Dans un rapport de 2017, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) recommandait que soit renforcée la protection des mineurs hospitalisés en psychiatrie (1).
Les constats effectués dans le cadre de ses visites et les nombreux signalements qui lui sont adressés révèlent en effet que ces enfants, qui sont pour la plupart hospitalisés « en soins libres », sont fréquemment pris en charge selon des modalités qui entraînent de nombreuses atteintes à leurs droits fondamentaux et méconnaissent des normes internes et internationales censées protéger les enfants, privés de liberté ou non. Bien qu'ils n'aient pas donné leur consentement aux soins, puisqu'ils sont majoritairement hospitalisés à la demande des titulaires de l'autorité parentale ou en application d'une décision de justice, ces enfants sont privés des garanties inhérentes au statut du patient soigné sans son consentement, notamment du contrôle juridictionnel de la mesure qui les touche.
Alors que de récentes évolutions normatives ont renforcé la protection des droits des patients en soins sans consentement en soumettant les mesures d'isolement et de contention - privations de liberté dans la privation de liberté - au contrôle de l'autorité judiciaire, le CGLPL observe en outre un recours massif à l'isolement des mineurs hospitalisés en psychiatrie. Les enfants susceptibles d'être effectivement soumis à de telles mesures, dont le législateur circonscrit expressément le champ d'application aux soins sans consentement, sont pourtant très minoritaires. Ces mineurs hospitalisés sur décision du représentant de l'Etat (SDRE) se voient appliquer les mêmes restrictions à leurs droits et liberté que les adultes, alors que leur particulière vulnérabilité justifierait une adaptation de leur prise en charge, afin de les protéger notamment des conséquences à long terme d'une hospitalisation sous ce régime.
Ainsi la méconnaissance des normes applicables, parfois directement liée à l'état de délabrement de certains services hospitaliers, combinée au caractère inadapté de certaines modalités de prise en charge aboutit à une situation paradoxale dans laquelle les patients les plus vulnérables sont ceux que la loi protège le moins. Le décalage entre les obligations de l'Etat en matière de protection des droits des enfants et l'insuffisante protection des droits du mineur en établissement de santé mentale, conséquence directe de ce qui peut être regardé comme un impensé du droit positif français, se trouve crument mis en lumière.
- Le cadre juridique de l'hospitalisation des enfants en psychiatrie et la protection des droits des enfants privés de liberté en droit positif français
1.1. Un enfant peut faire l'objet de soins psychiatriques et son consentement n'est jamais requis à ce titre
Les mineurs hospitalisés dans les établissements de santé mentale peuvent être admis en soins psychiatriques, sous forme d'hospitalisation complète, dans plusieurs hypothèses.
En premier lieu, cela peut être à l'initiative des titulaires de l'autorité parentale, qui demandent l'admission du mineur et autorisent les soins sur le fondement des articles L. 3211-10 et L. 3211-1 (1er alinéa) du code de la santé publique. En cas de désaccord entre eux, le juge aux affaires familiales statue. Le mineur est alors en soins psychiatriques libres (2). Ce cas de figure est celui de la majorité des mineurs hospitalisés en psychiatrie.
En second lieu, l'admission peut être décidée par le juge des enfants intervenant au titre de l'assistance éducative (3) après avis médical circonstancié d'un médecin extérieur à l'établissement, si la santé du mineur est en danger et si sa protection l'exige, ou par le procureur de la République, en cas d'urgence. Lorsque la santé ou l'intégrité corporelle d'un mineur risquent d'être compromises par le refus de son représentant légal ou l'impossibilité de recueillir son consentement, le médecin responsable du service peut saisir le ministère public afin de provoquer les mesures d'assistance éducative lui permettant de donner les soins qui s'imposent (4). Ce placement ordonné par le juge des enfants ne constitue toutefois pas une hospitalisation sans consentement, bien qu'il puisse être décidé sans le consentement du mineur et de ses représentants légaux.
Les mesures d'hospitalisation à l'initiative des titulaires de l'autorité parentale ou sur décision du juge des enfants constituent ainsi, juridiquement, des soins libres, quel que soit l'avis du mineur sur cette décision.
En troisième lieu, le placement d'un mineur en soins psychiatriques est également possible sur décision du représentant de l'Etat prononçant son admission en soins psychiatriques sans consentement, lorsqu'il est atteint de troubles mentaux qui nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public (5). Un tel placement peut également être décidé par l'autorité judiciaire à la suite d'une déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (6). C'est uniquement dans ces deux dernières hypothèses que le régime des soins sans consentement s'applique. Le code de la santé publique ne prévoit pas, en revanche, l'admission en soins psychiatriques sans consentement d'un mineur sur décision du directeur d'établissement à la demande d'un tiers ou des titulaires de l'exercice de l'autorité parentale.
1.2. La Convention internationale des droits de l'enfant s'applique à tous les enfants
Instrument international de protection des droits de l'enfant ratifié par 197 Etats, la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) définit ce dernier comme « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans » et énonce un ensemble de droits à son bénéfice.
En vertu du principe posé en son article 3, l'intérêt supérieur de l'enfant « doit être une considération primordiale » dans toutes les décisions le concernant. A la fois instrument juridique et règle procédurale, ce concept peut être défini comme visant à assurer le bien-être de l'enfant sur les plans physique, psychique et social, et comme faisant obligation aux autorités - publiques ou privées - amenées à prendre une décision à l'égard d'un enfant de s'assurer que ce critère est effectivement rempli. Garantie pour l'enfant de voir son intérêt pris en compte sur le long terme, il doit servir d'unité de mesure lorsque plusieurs intérêts entrent en concurrence.
Le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant impose aussi aux Etats le respect de nombreux droits qui s'appliquent à tous les enfants, y compris lorsqu'ils sont privés de liberté. Surtout, l'article 37 de la convention impose aux Etats de veiller à ce que nul enfant ne soit soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, pose l'interdiction de priver un enfant de liberté de façon illégale ou arbitraire et stipule que tout enfant privé de liberté doit être traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. Durant sa privation de liberté, qui doit être aussi courte que possible, l'enfant doit être séparé des adultes, à moins que l'on estime préférable de ne pas le faire dans son intérêt supérieur. Enfin il doit avoir rapidement accès à l'assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de sa privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu'une décision rapide soit prise en la matière.
1.3. Le code de la santé publique protège les droits des patients en soins sans consentement
Entre 2011 et 2022, quatre lois ont construit le statut des patients en soins sans consentement pour leur apporter de plus en plus de garanties concernant la protection de leurs droits fondamentaux.
La loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge a remplacé l'ancienne notion « d'hospitalisation sans consentement » par celle de « soins sans consentement », ouvrant ainsi la possibilité de soins contraints en dehors du cadre de l'hospitalisation au moyen de « programmes de soins ambulatoires ».
Ce texte crée l'article L. 3211-2-1 du code de la santé publique qui définit les soins sans consentement et institue quatre procédures d'admission sous ce régime, l'une sur décision du représentant de l'Etat en cas de besoin de soins et d'atteinte grave à l'ordre public, les trois autres sur décision du directeur de l'établissement d'accueil (7). Il institue enfin, pour la première fois, un contrôle systématique, par l'autorité judiciaire, des mesures de soins sans consentement accompagnées d'une hospitalisation complète avec l'intervention du juge des libertés et de la détention dans un délai de quinze jours après l'hospitalisation.
Une loi de 2013 (8) visant à modifier certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 précitée est ensuite intervenue, qui maintient un régime spécifique pour les personnes pénalement irresponsables afin que la sortie d'hospitalisation ne soit possible qu'après une étude approfondie de la situation psychiatrique. Elle assouplit le régime des sorties de courte durée, réduit à douze jours le délai d'intervention du juge et instaure le principe d'audiences foraines sur des sites hospitaliers.
La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a créé dans le code de la santé publique un article L. 3222-5-1 qui, sans faire encore référence aux soins sans consentement, donne un fondement légal aux pratiques d'isolement et de contention, définies comme des « mesures de dernier recours » prises pour prévenir « un dommage immédiat ou imminent » et ne pouvant résulter que de la « décision » d'un psychiatre. Une surveillance stricte, somatique et psychiatrique, par des professionnels de santé « désignés à cette fin » doit être organisée. Surtout, chaque établissement doit définir une politique visant à limiter le recours à ces pratiques et en rendre compte dans un rapport annuel.
Enfin, la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, a substantiellement modifié ces dispositions, dans le sens d'une meilleure protection des droits des patients : si la définition de l'isolement et de la contention et l'objectif de réduction du recours à ces pratiques demeurent inchangés, la loi interdit désormais d'y recourir en dehors du cadre des soins sans consentement et impose leur contrôle par l'autorité judiciaire, au-delà d'une certaine durée fixée par le législateur.
De ces dispositions résultent des interdictions claires :
- aucun patient ne peut être empêché d'aller et venir, c'est-à-dire être enfermé, sans être placé en soins sans consentement avec toutes les garanties que cette mesure implique, au premier rang desquels le contrôle de la mesure par l'autorité judiciaire ;
- aucun patient qui n'est pas soumis à une mesure régulière de soins sans consentement ne peut être isolé ou placé sous contention ;
- aucun patient ne peut être placé sous contention sans avoir été préalablement isolé ;
- la levée d'une mesure de soins sans consentement par le juge interdit toute autre forme de contrainte.
Enfin, le statut des soins sans consentement est le fondement d'un enregistrement durable des patients dans un fichier administratif dénommé Hopsyweb (9), mis en œuvre par les agences régionales de santé et destiné « au suivi départemental des personnes en soins psychiatriques sans consentement ». Ce fichier regroupe l'ensemble des actes nécessaires au suivi administratif et judiciaire de la mesure. L'ensemble des autorités administratives et judiciaires susceptibles d'intervenir dans la gestion ou le contrôle des mesures de soins sans consentement ont accès à ce fichier, de même que les avocats des personnes inscrites. Les forces de sécurité ou de renseignement peuvent également le consulter dans la limite de leurs attributions. Les données qu'il contient sont conservées trois ans à compter de la fin de l'année civile suivant la levée de la mesure de soins sans consentement.
Ainsi tout mineur hospitalisé en psychiatrie voit en principe le respect de ses droits garanti par les stipulations de la CIDE et les dispositions du code de la santé publique (la primauté du droit international sur le droit interne faisant obstacle à ce que ces dernières entrent en contradiction avec les premières). Le strict respect des normes ainsi définies devrait garantir aux enfants hospitalisés en psychiatrie une prise en charge respectueuse de leurs droits fondamentaux et, s'agissant des patients en soins libres, limiter les atteintes à leur liberté d'aller et venir. Le CGLPL constate au contraire qu'ils sont victimes de graves et nombreuses atteintes à leurs droits.
- Malgré cet arsenal juridique protecteur, les droits des mineurs hospitalisés en psychiatrie ne sont pas respectés
2.1. En l'état actuel de la pédopsychiatrie, la prise en charge des mineurs, inadaptée quel que soit leur statut d'admission, est source de nombreuses atteintes à leurs droits
Une part significative des atteintes aux droits des patients hospitalisés en psychiatrie sur le territoire français résulte directement des conséquences de la grave crise que traverse cette discipline depuis maintenant de nombreuses années, dont les effets se cumulent avec les difficultés qui touchent le service public hospitalier dans son ensemble. D'autres types d'atteintes sont imputables au caractère inadapté de modalités de prise en charge qui ne tiennent pas compte de la particulière vulnérabilité des enfants.
La pédopsychiatrie étant gravement affaiblie par la crise générale de la psychiatrie, le sort des mineurs hospitalisés dans les établissements de santé mentale doit être analysé à l'aune de cette situation.
Une très grave pénurie de spécialistes touche tous les champs d'exercice de la médecine - l'exercice libéral et le secteur hospitalier public et privé - et toutes ses modalités - soins ambulatoires et hospitalisation complète. Il existe en France des territoires dans lesquels on ne rencontre pas d'offre de pédopsychiatrie libérale, d'autres dans lesquels il n'y a pas d'hospitalisation complète en unité de pédopsychiatrie, d'autres enfin dans lesquels l‘offre de soins extra-hospitalière est très limitée. L'incapacité généralisée qui en résulte à prévenir les crises conduit à un grand nombre d'hospitalisations dans l'urgence. Faute d'offre suffisante, les enfants peuvent être, suivant les situations locales, hospitalisés en pédiatrie, admis en psychiatrie dans des unités pour adultes ou dans des unités adaptées mais très éloignées de leur domicile. Il n'est pas rare qu'ils soient pris en charge par des équipes insuffisamment formées, surchargées ou désemparées.
Mal orientés et mal pris en charge, ils se voient de surcroît imposer nombre de restrictions à leurs droits qui ne sont nullement justifiées par leur état clinique et peuvent résulter du fonctionnement même des unités concernées, du manque de moyens à la disposition des soignants, parfois du cumul de ces deux facteurs.
Les visites du CGLPL montrent par exemple que les restrictions faites, en particulier, à leur liberté d'aller et venir, y compris lorsqu'ils sont hospitalisés en soins libres, peuvent aller jusqu'à la privation même de liberté : lorsqu'ils sont admis dans des unités pour adultes, faute de place dans les unités pour mineurs ou de l'existence même d'une telle unité, ils sont généralement affectés dans des services fermés (10), que ce soit pour prévenir les intrusions, éviter les fugues, ou simplement en raison du risque de désorientation. Il n'est pas rare qu'ils soient enfermés dans leur chambre pour de longues durées, les soignants n'étant pas en mesure, faute de moyens, de les surveiller et de les protéger des adultes.
Qu'ils soient en soins libres ou sans consentement, les patients mineurs n'ont pas toujours accès à leur chambre dans la journée, ne peuvent que rarement sortir seuls dans le parc alors qu'ils ne peuvent pas toujours bénéficier de l'accompagnement nécessaire. Il arrive que le port du pyjama leur soit imposé comme aux adultes. Dans la plupart des services visités, les horaires de visite et les possibilités d'échange par téléphone sont très strictement limités, les téléphones portables étant le plus souvent retirés de manière permanente et les visites autorisées seulement une ou deux fois par semaine.
Le respect de la volonté individuelle des enfants n'est que rarement assuré. Même quand ils sont en soins libres, ils ne sont pas consultés sur le principe de leur hospitalisation, pas plus que sur les règles de vie qui leur sont imposées. Il arrive que le titulaire de l'autorité parentale ne le soit pas plus que le jeune patient.
Le recueil du consentement au traitement n'est que rarement formalisé. Il est en revanche fréquent que des prescriptions d'injection « si besoin » soient établies en cas de refus des traitements per os, mais également dans des situations d'agitation, d'auto ou d'hétéro-agressivité. Dans l'un des établissements visités, elles concernaient tous les patients, dès l'âge de 14 ans.
L'encadrement rigoureux des relations personnelles et des contacts avec les parents, la méconnaissance de l'opinion de l'enfant sur les questions l'intéressant, l'absence de protection contre toute forme de violence physique ou mentale qui peut résulter d'une hospitalisation avec des adultes sont des atteintes graves aux droits des jeunes patients.
Les visites du CGLPL montrent par ailleurs que l'hospitalisation conduit souvent à un quasi-abandon de la scolarité. Il existe des établissements dans lesquels aucun enseignant n'intervient auprès des patients mineurs. Dans d'autres, l'enseignant est présent quelques heures par semaine, quelquefois même à temps complet mais, compte-tenu de la nécessité d'un traitement individuel des enfants, le temps de scolarité de chacun est parcimonieusement compté. Il ne s'agit le plus souvent que d'assurer une forme de continuité avec l'établissement d'origine sans réelle possibilité de progression. Les enfants hospitalisés, notamment ceux qui étaient de bons élèves, en conçoivent souvent un fort sentiment d'échec. Même si, en moyenne, leurs séjours à l'hôpital sont de courte durée, la plupart des enfants rencontrés par le CGLPL au cours de ses visites déplorent l'arrêt de la scolarisation qu'entraîne l'hospitalisation.
2.2. Le recours à l'isolement et à la contention est massif et échappe généralement à tout contrôle, alors que les enfants qui peuvent légalement y être soumis sont très minoritaires
Faute de disposition en excluant les mineurs, les textes qui régissent les soins sans consentement s'appliquent à tous les patients qui relèvent de ce régime. Ces derniers sont cependant très minoritaires parmi les enfants hospitalisés en psychiatrie. Ainsi qu'il a été précédemment exposé, seul le régime SDRE peut leur être appliqué, avec toutes les contraintes et garanties y-afférentes : enfermement, contrôle du juge, isolement, contention, enregistrement dans le logiciel Hopsyweb, etc.
Une des conséquences du cadre juridique applicable à l'hospitalisation en soins psychiatriques des mineurs tel que rappelé supra est en revanche que les mesures d'isolement et de contention sont prohibées lorsque l'hospitalisation résulte de l'initiative des titulaires de l'autorité parentale ou du juge des enfants, puisqu'il s'agit de soins libres (11).
Pourtant, le CGLPL constate fréquemment que des mineurs en hospitalisation libre font l'objet d'isolement et de contention, particulièrement lorsqu'ils sont pris en charge dans des services pour adultes, où ils sont parfois hébergés à temps complet en chambre d'isolement. Or une telle privation de liberté est illégale hors du cadre des soins sans consentement, même dans l'hypothèse où elle résulte d'une décision d'un psychiatre estimant qu'elle est justifiée par l'état clinique de l'enfant. Cet enfermement arbitraire expose en outre les mineurs à des risques d'atteinte à leur intégrité physique et psychique, particulièrement quand il est mis en œuvre dans des chambres d'isolement dépourvues de bouton d'appel. De surcroît, le CGLPL constate régulièrement que les titulaires de l'autorité parentale ne sont pas informés des mesures ainsi mises en œuvre à l'encontre de leurs enfants.
Ce constat d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique avait déjà été clairement opéré par le CGLPL (12) tout comme par les membres du groupe du travail « pédopsychiatrie » de la commission nationale de la psychiatrie (13), qui avaient en outre identifié deux autres dérives : la mise en chambre d'isolement et le placement sous contention mécanique sont parfois utilisés pour limiter le risque de fugue ; le placement en chambre d'isolement peut également servir à « protéger » le mineur en cas de transfert en psychiatrie adulte.
Si nombre de professionnels sont simplement désemparés et déplorent des situations qu'ils n'ont pas les moyens matériels (absence de salon d'apaisement) et humains (sous-effectifs, absence d'éducateur, d'enseignant, etc.) de prendre en charge, de manière générale les médecins et soignants ne considèrent pas que le statut de soins libres fasse obstacle à l'isolement et à la contention : certains estiment au contraire que puisque l'on n'est pas dans le cadre des soins sans consentement, la procédure et le contrôle institués par l'art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique ne trouvent pas à s'appliquer ; d'autres parlent de « vide juridique » ou mettent en place des protocoles censés encadrer le recours à l'isolement et à la contention des mineurs, d'autres encore se réfugient derrière la nécessité de protéger les enfants ou, pire, derrière le caractère thérapeutique supposé des mesures d'isolement et de contention alors qu'aucune donnée probante ne justifie une telle vertu. Parmi les dérives les plus graves observées à cet égard figurent enfin le recours à des artifices de langage tels que l'utilisation du terme « prescription » pour désigner une mesure que la loi qualifie expressément de « décision » (14) ou la désignation des chambres d'isolement sous le terme de « chambre de soins intensifs » (15), qui permettent aux professionnels de se voiler la face et trompent les patients en faisant passer la contrainte pour un soin.
Ainsi au cours des années 2023 et 2024, seuls deux des établissements accueillant des patients mineurs visités par le CGLPL ne disposaient d'aucune possibilité de les placer à l'isolement (16). Dans au moins quatre autres, on avait recours aux chambres d'isolement des unités pour adultes ; dans tous les autres le service accueillant les enfants disposait des moyens de pratiquer lui-même isolement et contention.
La rareté de ces mesures est toujours invoquée par les établissements concernés, mais si les chiffres varient sensiblement de l'un a l'autre, ils démontrent souvent le contraire : dans un établissement visité, l'isolement concerne environ 15 % des mineurs accueillis, dans un autre 30 %, ailleurs 40 %. S'agissant de mesures prises en dehors de tout cadre juridique, soit par nature peu tracées, ces chiffres sont peu fiables mais peuvent être regardés comme des minima. Les mesures de contention sont en revanche plus rares ; elles se comptent en unités et il est assez fréquent qu'elles soient concentrées sur un faible nombre de patients qui les subissent de manière récurrente et sur de longues durées (plusieurs jours).
D'après les données récoltées, la durée des mesures d'isolement est généralement inférieure à vingt heures. Des exceptions existent cependant : ici des mesures de deux et trois jours, ailleurs quarante heures, trente-neuf heures et, exceptionnellement, trois établissements ont connu, une fois chacun, des mesures d'isolement avoisinant les cent heures. La durée des mesures de contention en revanche est plus brève, rarement supérieure à six heures, là encore avec des pointes exceptionnelles. Au cours des deux dernières années, le CGLPL a observé en une occasion une mesure d'isolement appliquée à un mineur en soins libres pendant un mois avec près de trois jours de contention, sans modification de son régime d'hospitalisation.
Au-delà de l'atteinte aux droits d'un patient - et à l'ordre public - que constitue, en lui-même, le recours à une mesure privative de liberté illégale, il importe de souligner ici la particulière gravité des atteintes infligées aux droits des enfants concernés par les mesures évoquées ci-dessous, même lorsqu'elles sont qualifiées de rares ou d'exceptionnelles. Le CGLPL a visité au moins un établissement où un enfant de moins de douze ans avait été isolé pendant une journée entière, un autre où la plupart des enfants isolés avaient moins de quinze ans, d'autres ou des enfants subissent des contentions pouvant durer plus d'une journée.
Les mesures d'isolement et de contention prononcées à l'égard de mineurs en soins libres ne sont, en droit, pas soumises au contrôle du juge, dès lors qu'elles ne sont pas censées exister. En pratique, certains juges ont toutefois pu être saisis de demandes portant sur ces mesures, parfois dans le cadre d'une démarche concertée entre une juridiction et les établissements de santé de son ressort, pour que les mineurs bénéficient de la même protection de leurs droits que les patients majeurs.
D'après une étude dont les résultats sont à interpréter avec précaution, seuls 13 % des juges des libertés et de la détention s'estimeraient compétents pour statuer sur des mesures d'isolement et de contention concernant des mineurs dits en hospitalisation libre, et 8 % d'entre eux lèveraient alors la mesure de manière systématique (17). On peut donc en déduire qu'une petite minorité de magistrats envisagerait de maintenir la mesure si elle la trouvait justifiée malgré son illégalité de principe. Il est toutefois particulièrement difficile de disposer de données actualisées sur cette question, les outils statistiques du ministère de la justice ne permettant pas le recueil de données chiffrées relatives aux instances concernant des mineurs ayant fait l'objet de mesures d'isolement et de contention. L'analyse des données disponibles et de certaines décisions montrent néanmoins que les juges ne prononcent pas systématiquement la mainlevée de telles mesures, même lorsqu'elles concernent des mineurs en hospitalisation libre (18). En tout état de cause, la situation est peu satisfaisante, dans la mesure où des juges doivent contrôler des décisions qui, du fait de leur illégalité, échappent à leur champ de compétence. Saisi de cette difficulté par plusieurs juges des libertés et de la détention, par courrier ou à l'occasion de ses visites, le CGLPL a plusieurs fois été amené à faire état de son positionnement à ce titre, selon lequel les décisions en cause, constituant des mesures privatives de liberté (19), doivent être soumises au contrôle de l'autorité judiciaire.
En outre, dans le contexte décrit supra de forte tension du secteur psychiatrique, qui prive souvent le personnel médical et soignant des moyens d'exercer ses missions dans des conditions respectueuses non seulement des droits des patients mais également des normes mêmes censées encadrer son action, les constats du CGLPL mettent plus largement en lumière des dérives et dysfonctionnement structurels que les récentes réformes relatives à l'isolement et à la contention n'ont pas suffi à éteindre et qu'elles contribuent peut-être à alimenter. Le CGLPL relève régulièrement, dans ses visites, des pratiques visant à contourner les contraintes administratives en matière d'isolement et de contention.
Ainsi dans certains des établissements visités, la « nécessité » de recourir à l'isolement d'un patient conduit-elle à modifier son régime d'hospitalisation au profit d'un statut qui permette de lui appliquer une telle mesure, sans que les conditions définies à ce titre par le code de la santé publique soient nécessairement réunies : pour un patient mineur initialement admis en soins libres, il s'agira de demander son admission sous le régime des soins sur décision du représentant de l'Etat, même si les conditions de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique, à savoir qu'il soit atteint de troubles mentaux qui nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public, ne sont pas remplies.
Sur ce point également, le CGLPL en appelle régulièrement à la responsabilité des autorités en charge des établissements de santé quant au respect des règles applicables tant à l'hospitalisation en soins sans consentement qu'à l'isolement et à la contention : le changement de régime d'hospitalisation d'un patient ne peut être motivé que par des considérations ayant trait à son état clinique et ne saurait être mobilisé pour contourner l'impossibilité juridique de le priver de liberté.
Dans la plupart des cas rencontrés par le CGLPL, les mesures de cette nature ne sont pas signalées au juge, parfois avec son accord explicite, parfois sur la seule décision de l'hôpital. Les constats opérés à ce titre révèlent de surcroit que, lorsqu'il est saisi, le juge des libertés et de la détention, non seulement ne tire pas toujours les conséquences de l'illégalité manifeste de la mesure en cause en prononçant sa levée, mais va parfois jusqu'à fonder son maintien sur la nécessité de « protéger le mineur », que seule l'admission en SDRE permet de soumettre à des mesures d'isolement.
Or si une lecture stricte des dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique serait susceptible de conduire le juge saisi d'une mesure d'isolement et de contention mise en œuvre en dehors du cadre des soins psychiatriques sans consentement à décliner sa compétence, cette solution serait insatisfaisante au regard des droits fondamentaux du patient concerné, qui se trouverait alors privé du contrôle, par l'autorité judiciaire, de la mesure privative de liberté dont il fait l'objet et, par voie de conséquence, de la garantie générale contre l'enfermement arbitraire posée par l'article 66 de la Constitution : non content de faire l'objet d'une décision coercitive illégale, il serait également privé de tout recours contre cette dernière. Dès lors que le législateur a fait du statut de soins sans consentement du patient une condition de légalité des mesures d'isolement et de contention, c'est précisément cette condition que le juge doit contrôler.
Aucune mesure d'isolement ou de contention ne doit être mise en œuvre en dehors du cadre strictement défini par la loi. Lorsqu'une telle mesure est prise au mépris de la loi, elle doit être soumise au contrôle de l'autorité judiciaire dans les conditions prévues par l'art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique et levée en raison de son illégalité.
Le ministre chargé de la santé est invité à prendre toute mesure utile afin que soit respectée l'interdiction de recourir à l'isolement et à la contention en dehors du cadre défini par le législateur.
- Il est urgent de garantir les droits de tous les enfants hospitalisés en psychiatrie et la qualité des soins qui leur sont dispensés
3.1. Un statut unique pour tous les enfants hospitalisés en psychiatrie
Comme montré ci-dessus le statut des soins sans consentement, en l'espèce sur décision du représentant de l'Etat, n'est jamais adapté à l'accueil d'enfants car il entraîne des conséquences contraires à leur intérêt supérieur.
L'attention portée aux enfants en soins sans consentement, peu nombreux, ne doit pas occulter la nécessité de traiter également la situation des enfants hospitalisés en soins libres, l'insuffisante protection de leurs droits et les privations de liberté arbitraires dont ils font l'objet. Comme indiqué supra, dans la très grande majorité des cas, l'admission d'un mineur en psychiatrie (20) relève du « droit commun de la psychiatrie » c'est-à-dire du régime des soins libres.
Il en résulte que cette hospitalisation n'est pas soumise au contrôle du juge et ne peut faire l'objet d'une contestation par le mineur. Certes, ce dernier n'est pas dénué de moyens d'actions, puisqu'il conserve la possibilité, si sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger, de saisir le juge des enfants, qui peut ordonner des mesures d'assistance éducative (21) mais il ne s'agit pas d'un contrôle tel que peut le mettre en œuvre le juge chargé du contrôle des mesures d'hospitalisation sans consentement : il n'est pas systématique et le mineur n'est pas informé de son droit de le solliciter.
La Cour de cassation a évoqué explicitement cette difficulté dans son rapport annuel 2022 (22) et a relevé non seulement que le CGLPL avait préconisé que les mineurs hospitalisés à la demande de leurs représentants légaux puissent contester leur hospitalisation, en saisissant le juge des libertés et de la détention, mais également, avait indiqué l'avocat général dans son avis qu'« un tel recours devrait être instauré par le législateur » (23).
A défaut, l'ensemble du cadre juridique applicable à l'hospitalisation d'un mineur à l'initiative des titulaires de l'autorité parentale, dite libre, pose la question de l'articulation entre le principe de l'autorité parentale et celui du consentement du mineur aux soins, et de la faculté de ce dernier à participer à la prise de décisions le concernant.
Certes, par principe, la décision d'admettre un mineur en soins psychiatriques appartient aux titulaires de l'autorité parentale, conformément aux dispositions de l'article L. 3211-10 du code de la santé publique - qui constituent une application des dispositions de l'article 371-1 du code civil aux termes desquelles l'autorité parentale « appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ». Toutefois, en parallèle, le code de la santé publique, à l'instar de la CIDE, prévoit que le consentement du mineur doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision (24), ce qui ne trouve pas de véritable traduction dans les dispositions applicables aux mineurs s'agissant de leur admission en soins psychiatriques.
Dans ces conditions, la notion de « soins libres » s'apparente à une fiction juridique et administrative : les enfants concernés n'ont pas donné leur consentement à l'hospitalisation, ils sont soumis à un régime de prise en charge fortement contraignant et leur consentement au traitement n'est pas toujours recueilli. Il s'agit bien, dans les faits, de soins dispensés en l'absence de consentement.
Dès 2017, c'est-à-dire avant même que l'isolement et la contention soient interdits pour les patients en soins libres et soumis au contrôle du juge pour les autres, le CGLPL recommandait notamment que les mineurs hospitalisés à la demande de leurs représentants légaux puissent saisir la commission départementale des soins psychiatriques et le juge des libertés et de la détention. Il demandait pour cela qu'ils soient informés de ces possibilités par l'hôpital, dans les meilleurs délais et dès que leur état le permet. Il recommandait également qu'en cas d'opposition entre les intérêts du mineur et ceux de ses représentants légaux, ou en cas de défaillance de ces derniers dans la protection de ses droits, le juge des libertés et de la détention puisse désigner un administrateur ad hoc au patient mineur.
Aucune de ces mesures n'ayant été prise, la distinction entre les statuts respectifs des patients admis en soins libres ou en soins sans consentement est inadaptée à la situation des mineurs, dont le respect des droits n'est en pratique jamais garanti : sauf s'il fait lui-même la démarche de se faire hospitaliser, un enfant n'est en fait jamais réellement autonome à cet égard ; à l'inverse, la situation rare du mineur hospitalisé sur décision du représentant de l'Etat qui, sans y faire expressément obstacle, ne lui garantit aucunement une prise en charge adaptée à ses besoins et tenant compte de sa particulière vulnérabilité, l'expose à de graves atteintes à ses droits fondamentaux. Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, faute de protection spécifique des droits du mineur admis en SDRE, ce dernier se voit appliquer toutes les contraintes inhérentes à ce statut, y compris l'inscription dans le fichier Hopsyweb. Les conséquences de cette insuffisance de la norme sont de surcroit aggravées par les manquements fréquents dont elle fait l'objet dans la pratique, particulièrement en matière d'isolement et de contention.
La création par le législateur d'un statut du mineur hospitalisé en psychiatrie pleinement respectueux de ses droits s'impose donc pour remédier à ces dysfonctionnements qui placent la France en situation de constante violation de ses engagements internationaux en matière de protection des droits de enfants. Ce statut unique devrait se substituer à la fois à la possibilité de placer en enfant en soins sur décision du représentant de l'Etat et à l'admission des mineurs en « soins libre » dès lors qu'ils ne sont pas personnellement demandeurs.
Le CGLPL constate régulièrement que cette évolution est attendue par les professionnels de santé, ainsi qu'en témoigne par exemple une motion du syndicat des psychiatres des hôpitaux du 27 septembre 2023, qui en appelaient à sortir des « fictions juridiques qui considèrent le mineur hospitalisé à la demande des détenteurs de l'autorité parentale comme étant en soins libres » et sollicitaient « un renforcement des moyens de pédopsychiatrie et le renforcement des alternatives à l'isolement et à la contention. » (25)
Le statut du mineur hospitalisé en psychiatrie devra être conforme aux exigences de la CIDE et, dans cette logique, s'appliquer à tout être humain âgé de moins de dix-huit ans.
Il devra garantir au mineur, en toute situation, le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, la prise en considération de ses opinions eu égard à son âge et à son degré de maturité et le droit d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant.
Comme l'exige la CIDE, le statut du mineur hospitalisé en psychiatrie devra être fondé sur le respect du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant au regard duquel doit notamment être évaluée la possibilité de contraindre un enfant à l'hospitalisation.
Il y a donc lieu de prévoir de manière systématique le recueil de l'avis de l'enfant dès son admission, quel que soit son âge, une information de l'autorité judiciaire pour toute admission d'un enfant non consentant en hospitalisation complète et un contrôle de la mesure par le juge au bout d'un délai inférieur à celui qui s'applique pour les adultes.
Il conviendra également, lorsqu'un enfant sera hospitalisé contre sa volonté, de tirer les conséquences des stipulations de la CIDE selon laquelle le mineur privé de liberté doit avoir rapidement accès à l'assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, le droit de contester la légalité de sa privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et qu'une décision rapide soit prise à ce titre.
Ces stipulations invitent le législateur à prévoir pour toutes les mesures de contrainte touchant des enfants des durées maximales brèves, des échéances de renouvellement rapprochées et un contrôle systématique et régulier de l'autorité judiciaire. Les durées d'hospitalisation en soins sans consentement définies par le code de la santé publique pour les adultes sont en tout état de cause inadaptées à la situation des enfants, qui requiert un réexamen plus fréquent de la pertinence des mesures en cause.
Le statut du mineur hospitalisé devra enfin répondre aux autres exigences de la CIDE, notamment préserver les liens de l'enfant avec sa famille et respecter les attributions des titulaires de l'autorité parentale, le protéger contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, le séparer des adultes à moins que l'on estime préférable de ne pas le faire dans son intérêt supérieur et garantir son droit à l'éducation.
Il est nécessaire d'instaurer un statut légal du mineur hospitalisé en psychiatrie garantissant le respect effectif de ses droits fondamentaux et conforme en tous points aux stipulations de la CIDE.
Par ailleurs, si la nécessité d'hospitaliser un enfant qui a besoin de soins ne pouvant lui être dispensés selon d'autres modalités ne saurait être valablement contestée, il n'en va pas de même du recours à l'isolement et la contention à l'encontre de patients mineurs : alors qu'aucune donnée scientifique probante ne démontre l'effet thérapeutique de ces pratiques, leurs effets délétères sont au contraire mis en évidence (26) par plusieurs études, au point qu'on est désormais légitime à considérer qu'elles sont, en elles-mêmes, contraires à l'intérêt supérieur de l'enfant. Cette position désormais ancienne du CGLPL se trouve confortée par le fait que des établissements de santé mentale prennent d'ores et déjà en charge des enfants, et même des adultes, en soins sans consentement sans avoir recours à ces mesures coercitives.
Le nombre croissant de professionnels de la psychiatrie qui sollicitent l'avis du CGLPL - sur leurs difficultés dans ce domaine ou les mesures à prendre pour mettre leurs pratiques en conformité avec les exigences législatives et réglementaires - témoigne également de la nécessité de questionner la légitimité de ces mesures et de faire évoluer sur ce point le cadre juridique de la prise en charge des mineurs dans les établissements de santé mentale.
Pour que cette évolution soit efficiente, les services hospitaliers ne peuvent cependant être laissés sans alternative. En effet, même si une prohibition expresse pourrait avoir plus d'impact que la prohibition implicite actuelle, son respect effectif ne sera possible que si les services concernés disposent de méthodes pour assurer la protection des enfants qui leur sont confiés sans recourir à l'enfermement. De la même manière, il s'agira d'éviter qu'une telle prohibition soit compensée par un recours plus important à la contention chimique. Il est donc nécessaire de mettre lesdits services en mesure de respecter ces contraintes, notamment en leur garantissant un personnel en nombre suffisant et bénéficiant d'une formation adaptée ainsi que des installations appropriées.
A cet égard, certains des constats du CGLPL pourraient être utilement mobilisés, qui mettent en lumière les pratiques de plusieurs établissements privilégiant, notamment pour les mineurs, des alternatives à l'isolement et à la contention.
L'isolement et la contention des mineurs hospitalisés en psychiatrie doivent être expressément interdits.
Les services de pédopsychiatrie doivent disposer des moyens effectifs de prendre en charge les mineurs qui leur sont confiés en respectant cette interdiction.
3.2. Un plan pour assurer la qualité des soins de pédopsychiatrie
Qu'elles résultent des difficultés structurelles et objectives affectant le fonctionnement des services hospitaliers ou de la méconnaissance des normes et principes applicables, la gravité des atteintes auxquelles sont exposés les enfants ayant besoin de soins en santé mentale doivent cesser sans délai. Le constat des atteintes inacceptables infligées à leurs droits fondamentaux, par sa gravité et sa récurrence, au même titre que le respect par la France de ses engagement internationaux, commandent en effet que les pouvoirs publics tirent toutes les conséquences de leurs insuffisances dans ce domaine en accompagnant l'instauration d'un statut légal du mineur hospitalisé en psychiatrie d'une politique tendant à donner aux établissements qui les accueillent les moyens d'offrir à ces patients une prise en charge adaptée à leurs besoins médicaux et éducatifs particuliers.
Les constats du CGLPL démontrent en effet que la puissance protectrice d'un nouveau statut sera subordonnée à la capacité des équipes médicales et soignantes d'inscrire effectivement leur pratique dans ce cadre. A défaut, les manquements actuellement observés qui sont directement liés au déficit de moyens matériels et humains dont pâtissent nombre d'établissements, persisteront inévitablement, sans parler de ceux qui résultent de l'approche inadaptée de certains professionnels.
Il conviendra donc de mettre en œuvre une politique globale visant à assurer aux enfants admis en psychiatrie l'accès à des soins de qualité, conformément à la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Pour cela, tous les aspects de la prise en charge doivent être définis et mis en place de manière effective. Cela comprend notamment un seuil de présence médicale et soignante obligatoire, des installations appropriées, des activités et un accompagnement éducatif adapté, une protection de la vulnérabilité suffisante, la garantie du maintien des liens avec les proches et des conditions de contrôle juridictionnel réalistes.
L'instauration d'un statut du mineur hospitalisé en psychiatrie doit être accompagné d'un plan national de réhabilitation de la pédopsychiatrie.
(1) Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale, CGLPL, Dalloz, décembre 2017.
(2) Article L. 3211-2 du code de la santé publique.
(3) Articles 375, alinéa 13, 375-3, 5° et article 375-9 du code civil.
(4) 4e alinéa de l'article R. 1112-35 du code de la santé publique.
(5) Article L. 3213-1 du code de la santé publique.
(6) Article 706-135 du code de procédure pénale.
(7) La première sur demande d'un tiers, la deuxième, simplifiée, sur demande d'un tiers accompagnée d'une notion d'urgence, la troisième, plus expéditive encore, en cas de « péril imminent » sans demande d'un tiers.
(8) Loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
(9) Décret n° 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
(10) C'est-à-dire dans lesquels les patients ne sont pas libres de leurs mouvements.
(11) Ainsi que le rappelle très clairement la Cour de cassation dans son Avis du 18 mai 2022 (n° 22-70.003, publié).
(12) CGLPL, Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale, 2017 et CGLPL, Les droits fondamentaux des mineurs enfermés, 2021.
(13) Jean Lefèvre-Utile, Jokthan Guivarch, David Cohen, Cora Cravero, Anne Catherine Rolland et le groupe de travail de pédopsychiatrie de la Commission nationale de psychiatrie, « Soins sans consentement, mesures d'isolement et de contention en pédopsychiatrie : une analyse des défis éthiques en France », Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, 2023.
(14) Une décision médicale et une prescription sont des actes médicaux qui ont en commun d'être nécessairement individualisés, de faire suite à un examen personnel du patient par le médecin qui en est l'auteur et d'être fondés sur l'état clinique du patient ce qui signifie qu'elles doivent évoluer avec celui-ci. Elles se distinguent en revanche par le fait que l'exécution d'une prescription repose sur le consentement du patient alors que la décision, exécutée d'office, est à ce titre susceptible de recours devant un juge.
(15) La notion de « chambre de soins intensifs » ne figure pas dans le code de la santé publique, ni di reste celle de « soins intensifs en psychiatrie ». La Cour d'appel de Versailles a jugé en 2017 que, dès lors que la littérature professionnelle relative aux soins psychiatriques définit la mise en chambre intensifs comme « 15 une mesure de sécurité particulière et exceptionnelle qui associe l'enfermement et le soin », une telle mesure correspond à une mise en chambre d'isolement et relève à ce titre des dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique.
(16) Pour mémoire, selon une étude de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (16 Questions d'économie de la santé n° 286, Février 2024), sur environ 300 établissements autorisés en soins sans consentement, 32 déclarent ne pas faire usage de contention et 11 ne pas recourir à l'isolement.
(17) Enquête sur l'application de la réforme relative aux mesures d'isolement et de contention, comité de suivi national, 4 octobre 2022 - ces chiffres, qui ne portent que sur une courte période, au début de la réforme et qui ne concernent que les juges des libertés et de la détention qui ont répondu au questionnaire adressé par le groupe de travail, sont toutefois à interpréter avec précaution.
(18) Voir également, par exemple ordonnance de la cour d'appel de Douai, 22 avril 2024, n° 24/00039 (a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Douai refusant la mainlevée de la mesure) ; ordonnance de la cour d'appel de Bordeaux, 21 février 2023, n° 23/00826 (a ordonné la mainlevée d'une mesure d'isolement concernant un mineur en l'absence de certificat médical circonstancié permettant de justifier de la nécessité de la mesure).
(19) Le Conseil constitutionnel définit expressément l'isolement et la contention comme des privations de liberté, et en tire la conclusion qu'elles doivent être soumises au contrôle de l'autorité judiciaire (Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020).
(20) On ne traite pas ici des soins libres stricto sensu pour les mineurs émancipés ou bénéficiant de la couverture maladie universelle à titre personnel.
(21) Article 375 du code civil.
(22) Rapport annuel de la Cour de cassation, p. 93, La documentation française.
(23) Avis du 18 mai 2022 précité.
(24) Article L. 1111-4 du code de la santé publique.
(25) Motion du syndicat des psychiatres des hôpitaux, 27 septembre 2023.
(26) J. Lefèvre-Utile, J. Guivarch, D. Cohen, C. Cravero, A.-C. Rolland, Soins sans consentement, mesures d'isolement et de contention en pédopsychiatrie : une analyse des défis éthiques en France, Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, Volume 71, Issue 8, 2023.
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