JORF n°0227 du 1 octobre 2015

Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement le 18 septembre 2015, en application de l'article 14 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, des prévisions macroéconomiques et d'éléments d'information relatifs aux finances publiques sur lesquels reposent les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2016. Le Haut Conseil a adopté, après en avoir délibéré lors de sa séance du 25 septembre 2015, le présent avis.

Synthèse

Scénario macroéconomique

Si les facteurs favorables à un redressement de l'activité (notamment la baisse du prix du pétrole, celle de l'euro et un policy-mix (1) plus accommodant en zone euro) sont toujours présents, les inquiétudes se sont accentuées cet été concernant les économies émergentes. Les prévisions de croissance pour la zone euro ont été revues à la baisse, même si les enquêtes de conjoncture restent bien orientées.
Dans ce contexte, au vu d'un acquis de croissance à la fin du premier semestre aujourd'hui estimé à 0,9 %, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 1,0 % en 2015 devrait se réaliser.
Compte tenu de l'accroissement des incertitudes depuis l'été, le Haut Conseil considère que l'hypothèse d'une croissance de 1,5 % en 2016 ne peut plus être qualifiée de « prudente », comme elle l'avait été en avril dernier. Il estime toutefois que, soutenue par la demande interne et européenne, elle demeure atteignable.
Pour l'année 2015, l'hypothèse d'une hausse des prix de 0,1 % en moyenne annuelle est réaliste. En 2016, le Haut Conseil estime que la hausse des prix pourrait être inférieure à l'hypothèse de 1,0 % retenue par le Gouvernement. Une inflation plus faible aurait une incidence positive sur le pouvoir d'achat des ménages mais rendrait la réduction du déficit public plus difficile.
Le Haut Conseil estime que les prévisions d'emploi pour 2015 et 2016 sont cohérentes avec les hypothèses de croissance. La prévision de masse salariale pour 2015 a été révisée à juste titre. En revanche, le Haut Conseil considère que la progression de la masse salariale pourrait être moindre que ne le prévoit le Gouvernement en 2016, ce qui aurait un impact négatif sur les recettes de cotisations sociales.

Scénario de finances publiques

Pour 2016, le Gouvernement a révisé à la hausse son estimation de la croissance potentielle (1,5 % contre 1,3 % dans la loi de programmation). Cette révision conduit à un niveau de solde structurel de - 1,2 % du PIB en 2016 et à un ajustement structurel de 0,5 point de PIB.
Avec la croissance potentielle de la loi de programmation, le solde structurel serait de - 1,3 % du PIB et l'ajustement structurel de 0,4 point de PIB en 2016.
Même si la loi organique du 17 décembre 2012 ouvre cette possibilité, le Haut Conseil réitère sa réserve de principe, déjà formulée en avril, sur cette révision des hypothèses de croissance potentielle de la loi de programmation. Une révision en dehors de ce cadre ne permet pas de suivre convenablement l'évolution de la composante structurelle du déficit et nuit à la lisibilité de la politique budgétaire. Pour un même niveau de déficit nominal, une hypothèse de croissance potentielle plus élevée conduit à une estimation moindre du déficit structurel.
Le Haut Conseil constate qu'en tout état de cause, la trajectoire de solde structurel est en avance sur les objectifs de la loi de programmation. Avec les hypothèses de calcul de la loi de programmation, le déficit structurel visé dans le projet de loi de finances est inférieur en 2016 de 0,5 point à celui prévu dans cette loi.
Par ailleurs, le Haut Conseil rappelle que les cessions de licences 4G devraient être traitées comme des mesures ponctuelles et temporaires dans le calcul du solde structurel.
Le Haut Conseil considère que l'objectif d'amélioration du solde structurel en 2015 devrait être atteint sous réserve de poursuivre une gestion stricte des dépenses. Il en serait de même pour le solde effectif, dont la réduction resterait toutefois modeste.
En 2016, les finances publiques devraient bénéficier de la reprise modérée de la croissance, mais des risques significatifs pèsent sur la réalisation de l'objectif de ralentissement de la dépense en volume, particulièrement ambitieux au regard de sa trajectoire passée. Si cet objectif de dépense n'était pas tenu, le solde structurel serait dégradé par rapport au niveau prévu.

Introduction

Aux termes des dispositions de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012, le Haut Conseil doit rendre un avis portant sur :

- les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent les projets de lois de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS), d'une part ;
- la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques, d'autre part.

Pour le présent avis, le Haut Conseil a pris connaissance des prévisions et des analyses issues d'un ensemble d'institutions et organismes : l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la Banque de France, la Banque centrale européenne (BCE), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Fonds monétaire international (FMI), Coe-Rexecode, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il a procédé aux auditions des représentants de la Banque de France, de l'OCDE, du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), de Coe-Rexecode, de l'OFCE et de l'économiste en chef pour l'Europe de Barclays.
Préalablement à la saisine du Gouvernement intervenue le 18 septembre 2015, dans les délais prévus par la loi organique, le Haut Conseil a pu bénéficier dès le mois de juillet de premiers échanges sur le scénario macroéconomique et de finances publiques avec les ministres chargés des finances et du budget. Il a également été destinataire d'éléments de cadrage sur l'économie mondiale le 11 septembre. La saisine était accompagnée des réponses au questionnaire du Haut Conseil. Des informations complémentaires ont été apportées en réponse à ses demandes à la suite de l'audition des responsables des administrations compétentes le 21 septembre.

I. - Observations relatives aux prévisions économiques

  1. Un environnement économique plus incertain

a) Les facteurs favorables identifiés au printemps restent présents…
Les éléments positifs mentionnés en avril dernier par le Haut Conseil dans son avis sur le programme de stabilité (2) sont toujours présents six mois plus tard : la chute du prix du pétrole et la baisse de l'euro ont entraîné un rebond de la demande intérieure et de la croissance au 1er semestre. La politique d'achats d'actifs de la BCE a amélioré les conditions de financement dans la zone euro et l'ajustement budgétaire en son sein, qui avait fortement pesé sur l'activité en 2012-2013, s'est ralenti. Les tensions financières liées à la crise grecque se sont réduites. En outre, la croissance des économies américaine et britannique reste soutenue. Au total, certains freins à la croissance des années précédentes se sont atténués. Les effets positifs de la baisse du prix du pétrole et de l'euro devraient se prolonger en 2016, même s'ils s'estompent.
b) … mais certains risques se sont matérialisés…
Certains risques identifiés par le Haut Conseil au printemps se sont matérialisés, notamment une volatilité accrue sur les changes et les marchés financiers. De nouvelles inquiétudes sont apparues au cours des derniers mois avec le ralentissement du commerce mondial qui traduit notamment celui de l'économie chinoise et les difficultés rencontrées par de nombreux pays émergents.
c) … en conséquence les perspectives de croissance européenne ont été revues à la baisse…
La croissance européenne pourrait ainsi être plus lente qu'il n'était envisagé au printemps, en raison notamment d'une moindre contribution de la demande mondiale, mais aussi d'effets de confiance qui retarderaient certaines décisions d'investissement. Les prévisions de croissance de la zone euro pour 2016 ont été révisées à la baisse en septembre, notamment par la BCE (de 1,9 % à 1,7 %) et par l'OCDE (de 2,1 % à 1,9 %).
d) … et des interrogations persistent sur la vigueur de la croissance française :
En France, la croissance a été de 0,7 % au 1er semestre 2015, soit 1,4 % en rythme annuel, mais avec un trou d'air au 2e trimestre. Cette évolution est proche de celle des autres grands pays européens au 1er semestre (0,7 % en Allemagne, 0,7 % en Italie) mais nettement inférieure à celle de l'Espagne (1,9 %). La consommation des ménages s'est accélérée et les exportations ont été plus élevées que prévu. Les résultats des enquêtes de conjoncture ont continué de s'améliorer pendant l'été, l'indicateur du climat des affaires publié par l'INSEE atteignant en août et en septembre son meilleur niveau depuis quatre ans. La baisse de l'emploi salarié marchand, qui avait été forte au cours des trois années précédentes, s'est interrompue au 1er semestre 2015.
Ce constat favorable doit toutefois être tempéré par la persistance d'un décalage entre des enquêtes de conjoncture qui s'améliorent et des données statistiques - notamment la production industrielle en juin et juillet - qui sont moins favorables.
De plus, une interrogation demeure sur les moteurs susceptibles d'alimenter une reprise durable. Des incertitudes persistent sur le rythme de redémarrage de l'investissement ainsi que sur la capacité de l'économie française à répondre pleinement à une reprise de la demande intérieure et étrangère.

  1. Le scénario macroéconomique du Gouvernement

Le scénario du Gouvernement, tel que présenté dans la saisine, est celui « d'une accélération progressive de la croissance, favorisée par plusieurs facteurs qui lui permettraient de rattraper son rythme potentiel, puis de le dépasser : mesures de politique économique, notamment de soutien à la compétitivité des entreprises, baisse du prix du pétrole, dépréciation de l'euro en termes effectifs, reprise de l'activité chez nos partenaires européens, effort de redressement des comptes publics marqué mais inférieur au rythme des années antérieures à 2014. A l'inverse, la croissance resterait pénalisée à court terme par l'atonie dans le secteur de la construction ainsi que par les difficultés des émergents. »

  1. Appréciation du Haut Conseil

a) La croissance du PIB :
Les hypothèses de croissance retenues pour 2015 (1,0 %) et 2016 (1,5 %) sont inchangées par rapport au programme de stabilité.
L'activité s'est accélérée au 1er semestre de 2015 et les enquêtes de conjoncture suggèrent la poursuite de cette dynamique au 2nd semestre même si les évolutions de la production industrielle et du PIB sont irrégulières.
Au vu d'un acquis de croissance à la fin du 1er semestre aujourd'hui estimé à 0,9 %, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 1,0 % en 2015 devrait se réaliser.
En 2016, l'affermissement de la croissance suppose à la fois le maintien d'une conjoncture européenne porteuse et une progression de la demande intérieure, incluant un certain redémarrage de l'investissement :

- la consommation devrait être encore soutenue en 2016 par des gains de pouvoir d'achat, résultant notamment de l'effet différé de la baisse du prix du pétrole ;
- l'investissement en logement des ménages devrait soutenir la croissance en 2016. Sa baisse a été très forte au cours des trois dernières années (- 15 % entre 2012 et 2015), et le simple arrêt de cette baisse contribuerait à la croissance de 2016 pour 0,2 à 0,3 point ;
- les déterminants de l'investissement des entreprises sont mieux orientés depuis quelques trimestres : les marges de ces dernières se redressent, les conditions de financement s'améliorent et la demande finale augmente. Les crédits aux entreprises progressent sensiblement. Cependant, compte tenu de l'importance des capacités de production inemployées, l'accélération de l'investissement prévue par le Gouvernement - une augmentation de 3,7 % en 2016 après 1,3 % en 2015 - semble rapide.

Le Haut Conseil juge par ailleurs élevée la prévision de commerce mondial en 2016 (cf. encadré), en raison de la situation économique des pays émergents. Même si cette prévision a déjà été révisée à la baisse par le Gouvernement (de - 0,4 point pour 2016 par rapport au programme de stabilité), elle repose sur une hypothèse relativement optimiste de redémarrage des importations des pays émergents, alors que rien n'indique, à cet horizon, que leurs difficultés (ralentissement en Chine et récession en Russie et au Brésil, entre autres) se seront estompées. La prévision de commerce mondial du Gouvernement (5,2 %) est d'ailleurs nettement plus optimiste que celle du FMI publiée en juillet (4,4 %).
Les effets pour la France d'une moindre croissance du commerce mondial seraient atténués par la structure de son commerce extérieur. Ils n'en représentent pas moins un aléa à la baisse sur le rythme de croissance des exportations françaises.
Outre le commerce mondial, d'autres facteurs pourraient peser sur les perspectives de croissance : les conséquences des tensions géopolitiques, la forte volatilité des marchés financiers et les effets d'une normalisation de la politique monétaire américaine.
Compte tenu de l'accroissement des incertitudes depuis l'été, le Haut Conseil considère que l'hypothèse d'une croissance de 1,5 % en 2016 ne peut plus être qualifiée de « prudente », comme elle l'avait été en avril dernier (3). Il estime toutefois que, soutenue par la demande interne et européenne, elle demeure atteignable.

Le « retour à la normale » du commerce mondial : une hypothèse en question

Depuis plusieurs exercices, les prévisions du Gouvernement pour l'année n + 1 et les années suivantes tendent à surestimer la croissance du commerce mondial, et donc de la demande mondiale adressée à la France (graphique). Elles font systématiquement l'hypothèse d'un retour « à la normale » à moyen terme - c'est-à-dire aux taux de croissance moyens observés avant crise - et doivent être systématiquement révisées à la baisse lorsqu'on approche de l'échéance. Il pourrait en être de même pour l'année 2016.

Révision des hypothèses de demande mondiale adressée à la France

Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0227 du 01/10/2015, texte nº 69

Source : prévisions du Gouvernement. Cette faiblesse de la reprise du commerce mondial peut avoir des causes conjoncturelles (par exemple la faiblesse de l'investissement, traditionnellement riche en importations). L'hypothèse d'un ralentissement structurel du commerce mondial a aussi été émise : pour la même croissance du PIB mondial, l'augmentation des échanges internationaux serait moindre que par le passé. En conséquence, le retour à moyen terme au rythme de croissance d'avant crise du commerce mondial ne serait pas acquis.


Historique des versions

Version 1

Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement le 18 septembre 2015, en application de l'article 14 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, des prévisions macroéconomiques et d'éléments d'information relatifs aux finances publiques sur lesquels reposent les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2016. Le Haut Conseil a adopté, après en avoir délibéré lors de sa séance du 25 septembre 2015, le présent avis.

Synthèse

Scénario macroéconomique

Si les facteurs favorables à un redressement de l'activité (notamment la baisse du prix du pétrole, celle de l'euro et un policy-mix (1) plus accommodant en zone euro) sont toujours présents, les inquiétudes se sont accentuées cet été concernant les économies émergentes. Les prévisions de croissance pour la zone euro ont été revues à la baisse, même si les enquêtes de conjoncture restent bien orientées.

Dans ce contexte, au vu d'un acquis de croissance à la fin du premier semestre aujourd'hui estimé à 0,9 %, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 1,0 % en 2015 devrait se réaliser.

Compte tenu de l'accroissement des incertitudes depuis l'été, le Haut Conseil considère que l'hypothèse d'une croissance de 1,5 % en 2016 ne peut plus être qualifiée de « prudente », comme elle l'avait été en avril dernier. Il estime toutefois que, soutenue par la demande interne et européenne, elle demeure atteignable.

Pour l'année 2015, l'hypothèse d'une hausse des prix de 0,1 % en moyenne annuelle est réaliste. En 2016, le Haut Conseil estime que la hausse des prix pourrait être inférieure à l'hypothèse de 1,0 % retenue par le Gouvernement. Une inflation plus faible aurait une incidence positive sur le pouvoir d'achat des ménages mais rendrait la réduction du déficit public plus difficile.

Le Haut Conseil estime que les prévisions d'emploi pour 2015 et 2016 sont cohérentes avec les hypothèses de croissance. La prévision de masse salariale pour 2015 a été révisée à juste titre. En revanche, le Haut Conseil considère que la progression de la masse salariale pourrait être moindre que ne le prévoit le Gouvernement en 2016, ce qui aurait un impact négatif sur les recettes de cotisations sociales.

Scénario de finances publiques

Pour 2016, le Gouvernement a révisé à la hausse son estimation de la croissance potentielle (1,5 % contre 1,3 % dans la loi de programmation). Cette révision conduit à un niveau de solde structurel de - 1,2 % du PIB en 2016 et à un ajustement structurel de 0,5 point de PIB.

Avec la croissance potentielle de la loi de programmation, le solde structurel serait de - 1,3 % du PIB et l'ajustement structurel de 0,4 point de PIB en 2016.

Même si la loi organique du 17 décembre 2012 ouvre cette possibilité, le Haut Conseil réitère sa réserve de principe, déjà formulée en avril, sur cette révision des hypothèses de croissance potentielle de la loi de programmation. Une révision en dehors de ce cadre ne permet pas de suivre convenablement l'évolution de la composante structurelle du déficit et nuit à la lisibilité de la politique budgétaire. Pour un même niveau de déficit nominal, une hypothèse de croissance potentielle plus élevée conduit à une estimation moindre du déficit structurel.

Le Haut Conseil constate qu'en tout état de cause, la trajectoire de solde structurel est en avance sur les objectifs de la loi de programmation. Avec les hypothèses de calcul de la loi de programmation, le déficit structurel visé dans le projet de loi de finances est inférieur en 2016 de 0,5 point à celui prévu dans cette loi.

Par ailleurs, le Haut Conseil rappelle que les cessions de licences 4G devraient être traitées comme des mesures ponctuelles et temporaires dans le calcul du solde structurel.

Le Haut Conseil considère que l'objectif d'amélioration du solde structurel en 2015 devrait être atteint sous réserve de poursuivre une gestion stricte des dépenses. Il en serait de même pour le solde effectif, dont la réduction resterait toutefois modeste.

En 2016, les finances publiques devraient bénéficier de la reprise modérée de la croissance, mais des risques significatifs pèsent sur la réalisation de l'objectif de ralentissement de la dépense en volume, particulièrement ambitieux au regard de sa trajectoire passée. Si cet objectif de dépense n'était pas tenu, le solde structurel serait dégradé par rapport au niveau prévu.

Introduction

Aux termes des dispositions de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012, le Haut Conseil doit rendre un avis portant sur :

- les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent les projets de lois de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS), d'une part ;

- la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques, d'autre part.

Pour le présent avis, le Haut Conseil a pris connaissance des prévisions et des analyses issues d'un ensemble d'institutions et organismes : l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la Banque de France, la Banque centrale européenne (BCE), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Fonds monétaire international (FMI), Coe-Rexecode, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il a procédé aux auditions des représentants de la Banque de France, de l'OCDE, du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), de Coe-Rexecode, de l'OFCE et de l'économiste en chef pour l'Europe de Barclays.

Préalablement à la saisine du Gouvernement intervenue le 18 septembre 2015, dans les délais prévus par la loi organique, le Haut Conseil a pu bénéficier dès le mois de juillet de premiers échanges sur le scénario macroéconomique et de finances publiques avec les ministres chargés des finances et du budget. Il a également été destinataire d'éléments de cadrage sur l'économie mondiale le 11 septembre. La saisine était accompagnée des réponses au questionnaire du Haut Conseil. Des informations complémentaires ont été apportées en réponse à ses demandes à la suite de l'audition des responsables des administrations compétentes le 21 septembre.

I. - Observations relatives aux prévisions économiques

1. Un environnement économique plus incertain

a) Les facteurs favorables identifiés au printemps restent présents…

Les éléments positifs mentionnés en avril dernier par le Haut Conseil dans son avis sur le programme de stabilité (2) sont toujours présents six mois plus tard : la chute du prix du pétrole et la baisse de l'euro ont entraîné un rebond de la demande intérieure et de la croissance au 1er semestre. La politique d'achats d'actifs de la BCE a amélioré les conditions de financement dans la zone euro et l'ajustement budgétaire en son sein, qui avait fortement pesé sur l'activité en 2012-2013, s'est ralenti. Les tensions financières liées à la crise grecque se sont réduites. En outre, la croissance des économies américaine et britannique reste soutenue. Au total, certains freins à la croissance des années précédentes se sont atténués. Les effets positifs de la baisse du prix du pétrole et de l'euro devraient se prolonger en 2016, même s'ils s'estompent.

b) … mais certains risques se sont matérialisés…

Certains risques identifiés par le Haut Conseil au printemps se sont matérialisés, notamment une volatilité accrue sur les changes et les marchés financiers. De nouvelles inquiétudes sont apparues au cours des derniers mois avec le ralentissement du commerce mondial qui traduit notamment celui de l'économie chinoise et les difficultés rencontrées par de nombreux pays émergents.

c) … en conséquence les perspectives de croissance européenne ont été revues à la baisse…

La croissance européenne pourrait ainsi être plus lente qu'il n'était envisagé au printemps, en raison notamment d'une moindre contribution de la demande mondiale, mais aussi d'effets de confiance qui retarderaient certaines décisions d'investissement. Les prévisions de croissance de la zone euro pour 2016 ont été révisées à la baisse en septembre, notamment par la BCE (de 1,9 % à 1,7 %) et par l'OCDE (de 2,1 % à 1,9 %).

d) … et des interrogations persistent sur la vigueur de la croissance française :

En France, la croissance a été de 0,7 % au 1er semestre 2015, soit 1,4 % en rythme annuel, mais avec un trou d'air au 2e trimestre. Cette évolution est proche de celle des autres grands pays européens au 1er semestre (0,7 % en Allemagne, 0,7 % en Italie) mais nettement inférieure à celle de l'Espagne (1,9 %). La consommation des ménages s'est accélérée et les exportations ont été plus élevées que prévu. Les résultats des enquêtes de conjoncture ont continué de s'améliorer pendant l'été, l'indicateur du climat des affaires publié par l'INSEE atteignant en août et en septembre son meilleur niveau depuis quatre ans. La baisse de l'emploi salarié marchand, qui avait été forte au cours des trois années précédentes, s'est interrompue au 1er semestre 2015.

Ce constat favorable doit toutefois être tempéré par la persistance d'un décalage entre des enquêtes de conjoncture qui s'améliorent et des données statistiques - notamment la production industrielle en juin et juillet - qui sont moins favorables.

De plus, une interrogation demeure sur les moteurs susceptibles d'alimenter une reprise durable. Des incertitudes persistent sur le rythme de redémarrage de l'investissement ainsi que sur la capacité de l'économie française à répondre pleinement à une reprise de la demande intérieure et étrangère.

2. Le scénario macroéconomique du Gouvernement

Le scénario du Gouvernement, tel que présenté dans la saisine, est celui « d'une accélération progressive de la croissance, favorisée par plusieurs facteurs qui lui permettraient de rattraper son rythme potentiel, puis de le dépasser : mesures de politique économique, notamment de soutien à la compétitivité des entreprises, baisse du prix du pétrole, dépréciation de l'euro en termes effectifs, reprise de l'activité chez nos partenaires européens, effort de redressement des comptes publics marqué mais inférieur au rythme des années antérieures à 2014. A l'inverse, la croissance resterait pénalisée à court terme par l'atonie dans le secteur de la construction ainsi que par les difficultés des émergents. »

3. Appréciation du Haut Conseil

a) La croissance du PIB :

Les hypothèses de croissance retenues pour 2015 (1,0 %) et 2016 (1,5 %) sont inchangées par rapport au programme de stabilité.

L'activité s'est accélérée au 1er semestre de 2015 et les enquêtes de conjoncture suggèrent la poursuite de cette dynamique au 2nd semestre même si les évolutions de la production industrielle et du PIB sont irrégulières.

Au vu d'un acquis de croissance à la fin du 1er semestre aujourd'hui estimé à 0,9 %, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 1,0 % en 2015 devrait se réaliser.

En 2016, l'affermissement de la croissance suppose à la fois le maintien d'une conjoncture européenne porteuse et une progression de la demande intérieure, incluant un certain redémarrage de l'investissement :

- la consommation devrait être encore soutenue en 2016 par des gains de pouvoir d'achat, résultant notamment de l'effet différé de la baisse du prix du pétrole ;

- l'investissement en logement des ménages devrait soutenir la croissance en 2016. Sa baisse a été très forte au cours des trois dernières années (- 15 % entre 2012 et 2015), et le simple arrêt de cette baisse contribuerait à la croissance de 2016 pour 0,2 à 0,3 point ;

- les déterminants de l'investissement des entreprises sont mieux orientés depuis quelques trimestres : les marges de ces dernières se redressent, les conditions de financement s'améliorent et la demande finale augmente. Les crédits aux entreprises progressent sensiblement. Cependant, compte tenu de l'importance des capacités de production inemployées, l'accélération de l'investissement prévue par le Gouvernement - une augmentation de 3,7 % en 2016 après 1,3 % en 2015 - semble rapide.

Le Haut Conseil juge par ailleurs élevée la prévision de commerce mondial en 2016 (cf. encadré), en raison de la situation économique des pays émergents. Même si cette prévision a déjà été révisée à la baisse par le Gouvernement (de - 0,4 point pour 2016 par rapport au programme de stabilité), elle repose sur une hypothèse relativement optimiste de redémarrage des importations des pays émergents, alors que rien n'indique, à cet horizon, que leurs difficultés (ralentissement en Chine et récession en Russie et au Brésil, entre autres) se seront estompées. La prévision de commerce mondial du Gouvernement (5,2 %) est d'ailleurs nettement plus optimiste que celle du FMI publiée en juillet (4,4 %).

Les effets pour la France d'une moindre croissance du commerce mondial seraient atténués par la structure de son commerce extérieur. Ils n'en représentent pas moins un aléa à la baisse sur le rythme de croissance des exportations françaises.

Outre le commerce mondial, d'autres facteurs pourraient peser sur les perspectives de croissance : les conséquences des tensions géopolitiques, la forte volatilité des marchés financiers et les effets d'une normalisation de la politique monétaire américaine.

Compte tenu de l'accroissement des incertitudes depuis l'été, le Haut Conseil considère que l'hypothèse d'une croissance de 1,5 % en 2016 ne peut plus être qualifiée de « prudente », comme elle l'avait été en avril dernier (3). Il estime toutefois que, soutenue par la demande interne et européenne, elle demeure atteignable.

Le « retour à la normale » du commerce mondial : une hypothèse en question

Depuis plusieurs exercices, les prévisions du Gouvernement pour l'année n + 1 et les années suivantes tendent à surestimer la croissance du commerce mondial, et donc de la demande mondiale adressée à la France (graphique). Elles font systématiquement l'hypothèse d'un retour « à la normale » à moyen terme - c'est-à-dire aux taux de croissance moyens observés avant crise - et doivent être systématiquement révisées à la baisse lorsqu'on approche de l'échéance. Il pourrait en être de même pour l'année 2016.

Révision des hypothèses de demande mondiale adressée à la France

Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du

JOnº 0227 du 01/10/2015, texte nº 69

Source : prévisions du Gouvernement. Cette faiblesse de la reprise du commerce mondial peut avoir des causes conjoncturelles (par exemple la faiblesse de l'investissement, traditionnellement riche en importations). L'hypothèse d'un ralentissement structurel du commerce mondial a aussi été émise : pour la même croissance du PIB mondial, l'augmentation des échanges internationaux serait moindre que par le passé. En conséquence, le retour à moyen terme au rythme de croissance d'avant crise du commerce mondial ne serait pas acquis.