JORF n°0227 du 1 octobre 2014

AVIS du 26 septembre 2014

Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement le 19 septembre 2014, en application de l'article 13 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, des prévisions macroéconomiques, des estimations de PIB potentiel et de la trajectoire des finances publiques sur lesquelles repose le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019. Le Haut Conseil a adopté, après en avoir délibéré lors de sa séance du 26 septembre 2014, le présent avis.

Synthèse
Scénario de PIB potentiel

Le Haut Conseil relève que le Gouvernement a fait, pour le projet de loi de programmation 2014-2019, le choix d'aligner les estimations de PIB potentiel sur celles de la Commission européenne. Il observe que les hypothèses de croissance potentielle sont révisées à la baisse par rapport à celles retenues dans la loi de programmation précédente.
Le Haut Conseil souligne la fragilité des évaluations d'écart de production, notamment en raison des incertitudes concernant l'amplitude des pertes définitives de production occasionnées par la crise. Il considère que si l'estimation d'un écart de production de - 2,7 % en 2013 se situe au centre de la large fourchette des estimations disponibles, l'hypothèse d'un écart plus faible et donc d'une moindre capacité de rebond de l'économie française ne peut pas être exclue.
La prise en compte d'une telle hypothèse se traduirait par un déficit structurel plus dégradé tout au long de la période de programmation et pourrait conduire à des prévisions de croissance plus faibles sur la période 2016-2019. Un tel scénario alternatif gagnerait à être étudié.
S'agissant de la croissance potentielle, le Haut Conseil considère que l'estimation de 1,0 % en 2014-2015 et de l'ordre de 1,2 % en moyenne pour les années 2016-2019 constitue une hypothèse acceptable.

Scénario macroéconomique

Le Haut Conseil note que, avec un calendrier de reprise décalé et des taux de croissance moins élevés, le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2016-2017 est plus réaliste que celui présenté en avril dans le programme de stabilité.
Le Haut Conseil considère néanmoins que ce scénario continue de reposer sur des hypothèses trop favorables sur l'environnement international et sur l'investissement.

Scénario de finances publiques

Le Haut Conseil constate que la trajectoire de finances publiques du projet de loi de programmation n'est pas cohérente avec les engagements pris par la France, actuellement sous procédure pour déficit public excessif, dans son programme de stabilité d'avril 2014 :

- l'ajustement structurel pour chacune des années 2014, 2015 et 2016 est nettement inférieur à ces engagements ;
- en conséquence de ce moindre ajustement et d'une conjoncture moins favorable, le déficit effectif reste supérieur à 4 % du PIB en 2015 et le retour en deçà de 3 % du PIB est reporté à 2017 ;
- l'objectif de moyen terme (OMT), qui est revu à la baisse à - 0,4 % du PIB, est de nouveau reporté en fin de période de programmation (2019).

De plus, même si cette nouvelle trajectoire est moins ambitieuse que les précédentes, son respect n'est pas acquis. Il suppose d'infléchir fortement, et sur toute la période de programmation, la croissance de la dépense publique. En l'état des mesures annoncées, le Haut Conseil relève un risque de déviation par rapport à la trajectoire vers l'OMT.

Introduction

  1. Sur l'objet du présent avis

Prévues par l'article 34 de la Constitution, les lois de programmation des finances publiques définissent les orientations pluriannuelles de finances publiques. Dans le respect de l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques, elles fixent l'objectif à moyen terme (OMT) et déterminent une trajectoire de solde structurel pour y parvenir.
La trajectoire de solde structurel prévue par le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 se substituera, une fois approuvée par le Parlement et publiée, à celle prévue par la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, sur laquelle le Haut Conseil, installé le 21 mars 2013, n'a pas été amené à se prononcer.
Cette trajectoire servira dorénavant de référence au Haut Conseil, d'une part, pour apprécier la cohérence des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale au regard des orientations pluriannuelles de finances publiques et, d'autre part, pour examiner les résultats de l'exécution dans le cadre du mécanisme de correction.
Aux termes des dispositions de l'article 13 de la loi organique du 17 décembre 2012, le Haut Conseil doit rendre un avis portant sur :

- l'estimation du produit intérieur brut potentiel sur laquelle repose le projet de loi de programmation ;
- les prévisions macroéconomiques associées au projet de loi de programmation ;
- la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'OMT retenu et des engagements européens de la France.

  1. Sur les informations transmises et les délais

Le Haut Conseil a procédé à l'audition des directions du budget, du Trésor, de la sécurité sociale et des collectivités locales. Il a également entendu la présidente déléguée du Conseil d'analyse économique, le président du Conseil indépendant pour la croissance et le plein emploi ainsi que des représentants de la Commission européenne, de la Banque de France, de l'OCDE et d'instituts de conjoncture (OFCE et Coe-Rexecode).
Conformément à l'article 13 de la loi organique du 17 décembre 2012, le Haut Conseil a été saisi le 19 septembre du projet de loi de programmation et du rapport annexé à cette loi ainsi que d'éléments lui permettant d'apprécier la cohérence de la programmation au regard de l'OMT retenu et des engagements européens de la France.
Le Haut Conseil n'a pas pu bénéficier, comme il était convenu avec les administrations compétentes, de premiers échanges approfondis dès le mois de juillet. Il n'a été destinataire de premiers éléments d'information sur l'estimation de la croissance potentielle que le 10 septembre 2014 et sur les mesures de gouvernance le 18 septembre (1). La saisine a appelé des précisions complémentaires, en particulier sur la nature des engagements européens de la France. Ces éléments ont été adressés par le Gouvernement les 24 et 25 septembre.
Alors même qu'il est appelé à se prononcer sur trois textes financiers, le Haut Conseil regrette de n'avoir disposé d'aucune possibilité d'échange substantiel avec les administrations concernées en amont de la saisine et d'avoir dû concentrer son analyse et ses travaux dans le délai minimal d'une semaine prévu par la loi organique du 17 décembre 2012.

(1) Le Haut Conseil a également reçu le 4 septembre, en réponse à sa demande, les éléments de doctrine retenus par le Gouvernement pour définir le périmètre des mesures ponctuelles et temporaires déduites du calcul du solde structurel. Si cette réponse apporte d'utiles clarifications, le Haut Conseil relève que le caractère ponctuel et temporaire des mesures de finances publiques devra continuer à s'apprécier au cas par cas. En conséquence, le Haut Conseil continuera à examiner point par point et à chaque exercice la liste des mesures ponctuelles et temporaires retenues par le Gouvernement.

I. - Observations préliminaires sur le PIB potentiel et son utilisation pour le pilotage des finances publiques

  1. Les concepts

Le PIB potentiel, sa croissance (croissance potentielle), l'écart de production et le solde structurel des finances publiques sont devenus des concepts économiques de premier plan dans le cadre de la gouvernance budgétaire, notamment au niveau européen.
Le PIB potentiel est usuellement défini comme la production « soutenable », c'est-à-dire celle qui peut être réalisée sans entraîner de tensions sur les prix. C'est essentiellement un concept d'offre. Le PIB potentiel dépend du stock de capital en place, de la main-d'œuvre disponible et de l'efficacité avec laquelle ces deux facteurs sont utilisés.
L'écart de production est la différence entre la production effective, mesurée par le produit intérieur brut, et le PIB potentiel. Il est généralement exprimé en pourcentage du PIB potentiel. Il constitue un indicateur de déséquilibre entre l'offre et la demande et s'annule en principe sur la durée d'un cycle économique. Il renseigne donc sur la capacité de rebond du pays quand il est négatif ou sur le risque de ralentissement quand il est positif. Il permet également d'identifier la composante conjoncturelle du déficit effectif, et de mesurer, par différence, le solde structurel.

  1. Les fragilités de principe et de mesure

Défini ainsi, l'écart de production mesure essentiellement les déséquilibres entre l'offre et la demande sur les différents marchés à travers les tensions sur les prix. Il ne prend cependant pas en compte les déséquilibres financiers et extérieurs. Or la crise financière a montré qu'une période prolongée d'inflation modérée peut s'accompagner d'une accumulation de ces déséquilibres. L'écart de production doit en principe se résorber rapidement. Par conséquent, la période actuelle de stagnation et de faible inflation et la durée inhabituellement longue du cycle économique invitent à considérer l'écart de production avec une certaine prudence.
L'écart de production et la croissance potentielle ne sont pas des données statistiques ou comptables mais le résultat d'un modèle économique. Leur estimation est donc entourée d'incertitudes. Les révisions ex post sur les écarts de production peuvent être de grande ampleur et, pour la zone euro, du même ordre de grandeur que les écarts eux-mêmes. L'incertitude est renforcée lorsque l'économie subit des transformations profondes, comme c'est le cas depuis la crise financière. En particulier, les méthodes d'estimation mesurent difficilement les pertes de capital humain et physique et leur effet sur la productivité potentielle.

  1. L'utilisation dans le pilotage des finances publiques

Les incertitudes sur l'écart de production se transmettent, par construction, à la mesure du solde structurel, qui dépend également de la sensibilité des recettes à la croissance (cf. annexe 1).
Bien qu'incertaine, la mesure du solde structurel n'en est pas moins indispensable pour apprécier la situation des finances publiques et l'orientation de la politique budgétaire. Dans la situation actuelle, elle permet d'appréhender les efforts à accomplir pour redresser durablement les soldes publics.

II. - Observations relatives à l'estimation du PIB potentiel

Dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, le Gouvernement retient les estimations du PIB potentiel publiées par la Commission européenne en mai 2014. Celles-ci sont susceptibles d'être révisées par elle au mois de novembre, avec en particulier la prise en compte des comptes nationaux français en nouvelle base (SEC 2010) (2).

  1. L'écart de production

Le Gouvernement a retenu la valeur de l'écart de production en 2013 estimée par la Commission européenne à - 2,7 % du PIB potentiel. Cette estimation est proche de celles du FMI et de l'OCDE et se situe dans la fourchette de - 2,0 % à - 3,5 % des estimations centrales publiées par l'INSEE (3).
Ces évaluations suggèrent que la France disposerait, à moyen terme, de marges de croissance (un potentiel de rebond) significatives. Elles conduisent le Gouvernement, comme la plupart des organisations internationales et des analystes nationaux, à retenir un scénario de rattrapage, caractérisé par un comblement graduel de l'écart de production conduisant à des taux de croissance effective supérieurs au taux potentiel pendant plusieurs années.
Dans le scénario du Gouvernement, l'écart de production s'amplifierait de 2013 à 2015 en raison d'une croissance effective toujours ralentie, avant de se resserrer graduellement à partir de 2016 (graphique 1). Il ne serait que partiellement comblé à l'horizon de 2019, conduisant à la persistance d'un écart de production fortement négatif pendant une décennie.

(2) Le changement de base pourrait conduire à des révisions à la hausse de la croissance potentielle. En revanche, la prise en compte de prévisions de croissance actualisées jouerait en sens inverse. (3) Note de conjoncture INSEE d'avril 2014.

Graphique 1. - Ecart de production
Pourcentage du PIB potentiel

Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0227 du 01/10/2014, texte nº 73

Toutefois cette prévision d'un rattrapage a été annoncée par les pouvoirs publics plusieurs fois sans jamais se réaliser, le scénario de reprise étant décalé d'année en année. Il en résulte, malgré les révisions à la baisse successives de la croissance potentielle, une très longue période d'écart de production fortement négatif. Celle-ci conduit à s'interroger sur l'existence même d'un potentiel de rebond substantiel.
Comme souligné dans les observations préliminaires, l'estimation de l'écart de production est fragile. Les chocs subis par l'économie française depuis 2008 ont vraisemblablement eu un impact pour partie transitoire et pour partie pérenne sur le niveau du PIB potentiel. Les méthodes statistiques n'arrivent à identifier ces deux composantes que de façon imparfaite.
Le Haut Conseil estime non négligeable la probabilité d'un écart de production et donc d'un potentiel de rebond plus limités que les estimations actuellement retenues par le Gouvernement et les organisations internationales. La prise en compte d'une telle hypothèse se traduirait par une estimation plus dégradée du déficit structurel.
2. La croissance potentielle :
Selon les estimations de la Commission européenne (4), la croissance potentielle de la France aurait sensiblement ralenti depuis la crise et serait d'environ 1,2 % en moyenne par an de 2014 à 2019 (tableau 1).

(4) Ces estimations sont réalisées à partir d'une approche dite de « fonction de production » et n'incorporent pas l'effet des réformes structurelles engagées par le Gouvernement, notamment le Pacte de responsabilité et de solidarité.

Tableau 1. - Croissance potentielle et écart de production

| |2000-2007| 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | |---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|---------|------|------|------|------|------|------|------| | Croissance potentielle (pourcentage) | 1,8 | 1,1 | 1,0 | 1,0 | 1,1 | 1,3 | 1,2 | 1,1 | | Ecart de production (pourcentage du PIB potentiel) | - |- 2,7|- 3,3|- 3,4|- 3,1|- 2,5|- 1,7|- 0,9| | Contributions (point de pourcentage) : | | | | | | | | | | Travail | 0,2 | 0,2 | 0,2 | 0,2 | 0,3 | 0,3 | 0,2 | 0,2 | | Capital | 0,8 | 0,5 | 0,5 | 0,5 | 0,6 | 0,6 | 0,6 | 0,5 | | Productivité globale des facteurs | 0,8 | 0,3 | 0,3 | 0,4 | 0,4 | 0,4 | 0,4 | 0,5 | |Note. - La somme des contributions peut être légèrement différente de la croissance potentielle en raison des arrondis.
Source : projet de loi de programmation (septembre 2014) et Commission européenne (mai 2014).| | | | | | | | |

La croissance potentielle serait de 1 % en 2014 et 2015, puis s'accélérerait pour atteindre 1,3 % en 2017, avant de ralentir légèrement en fin de période. Ce ralentissement s'expliquerait notamment par l'anticipation d'un ralentissement de l'investissement dans les prévisions macroéconomiques de la commission. Cette hypothèse n'est pas complètement cohérente avec le scénario du Gouvernement, bâti autour d'une reprise progressive de l'investissement.
Les estimations de croissance potentielle retenues sont plus basses que celles de la loi de programmation de décembre 2012 qui ont été reprises dans les programmes de stabilité et les lois de finances ultérieurs (1,5 % - 1,6 % sur la période 2014-2017).
Les estimations de croissance potentielle, inscrites dans le projet de loi de programmation, sont proches des dernières estimations du FMI et de l'INSEE (5). Elles sont inférieures à celles publiées au printemps 2014 par l'OCDE mais plus élevées que celles de la Banque de France.

(5) M. Lequien et A. Montaut (2014), « Croissance potentielle en France et en zone euro : un tour d'horizon des méthodes d'estimation », document de travail de l'INSEE n° G2014/09.

  1. Appréciation du Haut Conseil

Le Haut Conseil relève que le Gouvernement a fait, pour le projet de loi de programmation pour les années 2014 à 2019, le choix d'aligner les estimations de PIB potentiel sur celles de la Commission européenne. Il observe que les hypothèses de croissance potentielle sont révisées à la baisse par rapport à celles retenues dans la loi de programmation précédente.
Le Haut Conseil souligne la fragilité des évaluations d'écart de production, notamment en raison des incertitudes concernant l'amplitude des pertes définitives de production occasionnées par la crise. Il considère que, si l'estimation d'un écart de production de - 2,7 % en 2013 se situe au centre de la large fourchette des estimations disponibles, l'hypothèse d'un écart plus faible et donc d'une moindre capacité de rebond de l'économie française ne peut pas être exclue.
La prise en compte d'une telle hypothèse se traduirait par un déficit structurel plus dégradé tout au long de la période de programmation et pourrait conduire à des prévisions de croissance plus faibles sur la période 2016-2019. Un tel scénario alternatif gagnerait à être étudié.
S'agissant de la croissance potentielle, le Haut Conseil considère que l'estimation de 1,0 % en 2014-2015 et de l'ordre de 1,2 % en moyenne pour les années 2016-2019 constitue une hypothèse acceptable.

III. - Observations relatives aux prévisions macroéconomiques

  1. Le scénario du Gouvernement

Le scénario de moyen terme retenu par le Gouvernement intègre une accélération progressive de la demande mondiale. L'activité économique en France serait également soutenue par les mesures prises en faveur de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi.
Les hypothèses de croissance pour 2016 et au-delà sont supérieures à la croissance potentielle, et traduisent la réduction progressive du déficit d'activité accumulé - supérieur à 3 points de PIB en 2015 - qui serait en grande partie résorbé à l'horizon de la programmation.
Le scénario macroéconomique retenu pour la programmation pluriannuelle fait en outre l'hypothèse d'un retour très progressif de l'inflation vers des niveaux cohérents avec la cible de la banque centrale.

Tableau 2. - Principales hypothèses du scénario macroéconomique 2014-2019

| POURCENTAGE |2013|2014|2015|2016|2017|2018|2019| |---------------------------------------------------------|----|----|----|----|----|----|----| | PIB |0,3 |0,4 |1,0 |1,7 |1,9 |2,0 |2,0 | | Déflateur de PIB |0,8 |0,8 |0,9 |1,4 |1,7 |1,7 |1,7 | | IPC hors tabac |0,7 |0,5 |0,9 |1,4 |1 ¾ |1 ¾ |1 ¾ | | Masse salariale privée |0,8 |1,6 |2,0 |3,5 |4,2 |4,2 |4,2 | |Source : projet de loi de programmation (septembre 2014).| | | | | | | |

  1. Appréciation du Haut Conseil (6)

Par rapport aux projections de moyen terme présentées en avril dernier dans le programme de stabilité 2014-2017, le Gouvernement a décalé dans le temps son scénario de reprise de l'environnement international et abaissé ses perspectives de croissance à court terme. Les prévisions d'inflation ont également été revues à la baisse pour les années 2014-2016.
Les prévisions macroéconomiques pour les années 2018-2019 sont peu documentées.
Si le Gouvernement tient compte des développements économiques récents, notamment de la stagnation et de la faible inflation observées depuis plusieurs trimestres, il ne modifie pas la logique de son scénario macroéconomique par rapport à celui présenté en avril. En particulier, les perspectives de moyen terme présentées par le Gouvernement reposent sur des hypothèses favorables quant à l'environnement extérieur et à l'effet des politiques économiques sur la compétitivité des entreprises françaises, l'investissement et l'emploi. Elles compensent l'incidence sur l'activité de l'ajustement budgétaire qui s'accentue en fin de période.
Au-delà des risques géopolitiques, le scénario de moyen terme est entouré d'aléas économiques, notamment :

- la reprise du commerce mondial pourrait être moins rapide que prévu par le Gouvernement ;
- l'inflation pourrait être durablement plus basse que la cible de la Banque centrale européenne, avec des conséquences négatives sur les anticipations des agents et donc sur l'activité ;
- le resserrement de la politique monétaire américaine pourrait, malgré la politique accommodante de la Banque centrale européenne, se traduire par une hausse des taux longs en zone euro, avec un impact défavorable sur l'investissement ;
- des tensions sur les dettes souveraines de certains Etats de la zone euro pourraient réapparaître ;
- la reprise de l'investissement pourrait être moins marquée si les entreprises choisissaient de limiter leur endettement plutôt que d'investir, dans un contexte où l'amélioration de leur taux de marge serait lente.

A l'inverse, le scénario du Gouvernement pourrait être conforté par une baisse de l'euro et à moyen terme par la mise en place d'un plan d'investissement européen.
Le Haut Conseil note que, avec un calendrier de reprise décalé et des taux de croissance moins élevés, le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2016-2017 est plus réaliste que celui présenté en avril dans le programme de stabilité.
Le Haut Conseil considère néanmoins que ce scénario continue de reposer sur des hypothèses trop favorables sur l'environnement international et sur l'investissement.

(6) Pour les années 2014 et 2015, se référer à l'avis n° HCFP-2014-05 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2015, consultable sur www.hcfp.fr.

IV. - Observations relatives à la programmation des finances publiques

La loi organique du 17 décembre 2012 prévoit que le Haut Conseil apprécie la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif à moyen terme (OMT) et des engagements européens de la France. L'OMT est défini dans le projet de loi de programmation dans le respect du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire (TSCG).

  1. La cohérence avec les engagements européens de la France

Les engagements européens de la France :
Dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance et du TSCG, la France s'est engagée à mener une politique budgétaire permettant de respecter les critères suivants (cf. annexe 2) :

- le déficit effectif ne doit pas excéder 3 % du PIB. Si ce seuil est dépassé, ce qui est le cas de la France depuis 2009, l'Etat membre est placé sous procédure pour déficit public excessif, et doit engager des mesures correctives sous peine de sanctions financières.
Dans le cadre de cette procédure, la France doit, selon la recommandation du Conseil en date du 21 juin 2013, ramener son déficit effectif en deçà de 3 % du PIB d'ici 2015 (7) et améliorer chaque année son solde structurel de 0,8 point de PIB en 2014 et en 2015. Ces engagements ont été repris par le Gouvernement dans son programme de stabilité d'avril 2014 (8) ;

- une fois revenu à un déficit inférieur à 3 %, l'ajustement structurel devra être d'au moins 0,5 point de PIB par an, jusqu'à l'atteinte de l'OMT, c'est-à-dire une cible de solde structurel permettant d'assurer la soutenabilité de la position budgétaire. Ce dernier est fixé par chaque Etat membre et doit être supérieur à - 0,5 % du PIB en application des stipulations du TSCG. Le Gouvernement avait retenu comme OMT l'équilibre structurel dans la loi de programmation de décembre 2012 ;
- un écart « important » par rapport à la trajectoire d'ajustement vers l'OMT doit déclencher un mécanisme de correction. Le Haut Conseil a constaté en mai 2014 l'existence d'un tel écart.

Les règlements européens prévoient l'aménagement de ces règles en cas de « circonstances exceptionnelles » (9).
La cohérence de la trajectoire de finances publiques au regard des engagements européens de la France.
Le projet de loi de programmation décrit la trajectoire de solde structurel conduisant à l'OMT. Le solde structurel est estimé par le Gouvernement à - 2,5 % du PIB en 2013 et se redresserait sur toute la période pour atteindre l'OMT, désormais fixé à - 0,4 % du PIB, en 2019 (10) (tableau 3).

(7) La date du retour à 3 % avait été initialement fixée à 2012, puis décalée à 2013. Elle a de nouveau été reportée à 2015, dans la recommandation du Conseil du 21 juin 2013. Ces engagements ont été rappelés dans la recommandation du Conseil du 8 juillet 2014. (8) La vérification du respect de ces engagements par la Commission européenne et par le Conseil s'appuie sur une méthodologie de calcul et des hypothèses qui diffèrent en partie de celles retenues par le Gouvernement. L'évaluation qui sera faite à l'automne par les instances européennes pourra donc différer des analyses qui suivent. (9) Aux termes des stipulations du TSCG, « les circonstances exceptionnelles font référence à des faits inhabituels indépendants de la volonté [de l'Etat membre] concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou à des périodes de grave récession économique ». (10) Dans la loi de programmation des finances publiques 2012-2017, l'OMT devait être atteint en 2016. Cet objectif avait été reporté à 2017 dans le programme de stabilité d'avril 2014, et est renvoyé à 2019 dans le présent projet de loi de programmation.

Tableau 3. - Trajectoire de finances publiques

| EN % DU PIB OU DU PIB POTENTIEL | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | |-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------|------|------|------|-----------|------|------|------|------| | Solde public |- 4,9|- 4,1|- 4,4| - 4,3 |- 3,8|- 2,8|- 1,8|- 0,8| | Solde conjoncturel |- 1,1|- 1,6|- 1,9| - 2,0 |- 1,7|- 1,4|- 0,9|- 0,5| | Mesures ponctuelles et temporaires |- 0,1| 0,0 | 0,0 |- 0,1 (11)|- 0,1| 0,0 | 0,0 | 0,0 | | Solde structurel |- 3,6|- 2,5|- 2,4| - 2,2 |- 1,9|- 1,4|- 0,9|- 0,4| | Variation (ajustement structurel) | | 1,1 | 0,1 | 0,2 | 0,3 | 0,5 | 0,5 | 0,5 | | Pour mémoire : ajustement structurel | | | | | | | | | | LPFP 2012-2017 (décembre 2012) | 1,2 | 2,0 | 0,6 | 0,6 | 0,5 | 0,1 | - | - | | Programme de stabilité (avril 2014) | | 1,1 | 0,8 | 0,8 | 0,5 | 0,5 | - | - | |Note. - Les chiffres étant arrondis au dixième, il peut en résulter de légers écarts dans le résultat des opérations.Source : projet de loi de programmation des finances publiques 2014-2017 (septembre 2014), loi de programmation des finances publiques 2012-2017 (décembre 2012) et programme de stabilité 2014-2017 (avril 2014).
(11) Dans le cas du présent projet de loi de programmation, seuls les contentieux fiscaux de masse sont traités en mesures ponctuelles et temporaires. Ce traitement apparaît justifié au regard de la définition proposée par le Gouvernement et de leur temporalité incertaine.| | | | | | | | |

Par rapport au programme de stabilité d'avril 2014, les prévisions de déficit structurel sont sensiblement dégradées, notamment du fait d'un ajustement structurel moindre entre 2014 et 2016. L'ajustement programmé est maintenant concentré en fin de période, à partir de 2017.
L'amélioration du solde structurel serait en effet très faible en 2014 (0,1 point de PIB) et en 2015 (0,2 point de PIB), revue en forte baisse par rapport à l'engagement pris dans le programme de stabilité d'avril 2014 (0,8 point chaque année) et prescrit dans la recommandation du Conseil du 21 juin 2013.
Une partie de cet écart (12) provient de la baisse des hypothèses de croissance potentielle (expliquant environ 0,2 point de PIB de la baisse de la variation du solde structurel chaque année) (13), sans que le choix de ces hypothèses se traduise corrélativement par une baisse du rythme de progression des dépenses publiques.
Plus fondamentalement, l'ajustement structurel est limité par le fait que l'effort en dépense, relativement modéré au regard de celui qui a pu être réalisé dans le passé par d'autres pays (14), sert en partie, à compter de 2016, à financer des baisses de prélèvements dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité.
Ce moindre ajustement structurel en 2014-2015 ne serait pas compensé par un effort supplémentaire ultérieur. Au contraire, l'ajustement structurel programmé en 2016 est limité à 0,3 point de PIB. Il est ensuite de 0,5 point de PIB par an entre 2017 et 2019 correspondant à l'ajustement minimum défini par les règles européennes. L'ajustement cumulé sur les années 2014-2017 serait ainsi limité à 1,1 point de PIB, contre 2,6 points dans le programme de stabilité d'avril 2014.
Sur l'ensemble de la période, le Gouvernement prévoit donc de poursuivre l'ajustement budgétaire engagé depuis 2011, mais l'amélioration du solde structurel serait en net ralentissement par rapport aux années 2011-2013 durant lesquelles il a représenté environ 1 point de PIB par an en moyenne. Portant quasi intégralement sur les recettes en 2011-2013, l'ajustement repose désormais sur la maîtrise de la dépense publique.
En conséquence de ce moindre ajustement, l'atteinte de l'OMT, désormais abaissé à - 0,4 % du PIB, serait reportée à 2019.
Ce moindre ajustement se conjuguant à des prévisions de croissance plus faibles que dans le programme de stabilité (15), le déficit effectif se maintiendrait au-delà de 4 % du PIB entre 2013 et 2015, et ne reviendrait pas sous le seuil de 3 % avant 2017. Le projet de loi de programmation fait ainsi apparaître que la France ne respectera pas la recommandation du Conseil d'un retour à un déficit effectif en deçà de 3 % du PIB dès 2015.

(12) De nouvelles conventions comptables pour les crédits d'impôt amputent également l'ajustement structurel de 0,1 point en 2014 et en 2015, de même que la révision à la baisse de l'évolution spontanée des prélèvements obligatoires. (13) En juin 2014, la Commission européenne considérait d'ailleurs que l'ajustement structurel prévu dans le programme de stabilité et recalculé avec ses propres hypothèses était de 0,6 point de PIB en 2014. (14) Sur la période 2011-2013, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont enregistré une baisse de la dépense publique en volume. (15) En 2014 et en 2015, la composante conjoncturelle du déficit continue de se dégrader, du fait d'une croissance effective toujours en deçà de son potentiel. Entre 2016 et 2019, au contraire, la fermeture progressive de l'écart de production permettrait une amélioration du solde conjoncturel.

  1. La crédibilité de la trajectoire de solde structurel vers l'OMT

L'ambition initiale des précédentes lois de programmation en termes de redressement structurel des finances publiques n'a pas été réalisée (graphique 2). Les trajectoires de solde structurel ont été rapidement et régulièrement révisées dans les textes financiers et les programmes de stabilité ultérieurs, bien avant le terme de la loi de la programmation en vigueur. En conséquence, l'atteinte de l'OMT a été reportée dans le temps à plusieurs reprises.

Graphique 2. - Trajectoires de solde et d'ajustement structurels
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0227 du 01/10/2014, texte nº 73

Source : Lois de programmation des finances publiques, calculs du HCFP.

La nouvelle programmation, qui reporte à nouveau l'atteinte de l'OMT, risque de se heurter aux difficultés rencontrées par le passé :

- les révisions à la baisse de l'écart de production observées ces dernières années ont dégradé l'estimation du solde structurel (cf. annexe 1) ;
- l'amélioration structurelle des finances publiques s'est révélée, en exécution, souvent moindre que prévu dans les lois de programmation.

Pour apprécier ce dernier risque dans le nouveau projet de loi, il convient d'examiner la crédibilité de l'ajustement portant sur les dépenses. En effet, le montant des baisses de prélèvements annoncées est plus assuré que celui des économies en dépenses.
Atteindre la cible fixée d'une progression des dépenses en valeur de 1,6 % en moyenne pour les années 2015 à 2017, correspondant à 0,2 % en volume, demande d'accentuer encore les efforts par rapport à la période récente. L'évolution moyenne des dépenses publiques a en effet été de 0,7 % par an en volume entre 2011 et 2013 après 2,4 % sur la période 2002-2010.
Une partie des baisses de dépenses programmées repose sur des économies à réaliser par des administrations dont l'Etat ne maîtrise pas les dépenses, notamment les collectivités locales, l'Unédic ou les régimes complémentaires de retraite. L'hypothèse de la trajectoire de dépenses est que les dépenses locales et sociales augmenteront à un rythme beaucoup plus modéré que par le passé (16). Or en 2013, par exemple, la dépense locale est restée dynamique. L'éventualité de nouveaux dépassements par rapport aux prévisions ne peut être exclue, malgré les baisses de dotation et les nouvelles règles de gouvernance incluses dans le projet de loi de programmation.
De plus, la croissance de la dépense publique est pilotée en valeur, notamment via les normes de l'Etat et l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Le maintien des cibles en valeur quasi inchangées par rapport au programme de stabilité alors que les prévisions d'inflation sont revues à la baisse conduit à diminuer l'effort structurel en dépense. Une inflation plus modérée ayant vocation à se traduire plus ou moins rapidement par des dépenses en valeur moins dynamiques, les cibles en valeur auraient pu être ajustées.
En outre, la maîtrise durable de la dépense publique repose aussi, dans le scénario du Gouvernement, sur une amélioration sensible de son efficacité et donc une hausse de la productivité des services publics, impliquant de profondes réformes des missions et des structures.

(16) Le projet de loi de programmation retient notamment un objectif de croissance proche du « zéro volume » pour les collectivités locales et des économies supplémentaires non encore décidées de 2 Md€ pour l'ARRCO et l'AGIRC et pour l'Unédic à l'horizon 2017.

  1. Appréciation du Haut Conseil

Le Haut Conseil constate que la trajectoire de finances publiques du projet de loi de programmation n'est pas cohérente avec les engagements pris par la France, actuellement sous procédure pour déficit public excessif, dans son programme de stabilité d'avril 2014 :

- l'ajustement structurel pour chacune des années 2014, 2015 et 2016 est nettement inférieur à ces engagements ;
- en conséquence de ce moindre ajustement et d'une conjoncture moins favorable, le déficit effectif reste supérieur à 4 % du PIB en 2015 et le retour en deçà de 3 % du PIB est reporté à 2017 ;
- l'objectif de moyen terme (OMT), qui est revu à la baisse à - 0,4 % du PIB, est de nouveau reporté en fin de période de programmation (2019).

De plus, même si cette nouvelle trajectoire est moins ambitieuse que les précédentes, son respect n'est pas acquis. Il suppose d'infléchir fortement, et sur toute la période de programmation, la croissance de la dépense publique. En l'état des mesures annoncées, le Haut Conseil relève un risque de déviation par rapport à la trajectoire vers l'OMT.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française et joint au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 lors de son dépôt à 1'Assemblée nationale.

Fait à Paris, le 26 septembre 2014.

Pour le Haut Conseil des finances publiques :

Le premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques,

D. Migaud