I. - FAITS ET PROCÉDURE
Le 17 octobre 2000, le groupe d'édition italien Rizzoli Corriere de la Serra (RCS) annonçait l'acquisition par une filiale de droit néerlandais, RCS International Books BV, de 77,69 % du capital et de 73,26 % des droits de vote de la société Flammarion au prix unitaire de 78,17 EUR par action.
Conformément aux dispositions des articles 5-4-1 et 5-4-2 du règlement général du Conseil des marchés financiers, RCS International Books BV déposait, le 18 octobre 2000, une garantie de cours portant sur la totalité des actions Flammarion au prix de 78,20 EUR par titre.
Ce prix représentait une prime de 84 % par rapport au dernier cours coté (42,5 EUR) le 17 octobre 2000 et de 132 % par rapport au cours moyen de Flammarion depuis le début de l'année 2000.
Entre janvier et septembre 2000, le cours du titre Flammarion avait oscillé entre 26 EUR et 41 EUR pour un volume d'échange quotidien de 436 titres en moyenne. Or, à partir du 2 octobre 2000, le cours progressait de façon constante pour passer de 37 EUR à 42,5 EUR le 17 octobre 2000, soit une augmentation de 15 %. De même, les volumes échangés connaissaient une augmentation importante, avec notamment 4 884 titres échangés le 11 octobre 2000 et 3 376 titres le 12 octobre 2000.
Ces faits ont conduit le directeur général de la Commission des opérations de bourse, en application des articles L. 621-14 et L. 621-15, à décider le 27 octobre 2000 l'ouverture d'une enquête sur le marché du titre Flammarion à compter du 30 juin 2000.
Le résultat de ces investigations a conduit le directeur général de la Commission des opérations de bourse, en application de l'article 5 du décret n° 90-263 du 23 mars 1990 relatif à la procédure de sanctions administratives prononcées par la Commission des opérations de bourse, modifié par le décret n° 2000-721 du 1er août 2000, à demander au président, par lettre du 17 août 2001, de désigner parmi les membres de la commission un rapporteur chargé, après examen du dossier, de notifier d'éventuels griefs à la ou aux personnes mises en cause. Le 24 septembre 2001, le président de la commission a nommé M. Jean-François Lepetit en qualité de rapporteur.
Ce dernier a notifié, le 16 octobre 2001, à M. Claudio Calabi des griefs sur le fondement de l'article 2 du règlement n° 90-08 relatif à l'utilisation d'une information privilégiée et des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier.
Dans ses observations du 8 novembre 2001, M. Calabi, représenté par Me Philippe Villey, ne conteste pas avoir acquis, entre les 4 et 18 octobre 2000, 9 790 actions Flammarion à un prix unitaire compris entre 37,28 EUR et 42,94 EUR et les avoir revendues à concurrence de 8 200 actions le 7 novembre 2000 au prix unitaire de 78,20 EUR, et à concurrence de 1 590 actions le 8 novembre 2000 au prix unitaire de 77,96 EUR.
Il souligne que, bien que ces opérations aient été accomplies soit sur des comptes joints de ses parents, sur lesquels il disposait d'une procuration générale, soit sur des comptes joints entre lui et son frère, M. Tullio Calabi, il a seul donné les ordres correspondants, sans que ses parents et son frère en soient informés.
M. Calabi ne conteste pas qu'au moment de ses achats il était détenteur d'une information privilégiée sur les négociations en cours entre les dirigeants de la société Flammarion et ceux de la société Rizzoli, dont il était administrateur délégué.
Il expose qu'il a pris conscience du caractère illégal de ses opérations sur le titre Flammarion et qu'il a tenu à en tirer immédiatement les conséquences :
- en premier lieu, il a informé dès le 27 novembre 2000 le président de la société Rizzoli et l'administrateur délégué de la société mère, et il a donné sa démission de ses fonctions d'administrateur délégué de la société Rizzoli. Cette démission a pris effet le 28 février 2001, date à laquelle il a quitté effectivement le groupe Rizzoli ;
- en second lieu, il s'est présenté spontanément le 7 mars 2001 devant la Commission des opérations de bourse afin de donner le détail des opérations qu'il avait faites sur le titre Flammarion en octobre et novembre 2000, de reconnaître qu'il s'agissait d'opérations d'initié et d'assumer ainsi toutes ses responsabilités.
Il a précisé de lui-même avoir réalisé, par ses opérations, une plus-value égale, globalement et en chiffres arrondis, à 2,4 millions de francs.
M. Calabi fait enfin valoir qu'au cours de sa vie professionnelle il n'a jamais exercé de fonction dans une société cotée et qu'il n'avait jamais eu à veiller particulièrement au respect des règles applicables aux sociétés cotées et aux opérations sur leurs titres.
II. - DÉCISION
Considérant que, selon les articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier, la Commission des opérations de bourse peut sanctionner les pratiques contraires à ses règlements lorsqu'elles ont notamment pour effet de porter atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts et de procurer un avantage qui n'aurait pas été obtenu dans le cadre normal du marché ;
Considérant que l'article 2, alinéa 1er, du règlement n° 90-08 énonce que « les personnes disposant d'une information privilégiée à raison de leur qualité de membres des organes d'administration, de direction, de surveillance d'un émetteur, ou à raison des fonctions qu'elles exercent au sein d'un tel émetteur doivent s'abstenir d'exploiter, pour compte propre ou pour compte d'autrui, une telle information sur le marché, soit directement, soit par personne interposée, en achetant ou en vendant des titres de cet émetteur, ou des produits financiers liés à ce titre » ; que l'article 1er du même règlement qualifie d'information privilégiée « une information non publique, précise, concernant un ou plusieurs émetteurs, une ou plusieurs valeurs mobilières, un ou plusieurs contrats à terme négociables, un ou plusieurs produits financiers cotés qui, si elle était rendue publique, pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur, du contrat ou du produit financier concerné » ;
Considérant que le comportement de M. Calabi doit être examiné au regard des textes qui viennent d'être rappelés ;
Sur l'existence et la détention d'une information privilégiée :
Considérant, en l'espèce, que l'information privilégiée était relative au lancement d'une garantie de cours sur la totalité des actions de la société Flammarion ;
Considérant que l'information conserve un caractère « non public » tant qu'elle n'est pas diffusée dans le public ; qu'il résulte des investigations effectuées que l'existence d'un projet de garantie de cours sur la totalité des actions de la société Flammarion n'était connue que d'un cercle restreint de personnes jusqu'au 18 octobre 2000, date à laquelle celui-ci a été porté à la connaissance du public à la suite de la saisine, par la société RCS, du Conseil des marchés financiers ;
Considérant que l'article 1er du règlement n° 90-08 précité vise la détention d'une information « précise » ; qu'il n'exige pas pour autant que cette information présente un caractère certain, comme l'a récemment confirmé la chambre commerciale de la Cour de cassation dans une décision du 5 octobre 1999 dans la suite d'une jurisprudence constante et ancienne selon laquelle « pour qu'une information présente un caractère privilégié au sens du règlement n° 90-08, il n'est pas nécessaire qu'elle soit certaine mais seulement qu'elle soit précise » ; qu'il suffit, comme l'a jugé la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 26 mai 1993, qu'existe « un projet suffisamment défini entre les parties pour avoir des chances raisonnables d'aboutir, peu important l'existence d'aléas, inhérents à toutes opérations de cette nature, quant à la réalisation effective de ce projet » ;
Considérant, en l'espèce, que M. Calabi détenait dès le 3 octobre 2000 des informations sur l'existence de négociations en cours entre le groupe RCS et la société Flammarion sur le montant de la prime qui serait offerte en cas de garantie de cours et sur la consistance des garanties offertes par les actionnaires de Flammarion et qu'il les a exploitées sur le marché avant qu'elles soient rendues publiques ; que M. Calabi a admis, lors de son audition, qu'il avait un très grand degré de certitude sur la conclusion de l'opération au moment où il avait donné ses ordres d'achat ; qu'il a ajouté, lors de son audition, le 5 octobre 2000, que les principales difficultés rencontrées avec les dirigeants étaient levées et que l'issue des négociations était en vue ainsi que la conclusion de l'accord ;
Considérant que l'article 1er du règlement n° 90-08 précité vise une information qui, « si elle était rendue publique, pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur » ; qu'en l'espèce l'annonce de la garantie de cours sur les actions de la société Flammarion effectuée le 18 octobre 2000 était susceptible d'avoir une incidence sur le cours du titre Flammarion, le prix proposé (78,20 EUR) représentant une prime de 84 % par rapport au dernier cours coté (42,5 EUR) le 17 octobre 2000 et de 132 % par rapport au cours moyen de Flammarion depuis le début de l'année 2000 ; que M. Calabi a admis, lors de son audition par le service de l'inspection le 7 mars 2000, qu'il connaissait cette incidence au moment où il avait passé ses ordres d'achat ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'entre les 4 et 18 octobre 2000, dates auxquelles il a acquis 9 790 titres Flammarion sur le marché, M. Calabi, informé du projet de garantie de cours et des garanties offertes aux actionnaires, était, à raison des fonctions qu'il exerçait, en possession d'une information privilégiée au sens de la réglementation applicable ; que cette information portait sur l'existence d'un projet de garantie de cours, qu'elle était précise, qu'elle n'était pas publique et que, si elle avait été rendue publique, elle était de nature à avoir une incidence sur le cours du titre Flammarion ; qu'elle constituait, en conséquence, une information privilégiée que M. Calabi ne devait pas exploiter en intervenant sur le marché du titre Flammarion ;
Sur l'exploitation de l'information privilégiée :
Considérant que l'article 2 du règlement n° 90-08 précité que « les personnes disposant d'une information privilégiée (...) à raison des fonctions qu'elles exercent au sein d'un tel émetteur doivent s'abstenir d'exploiter, pour compte propre ou pour compte d'autrui, une telle information sur le marché, soit directement, soit par personne interposée, en achetant ou en vendant des titres de cet émetteur (...) » ;
Considérant qu'à l'époque des faits M. Calabi occupait les fonctions d'administrateur délégué de la société RCS ; qu'à ce titre il était parfaitement informé des négociations qu'il menait directement, au nom de la société Rizzoli, avec les dirigeants de la société Flammarion entre les mois de juin et d'octobre 2000 ; qu'il a d'ailleurs lui-même reconnu, lors de son audition le 7 mars 2001, que « les fonctions d'administrateur délégué et de directeur général [qu'il occupait le] plaçaient au plus haut de la hiérarchie opérationnelle de la société Rizzoli », et qu'il était donc initié à raison de sa qualité de membre des organes de direction ;
Considérant que M. Calabi ne conteste pas avoir acquis, entre les 4 et 18 octobre 2000, 9 790 actions Flammarion, alors qu'il détenait une information privilégiée, à un prix unitaire compris entre 37,28 EUR et 42,94 EUR et cédé, le 7 novembre 2000, 8 200 actions Flammarion au prix unitaire de 78,20 EUR, et, le 8 novembre 2000, 1 590 actions au prix unitaire de 77,96 EUR, réalisant ainsi une plus-value estimée à 2 400 000 F ;
Sur la sanction :
Considérant que l'acquisition des 9 790 titres effectuée en contradiction avec l'article 2 du règlement n° 90-08 a eu pour effet de procurer à M. Calabi un avantage qui n'aurait pas été obtenu dans le cadre normal du marché, au sens de l'article L. 621-14 du code monétaire et financier ; qu'il a ainsi réalisé une plus-value de 2 400 000 F ;
Considérant que, selon l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité du manquement commis et en relation avec les avantages ou les profits tirés de ce manquement ;
Considérant que, compte tenu des circonstances, il sera fait une juste application du principe de proportionnalité en fixant le montant de la sanction pécuniaire à 600 000 EUR, soit un peu plus du double du montant de la plus-value réalisée.
Par ces motifs et après en avoir délibéré,
Décide de :
- prononcer une sanction pécuniaire de 600 000 EUR à l'encontre de M. Claudio Calabi ;
- publier la présente décision au Bulletin mensuel de la Commission des opérations de bourse ainsi qu'au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 15 janvier 2002.
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