimes d'autorisation administrative tomberait sous le coup de la critique des requérants;
l'exercice des polices spéciales devrait, à suivre ceux-ci, revenir au Premier ministre, submergeant ce dernier et paralysant l'Etat;
e) Sont parfaitement gratuites les affirmations selon lesquelles, par leur << flou >>, les différentes formulations retenues par la loi déférée ouvriraient la porte à l'arbitraire administratif et entacheraient la loi d'incompétence négative. Il suffit de se reporter aux expressions ainsi mises en cause pour se convaincre du contraire (<< visualisation spécifique des entrées d'immeubles >>, << lieux et établissements ouverts au public particulièrement exposés aux risques d'agression et de vol >>, << voie publique >>, << autorité publique >>, << aux fins d'assurer la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords >>...). Ces formules,
dont le degré de précision n'a rien d'insuffisant, ni surtout rien de critiquable au regard de l'article 34 de la Constitution, auront, de toute façon, à être déclinées, compte tenu des caractéristiques de chaque application et sous le contrôle du juge administratif, dans les décisions d'autorisation.
f) Est enfin au moins discutable la pétition de principe selon laquelle les mêmes règles de nécessité et de stricte proportionnalité s'imposeraient à la vidéosurveillance et aux activités de police limitant l'exercice des libertés. On peut l'admettre sans doute pour certains types de vidéosurveillance entraînant des intrusions dans la vie privée et qui, pour la plupart d'entre elles, relèvent non de la présente loi mais du code de procédure pénale. Mais il est abusif de regarder, de façon générale, les opérations de vidéosurveillance comme restreignant l'exercice des libertés au même titre, par exemple, que l'interdiction d'une réunion publique.
En tout état de cause, comme cela a été démontré précédemment, le grief manquerait en fait en l'espèce, le législateur ayant précisément eu pour souci de limiter le développement de la vidéosurveillance à ce qui est strictement nécessaire à la protection des personnes et des biens.
g) Les recours critiquent plus particulièrement la loi votée en tant qu'elle autoriserait la visualisation des entrées d'immeubles d'habitation. Précisons d'emblée que la loi interdit la visualisation des entrées d'immeubles si cette visualisation est opérée de manière << spécifique >>. Qui plus est, le Conseil pourra se reporter aux travaux préparatoires qui mettent en évidence le souci des assemblées de ménager une conciliation juridiquement et pratiquement convenable des droits individuels et des nécessités de l'ordre public. Il est en effet apparu que l'interdiction pure et simple, un instant envisagée, de visualiser toute entrée d'immeuble d'habitation rendrait tout bonnement impossible l'usage de la vidéosurveillance sur la voie publique, en dépit d'une nécessité avérée (on peut notamment penser aux besoins de régulation de la circulation automobile).
Il va cependant de soi que les mesures nécessaires à la protection des droits des personnes devront être prescrites, dans le cas où la visualisation (non spécifique) de l'entrée d'un immeuble par un appareil de vidéosurveillance ne pourra être évitée. Le préfet, après avis de la commission départementale, devra consigner les précautions utiles dans l'autorisation, en tenant compte de cette circonstance particulière.
h) Les recours soutiennent l'existence d'une violation de l'article 66 de la Constitution. Mais cela revient à poser a priori que l'existence d'une vidéosurveillance met en cause par elle-même la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, alors que cette mise en cause ne peut résulter que d'un mésusage de la vidéosurveillance, précisément sanctionné par le VI de l'article 10.
On peut relever à cet égard que la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 avril 1981, a jugé que la prise de photographies de personnes par hélicoptère, à basse altitude, par la gendarmerie, dans le cadre d'opérations générales de surveillance, se rattachait à ses obligations de veiller au maintien de la sécurité publique et ne violait pas les droits de la personne. La Cour de cassation a d'ailleurs systématiquement sanctionné l'usage au profit d'un tiers de l'image d'une personne et non pas le seul fait de recueillir cette image dans un lieu public.
i) Les recours critiquent l'éventualité d'un refus d'accès aux images,
motivé par des considérations de sécurité publique. Pourtant, il peut advenir qu'un tel refus soit opportun, voire indispensable: ainsi d'enregistrements portant sur des méthodes confidentielles utilisées par des sociétés de transport de fonds... L'article 6 de la loi du 17 juillet 1978, relative à l'accès aux documents administratifs, comporte une semblable restriction.


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Version 1

LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION

RELATIVE A LA SECURITE

I. - Sur l'article 10 de la loi déférée

L'argumentation exposée par les auteurs des deux recours est d'abord paradoxale et par là même inopérante. Méconnaissant que les activités de vidéosurveillance sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public n'étaient jusqu'ici nullement encadrées par la loi, les recours critiquent en vérité des dispositions protectrices de la liberté personnelle et de la vie privée, dispositions dont l'invalidation serait dommageable du point de vue des exigences mêmes dont les requérants se présentent comme les défenseurs.

Au surplus leur argumentation est inexacte sur plusieurs points essentiels. 1. L'argumentation des requérants est paradoxale et, par là même,

inopérante.

La simple lecture des dispositions critiquées montre dans quel esprit s'est prononcé le législateur: concilier deux ordres d'exigence d'égale valeur constitutionnelle.

La première de ces exigences est la sauvegarde de la vie privée et de la liberté personnelle, que le développement << sauvage >> de la vidéosurveillance est, dans certaines hypothèses, susceptible de léser.

La seconde est la sauvegarde de la sécurité et de l'ordre publics, sans lesquels les droits de l'homme les plus élémentaires - la sécurité personnelle, la liberté d'aller et de venir - seraient quotidiennement bafoués, comme le démontre malheureusement une actualité abondante.

A cet effet, les dispositions critiquées fixent des règles de fond et de procédure dont l'objectif est d'encadrer les activités de vidéosurveillance, de façon à prévenir les risques d'atteinte à la liberté personnelle et à la vie privée.

a) Des règles de fond:

La transmission et l'enregistrement d'images prises sur la voie publique,

par le moyen de la vidéosurveillance, ne peuvent être mis en oeuvre par les autorités publiques qu'aux fins d'assurer la sauvegarde d'impératifs d'ordre public incontestables, limitativement énumérés par la loi (cf. II de l'article 10) et dans la limite des compétences de ces autorités. Qui plus est, le II de l'article 10 ajoute à ces conditions que la vidéosurveillance ne peut être mise en oeuvre par les autorités publiques compétentes, aux fins de prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens, que << dans des lieux particulièrement exposés à des risques d'agression et de vol >>.

S'agissant de la vidéosurveillance privée, celle-ci est confinée par la loi déférée aux lieux et établissements ouverts au public particulièrement exposés aux risques d'agression et de vol et aux seules fins d'y assurer la sécurité des personnes et des biens.

La vidéosurveillance sur la voie publique ne doit pas permettre de visualiser les images de l'intérieur des immeubles d'habitation ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées.

Le public doit être informé, de façon claire et permanente, de l'existence du système de vidéosurveillance et de l'autorité ou de la personne responsable.

Sauf enquête de flagrant délit, enquête préliminaire ou information judiciaire, les enregistrements sont détruits dans un délai maximum fixé par l'autorisation et qui ne peut excéder un mois (cf. IV de l'article 10).

L'accès aux enregistrements des personnes dont l'image est enregistrée est aménagé par l'article 10 (cf. V) selon des modalités très proches de celles fixées par la loi du 6 janvier 1978 pour l'accès aux traitements de données nominatives.

Divers recours, administratifs ou juridictionnels, sont ouverts aux personnes concernées: saisine de la commission départementale, saisine du juge des référés, saisine de la juridiction compétente au fond, plainte pénale.

La méconnaissance des obligations imposées par l'article 10 aux personnes qui procèdent à des opérations de vidéosurveillance est en effet pénalement sanctionnée (cf. VI de l'article 10).

Enfin, lorsque l'enregistrement des images sert à constituer un fichier nominatif, et que celui-ci soit ou non automatisé, les dispositions protectrices de la loi du 6 janvier 1978 sont applicables, concurremment avec celles de la loi déférée (cf. I de l'article 10).

b) Des règles de procédure:

L'installation d'un système de vidéosurveillance est désormais subordonnée à une autorisation préfectorale. Sauf en matière de défense nationale, cette autorisation est délivrée après avis d'une commission départementale présidée par un magistrat (cf. III de l'article 10). On notera que la procédure ainsi prévue, sur deux points au moins, est plus protectrice que celle organisée par la loi du 6 janvier 1978 pour les traitements automatisés d'informations nominatives: d'une part, en effet, la disposition critiquée ne fait naître d'autorisation tacite qu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, alors que, selon l'article 15 de la loi de 1978, applicable aux traitements publics,

l'avis de la C.N.I.L. est réputé favorable à l'expiration d'un délai de deux mois seulement; d'autre part, les systèmes de vidéosurveillance privés comme publics sont soumis à autorisation par la loi déférée, alors que la loi << informatique et libertés >> soumet à une simple déclaration les traitements automatisés d'informations nominatives mis en oeuvre par le secteur privé (art. 16 de la loi de 1978).

L'autorisation doit prescrire toutes les précautions utiles, en particulier quant à la qualité des personnes chargées de l'exploitation du système et du visionnage des images et quant aux mesures à prendre pour assurer le respect des dispositions de la loi (information du public, modalités d'accès, durée de conservation...).

Ce simple rappel des dispositions critiquées dévoile le caractère paradoxal de la position des requérants: s'ils obtenaient l'invalidation de ce dispositif, les exigences constitutionnelles qu'ils entendent défendre seraient beaucoup moins bien satisfaites. On retrouverait alors en effet l'état de droit antérieur, lequel ignorait tout des nouvelles règles de procédure et de fond posées par l'article 10.

S'il aboutissait, le recours entraînerait donc une << régression >> de la protection des libertés et droits fondamentaux assez analogue à celles auxquelles font référence les décisions du Conseil constitutionnel citées dans la saisine (no 84-181 DC, no 84-185 DC, no 93-325 DC).

La contradiction interne de leur démarche n'ayant pu échapper aux auteurs de la saisine, il faut bien conclure que celle-ci est exclusivement motivée par des raisons de pure symbolique politique.

2. Au surplus, l'argumentation des requérants est inexacte sur plusieurs points essentiels.

Sans qu'il soit besoin de répondre en détail à une argumentation dont on a déjà dit le caractère globalement inopérant, force est cependant de relever les inexactitudes qui, viciant des éléments essentiels de la thèse des saisissants, démontrent une deuxième fois son absence de portée:

a) Les requérants feignent d'abord d'ignorer que, convenablement encadrée,

la vidéosurveillance participe de la sauvegarde d'exigences de valeur constitutionnelle. Parce qu'elle exerce un effet dissuasif sur la commission d'infractions (comme le montrent toutes les expérimentations), parce qu'elle peut apporter aux enquêtes judiciaires de précieux éléments d'information (c'est par exemple grâce à des enregistrements d'images effectués dans un supermarché qu'ont été retrouvés les auteurs de l'assassinat du petit James Bulger en Grande-Bretagne), parce qu'elle permet de réguler des systèmes complexes tels que le trafic automobile, la vidéosurveillance contribue à protéger les personnes et les biens, à maintenir l'ordre public et à assurer le bon fonctionnement de dispositifs de contrôle techniques dont les dérèglements sont lourds de conséquences pour la société.

b) Les requérants méconnaissent par ailleurs que, si les autorités publiques compétentes ne sauraient déléguer la << part régalienne >> de la fonction de maintien de l'ordre public (au sens le plus général du terme), il est non moins indispensable, dans une société aussi anonyme, complexe et vulnérable que la nôtre, d'associer, dans une certaine mesure, la société civile à la sauvegarde de l'ordre et de la sécurité publics.

Le devoir d'assistance aux autorités policières et judiciaires, l'obligation de porter témoignage sont connus de toutes les sociétés démocratiques.

Par ailleurs, les personnes privées exerçant leurs activités dans des lieux ouverts au public sont d'ores et déjà soumises à diverses obligations légales les conduisant à prendre des mesures pour assurer la protection de leurs clients et de leurs salariés.

Ainsi, les exploitants de cafés-bars et de discothèques sont tenus d'assurer le bon ordre dans leurs établissements, en vertu du code des débits de boissons; ils en sont responsables vis-à-vis de l'administration, même s'ils ne doivent pas se considérer comme des agents de l'ordre public.

En outre, les établissements recevant du public sont tenus par les articles R. 123-1 et suivants du code de la construction de prendre des dispositions contre les risques d'incendie et de panique.

Par ailleurs, la cour d'appel de Paris (7e chambre, section A), par un arrêt du 4 mars 1987, a rappelé que les banques sont tenues à une obligation de moyens pour assurer la sécurité de leurs clients dans leurs locaux.

Parmi ces mesures, l'installation de caméras de vidéosurveillance, qui fera l'objet d'une information adéquate, n'a rien de disproportionné au regard des risques encourus. Le public, lui, ne s'y trompe pas, qui, tous les sondages le montrent, se sent infiniment plus protégé que menacé par ces dispositifs et préfère de beaucoup la << captation >> provisoire des visages à une agression à main armée.

c) Il est totalement inexact d'affirmer que la loi déférée soustrairait quoi que ce soit aux compétences de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (C.N.I.L.). Le I de l'article 10 ne fait à cet égard que rappeler, sans en modifier les contours, le champ d'application de la loi du 6 janvier 1978: les traitements automatisés de données nominatives et les fichiers nominatifs. Tant que l'enregistrement des images ne vient pas alimenter un traitement nominatif ou un fichier nominatif, il reste en dehors du champ d'application de la loi du 6 janvier 1978, en vertu des dispositions mêmes de cette loi.

On ne pourrait soutenir le contraire qu'en estimant que l'enregistrement d'un visage, dépourvu de toute référence nominative, est en soi une donnée nominative au motif qu'il << porte l'empreinte >> d'une personnalité. Mais pareille thèse est contredite par les termes de la loi de 1978, comme par l'examen de ses travaux préparatoires.

Elle conduirait d'ailleurs à des conséquences absurdes, comme l'a notamment souligné le rapport de la C.N.I.L. sur la base duquel a été prise la délibération du 21 juin 1994 invoquée par les requérants:

- droit de rectification (mais comment rectifier une image?);

- application de la procédure très lourde prévue à l'article 31 de la loi de 1978 (décret en Conseil d'Etat pris sur avis conforme de la C.N.I.L.), même pour les opérations de vidéosurveillance privées les plus banales (surveillance des établissements bancaires);

- superposition de législations et de procédures de contrôle différentes,

même pour les dispositifs les plus simples de vidéosurveillance;

- gonflement démesuré du champ d'application de cette législation spéciale qu'est et doit rester la loi du 6 janvier 1978, puisque, virtuellement, tout le domaine audiovisuel y serait attrait;

d) Egalement inexacte est l'affirmation selon laquelle la procédure d'autorisation préfectorale constitue une délégation du pouvoir réglementaire confié au Premier ministre par l'article 21 de la Constitution. A la vérité, le préfet se bornera à prendre des actes individuels. Si de tels actes étaient réglementaires, une multitude de régimes d'autorisation administrative tomberait sous le coup de la critique des requérants;

l'exercice des polices spéciales devrait, à suivre ceux-ci, revenir au Premier ministre, submergeant ce dernier et paralysant l'Etat;

e) Sont parfaitement gratuites les affirmations selon lesquelles, par leur << flou >>, les différentes formulations retenues par la loi déférée ouvriraient la porte à l'arbitraire administratif et entacheraient la loi d'incompétence négative. Il suffit de se reporter aux expressions ainsi mises en cause pour se convaincre du contraire (<< visualisation spécifique des entrées d'immeubles >>, << lieux et établissements ouverts au public particulièrement exposés aux risques d'agression et de vol >>, << voie publique >>, << autorité publique >>, << aux fins d'assurer la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords >>...). Ces formules,

dont le degré de précision n'a rien d'insuffisant, ni surtout rien de critiquable au regard de l'article 34 de la Constitution, auront, de toute façon, à être déclinées, compte tenu des caractéristiques de chaque application et sous le contrôle du juge administratif, dans les décisions d'autorisation.

f) Est enfin au moins discutable la pétition de principe selon laquelle les mêmes règles de nécessité et de stricte proportionnalité s'imposeraient à la vidéosurveillance et aux activités de police limitant l'exercice des libertés. On peut l'admettre sans doute pour certains types de vidéosurveillance entraînant des intrusions dans la vie privée et qui, pour la plupart d'entre elles, relèvent non de la présente loi mais du code de procédure pénale. Mais il est abusif de regarder, de façon générale, les opérations de vidéosurveillance comme restreignant l'exercice des libertés au même titre, par exemple, que l'interdiction d'une réunion publique.

En tout état de cause, comme cela a été démontré précédemment, le grief manquerait en fait en l'espèce, le législateur ayant précisément eu pour souci de limiter le développement de la vidéosurveillance à ce qui est strictement nécessaire à la protection des personnes et des biens.

g) Les recours critiquent plus particulièrement la loi votée en tant qu'elle autoriserait la visualisation des entrées d'immeubles d'habitation. Précisons d'emblée que la loi interdit la visualisation des entrées d'immeubles si cette visualisation est opérée de manière << spécifique >>. Qui plus est, le Conseil pourra se reporter aux travaux préparatoires qui mettent en évidence le souci des assemblées de ménager une conciliation juridiquement et pratiquement convenable des droits individuels et des nécessités de l'ordre public. Il est en effet apparu que l'interdiction pure et simple, un instant envisagée, de visualiser toute entrée d'immeuble d'habitation rendrait tout bonnement impossible l'usage de la vidéosurveillance sur la voie publique, en dépit d'une nécessité avérée (on peut notamment penser aux besoins de régulation de la circulation automobile).

Il va cependant de soi que les mesures nécessaires à la protection des droits des personnes devront être prescrites, dans le cas où la visualisation (non spécifique) de l'entrée d'un immeuble par un appareil de vidéosurveillance ne pourra être évitée. Le préfet, après avis de la commission départementale, devra consigner les précautions utiles dans l'autorisation, en tenant compte de cette circonstance particulière.

h) Les recours soutiennent l'existence d'une violation de l'article 66 de la Constitution. Mais cela revient à poser a priori que l'existence d'une vidéosurveillance met en cause par elle-même la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, alors que cette mise en cause ne peut résulter que d'un mésusage de la vidéosurveillance, précisément sanctionné par le VI de l'article 10.

On peut relever à cet égard que la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 avril 1981, a jugé que la prise de photographies de personnes par hélicoptère, à basse altitude, par la gendarmerie, dans le cadre d'opérations générales de surveillance, se rattachait à ses obligations de veiller au maintien de la sécurité publique et ne violait pas les droits de la personne. La Cour de cassation a d'ailleurs systématiquement sanctionné l'usage au profit d'un tiers de l'image d'une personne et non pas le seul fait de recueillir cette image dans un lieu public.

i) Les recours critiquent l'éventualité d'un refus d'accès aux images,

motivé par des considérations de sécurité publique. Pourtant, il peut advenir qu'un tel refus soit opportun, voire indispensable: ainsi d'enregistrements portant sur des méthodes confidentielles utilisées par des sociétés de transport de fonds... L'article 6 de la loi du 17 juillet 1978, relative à l'accès aux documents administratifs, comporte une semblable restriction.