JORF n°0227 du 1 octobre 2015

AVIS n°HCFP-2015-03 du

Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement le 18 septembre 2015, en application de l'article 14 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, des prévisions macroéconomiques et d'éléments d'information relatifs aux finances publiques sur lesquels reposent les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2016. Le Haut Conseil a adopté, après en avoir délibéré lors de sa séance du 25 septembre 2015, le présent avis.

Synthèse

Scénario macroéconomique

Si les facteurs favorables à un redressement de l'activité (notamment la baisse du prix du pétrole, celle de l'euro et un policy-mix (1) plus accommodant en zone euro) sont toujours présents, les inquiétudes se sont accentuées cet été concernant les économies émergentes. Les prévisions de croissance pour la zone euro ont été revues à la baisse, même si les enquêtes de conjoncture restent bien orientées.
Dans ce contexte, au vu d'un acquis de croissance à la fin du premier semestre aujourd'hui estimé à 0,9 %, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 1,0 % en 2015 devrait se réaliser.
Compte tenu de l'accroissement des incertitudes depuis l'été, le Haut Conseil considère que l'hypothèse d'une croissance de 1,5 % en 2016 ne peut plus être qualifiée de « prudente », comme elle l'avait été en avril dernier. Il estime toutefois que, soutenue par la demande interne et européenne, elle demeure atteignable.
Pour l'année 2015, l'hypothèse d'une hausse des prix de 0,1 % en moyenne annuelle est réaliste. En 2016, le Haut Conseil estime que la hausse des prix pourrait être inférieure à l'hypothèse de 1,0 % retenue par le Gouvernement. Une inflation plus faible aurait une incidence positive sur le pouvoir d'achat des ménages mais rendrait la réduction du déficit public plus difficile.
Le Haut Conseil estime que les prévisions d'emploi pour 2015 et 2016 sont cohérentes avec les hypothèses de croissance. La prévision de masse salariale pour 2015 a été révisée à juste titre. En revanche, le Haut Conseil considère que la progression de la masse salariale pourrait être moindre que ne le prévoit le Gouvernement en 2016, ce qui aurait un impact négatif sur les recettes de cotisations sociales.

Scénario de finances publiques

Pour 2016, le Gouvernement a révisé à la hausse son estimation de la croissance potentielle (1,5 % contre 1,3 % dans la loi de programmation). Cette révision conduit à un niveau de solde structurel de - 1,2 % du PIB en 2016 et à un ajustement structurel de 0,5 point de PIB.
Avec la croissance potentielle de la loi de programmation, le solde structurel serait de - 1,3 % du PIB et l'ajustement structurel de 0,4 point de PIB en 2016.
Même si la loi organique du 17 décembre 2012 ouvre cette possibilité, le Haut Conseil réitère sa réserve de principe, déjà formulée en avril, sur cette révision des hypothèses de croissance potentielle de la loi de programmation. Une révision en dehors de ce cadre ne permet pas de suivre convenablement l'évolution de la composante structurelle du déficit et nuit à la lisibilité de la politique budgétaire. Pour un même niveau de déficit nominal, une hypothèse de croissance potentielle plus élevée conduit à une estimation moindre du déficit structurel.
Le Haut Conseil constate qu'en tout état de cause, la trajectoire de solde structurel est en avance sur les objectifs de la loi de programmation. Avec les hypothèses de calcul de la loi de programmation, le déficit structurel visé dans le projet de loi de finances est inférieur en 2016 de 0,5 point à celui prévu dans cette loi.
Par ailleurs, le Haut Conseil rappelle que les cessions de licences 4G devraient être traitées comme des mesures ponctuelles et temporaires dans le calcul du solde structurel.
Le Haut Conseil considère que l'objectif d'amélioration du solde structurel en 2015 devrait être atteint sous réserve de poursuivre une gestion stricte des dépenses. Il en serait de même pour le solde effectif, dont la réduction resterait toutefois modeste.
En 2016, les finances publiques devraient bénéficier de la reprise modérée de la croissance, mais des risques significatifs pèsent sur la réalisation de l'objectif de ralentissement de la dépense en volume, particulièrement ambitieux au regard de sa trajectoire passée. Si cet objectif de dépense n'était pas tenu, le solde structurel serait dégradé par rapport au niveau prévu.

Introduction

Aux termes des dispositions de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012, le Haut Conseil doit rendre un avis portant sur :

- les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent les projets de lois de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS), d'une part ;
- la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques, d'autre part.

Pour le présent avis, le Haut Conseil a pris connaissance des prévisions et des analyses issues d'un ensemble d'institutions et organismes : l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la Banque de France, la Banque centrale européenne (BCE), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Fonds monétaire international (FMI), Coe-Rexecode, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il a procédé aux auditions des représentants de la Banque de France, de l'OCDE, du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), de Coe-Rexecode, de l'OFCE et de l'économiste en chef pour l'Europe de Barclays.
Préalablement à la saisine du Gouvernement intervenue le 18 septembre 2015, dans les délais prévus par la loi organique, le Haut Conseil a pu bénéficier dès le mois de juillet de premiers échanges sur le scénario macroéconomique et de finances publiques avec les ministres chargés des finances et du budget. Il a également été destinataire d'éléments de cadrage sur l'économie mondiale le 11 septembre. La saisine était accompagnée des réponses au questionnaire du Haut Conseil. Des informations complémentaires ont été apportées en réponse à ses demandes à la suite de l'audition des responsables des administrations compétentes le 21 septembre.

I. - Observations relatives aux prévisions économiques

  1. Un environnement économique plus incertain

a) Les facteurs favorables identifiés au printemps restent présents…
Les éléments positifs mentionnés en avril dernier par le Haut Conseil dans son avis sur le programme de stabilité (2) sont toujours présents six mois plus tard : la chute du prix du pétrole et la baisse de l'euro ont entraîné un rebond de la demande intérieure et de la croissance au 1er semestre. La politique d'achats d'actifs de la BCE a amélioré les conditions de financement dans la zone euro et l'ajustement budgétaire en son sein, qui avait fortement pesé sur l'activité en 2012-2013, s'est ralenti. Les tensions financières liées à la crise grecque se sont réduites. En outre, la croissance des économies américaine et britannique reste soutenue. Au total, certains freins à la croissance des années précédentes se sont atténués. Les effets positifs de la baisse du prix du pétrole et de l'euro devraient se prolonger en 2016, même s'ils s'estompent.
b) … mais certains risques se sont matérialisés…
Certains risques identifiés par le Haut Conseil au printemps se sont matérialisés, notamment une volatilité accrue sur les changes et les marchés financiers. De nouvelles inquiétudes sont apparues au cours des derniers mois avec le ralentissement du commerce mondial qui traduit notamment celui de l'économie chinoise et les difficultés rencontrées par de nombreux pays émergents.
c) … en conséquence les perspectives de croissance européenne ont été revues à la baisse…
La croissance européenne pourrait ainsi être plus lente qu'il n'était envisagé au printemps, en raison notamment d'une moindre contribution de la demande mondiale, mais aussi d'effets de confiance qui retarderaient certaines décisions d'investissement. Les prévisions de croissance de la zone euro pour 2016 ont été révisées à la baisse en septembre, notamment par la BCE (de 1,9 % à 1,7 %) et par l'OCDE (de 2,1 % à 1,9 %).
d) … et des interrogations persistent sur la vigueur de la croissance française :
En France, la croissance a été de 0,7 % au 1er semestre 2015, soit 1,4 % en rythme annuel, mais avec un trou d'air au 2e trimestre. Cette évolution est proche de celle des autres grands pays européens au 1er semestre (0,7 % en Allemagne, 0,7 % en Italie) mais nettement inférieure à celle de l'Espagne (1,9 %). La consommation des ménages s'est accélérée et les exportations ont été plus élevées que prévu. Les résultats des enquêtes de conjoncture ont continué de s'améliorer pendant l'été, l'indicateur du climat des affaires publié par l'INSEE atteignant en août et en septembre son meilleur niveau depuis quatre ans. La baisse de l'emploi salarié marchand, qui avait été forte au cours des trois années précédentes, s'est interrompue au 1er semestre 2015.
Ce constat favorable doit toutefois être tempéré par la persistance d'un décalage entre des enquêtes de conjoncture qui s'améliorent et des données statistiques - notamment la production industrielle en juin et juillet - qui sont moins favorables.
De plus, une interrogation demeure sur les moteurs susceptibles d'alimenter une reprise durable. Des incertitudes persistent sur le rythme de redémarrage de l'investissement ainsi que sur la capacité de l'économie française à répondre pleinement à une reprise de la demande intérieure et étrangère.

  1. Le scénario macroéconomique du Gouvernement

Le scénario du Gouvernement, tel que présenté dans la saisine, est celui « d'une accélération progressive de la croissance, favorisée par plusieurs facteurs qui lui permettraient de rattraper son rythme potentiel, puis de le dépasser : mesures de politique économique, notamment de soutien à la compétitivité des entreprises, baisse du prix du pétrole, dépréciation de l'euro en termes effectifs, reprise de l'activité chez nos partenaires européens, effort de redressement des comptes publics marqué mais inférieur au rythme des années antérieures à 2014. A l'inverse, la croissance resterait pénalisée à court terme par l'atonie dans le secteur de la construction ainsi que par les difficultés des émergents. »

  1. Appréciation du Haut Conseil

a) La croissance du PIB :
Les hypothèses de croissance retenues pour 2015 (1,0 %) et 2016 (1,5 %) sont inchangées par rapport au programme de stabilité.
L'activité s'est accélérée au 1er semestre de 2015 et les enquêtes de conjoncture suggèrent la poursuite de cette dynamique au 2nd semestre même si les évolutions de la production industrielle et du PIB sont irrégulières.
Au vu d'un acquis de croissance à la fin du 1er semestre aujourd'hui estimé à 0,9 %, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement de 1,0 % en 2015 devrait se réaliser.
En 2016, l'affermissement de la croissance suppose à la fois le maintien d'une conjoncture européenne porteuse et une progression de la demande intérieure, incluant un certain redémarrage de l'investissement :

- la consommation devrait être encore soutenue en 2016 par des gains de pouvoir d'achat, résultant notamment de l'effet différé de la baisse du prix du pétrole ;
- l'investissement en logement des ménages devrait soutenir la croissance en 2016. Sa baisse a été très forte au cours des trois dernières années (- 15 % entre 2012 et 2015), et le simple arrêt de cette baisse contribuerait à la croissance de 2016 pour 0,2 à 0,3 point ;
- les déterminants de l'investissement des entreprises sont mieux orientés depuis quelques trimestres : les marges de ces dernières se redressent, les conditions de financement s'améliorent et la demande finale augmente. Les crédits aux entreprises progressent sensiblement. Cependant, compte tenu de l'importance des capacités de production inemployées, l'accélération de l'investissement prévue par le Gouvernement - une augmentation de 3,7 % en 2016 après 1,3 % en 2015 - semble rapide.

Le Haut Conseil juge par ailleurs élevée la prévision de commerce mondial en 2016 (cf. encadré), en raison de la situation économique des pays émergents. Même si cette prévision a déjà été révisée à la baisse par le Gouvernement (de - 0,4 point pour 2016 par rapport au programme de stabilité), elle repose sur une hypothèse relativement optimiste de redémarrage des importations des pays émergents, alors que rien n'indique, à cet horizon, que leurs difficultés (ralentissement en Chine et récession en Russie et au Brésil, entre autres) se seront estompées. La prévision de commerce mondial du Gouvernement (5,2 %) est d'ailleurs nettement plus optimiste que celle du FMI publiée en juillet (4,4 %).
Les effets pour la France d'une moindre croissance du commerce mondial seraient atténués par la structure de son commerce extérieur. Ils n'en représentent pas moins un aléa à la baisse sur le rythme de croissance des exportations françaises.
Outre le commerce mondial, d'autres facteurs pourraient peser sur les perspectives de croissance : les conséquences des tensions géopolitiques, la forte volatilité des marchés financiers et les effets d'une normalisation de la politique monétaire américaine.
Compte tenu de l'accroissement des incertitudes depuis l'été, le Haut Conseil considère que l'hypothèse d'une croissance de 1,5 % en 2016 ne peut plus être qualifiée de « prudente », comme elle l'avait été en avril dernier (3). Il estime toutefois que, soutenue par la demande interne et européenne, elle demeure atteignable.

Le « retour à la normale » du commerce mondial : une hypothèse en question

Depuis plusieurs exercices, les prévisions du Gouvernement pour l'année n + 1 et les années suivantes tendent à surestimer la croissance du commerce mondial, et donc de la demande mondiale adressée à la France (graphique). Elles font systématiquement l'hypothèse d'un retour « à la normale » à moyen terme - c'est-à-dire aux taux de croissance moyens observés avant crise - et doivent être systématiquement révisées à la baisse lorsqu'on approche de l'échéance. Il pourrait en être de même pour l'année 2016.

Révision des hypothèses de demande mondiale adressée à la France

Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0227 du 01/10/2015, texte nº 69

Source : prévisions du Gouvernement. Cette faiblesse de la reprise du commerce mondial peut avoir des causes conjoncturelles (par exemple la faiblesse de l'investissement, traditionnellement riche en importations). L'hypothèse d'un ralentissement structurel du commerce mondial a aussi été émise : pour la même croissance du PIB mondial, l'augmentation des échanges internationaux serait moindre que par le passé. En conséquence, le retour à moyen terme au rythme de croissance d'avant crise du commerce mondial ne serait pas acquis.

b) La hausse des prix :
La prévision d'inflation du Gouvernement est quasiment inchangée pour 2015 (0,1 %) et identique pour 2016 (1,0 %) à celle du programme de stabilité.
Le glissement annuel des prix est nul en août 2015 après avoir été légèrement positif entre avril et juillet. L'indice des prix continue d'être tiré à la baisse par les produits pétroliers (- 12,5 % sur un an en août soit une incidence de - 0,5 point sur l'indice d'ensemble).
Pour l'année 2015, l'hypothèse d'une hausse des prix de 0,1 % en moyenne annuelle est réaliste.
Pour 2016, la prévision du Gouvernement est proche du « consensus » de septembre 2015 (1,1 %). Cependant, certaines institutions ont récemment révisé leur prévision d'inflation à la baisse, comme celle de la BCE qui est passée, pour la zone euro, de 1,5 % en juin à 1,1 % en septembre.
La prévision gouvernementale repose, d'une part, sur l'effet mécanique de la stabilisation du prix du pétrole (hypothèse conventionnelle) et, d'autre part, sur une accélération des prix manufacturés et des services, compte tenu des effets de la dépréciation passée de l'euro et de ceux d'une hausse plus forte des salaires en 2016.
Même si une accélération paraît vraisemblable, certains facteurs désinflationnistes comme les effets retardés de la baisse du prix du pétrole et l'incidence des allégements d'impôts et de cotisations en faveur des entreprises sont peut-être sous-estimés, et la hausse des salaires pourrait être moins rapide que prévu en 2016 (cf. infra).
En 2016, le Haut Conseil estime que la hausse des prix pourrait être inférieure à l'hypothèse de 1,0 % retenue par le Gouvernement. Une inflation plus faible aurait une incidence positive sur le pouvoir d'achat des ménages mais rendrait la réduction du déficit public plus difficile (cf. infra).
c) L'emploi et la masse salariale :
Après trois années de baisse, le Gouvernement prévoit une amélioration progressive de l'emploi salarié marchand avec une stabilisation en 2015 (0,1 %) et une augmentation de 0,6 % en 2016. Le retour d'une croissance modérée ainsi que son « enrichissement en emploi » qui résulterait des dispositifs d'allégement des prélèvements sur les entreprises (crédit d'impôt compétitivité-emploi - CICE - et Pacte de responsabilité) participeraient à ce redressement. L'emploi total bénéficierait par ailleurs sur les deux années d'un nombre toujours élevé de contrats aidés, malgré une légère réduction en 2016.
La stabilisation des effectifs salariés constatée au 1er semestre 2015, avec une légère augmentation au 2e trimestre, soutient un tel scénario. Hors effets du CICE et du Pacte de responsabilité, la prévision pour 2016 semble conforme au « cycle de productivité » traditionnel en période de reprise.
Le Haut Conseil considère que les prévisions d'emploi pour 2015 et 2016 sont cohérentes avec les hypothèses de croissance.
S'agissant de la masse salariale privée, la prévision du Gouvernement est revue à la hausse en 2015 (à 1,7 % contre 1,3 % dans le programme de stabilité) pour prendre en compte l'évolution meilleure que prévu constatée au 1er semestre. La prévision pour 2016 (2,8 %) est légèrement relevée par rapport au programme de stabilité (2,7 %). Elle repose sur une accélération d'un demi-point du salaire moyen (2,1 % en 2016 après 1,6 % en 2015) lui assurant en termes réels une augmentation un peu supérieure à 1 %, en ligne avec la productivité.
Toutefois, cette hausse des salaires paraît relativement forte dans un contexte de chômage élevé et après deux années de très faible inflation dont les effets retardés pourraient ne pas avoir été suffisamment pris en compte. Pour la même hypothèse de salaire réel, une inflation plus faible que prévu en 2016 conduirait de surcroît à une croissance de la masse salariale moins dynamique.
La prévision de masse salariale pour 2015 a été révisée à juste titre. En revanche, le Haut Conseil considère que la progression de la masse salariale pourrait être moindre que ne le prévoit le Gouvernement en 2016, ce qui aurait un impact négatif sur les recettes de cotisations sociales.

II. - Observations relatives aux finances publiques

  1. La cohérence avec les orientations pluriannuelles de solde structurel

Décomposition du solde public

| EN POINTS DE PIB OU DE PIB POTENTIEL |PLF POUR 2016 (SEPT. 2015)|LPFP (DÉC. 2014)| | | | | |------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|--------------------------|----------------|--------------|------|------|------| | | 2014 | 2015 | 2016 | 2014 | 2015 | 2016 | | Solde public | - 3,9 | - 3,8 | - 3,3 |- 4,4|- 4,1|- 3,6| | Composante conjoncturelle | - 1,9 | - 2,0 |- 1,9 (- 1,8)|- 1,9|- 2,0|- 1,7| | Mesures ponctuelles et temporaires | 0,0 | - 0,1 | - 0,1 | 0,0 |- 0,1|- 0,1| | Composante structurelle | - 2,0 | - 1,7 |- 1,2 (- 1,3)|- 2,4|- 2,1|- 1,8| |Note. - Les chiffres étant arrondis au dixième, il peut en résulter de légers écarts dans le résultat des opérations.
Entre parenthèses figure l'estimation du Haut Conseil, avec l'hypothèse de croissance potentielle de la loi de programmation.
Source : projet de loi de finances pour 2016 et loi de programmation de décembre 2014.| | | | | | |

a) Le Haut Conseil doit se prononcer par rapport à la loi de programmation, en retenant les hypothèses de calcul de celle-ci :
Aux termes de la loi organique du 17 décembre 2012, le Haut Conseil doit se prononcer sur la cohérence entre la trajectoire de solde structurel retenue dans le projet de loi de finances et celle de la dernière loi de programmation, en l'occurrence celle du 29 décembre 2014. Cette trajectoire a déjà été actualisée par le Gouvernement dans le programme de stabilité d'avril 2015, qui a notamment tenu compte d'un déficit pour 2014 meilleur qu'anticipé (4), et a renforcé l'objectif d'ajustement structurel programmé pour 2015 et 2016 (5). Le présent projet de loi de finances reprend en grande partie les objectifs annoncés dans le programme de stabilité.
Pour comparer les trajectoires de solde structurel entre le projet de loi de finances et la loi de programmation, il faut utiliser les hypothèses de calcul de celle-ci. En particulier, les hypothèses de croissance potentielle doivent être celles de la loi de programmation pour calculer le solde structurel.
Or le Gouvernement a révisé ses hypothèses de croissance potentielle dans le programme de stabilité d'avril 2015, modification critiquée par le Haut Conseil dans son avis du 13 avril 2015. Cette révision est d'autant plus regrettable que le suivi du solde structurel est essentiel en phase de reprise (cf. encadré).
Dans le présent avis et pour permettre la comparaison, les calculs sont donc réalisés avec les hypothèses de croissance potentielle de la loi de programmation (1,1 % en 2015 et 1,3 % en 2016), à la différence du Gouvernement qui présente, dans l'article liminaire du projet de loi de finances, un solde structurel calculé avec une croissance potentielle inchangée en 2015 mais révisée à la hausse en 2016 (6) (1,5 %). Le solde structurel ainsi recalculé est de - 1,3 % en 2016, au lieu de - 1,2 %. L'ajustement structurel correspondant est de 0,4 point de PIB en 2016 (au lieu de 0,5 point de PIB). Cet ajustement est en-deçà des minima fixés par les règles du Pacte de stabilité et de croissance (au moins 0,5 point de PIB par an).

Le solde structurel : une notion importante en phase de reprise économique

Par le passé, la France n'a pas su mettre à profit les périodes de reprise économique pour assainir durablement ses finances publiques.
Comme l'illustre le graphique ci-dessous, les périodes d'accélération de la croissance (fin des années 1980 puis tournant des années 2000, cadres verts) ont marqué un coup d'arrêt aux efforts de redressement du solde structurel. Quand l'écart de production était positif (cadres bleus), la politique budgétaire a été procyclique, c'est-à-dire qu'elle a contribué à soutenir l'activité à un moment où cela n'était pas nécessaire, avec en conséquence une dégradation de la composante structurelle du déficit masquée par la bonne tenue du solde effectif.

Déficit structurel, déficit effectif et croissance économique (France, 1984-2014)

Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0227 du 01/10/2015, texte nº 69

Source : Haut Conseil des finances publiques (données : INSEE pour la croissance du PIB et base AMECO de la Commission européenne pour la composante structurelle du déficit (mai 2015).

Alors qu'en période de reprise économique le solde nominal s'améliore mécaniquement à législation constante, il masque en partie la situation « structurelle » des finances publiques. Les recettes supplémentaires générées par la croissance ne devraient pas conduire à des dépenses supplémentaires mais être consacrées à la réduction du déficit. Elles ne sont pas pérennes et ne permettent donc pas de relâcher l'effort de redressement qui seul permettra de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour faire face au prochain retournement conjoncturel. Pour éviter que cette situation ne se reproduise, les indicateurs du solde structurel et de son redressement (l'ajustement structurel) doivent être suivis tout aussi soigneusement en période de reprise qu'en période de ralentissement conjoncturel. En période de croissance, le seul respect des objectifs nominaux ne garantit pas un assainissement durable des finances publiques.

b) La trajectoire de solde structurel est en avance sur les objectifs de la loi de programmation :
Pour l'année 2014, le déficit structurel des administrations publiques a été inférieur de 0,4 point à l'objectif de la loi de programmation, notamment en raison d'une augmentation de la dépense publique moins rapide que prévu (7). Cet écart se reporte en niveau les années suivantes : les déficits structurels présentés dans le projet de loi de finances sont également inférieurs en 2015 et 2016 à ceux fixés en loi de programmation (- 1,7 % du PIB en 2015 contre - 2,1 % en loi de programmation, et - 1,3 % du PIB en 2016 contre - 1,8 %).
Concernant la variation du solde structurel d'une année sur l'autre (l'ajustement structurel), l'objectif pour l'année 2015 est inchangé par rapport à celui de la loi de programmation (0,4 point de PIB), et il est un peu plus élevé en 2016 (0,4 point de PIB contre 0,3 point de PIB en loi de programmation), du fait d'un effort en dépenses annoncé un peu plus important (croissance de la dépense publique en volume de 0,3 % contre 0,5 % dans la loi de programmation).

Trajectoires de solde structurel

Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0227 du 01/10/2015, texte nº 69

Source : projet de loi de finances pour 2016 et loi de programmation du 29 décembre 2014, calculs du Haut Conseil avec la croissance potentielle de la loi de programmation.

Observation sur les mesures ponctuelles et temporaires

Dans le projet de loi de finances, le Gouvernement retient comme mesures ponctuelles et temporaires les contentieux fiscaux et le décalage calendaire de la moindre dépense du budget rectificatif européen n° 6 en 2014 (8).
Un problème de principe porte sur le traitement des recettes de la vente des licences 4G (comptabilisées en moindres dépenses en comptabilité nationale), qui ne sont pas considérées comme des mesures ponctuelles et temporaires par le Gouvernement. Comme il l'a déjà souligné (9), le Haut Conseil considère, à l'inverse, qu'elles devraient être exclues du calcul du solde structurel compte tenu du montant important qu'elles représentent (2,5 Md€) et de leur caractère non reconductible. Ceci conduirait à dégrader le solde structurel de 0,1 point de PIB en 2015 et donc à diminuer d'autant l'amélioration structurelle entre 2014 et 2015, effet compensé par un ajustement un peu plus important entre 2015 et 2016.

Pour 2016, le Gouvernement a révisé à la hausse son estimation de la croissance potentielle (1,5 % contre 1,3 % dans la loi de programmation). Cette révision conduit à un niveau de solde structurel de - 1,2 % du PIB en 2016 et à un ajustement structurel de 0,5 point de PIB.
Avec la croissance potentielle de la loi de programmation, le solde structurel serait de - 1,3 % du PIB et l'ajustement structurel de 0,4 point de PIB en 2016.
Même si la loi organique du 17 décembre 2012 ouvre cette possibilité, le Haut Conseil réitère sa réserve de principe, déjà formulée en avril, sur cette révision des hypothèses de croissance potentielle de la loi de programmation. Une révision en dehors de ce cadre ne permet pas de suivre convenablement l'évolution de la composante structurelle du déficit et nuit à la lisibilité de la politique budgétaire (10). Pour un même niveau de déficit nominal, une hypothèse de croissance potentielle plus élevée conduit à une estimation moindre du déficit structurel.
Le Haut Conseil constate qu'en tout état de cause, la trajectoire de solde structurel est en avance sur les objectifs de la loi de programmation. Avec les hypothèses de calcul de la loi de programmation, le déficit structurel visé dans le projet de loi de finances est inférieur en 2016 de 0,5 point à celui prévu dans cette loi.
Par ailleurs, le Haut Conseil rappelle que les cessions de licences 4G devraient être traitées comme des mesures ponctuelles et temporaires dans le calcul du solde structurel.

  1. La crédibilité des prévisions de solde structurel

Pour apprécier la crédibilité des objectifs de solde structurel retenus dans le projet de loi de finances pour 2016, il faut analyser l'impact sur le redressement des finances publiques des mesures en recettes et en dépenses. D'après les objectifs affichés par le Gouvernement, l'amélioration du solde structurel doit être intégralement portée, en 2015 et en 2016, par un effort de modération des dépenses publiques.

Composition de l'ajustement structurel

| EN POINTS DE PIB POTENTIEL |PLF POUR 2016 (SEPT. 2015)|LPFP (DÉC. 2014)| | | |------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|--------------------------|----------------|------|------| | | 2015 | 2016 | 2015 | 2016 | | Ajustement structurel | 0,4 | 0,5 (0,4) | 0,4 | 0,3 | | dont effort en dépenses (hors crédits d'impôt) | 0,7 | 0,55 (0,45) | 0,5 | 0,4 | | dont mesures nouvelles en recettes | - 0,1 | - 0,1 | 0,1 |- 0,1| | dont effets d'élasticité | - 0,1 | 0 |- 0,1| 0 | | dont autres | - 0,1 | 0 |- 0,1| 0 | |Note. - Les chiffres étant arrondis au dixième, il peut en résulter de légers écarts dans le résultat des opérations.
Entre parenthèses figure l'estimation du Haut Conseil, avec l'hypothèse de croissance potentielle de la loi de programmation.
Source : projet de loi de finances pour 2016 et loi de programmation de décembre 2014.| | | | |

a) Les recettes :
En 2015 comme en 2016, les mesures nouvelles en recettes conduisent à dégrader légèrement le solde structurel. Ceci est dû aux mesures de baisses d'impôts et de cotisations sociales à destination des entreprises (CICE, Pacte de responsabilité) et des ménages (Pacte de solidarité), en partie compensées par la hausse déjà votée d'autres prélèvements (fiscalité écologique, hausse des cotisations de retraite, etc.).
En 2015, les informations en cours d'année sur l'exécution suggèrent que les recettes seraient globalement en ligne avec les prévisions actualisées du projet de loi de finances. Pour l'Etat, la montée en charge du CICE serait un peu plus dynamique que prévu, amputant une partie des recettes de l'impôt sur les sociétés. Le rebond attendu de l'impôt sur le revenu a été revu à la baisse (11). Du côté des administrations de sécurité sociale, les cotisations ont bénéficié de l'accélération des salaires en début d'année (12).
En 2016, les recettes devraient bénéficier de l'accélération modérée de la croissance. Le Gouvernement prévoit une évolution « spontanée » des recettes au même rythme que l'activité. Cette prévision n'est pas anormale en phase de reprise. Le coût des mesures nouvelles en faveur des entreprises est globalement inchangé par rapport à la loi de programmation, les nouvelles mesures annoncées en faveur des PME et de l'investissement étant compensées par le décalage au 1er avril de la montée en charge des baisses de cotisations sociales. La nouvelle mesure de baisse de l'impôt sur le revenu représente un coût estimé à 2 Md€, mais d'autres ajustements (13) conduisent à un coût total des mesures nouvelles quasiment inchangé, à - 0,1 point de PIB.
b) Les dépenses :
Ces dernières années, les efforts de maîtrise de la dépense publique ont été sensibles, avec un ralentissement de leur progression en volume (0,8 % par an en moyenne entre 2010 et 2014, après 2,2 % entre 2004 et 2008).
En 2015, l'objectif affiché par le Gouvernement est une progression de la dépense publique de 1,0 % en valeur, soit 0,9 % en volume (hors crédits d'impôt), comparable à celle des années récentes. Le respect des plafonds de dépenses de l'Etat n'est pas acquis et nécessitera un pilotage très strict en fin d'année, compte tenu des dépenses supplémentaires de masse salariale (effectifs de sécurité) et d'intervention (notamment les contrats aidés) décidées en cours d'année. La baisse des charges d'intérêt, dans un environnement de taux favorable, devrait y contribuer.
Les dépenses sociales sont en ligne avec les prévisions, en particulier les dépenses d'assurance maladie pilotées au sein de l'ONDAM (14). Du côté des collectivités locales, la poursuite de la baisse de l'investissement en début de cycle électoral devrait permettre de compenser des dépenses de fonctionnement plus dynamiques. Les baisses de dotations de l'Etat devraient également produire leurs premiers effets, mais les incertitudes restent grandes à ce stade de l'année.
En 2016, l'objectif du Gouvernement est plus ambitieux puisque les dépenses ne devraient croître en volume que de 0,3 % (1,3 % en valeur pour une inflation de 1 %). Les économies supplémentaires doivent en effet couvrir à la fois les baisses d'impôts et de cotisations sociales, les dépenses nouvelles et permettre de diminuer le déficit structurel. Or beaucoup de nouvelles dépenses ont été annoncées pour le budget de l'Etat (effectifs de sécurité, service civique, contrats aidés, aides agricoles, aide aux migrants, aide à l'investissement local, etc.), sans que les économies prévues pour les financer aient été portées dans leur intégralité à la connaissance du Haut Conseil ni dûment documentées.
S'agissant des dépenses sociales, le respect d'un taux de croissance de l'ONDAM ramené à 1,75 % apparaît incertain. Il suppose en effet la mobilisation d'outils de régulation renforcés, ainsi que des évolutions structurelles concernant notamment la dépense hospitalière et la maîtrise médicalisée des dépenses de soins de ville. Par ailleurs, s'il est justifié de partager l'effort entre toutes les administrations publiques, le fait que certaines économies soient portées par des entités que l'Etat n'a qu'en partie les moyens d'encadrer (notamment les collectivités locales et les régimes conventionnels d'assurance chômage et de retraites complémentaires) accentue l'incertitude quant à leur réalisation.
c) Le risque lié aux effets d'une moindre inflation sur le solde structurel :
Si l'inflation en 2016 devait être plus basse que ce que prévoit le Gouvernement, le rendement plus faible qu'attendu des mesures de gel ou de sous-indexation qui en découlerait nécessiterait de dégager de nouvelles économies pour maintenir la cible d'évolution des dépenses en volume, comme cela a déjà été le cas en 2015. La rigidité à court terme des cibles de dépenses fixées en valeur fait peser un risque à la baisse sur le solde structurel en 2016.
Au total, le Haut Conseil considère que l'objectif d'amélioration du solde structurel en 2015 devrait être atteint sous réserve de poursuivre une gestion stricte des dépenses. Il en serait de même pour le solde effectif, dont la réduction resterait toutefois modeste.
En 2016, les finances publiques devraient bénéficier de la reprise modérée de la croissance, mais des risques significatifs pèsent sur la réalisation de l'objectif de ralentissement de la dépense en volume, particulièrement ambitieux au regard de sa trajectoire passée. Si cet objectif de dépense n'était pas tenu, le solde structurel serait dégradé par rapport au niveau prévu.

Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française et joint au projet de loi de finances pour 2016 lors de son dépôt à l'Assemblée nationale.

Fait à Paris, le 25 septembre 2015.

Pour le Haut Conseil des finances publiques :

Le premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques,

D. Migaud

(1) Combinaison des politiques budgétaire et monétaire. (2) Avis du Haut Conseil du 13 avril 2015 sur le programme de stabilité 2015-2018. (3) Avis du Haut Conseil du 13 avril 2015 sur le programme de stabilité 2015-2018. (4) Le solde public est de - 3,9 % selon l'INSEE (actualisation du 14 septembre 2015) contre une estimation de - 4,4 % du PIB dans la loi de programmation. (5) La loi de programmation avait retenu des objectifs de 0,4 et 0,3 point de PIB en 2015 et en 2016. (6) En application de l'article 7 de la loi organique du 17 décembre 2012, le Gouvernement a la possibilité de modifier les hypothèses de croissance potentielle par rapport à celles retenues dans la loi de programmation mais il doit l'indiquer dans l'exposé des motifs de l'article liminaire. (7) Avis du Haut Conseil du 22 mai 2014 sur le projet de loi de règlement pour 2014. (8) Avis du Haut Conseil du 22 mai 2015 sur le projet de loi de règlement pour 2014. (9) Avis du Haut Conseil du 23 mai 2013 sur le projet de loi de règlement pour 2012. (10) Dans son avis d'avril dernier, le Haut Conseil a aussi relevé que la révision à la hausse de la croissance potentielle pose un problème de cohérence du scénario macroéconomique, car elle conduit à un écart de production qui ne se résorbe pas alors que la croissance repart. (11) Le Haut Conseil avait jugé le rebond trop marqué dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2015. (12) La masse salariale calculée par l'ACOSS a augmenté de 1,5 % à l'issue du deuxième trimestre en glissement annuel, soit un rythme proche de la prévision du Gouvernement de 1,7 % pour l'ensemble de l'année. (13) Notamment la fusion de la prime pour l'emploi et du RSA-activité : la suppression de la prime pour l'emploi augmente les recettes, alors que la nouvelle prime d'activité sera comptabilisée en dépense. (14) Avis du comité d'alerte de mai 2015 : l'objectif devrait pouvoir être respecté même si les marges de précaution se réduisent.