JORF n°0006 du 8 janvier 2025

PARTIE 1 : PROMOUVOIR L'OUVERTURE VERS ET DANS LA CITÉ

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Les droits et la mobilité dans les quartiers

Résumé Les gens des quartiers ont du mal à bouger à cause de limites.
  1. « Les droits sont dans le quartier. » Cette phrase a surgi dans chacune des rencontres. Elle marque une distinction entre un « intérieur » du quartier avec ses propres normes sociales et un « extérieur » qui ne garantirait pas leurs droits. Dans cette géographie, le droit national, loin d'être perçu comme protecteur, apparaît comme instrument de domination, mêlé d'une forte méfiance à l'égard des forces de l'ordre et de la justice. Cette vision favorise d'autant l'émergence de règles parallèles.

  2. Entraves à la mobilité et enfermement territorial

  3. Le périphérique, la station de métro ou la rue parallèle établissent les limites du quartier : « On ne peut pas aller manifester sur le champ de Mars, on va se faire tuer avant de dépasser le périph ! ». Physiques ou psychologiques, ces barrières structurent le quotidien de celles et ceux qui y vivent ou travaillent. Les tentatives louables pour aider à les franchir - procédures facilitant l'accès à la culture, cours sur les droits civiques ou les séjours de loisirs pour découvrir d'autres horizons - peinent à produire un impact tangible.

  4. La première des conditions pour se déplacer est de disposer des moyens pour le faire (10). Cela implique un réseau de transports en commun disponible et accessible à tous, sur l'ensemble du territoire. Cette mobilité physique est d'ailleurs présentée comme un atout important par les habitants lorsque l'offre est conséquente. A l'inverse, là où elle s'avère insuffisante, que ce soit en périphérie urbaine ou en milieu rural, elle constitue un véritable handicap (11). Elle complique l'accès aux soins, au travail, à l'éducation et aux loisirs. Au-delà, la mobilité est un sujet, où les ruptures d'égalité de genre se posent avec acuité (12). Les femmes sont notamment les premières utilisatrices des transports en commun et sont donc davantage touchées par les désagréments qui y sont associés (13). Dans ce cadre, la CNCDH recommande la promotion et le financement de politiques de mobilité qui visent à rendre les transports en commun réellement accessibles pour tous les jeunes.

  5. L'enfermement territorial - à la fois réel et vécu - n'est pas le fait des seules zones faiblement pourvues en transports en commun. Même dans les cas où des offres de service existent, nombreux sont les jeunes qui ne sortent jamais - ou exceptionnellement - du quartier. Certains, par exemple, limitent leur recherche de stage à leur quartier, comme rassurés par ses limites et inquiets de ce qui peut exister au-delà de ses frontières, visibles ou invisibles. Cette autocensure plus ou moins consciente exprime aussi la certitude qu'ils n'ont aucune chance de se voir accorder un stage « hors du quartier ».

  6. Un quotidien marqué par la ségrégation

  7. Les discriminations raciales contribuent à cet enfermement territorial. En effet, elles font partie du quotidien des quartiers. Une étude (14) montre que 77 % des personnes interrogées relatent au moins une expérience personnelle de discrimination ou de stigmatisation, et cet indice monte à 99 % quand s'ajoute à cela le fait d'avoir été témoin d'une telle expérience. Les quartiers populaires sont majoritairement habités par des personnes en situation de pauvreté (15) et concentrent les discriminations raciales (16). Elles se manifestent notamment dans le secteur de l'emploi en particulier lors des recrutements, renforçant ainsi les sentiments d'exclusion, d'injustice et d'enfermement territorial (17). Alors que l'emploi pourrait être un vecteur de mobilité sociale et urbaine et que les discriminations raciales sont prohibées notamment par l'article L. 1132-1 du code du travail, des études montrent que les personnes portant un nom à consonance étrangère (africains, maghrébins, asiatiques) ont moins de chances d'obtenir le poste auquel elles ont postulé, d'autant moins « si le nom se combine avec une adresse d'habitation dans un quartier populaire, la situation est aggravée » (18).

  8. Plusieurs habitants ont exprimé ce sentiment de confinement territorial se percevant comme regroupés entre pauvres dans un espace fermé et sans réelle perspective d'avenir : « on est parqués entre nous », « casser l'enclavement ça pourrait être bien, pour ne plus pourrir entre nous » (19). Lors des évènement de l'été 2023, la sur-occupation des logements à cet égard a été un facteur très important en Ile-de-France : dans les communes où le taux de sur-occupation des logements était supérieur à 12,75 %, le risque de connaître une émeute était multiplié par cinq (20). La loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté avait pour but de favoriser la mixité sociale en augmentant l'accueil des ménages les plus modestes hors Quartier Prioritaire de politique de la Ville (QPV). Force est de constater, comme l'indique un rapport de l'Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) de 2021, que cette « réforme n'atteint pas aujourd'hui ces objectifs » (21).

  9. Le trafic de drogue, facteur d'enfermement territorial et social

  10. Dans tous les cas, le trafic de drogue, ses évolutions, son ampleur, bouleversent la vie sociale des quartiers où il s'est implanté. Illégal, il prend des formes multiples qui aboutissent toutes à renforcer l'isolement, voire l'enfermement, du quartier et de ses habitants. Il peut atteindre un niveau de présence et de corruption tel qu'il en vient à remplir une fonction d'organisation collective, de sociabilité pervertie, imprégnant profondément la vie des habitantes et des habitants, des très jeunes aux adultes (22). Les habitants du quartier, confrontés au trafic, évoquent les difficultés qu'ils rencontrent pour en tenir leurs enfants éloignés : « La rue est plus forte ». De leur côté, les travailleurs sociaux pointent les difficultés qui naissent du trafic et entravent leur exercice professionnel. Dans ce contexte, les habitants - plus particulièrement les mères, souvent en première ligne contre les dealers - expriment un sentiment d'incompréhension et d'abandon des pouvoirs publics. La revendication d'une police de proximité accompagne celle d'un surcroît d'animateurs de rue. Elle surgit en contrepoint des pratiques policières de lutte contre le trafic, qui sont rapidement vécues comme brutales, indiscriminées et inefficaces.

  11. La mixité scolaire, un levier potentiel

  12. Dans ce contexte, la mise en œuvre de la mixité scolaire apparaît comme un levier potentiel d'importance face à « l'enfermement territorial ». La France est en effet l'un des pays où les inégalités de naissance pèsent fortement sur les trajectoires scolaires, marquées de mécanismes d'entre soi ou de réseaux qui demeurent très forts. Certes, l'article L. 111-1 du code de l'éducation dispose que l'éducation est un droit pour tous les enfants résidant en France, « sans aucune distinction », ce qui permet de lutter contre les inégalités sociales et territoriales (23). Dans plusieurs villes, des lycées publics « biens cotés » acceptent donc tous les dossiers mais, sous couvert de « réorientation », redirigent certains élèves vers des établissements proposant des formations professionnelles (24). Dans ces formations les jeunes issus de l'immigration sont massivement représentés ce qui engendre chez les élèves le sentiment d'une discrimination systémique (25). Ce processus, reconduit d'année en année, loin de favoriser l'égalité, verrouille encore davantage les frontières invisibles qui séparent les jeunes des quartiers populaires des autres, limite leurs ambitions et leur mobilité sociale dès le collège. Il perpétue une logique d'exclusion au sein du système éducatif et l'enracine dans la conscience collective du quartier, contribuant à un enfermement culturel et social, stigmatisant d'autant ses habitants.

  13. Une étude de l'Institut des politiques publiques d'octobre 2024 (26) interroge la pertinence des politiques zonées. En effet, les collèges publics des quartiers entrés dans le périmètre de la politique de la ville ont vu une augmentation de l'évitement scolaire par rapport aux collèges des quartiers situés au-dessus du seuil d'éligibilité. Cet évitement scolaire a été immédiat et a persisté jusqu'à cinq ans après la réforme de la géographie prioritaire. En revanche, les collèges des quartiers sortis de la géographie prioritaire n'ont pas connu d'amélioration en termes d'attractivité par rapport à ceux restés dans le périmètre de la politique de la ville. Les politiques « zonées » semblent donc contribuer à renforcer une forme de ségrégation sociale au sein des établissements scolaires. Dans ces conditions, il paraît urgent de repenser les stratégies d'intervention pour ne pas stigmatiser les écoles situées dans un quartier, alors que dans le même temps les écoles en quartiers prioritaires manquent de moyens (27) et de professeurs expérimentés. Il est donc urgent de réinventer des politiques spécifiques, assorties de financements conséquents (28).

  14. La mixité scolaire a l'avantage d'offrir non seulement de meilleures perspectives d'apprentissage, mais aussi de permettre une projection à l'extérieur du quartier grâce aux nouvelles rencontres et aux déplacements au sein de la ville (29). La réflexion sur la carte scolaire associée à une forte mobilisation de moyens humains en termes d'accompagnement à chaque étape, qu'il s'agisse de transports dédiés ou d'enseignement à proprement parler, devrait être un objectif mené sur l'ensemble du territoire national. Dans ce contexte, il semble essentiel de garantir la mise en œuvre d'une répartition équilibrée des élèves dans chacune des classes avec des effectifs limités ; une offre spécifique de formation des enseignants sur la gestion de l'hétérogénéité scolaire ; la mise en place d'heures d'accompagnement réellement personnalisées ; un transport scolaire dédié, direct, gratuit et accompagné ; ou encore la valorisation des écoles et de leur cadre de vie (30). Cela passe évidemment par des financements associés à des politiques adaptées favorisant notamment la mixité scolaire.

  15. Des aspirations et des rêves placés sous tensions

  16. Les témoignages recueillis font ressortir que les expériences de mobilité, telles que des séjours d'étude, le travail ou des vacances, donnent l'occasion de comparer son environnement à d'autres, de constater les disparités territoriales et, ainsi, de développer une vision alternative à son propre cadre de vie. Cette expérience de la différence peut nourrir une prise de conscience, une distance critique sur sa situation et inviter à réfléchir sur ses aspirations, sa place au sein de la société, les fonctionnements sociaux. « C'est en allant visiter d'autres villes, qu'en fait, on se rend compte qu'on est pauvres ». Ces opportunités de mobilité doivent être rendues accessibles dès le plus jeune âge, afin de contribuer à élargir le champ des possibles.

  17. Interrogés sur la façon dont ils envisagent leur avenir, les jeunes rencontrés ont tous eu le même type de réponse : « loin… ailleurs… », allant jusqu'à nommer tel ou tel pays étranger, sans pour autant avoir de projet professionnel concret. Si l'attachement au quartier où ils sont nés, ou ont grandi, est réel, palpable, il ne résiste pas à un sentiment global de rejet, nourri de perspectives locales faibles, y compris pour celles et ceux qui obtiennent un diplôme, poursuivent des études supérieures ou décrochent un emploi (31). Ainsi, à la question posée de façon systématique lors des missions de terrain : « Comment voyez-vous le quartier dans 10 ans ? » la réponse est bien souvent « Je ne le vois pas… je pars ». L'attrait du « partir » est donc largement consécutif à la prise de conscience d'une différence stigmatisante, diffuse et lourde, à leur encontre.

  18. Ce rejet s'illustre de façon frappante dans les rapports de force qui caractérisent les productions culturelles nées des quartiers et exprimant la vie de leurs habitants, leurs problèmes, leurs rêves. Un an après les événements de Nanterre, on croise encore des tags évoquant les violences urbaines, tels que « Justice pour Nahel ». Cette expression artistique et culturelle, née du mouvement hip-hop en France dans les années 80, a inauguré une forme inédite de chronique urbaine, documentant les maux, les frustrations, mais aussi l'énergie créative de ceux qui se sont emparés de la parole. Elle a anticipé les tensions sociales observées sur le terrain, en mettant en lumière à la fois le malaise et les potentiels de violence, ainsi que la vitalité créative des jeunes. Aujourd'hui, cette culture a profondément imprégné la société française. Elle est devenue un pilier de la scène musicale française, avec le rap et le hip-hop en tête des genres les plus écoutés à l'international (32) et représente 49 % des morceaux écoutés dans le Top 10 000 France en streaming, selon le rapport de l'année 2022 (33) du Centre national de la musique. Cette influence s'étend au-delà de la musique, comme en témoigne l'institutionnalisation du breakdance, reconnu comme une discipline olympique aux Jeux de 2024. Une tension forte demeure néanmoins entre le poids de cette culture populaire et sa reconnaissance comme « culture légitime ».

  19. Il apparaît central et urgent de reconnaître le rôle précurseur de certaines politiques locales qui, bien avant l'engouement partiel du marché culturel, ont soutenu cette création. Ces initiatives ont misé sur une culture expressive, entre oralité et écriture. Pour accompagner cette dynamique sans chercher à la normer ou la contrôler, il est crucial de créer des espaces d'expression libres et inclusifs. L'utilisation des graffitis ou des collages à la suite des violences urbaines pour permettre de verbaliser la colère (34), la mise à disposition d'espaces permettant de se retrouver et de créer, les festivals d'arts de rue, l'accompagnement d'initiatives locales d'expression culturelle sont autant d'exemples à encourager afin de favoriser les voix et la place des jeunes.