- La loi pénale s'applique naturellement aux étrangers, sous réserve de conventions internationales régissant des situations particulières, par exemple la protection des diplomates ou le droit de l'extradition. Par conséquent, la présence d'étrangers en détention ne doit pas étonner.
- Les conditions juridiques de leur détention relèvent de principes simples, depuis longtemps définis par le Conseil constitutionnel. « Le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques à la condition de respecter les engagements internationaux souscrits par la France et les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République » (n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, consid. n° 33). Si certains de ces droits sont inaliénables, comme le droit à la vie ou le droit de ne pas subir de torture, de traitements inhumains et dégradants, il n'existe en revanche « aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle [conférant] aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national » (par exemple n° 2005-528 DC du 15 décembre 2005, consid. 14). Il en résulte qu'il appartient à la loi de concilier les autres libertés et droits fondamentaux avec l'ensemble des objectifs de valeur constitutionnelle, en particulier la sauvegarde de l'ordre public. Rien ne s'oppose, par exemple, à ce que pour assurer celui-ci existent des sanctions pénales (ainsi l'interdiction du territoire, article 131-30 du code pénal) ou administratives (ainsi l'expulsion, article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile) applicables aux seuls étrangers.
Rien n'interdit théoriquement à la loi, pour ces seuls objectifs, de différencier les régimes de détention entre Français et étrangers. Le code de procédure pénale prévoit ainsi un régime particulier de libération conditionnelle destiné à faciliter l'expulsion de personnes étrangères détenues (art. 729-2), comme on le verra ci-après. Mais, a contrario, lorsque la loi n'a pas prévu de distinction, il ne peut y avoir de différences de traitement en prison du seul fait de la nationalité. Ainsi, le principe d'égalité, sous réserve de distinctions fondées sur d'autres critères (prévenus et condamnés, etc.), reprend toute sa portée et, avec lui, les « garanties fondamentales accordées aux personnes détenues », dont il appartient au législateur de déterminer les règles (Cons. constitutionnel, décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014, consid. n° 5). Certes, dans une telle hypothèse, « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général », mais c'est à la condition « que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (n° 2003-483 DC du 14 août 2003, consid. n° 23). Mais dès lors que ces conditions ne sont pas remplies, aucune différence de traitement ne trouve sa justification.
Il résulte simplement de ces principes que, de manière pratique, rien ne justifie, sauf exception, une différence de traitement entre les personnes détenues de nationalité française et celles de nationalité étrangère. En revanche, l'absence de mesures spécifiques de l'administration peut engendrer, dans certaines circonstances, une rupture irrégulière de cette égalité. - Au 1er janvier 2014, 18,5 % des 77 883 personnes écrouées étaient de nationalité étrangère.
Cette réalité appelle plusieurs précisions.
En premier lieu, l'administration pénitentiaire ne publie pas de données sur la part d'étrangers dans les personnes effectivement hébergées (au nombre de 67 075, à la même date). Elle n'est vraisemblablement pas différente de celle des étrangers écroués. Il est possible qu'elle soit légèrement supérieure, en raison de plus grandes difficultés d'accès des étrangers qu'on peut supposer à l'aménagement des peines, comme on verra ci-après.
En deuxième lieu, on sait que cette part est plus élevée que la part des étrangers dans la population française (6 %). On a expliqué depuis longtemps et savamment cette différence, qui a fait naître des commentaires moins judicieux, par trois ordres de facteurs : les délits, propres aux étrangers, relatifs à l'entrée et au séjour ; les pratiques institutionnelles résultant de la loi et des tribunaux ; les caractères de la population étrangère, largement partagés avec les catégories sociales de Français les plus défavorisées, lesquelles peuplent massivement les prisons.
En troisième lieu, la réalité étrangère est incontestable du point de vue juridique. Mais elle présente une grande variété du point de vue de la détention : prévenus, condamnés mais aussi écrou extraditionnel. Il en va de même du point de vue social : certains étrangers, par leurs modes d'existence, sont très proches des personnes de nationalité française, du fait de l'ancienneté de leur séjour ou de leur niveau de vie ; d'autres, au contraire, n'entendent rien de la langue française, pas plus qu'aux procédures qui leur sont appliquées. Conformément à sa mission, c'est à ces derniers que le contrôle général s'est intéressé, évidemment sans exclusive.
En quatrième lieu, la situation des étrangers dans les prisons se présente qualitativement (en raison de ce qui précède) et quantitativement de manière différente selon les établissements pénitentiaires. Si, dans les établissements pour peines, le nombre d'étrangers est relativement proche du pourcentage national des étrangers écroués (centre de détention de Joux-la-Ville, 16,5 % lors de la visite du contrôle en 2009 ; centre de détention de Muret, 16,3 % en 2013 ; maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, 19 % en 2009...), il n'en va pas de même dans les maisons d'arrêt (ou les centres pénitentiaires dont les quartiers « maison d'arrêt » pèsent lourd), à recrutement plus local, dont la population reflète la répartition des étrangers sur le territoire national ou bien la concentration des affaires judiciaires (maison d'arrêt d'Aurillac, en 2012, 8,8 % ; maison d'arrêt de Gap, en 2011, 16 % ; maison d'arrêt de Nice, en 2008, 33 % ; maison d'arrêt de Paris la Santé, en 2010, 42,45 % ; centre pénitentiaire de Fresnes, en 2012, 36,1 % ; centre pénitentiaire Sud francilien, en 2013, 21,8 %...). Les caractères de cette population étrangère ne sont pas toujours comparables, notamment au regard des nationalités dénombrées dans un seul établissement : douze nationalités au centre pénitentiaire de Baie-Mahault (Guadeloupe), dont une seule regroupant les deux tiers des étrangers ; mais plus de cent nationalités parmi les 2 165 personnes détenues à Fresnes le 1er janvier 2012. On peut évidemment déduire de cette dernière circonstance combien la prise en charge des étrangers peut être lourde, ce qui n'enlève rien à la nécessité de garantir l'exercice de leurs droits fondamentaux. - Il doit être clairement perçu par les responsables que l'absence de maîtrise de la langue française multiplie, en quelque sorte, la vulnérabilité propre à la personne détenue ; que, pour l'étranger, par conséquent, doivent être simultanément mis en œuvre les trois volets d'une complète information sur l'exécution de sa peine ; de l'apprentissage de la langue française ; accessoirement, de la pratique de sa langue maternelle.
- Le premier besoin à satisfaire est la claire compréhension par l'étranger de ses droits et devoirs en détention. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (art. 23) prévoit que cette information est dispensée oralement, « dans une langue compréhensible » par l'arrivant, ainsi que par la remise d'un livet d'accueil.
a) Une première difficulté est relative à l'application de cette disposition dans ses deux aspects. La traduction des documents et des consignes indispensables à la vie en détention est nécessaire. La loi n° 2013-711 du 5 août 2013 et son décret d'application du 25 octobre suivant règlent la question de l'interprétation dans les affaires juridictionnelles (il convient d'y veiller s'agissant du juge de l'application des peines) mais nullement dans les procédures administratives. C'est pourquoi :
― la distribution des traductions (six langues étrangères) du guide de l'administration Je suis en détention doit être effectivement assurée (dans une maison d'arrêt comprenant beaucoup d'étrangers, ces traductions n'étaient pas conservées au quartier des arrivants mais dans les locaux administratifs, à l'économat) et le nombre de traductions élargi (par exemple, au turc et au mandarin) ; des documents types (formulaires de requête, comme à l'établissement de Melun) peuvent être également traduits à la condition, là encore, qu'ils soient diffusés (le guide d'une association hispanophone réalisé pour les personnes détenues d'une maison d'arrêt de la région parisienne est stocké sans usage dans les locaux du service pénitentiaire d'insertion et de probation ; un lexique en dix-neuf langues élaboré par l'association des visiteurs de prison n'est pas distribué ni dans une prison de la région parisienne ni dans une prison lyonnaise) ;
― dans les établissements comportant un grand nombre de personnes qui ne sont pas francophones, des fascicules avec pictogrammes (compréhensibles) reprenant les éléments essentiels du règlement et des bons de cantine doivent être distribués aux arrivants intéressés ;
― le canal vidéo interne, s'il existe, doit être un instrument de diffusion utile de connaissances pour le public étranger.
b) Une deuxième difficulté réside dans l'insuffisant recours aux services d'un interprète. Il est certaines circonstances dans lesquelles le régime de détention ou la santé de la personne sont d'évidence en jeu. Ces moments cruciaux sont les entretiens lors de l'arrivée dans l'établissement, les procédures disciplinaires quelle qu'en soit la forme, les mesures de classement et de déclassement d'activités, les entretiens contradictoires (art. 24 de la loi du 12 avril 2000), les démarches avec le conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation, la prise en charge sanitaire, en particulier pour recueillir le consentement aux soins et y associer le patient. Une convention a été opportunément signée entre la direction interrégionale de Paris et un organisme d'interprétariat (y compris par téléphone) : son financement devrait être élargi (treize mille euros seulement en 2013 pour le « milieu ouvert » et le « milieu fermé ») et son principe étendu ailleurs, s'il ne l'est pas déjà. Certains hôpitaux accueillant des détenus ont passé de telles conventions : elles ne sont pas connues des praticiens. Les contrôleurs ont rencontré un étranger auquel un poumon a été retiré sans qu'il ait pu donner son accord, ni même en savoir le motif, en méconnaissance des articles L. 1111-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique. Des incompréhensions de cette nature peuvent conduire à des erreurs graves mettant la vie de personnes en péril ou, plus fréquemment, à des refus de soins générateurs de dangers pour la santé des intéressées.
c) Une troisième difficulté réside dans le fait que des étrangers sont dans l'incapacité de faire connaître leurs demandes. Ce silence peut leur valoir au mieux de ne pas bénéficier d'avantages auxquels ils ont droit (par exemple, des mesures d'aménagement de peines, comme ce Turc âgé, « permissionnable » et « conditionnable », parfaitement oublié dans une maison centrale), au pire d'être regardés comme des rebelles à la discipline et traités comme tels. Les contrôleurs l'ont constaté dans le cas d'un Somalien rencontré, avec un interprète, en détention. Pour des étrangers aussi isolés, il importe de prévoir, à intervalles réguliers, des entretiens avec des interprètes pour vérifier que l'absence de besoins formulés n'est pas liée à l'incapacité d'y procéder.
d) Une quatrième difficulté réside dans le choix des interprètes. Le recours à un codétenu doit être évité dans la mesure du possible : il oblige à partager des informations avec des personnes qui peuvent être intéressées. Un interprète professionnel est toujours préférable. A défaut, des professionnels, ou des membres d'association, ou encore des salariés de prestataires privés peuvent être sollicités avec des précautions. A cette fin, les écoles de recrutement, les entreprises intervenantes et les associations devraient encourager la pratique des langues étrangères et repérer ceux qui en ont la pratique : ainsi, les fiches de poste de l'unité sanitaire de la maison d'arrêt de Villepinte comportent la nécessité de la maîtrise de plusieurs langues, mais cet exemple est isolé. - Le deuxième besoin, corollaire du premier, qui doit être assuré aux étrangers détenus est sans nul doute tout à la fois l'accès à la langue française et le maintien de la possibilité d'accéder à leur propre langue. L'accès au français n'est pas seulement nécessaire pour les seuls besoins des intéressés : la compréhension des consignes est également indispensable à la sécurité de l'établissement.
a) Une première difficulté concerne l'appréciation par les personnels de la connaissance du français par des étrangers. Cette appréciation apparaît très empirique, voire arbitraire selon les nécessités du personnel. Au cours d'une visite, les contrôleurs ont assisté à une commission de discipline au cours de laquelle il apparaissait d'évidence que le comparant n'entendait rien à la langue française ; consultant le dossier de discipline quarante-huit heures plus tard, les contrôleurs ont relevé qu'avait été cochée la case selon laquelle l'intéressé comprenait et s'exprimait en français. Il existe aussi des appréciations inexplicablement divergentes entre services et entre personnes. Il convient que le test d'appréciation d'alphabétisation réalisé par les enseignants à l'entrée en détention, d'une part, soit appliqué systématiquement aux étrangers et soit conçu pour permettre de mesurer le degré de maîtrise de la langue française et, si possible, celui de la langue d'origine. Cette appréciation devrait s'imposer ensuite à tous.
b) Les conditions d'apprentissage de la langue française ne sont pas nécessairement adaptées. La plupart des enseignants mettent très justement l'accent sur les cours dits « FLE » (français langue étrangère). Encore faut-il que ces cours soient accessibles aux personnes qui en ont le plus grand besoin ; qu'ils ne soient pas antinomiques des horaires de travail en atelier ou en qualité d'« auxiliaire » (les étrangers, plus souvent désargentés que les autres, choisissent évidemment dans cette hypothèse le travail) ; que les méthodes pédagogiques utilisées soient appropriées (un étranger rencontré ne devait son succès à l'évaluation écrite que grâce à la mémorisation purement visuelle d'images, sans aucun apprentissage réel de la langue).
c) L'accès à la radio, à la télévision ou à tout moyen (presse et, le moment venu, internet) accélérant l'apprentissage doit être facilité (la prise en charge du coût de la télévision pour les personnes sans ressources doit faire l'objet d'une attention particulière, prolongée autant que nécessaire). - Corollairement, la faculté de pouvoir pratiquer leur langue dans leur vie personnelle doit être reconnue aux étrangers.
Un soin attentif doit être apporté à l'affectation dans les établissements et au sein de chaque établissement, de telle sorte que des personnes très isolées sur le plan linguistique (certaines personnes d'Europe de l'Est ou de pays lointains, comme la Mongolie ou les Etats du Sud-Est asiatique) puissent se faire comprendre d'un interlocuteur, en évitant toutefois de constituer des ailes entières de ressortissants d'une même nationalité, ce qui facilite les dérives. Dans le cas de personnes très isolées, des transfèrements doivent être prévus.
L'accès à des supports en langue maternelle doit être recherché : livres (les fonds des bibliothèques pénitentiaires laissent à désirer sur ce point), CD ou DVD. Des dérogations à l'interdiction des postes récepteurs de radio à ondes courtes doivent être accordées. - Les conditions d'existence des étrangers détenus doivent aussi faire l'objet d'attentions particulières et de mesures efficaces lorsqu'elles ne troublent en rien le bon ordre et la sécurité.
- Les étrangers sont, beaucoup plus que les autres personnes détenues, isolés en France. En particulier, le droit au respect de leur vie familiale, autrement dit la qualité des liens avec leurs proches, doit faire l'objet de solutions adaptées.
a) Les pratiques actuelles d'aide sont inadaptées pour les étrangers qui n'ont d'autres parents que des personnes domiciliées, éventuellement très loin, dans d'autres pays.
Une somme d'un euro est créditée sur le compte téléphonique des arrivants pour leur permettre de prévenir leur proche de leur incarcération. Cette somme est insuffisante, eu égard au but recherché, pour les communications avec l'étranger. Elle devrait être adaptée au coût de la communication pour le pays de résidence des parents, ou du conjoint, ou encore des enfants. Il en va de même des timbres en principe remis dans les dotations d'arrivant : ils sont destinés seulement aux correspondances nationales (une exception contraire constatée dans une maison d'arrêt) et ne sont d'aucune utilité pour l'étranger ; la possibilité doit être donnée de mesures d'effet identique pour l'international.
b) Pour ceux qui souhaitent avoir accès au téléphone, les formalités sont souvent impossibles (remises de facture...), comme il a été relevé dans l'avis du 10 janvier 2011 du contrôle général relatif à l'usage du téléphone par les personnes privées de liberté (Journal officiel du 23 janvier 2011) ; les coûts sont prohibitifs au regard des ressources disponibles (cinq minutes de conversation avec un interlocuteur du Bangladesh ou du Brésil reviennent à 6,25 euros ; 0,625 euro vers un poste fixe en France et 1,50 euro vers un téléphone cellulaire) ; enfin, les heures d'accès au téléphone en détention sont souvent incompatibles avec les horaires nécessités par le décalage horaire. Sur ces éléments, déjà évoqués en 2011, aucune novation n'est intervenue.
c) Le contrôle général revendique l'accès (contrôlé) aux téléphones portables et au réseau internet. Une première mesure utile et urgente en permettrait l'usage (ainsi que celui de la messagerie électronique) aux étrangers isolés. Dans une salle dévolue à cet effet, un ordinateur pourrait, par exemple, être muni de logiciels d'échanges de la nature de ceux offerts par Skype et d'une messagerie dont le contenu serait vérifié à chaque échange.
d) L'incapacité de l'administration à comprendre une lettre rédigée en langue étrangère pour en vérifier le contenu ne doit jamais conduire à l'absence d'acheminement de cette lettre à son destinataire : le droit des personnes détenues de correspondre (art. 40 de la loi pénitentiaire) ne saurait être remis en cause du fait des carences de l'administration. Corollairement, la possibilité (art. 25 de la loi pénitentiaire) et le secret des conversations entre une personne et un avocat, fût-il étranger et résident d'un autre pays, doivent être assurés. Les numéros de téléphone demandés doivent être enregistrés sur la liste des numéros autorisés dès lors qu'aucun motif de sécurité ne s'y oppose. Comme pour les lettres, l'incapacité de l'administration d'opérer les vérifications nécessaires ne peut se retourner contre le demandeur.
e) La rédaction de lettres peut être difficile lorsque leurs auteurs ne savent pas écrire. Les écrivains publics ont largement disparu des établissements : ce sont bien souvent des codétenus (par exemple les bibliothécaires) qui jouent ce rôle. Cette solution n'est qu'un pis-aller et devrait être améliorée.
f) Les familles résidant à l'étranger qui se rendent à l'établissement pour bénéficier de parloirs avec leur proche doivent, du fait de leurs sujétions particulières, disposer de facilités particulières : dans la prise de rendez-vous (par le réseau internet par exemple ― il a déjà été demandé par le contrôle général que chaque établissement dispose d'un site et d'une adresse électronique) ; dans les souplesses accordées à d'éventuels retardataires ; dans la durée des parloirs autorisés. Elles doivent également pouvoir accéder aux informations qui les concernent (procédure d'obtention du permis de visite, modalités de réservation d'un parloir et de la remise d'objets) dans une langue qui leur est compréhensible. De même un devoir d'information de l'administration aux familles (par le même truchement) s'impose-t-il en cas d'hospitalisation, de transfèrement ou de toute autre cause d'impossibilité de rencontre.
g) La Croix-Rouge française, comme elle en a la possibilité dès aujourd'hui pour les Somaliens (par mandat du CICR), devrait recevoir habilitation afin de rencontrer tous les détenus qui sont dans l'incapacité de contacter leur famille ou sont, de fait, entièrement dans la solitude. - Le niveau de fortune des étrangers isolés est généralement très faible. Ils ne peuvent attendre aucun secours de l'extérieur. Or on sait que les ressources intérieures (travail, formation rémunérée) ne bénéficient qu'à une minorité de personnes détenues. Dans une maison d'arrêt où se trouvent beaucoup d'étrangers, 53 % de ces derniers disposaient de moins de 50 euros sur leurs comptes nominatifs (37 % pour les Français). De surcroît, les étrangers participent davantage à l'entretien de leur famille dans le besoin par l'émission de mandats internationaux. Dans la même maison d'arrêt, sur vingt-huit envois d'argent relevés pendant une période donnée, dix-sept étaient destinés à l'étranger.
Cette situation met fréquemment les étrangers en situation de faiblesse par rapport aux autres personnes détenues, avec les abus auxquels une telle situation peut conduire (domestication des premiers au profit des secondes).
Dans ces conditions, l'accès aux aides en nature et en numéraire prévues par la loi doit être régulier et prolongé autant que le requiert la situation de l'étranger. Le décret prévu à l'article 31 de la loi pénitentiaire devrait utilement prévoir une adaptation du volume de cette aide suivant les besoins, dès lors que ceux-ci, comme il vient d'être démontré, ne sont pas égaux. - La possibilité de travailler ou de se former doit être ouverte sans discrimination aux étrangers.
Est parfaitement discriminatoire le choix de certains établissements de refuser de classer au travail les étrangers en situation irrégulière au regard de l'entrée et du séjour des étrangers. Ce refus se justifie par deux motifs. D'une part, un étranger ne saurait travailler sans autorisation délivrée par l'autorité administrative (voir par exemple pour un salarié l'article L. 5221-2 du code du travail) : mais ce raisonnement ne peut être tenu dès lors que le travail pénitentiaire, on le rappelle, échappe aux lois sur le travail. D'autre part, des établissements ont soutenu qu'un numéro de sécurité sociale définitif était demandé par les organismes compétents en vue du règlement par l'administration pénitentiaire des cotisations sociales. Interrogés par le contrôle général, tant la CNAV que la direction de la sécurité sociale ont fait valoir qu'un numéro provisoire suffisait pour procéder à la déclaration annuelle des données sociales (DADS) requise par la réglementation en vigueur (art. R. 243-14 du code de la sécurité sociale). Ce double motif n'est donc pas pertinent. - Enfin, des pratiques conformes aux usages dans le pays d'origine doivent être admises, dès lors qu'elles sont compatibles avec le bon ordre et la sécurité des établissements.
La fourniture de plaques chauffantes et d'aliments conformes aux usages locaux (comme on fournit d'ores et déjà aujourd'hui des menus particuliers sur prescription médicale) doit permettre à certains étrangers, dont les modes de vie peuvent être très différents, d'éviter des difficultés de santé dues à l'absorption de nourritures cuisinées selon les normes françaises. Le contrôle général a eu des informations précises sur de telles difficultés.
Dans le domaine religieux (offices ou aliments), il est renvoyé à l'avis du contrôle général du 24 mars sur l'exercice du culte dans les lieux privatifs de liberté (Journal officiel du 17 avril) ainsi qu'au chapitre 8 de son rapport 2013 (p. 247). - L'application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aux étrangers détenus appelle également des améliorations précises.
a) De manière générale, certains établissements comportant une forte population étrangère sont encore dépourvus de « point d'accès au droit » ou de présence associative. Ces dispositifs sont pourtant fortement sollicités, on le sait, en matière de droit des étrangers. Là où ils existent, leurs effectifs (par conséquent leurs heures de présence) et la présence d'interprètes ne sont pas nécessairement adaptés aux besoins. Les préfectures (service des étrangers) ont des difficultés à reconnaître leur rôle et des conventions devraient y aider.
b) La possibilité de demander l'asile est un droit fondamental dont les limitations ne peuvent être envisagées qu'avec de très sérieux motifs. Or ce droit subit deux limitations substantielles sans aucun véritable fondement. En premier lieu, de fait, il est très difficile de déposer une demande pendant la durée de la détention : aucune information n'est donnée ; les « points d'accès au droit » encouragent souvent le report du dépôt de la demande d'asile après la sortie (c'est-à-dire une fois l'étranger concerné placé en rétention) ; il n'y a pas d'interprète disponible ; des documents peuvent être difficilement accessibles (cf. avis du contrôleur général du 13 juin 2013 sur la possession de documents personnels par les personnes détenues..., Journal officiel du 11 juillet 2013). En second lieu, l'admission provisoire au séjour, délivrée par les préfets, nécessaire pour que la demande soit examinée selon une procédure normale par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (art. L. 723-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile), est, dans beaucoup de préfectures, systématiquement refusée par celles-ci, ou bien laissée sans suite. Non pas au motif qu'elle ne serait pas nécessaire, mais parce que la présence de tous les étrangers détenus est ipso facto, sans examen particulier, réputée constituer « une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat » (3° de l'article L. 741-4 du même code). La circulaire du 1er avril 2011 a défini cette « menace grave » comme celle susceptible de conduire à une mesure d'expulsion (article L. 521-1 du code). Or, d'une part, du point de vue de la procédure, la commission d'une infraction pénale ne dispense pas le préfet d'examiner l'ensemble des circonstances de l'affaire (Conseil d'Etat, 24 janvier 1994, M'Barki, n° 127 546, au rec., concl. Abraham) ; d'autre part, sur le fond, toutes les infractions pour lesquelles leurs auteurs ont été condamnés à des peines d'emprisonnement ne sont pas constitutives d'une menace grave, alors au surplus que des liens familiaux existeraient sur le territoire français. La Cour européenne des droits de l'homme (I.M. c/ France, n° 9152/09, paragraphes 140 à 150) a jugé que l'impossibilité de présenter une demande d'asile avant d'être en rétention et le recours systématique à la procédure prioritaire pour les demandes présentées dans ces conditions méconnaissaient le droit à un recours effectif (art. 13 de la convention). La pratique préfectorale de refuser systématiquement l'admission provisoire au séjour conduit nécessairement à une procédure « prioritaire » qui ne garantit pas, malgré les précautions apparentes, un examen suffisamment sérieux ; elle appelle donc les mêmes critiques que celles de la cour.
c) L'obtention ou le renouvellement des titres de séjour se heurte également à des difficultés de fait, en particulier à la constitution des dossiers nécessaires, à la fabrication de photographies d'identité, à la présentation des dossiers en préfecture, au respect des délais. Depuis une circulaire du 25 mars 2013 toutefois, ces formalités ne sont plus subordonnées à la présentation personnelle de l'étranger en préfecture ; toutefois, toutes les conventions nécessaires ne sont pas encore signées. En tout état de cause, tout n'est pas pour autant aisé et des étrangers peuvent se trouver démunis de titre pendant la détention (et privés ainsi du droit à certaines prestations sociales) ou à la sortie de la détention (donc connaître de graves difficultés de réinsertion) alors même qu'ils y ont théoriquement droit (comme conjoint de Français, par exemple). Un temps précieux est perdu. Aucun étranger ayant droit à un titre de séjour ne devrait perdre sa qualité de personne en situation régulière du fait de la détention, sauf interdiction judiciaire du territoire ou mesure administrative d'éloignement.
d) Pour les formalités relatives à l'établissement ou au renouvellement des titres de séjour, certains juges de l'application des peines accordent libéralement des permissions de sortir afin que les étrangers puissent déposer des dossiers devant les services des préfectures. D'autres non, alléguant une situation irrégulière au regard du séjour. Pourtant, il est admis (circulaire du 25 mars 2013) qu'une personne écrouée ne peut être regardée comme en situation irrégulière au regard des lois sur le séjour. Surtout, une décision d'abstention pour ce motif conduit à maintenir la situation précisément reprochée à l'intéressé. Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, aidés par les associations et les points d'accès au droit, doivent être suffisamment informés en matière de législation sur les étrangers pour éclairer les magistrats sur les chances raisonnables d'une personne détenue d'obtenir un titre de séjour.
e) Lorsque la permission de sortir est accordée, le refus des services des préfectures de déterminer des horaires de rendez-vous rend le respect de ceux fixés pour la permission difficile. La prise en compte des exigences de l'incarcération devrait conduire à la mise en œuvre d'un circuit de formalités particulier pour les personnes détenues en permission. - De manière générale, l'aménagement des peines revêt clairement, toutes choses égales par ailleurs, un caractère fréquemment discriminatoire à l'encontre des étrangers.
a) En effet, outre que l'absence de titre de séjour peut faire obstacle, de fait, à une permission de sortir, elle prive les étrangers de la possibilité de rechercher un contrat de travail et une formation ou de bénéficier de prestations sociales. Ces étrangers sont donc hors d'état de satisfaire aux conditions qui leur ouvriraient un placement en semi-liberté ou en libération conditionnelle, par exemple. Ces obstacles ne devraient pas exister si ces personnes ont droit au séjour.
b) Lorsqu'elles n'ont pas droit au séjour, il devrait pouvoir être envisagé un projet de probation à réaliser dans le pays d'origine. Mais cette dernière hypothèse n'est jamais examinée, y compris pour des pays proches, comme le montre ce cas d'un détenu de nationalité belge suivi par le contrôle général. Les peines d'emprisonnement des étrangers ont, par conséquent, des chances d'être plus longues que celles des Français.
c) L'article 729-2 du code de procédure pénale autorise le juge à ordonner la libération conditionnelle d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors que celle-ci est exécutée, y compris sans le consentement de l'intéressé. Cette mesure pourrait pallier l'impossible aménagement de peines. Mais elle suppose d'abord une entente entre le magistrat qui ordonne la mesure et le préfet qui l'exécute ; si ce dernier s'y oppose, elle ne peut être réalisée. Elle suppose ensuite que le pays d'origine accepte l'admission de l'étranger sur son propre territoire : ce n'est pas nécessairement le cas, même lorsque la nationalité est incontestable. Le contrôle général a eu connaissance de la situation d'un étranger condamné à une peine perpétuelle très ancienne, sans espoir de sortir, le bénéfice d'une « libération conditionnelle ― expulsion » n'étant pas admise par tous. La perpétuité devient donc, dans cette hypothèse, une réalité dont la Cour européenne des droits de l'homme estime que, « dans des circonstances particulières », elle fait difficulté au regard de l'article 3 (traitements inhumains et dégradants) de la convention (par exemple, Grande Chambre, 30 mars 2009, Léger c/ France, n° 19324/02, paragraphe 91). Certains magistrats ont recours à des libérations conditionnelles « retour volontaire » : une telle pratique devrait être encouragée. - Les étrangers peuvent aussi solliciter, lorsqu'ils sont condamnés, l'exécution de leur peine dans leur propre pays. Mais un tel transfèrement n'est possible que s'il existe des accords bilatéraux à cette fin. Les contrôleurs ont rencontré en maison centrale un ressortissant de la Dominique séparé depuis plus de trente ans des siens (aucun parloir) qui, en l'absence d'accord, n'avait aucun espoir d'achever l'exécution de sa peine à perpétuité ailleurs qu'à plusieurs milliers de kilomètres des siens. La France devrait œuvrer à l'élaboration par les Nations unies d'une convention internationale en la matière, se substituant éventuellement à l'absence d'accords bilatéraux (ainsi qu'il a été fait, jadis, à l'échelle européenne en matière d'extradition).
- La situation des étrangers détenus peut donc appeler des mesures particulières, à fin d'assurer la mise en œuvre du principe d'égalité en prison et corollairement d'éviter des conditions d'incarcération inhumaines ou dégradantes. Les recommandations ici décrites doivent donc être sérieusement prises en considération.
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