JORF n°0210 du 12 septembre 2018

Saisie pour avis le 19 avril 2018 par le ministre de l'intérieur (1) d'un projet de décret modifiant la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure et relatif à la désignation des services autres que les services spécialisés de renseignement pouvant être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), réunie en formation plénière, a formulé les observations suivantes.

I. - Remarques de portée générale

Le projet de décret est pris pour l'application de l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, qui prévoit que les services, autres que les services spécialisés de renseignement, qui peuvent être autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code sont désignés par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la CNCTR. Ce décret doit préciser les techniques ainsi que les finalités mentionnées à l'article L. 811-3 du code qui peuvent faire l'objet d'autorisations.
La CNCTR rappelle qu'elle a déjà rendu trois avis sur des projets de décret (2) désignant des services, dits du « second cercle », autorisés à recourir aux techniques de renseignement en application de l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure. La commission reprend l'intégralité des remarques de portée générale formulées dans ces trois précédents avis, que constituent sa délibération n° 2/2015 du 12 novembre 2015, sa délibération n° 3/2016 du 8 décembre 2016 ainsi que sa délibération n° 5/2017 du 7 décembre 2017, et apporte les précisions suivantes.
a) La CNCTR considère notamment que la nature et le nombre de techniques auxquelles peuvent avoir accès les services du « second cercle » dépend de la part qu'occupe le renseignement au sein de leurs missions ainsi que de l'expertise technique requise pour mettre en œuvre les techniques de manière sûre.
La commission indique que cette conception stricte et limitative des besoins des services du « second cercle » en matière de techniques de renseignement, outre qu'elle est justifiée par la protection de la vie privée, est corroborée par la pratique observée depuis l'entrée en vigueur le 12 décembre 2015 du premier décret en Conseil d'Etat désignant ces services.
b) La CNCTR estime en outre que les termes de l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure permettent au service du « second cercle » demandeur soit de mettre en œuvre lui-même la technique, s'il en a la capacité, soit de faire réaliser l'opération par un opérateur technique, qui ne pourra en revanche participer à l'exploitation des renseignements collectés.
c) La CNCTR rappelle enfin que l'exercice effectif de la mission de contrôle confiée à la commission par la loi nécessite qu'elle puisse, outre le contrôle a priori sur les demandes tendant à mettre en œuvre une technique, mener à bien un contrôle a posteriori sur les données recueillies. Ceci impose une centralisation de ces données, auxquelles la CNCTR doit avoir un accès permanent, complet et direct, conformément à l'article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure. Pour les services du « second cercle », cette centralisation doit, du point de vue de la commission, être réalisée de préférence par le groupement interministériel de contrôle (GIC). A défaut, cette centralisation ne peut se concevoir qu'au niveau de l'état-major des grandes structures de rattachement des services mentionnées dans le projet de décret, à savoir la direction générale de la police nationale (DGPN), la direction générale de la gendarmerie (DGGN), la préfecture de police (PP) et la direction de l'administration pénitentiaire.

II. - Observations détaillées

  1. Sur la technique autorisée

L'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, issu de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dispose que « peuvent être autorisées les interceptions de correspondances échangées au sein d'un réseau de communications électroniques empruntant exclusivement la voie hertzienne et n'impliquant pas l'intervention d'un opérateur de communications électroniques, lorsque ce réseau est conçu pour une utilisation privative par une personne ou un groupe fermé d'utilisateurs ». Par ailleurs, « lorsque l'identité de la personne concernée n'est pas connue, la demande précise les éléments nécessaires à l'identification du réseau concerné ». Enfin l'autorisation, accordée par le Premier ministre après avis de la CNCTR, vaut autorisation de recueil des données de connexion associées à l'exécution de l'interception et à son exploitation.
Les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de ces dispositions législatives ont précisé que « sont ici visées les conversations transitant par des moyens de communication à courte portée utilisant des techniques de cryptage entre utilisateurs identifiés, les communications par private mobile radio (PMR), aujourd'hui principalement les talkies walkies numériques, et les transmissions entre objets connectés, qui peuvent n'appartenir qu'à une seule personne » (3).
La CNCTR constate que ces nouvelles interceptions de sécurité visent des correspondances échangées au sein de réseaux et au moyen de matériels spécifiques. De telles interceptions, réalisées de manière décentralisée, nécessitent l'acquisition par les services de renseignement de dispositifs lourds et onéreux dont l'usage suppose des compétences techniques particulières, notamment pour positionner ces dispositifs de manière adéquate ou pour déterminer la fréquence à intercepter. La commission relève également que le traitement des données recueillies se heurte à des contraintes techniques.
La CNCTR estime, en conséquence, que la mise en œuvre de la technique prévue à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure devrait être réservée aux services du « second cercle » attestant un besoin réel et disposant de capacités opérationnelles adaptées.
La commission n'émet en revanche pas d'objection, eu égard aux usages susceptibles d'être faits des réseaux de communication hertziens privatifs, à ce que les services du « second cercle » pertinents puissent intercepter les correspondances échangées sur ces réseaux pour défendre ou promouvoir, en fonction de leurs missions respectives, les intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés aux 1°, 4°, 5° et 6° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, à savoir :

- l'indépendance nationale, l'intégrité du territoire et la défense nationale ;
- la prévention du terrorisme ;
- la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, la prévention des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous, la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;
- la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées.

  1. Sur la désignation des services

La CNCTR livre ses commentaires par service, dans le même ordre que celui suivi dans le projet de décret qui lui est soumis.

2.1. Services de la direction générale de la police nationale

a) Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) :
Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que le service central des courses et jeux, la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière, la sous-direction antiterroriste et la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité ainsi que les services territoriaux (les directions interrégionales et régionales de police judiciaire, les services régionaux de police judiciaire et les antennes de police judiciaire) pourraient être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre des finalités prévues au 4° et/ou au 6° de l'article L. 811-3 du même code.
La commission émet un avis favorable à ce que les trois sous-directions évoquées ci-dessus puissent être autorisées à mettre en œuvre la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au besoin avec le concours du service interministériel d'assistance technique (SIAT).
La CNCTR estime en revanche que les missions du service central des courses et jeux ne justifient pas que ce service puisse recourir aux interceptions de sécurité hertziennes.
La commission émet également un avis défavorable à ce que les services territoriaux de police judiciaire puissent être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure eu égard, d'une part, aux contraintes techniques, opérationnelles et financières qui caractérisent ces interceptions et, d'autre part, au faible nombre de demandes qu'ont à ce jour présentées les services territoriaux de police judiciaire pour mettre en œuvre des techniques de renseignement complexes.
b) Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) :
Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST) pourrait être autorisé à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre de la finalité prévue au 6° de l'article L. 811-3 du même code.
La CNCTR émet un avis défavorable eu égard, d'une part, aux contraintes techniques, opérationnelles et financières qui caractérisent les interceptions de sécurité hertziennes et, d'autre part, au faible nombre de demandes qu'a présentées à ce jour l'OCRIEST pour mettre en œuvre des techniques de renseignement complexes.
c) Direction centrale de la sécurité publique :
Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que les services du renseignement territorial pourraient être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre des finalités prévues aux 1°, 4°, 5° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.
La CNCTR rappelle que le service central du renseignement territorial (SCRT) exerce une mission exclusive de renseignement destinée à compléter celle de la direction générale de la sécurité intérieure.
La commission admet, dans ces conditions, que l'unité nationale de recherche et d'appui du SCRT puisse être autorisée à recourir aux interceptions de sécurité hertziennes.
En revanche, la CNCTR émet un avis défavorable à ce que les échelons territoriaux du SCRT puissent être autorisés à y recourir eu égard, d'une part, aux contraintes techniques, opérationnelles et financières qui caractérisent ces interceptions et, d'autre part, au faible nombre de demandes qu'ont à ce jour présentées les échelons territoriaux du SCRT pour mettre en œuvre des techniques de renseignement complexes.

2.2. Services de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)

a) Direction des opérations et de l'emploi (DOE) :
Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) et la sous-direction de la police judiciaire (SDPJ) pourraient être autorisées à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre, respectivement, des finalités prévues aux 1°, 4° et 5° ou aux 1°, 4° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.
La CNCTR rappelle que la SDAO a exclusivement pour compétence la prévention des menaces dans les domaines de la défense, de l'ordre public et de la sécurité nationale et contribue à la mise en œuvre de la mission de renseignement confiée à la gendarmerie nationale par l'article L. 421-1 du code de la sécurité intérieure.
La commission n'émet, dès lors, aucune objection à ce qu'elle puisse être autorisée à mettre en œuvre la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure.
Si la SDPJ a une vocation essentiellement judiciaire et n'exerce qu'à titre accessoire une mission de prévention relevant de la police administrative, la commission admet, compte tenu des besoins opérationnels pour prévenir la criminalité et la délinquance organisées ainsi que le risque terroriste, que la faculté de recourir à la technique en cause lui soit également ouverte.
b) Sections de recherches de la gendarmerie nationale (SR) :
Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que les sections de recherches de la gendarmerie nationale pourraient être autorisées à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure au titre des finalités mentionnées aux 4° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.
La CNCTR émet un avis défavorable eu égard, d'une part, aux contraintes techniques, opérationnelles et financières qui caractérisent les interceptions de sécurité hertziennes et, d'autre part, au faible nombre de demandes qu'ont à ce jour présentées les SR de la gendarmerie nationale pour mettre en œuvre des techniques de renseignement complexes.

2.3. Services de la préfecture de police de Paris

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que la sous-direction de la sécurité intérieure et celle du renseignement territorial, relevant toutes deux de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), pourraient être autorisées à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure au titre des finalités prévues aux 4°, 5° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.
La commission, compte tenu de la mission exclusive de renseignement assurée par ces services, n'émet pas d'objection à ce qu'ils puissent être autorisés à mettre en œuvre des interceptions de sécurité hertziennes, au besoin avec le concours de la direction générale de la sécurité intérieure, comme le prévoit le projet de décret.

2.4. Services placés sous l'autorité d'emploi du ministère de la défense

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que les sections de recherches de la gendarmerie maritime, de la gendarmerie de l'air et de la gendarmerie de l'armement pourraient être autorisées à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure au titre des finalités prévues aux 1°, 4° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.
Destinées à protéger des bases de défense maritimes ou aériennes ainsi que des implantations de la direction générale de l'armement, ces sections de recherches spécialisées, placées pour emploi sous l'autorité du ministre de la défense, se distinguent des sections de recherche de droit commun de la gendarmerie. La CNCTR estime que les enjeux de sécurité nationale propres aux missions des sections de recherches spécialisées justifient de leur accorder la faculté de recourir à certaines techniques de renseignement.
La commission admet, dans ces conditions, que les sections de recherches de la gendarmerie maritime, de la gendarmerie de l'air et de la gendarmerie de l'armement puissent être autorisées à recourir aux interceptions de sécurité hertziennes.

2.5. Services de la direction de l'administration pénitentiaire

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que le bureau central du renseignement pénitentiaire et les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire pourraient être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre des finalités prévues aux 4° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.
La CNCTR relève que le bureau central du renseignement pénitentiaire et les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire se consacrent exclusivement à des missions de renseignement. La commission constate en outre que ces services développent actuellement leur expertise technique en la matière.
En outre, l'administration pénitentiaire a fait valoir que le déploiement en cours, au sein des établissements pénitentiaires, de dispositifs de brouillage visant à neutraliser les communications illicites sur un large spectre de fréquences empruntées par les opérateurs téléphoniques pourrait conduire les personnes détenues à employer de nouveaux moyens techniques de communication tels que la private mobile radio.
En conséquence, la CNCTR émet un avis favorable à ce que le bureau central du renseignement pénitentiaire et les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire puissent être autorisés à recourir à des interceptions de sécurité hertziennes. La commission estime cependant que l'expertise technique et opérationnelle requise pour mettre en œuvre ces interceptions impose que leur exécution, à l'exclusion de toute mesure d'exploitation des données recueillies, soit systématiquement confiée un opérateur disposant des compétences requises.
Délibéré en formation plénière le 17 mai 2018.


Historique des versions

Version 1

Saisie pour avis le 19 avril 2018 par le ministre de l'intérieur (1) d'un projet de décret modifiant la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure et relatif à la désignation des services autres que les services spécialisés de renseignement pouvant être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), réunie en formation plénière, a formulé les observations suivantes.

I. - Remarques de portée générale

Le projet de décret est pris pour l'application de l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, qui prévoit que les services, autres que les services spécialisés de renseignement, qui peuvent être autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code sont désignés par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la CNCTR. Ce décret doit préciser les techniques ainsi que les finalités mentionnées à l'article L. 811-3 du code qui peuvent faire l'objet d'autorisations.

La CNCTR rappelle qu'elle a déjà rendu trois avis sur des projets de décret (2) désignant des services, dits du « second cercle », autorisés à recourir aux techniques de renseignement en application de l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure. La commission reprend l'intégralité des remarques de portée générale formulées dans ces trois précédents avis, que constituent sa délibération n° 2/2015 du 12 novembre 2015, sa délibération n° 3/2016 du 8 décembre 2016 ainsi que sa délibération n° 5/2017 du 7 décembre 2017, et apporte les précisions suivantes.

a) La CNCTR considère notamment que la nature et le nombre de techniques auxquelles peuvent avoir accès les services du « second cercle » dépend de la part qu'occupe le renseignement au sein de leurs missions ainsi que de l'expertise technique requise pour mettre en œuvre les techniques de manière sûre.

La commission indique que cette conception stricte et limitative des besoins des services du « second cercle » en matière de techniques de renseignement, outre qu'elle est justifiée par la protection de la vie privée, est corroborée par la pratique observée depuis l'entrée en vigueur le 12 décembre 2015 du premier décret en Conseil d'Etat désignant ces services.

b) La CNCTR estime en outre que les termes de l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure permettent au service du « second cercle » demandeur soit de mettre en œuvre lui-même la technique, s'il en a la capacité, soit de faire réaliser l'opération par un opérateur technique, qui ne pourra en revanche participer à l'exploitation des renseignements collectés.

c) La CNCTR rappelle enfin que l'exercice effectif de la mission de contrôle confiée à la commission par la loi nécessite qu'elle puisse, outre le contrôle a priori sur les demandes tendant à mettre en œuvre une technique, mener à bien un contrôle a posteriori sur les données recueillies. Ceci impose une centralisation de ces données, auxquelles la CNCTR doit avoir un accès permanent, complet et direct, conformément à l'article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure. Pour les services du « second cercle », cette centralisation doit, du point de vue de la commission, être réalisée de préférence par le groupement interministériel de contrôle (GIC). A défaut, cette centralisation ne peut se concevoir qu'au niveau de l'état-major des grandes structures de rattachement des services mentionnées dans le projet de décret, à savoir la direction générale de la police nationale (DGPN), la direction générale de la gendarmerie (DGGN), la préfecture de police (PP) et la direction de l'administration pénitentiaire.

II. - Observations détaillées

1. Sur la technique autorisée

L'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, issu de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dispose que « peuvent être autorisées les interceptions de correspondances échangées au sein d'un réseau de communications électroniques empruntant exclusivement la voie hertzienne et n'impliquant pas l'intervention d'un opérateur de communications électroniques, lorsque ce réseau est conçu pour une utilisation privative par une personne ou un groupe fermé d'utilisateurs ». Par ailleurs, « lorsque l'identité de la personne concernée n'est pas connue, la demande précise les éléments nécessaires à l'identification du réseau concerné ». Enfin l'autorisation, accordée par le Premier ministre après avis de la CNCTR, vaut autorisation de recueil des données de connexion associées à l'exécution de l'interception et à son exploitation.

Les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de ces dispositions législatives ont précisé que « sont ici visées les conversations transitant par des moyens de communication à courte portée utilisant des techniques de cryptage entre utilisateurs identifiés, les communications par private mobile radio (PMR), aujourd'hui principalement les talkies walkies numériques, et les transmissions entre objets connectés, qui peuvent n'appartenir qu'à une seule personne » (3).

La CNCTR constate que ces nouvelles interceptions de sécurité visent des correspondances échangées au sein de réseaux et au moyen de matériels spécifiques. De telles interceptions, réalisées de manière décentralisée, nécessitent l'acquisition par les services de renseignement de dispositifs lourds et onéreux dont l'usage suppose des compétences techniques particulières, notamment pour positionner ces dispositifs de manière adéquate ou pour déterminer la fréquence à intercepter. La commission relève également que le traitement des données recueillies se heurte à des contraintes techniques.

La CNCTR estime, en conséquence, que la mise en œuvre de la technique prévue à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure devrait être réservée aux services du « second cercle » attestant un besoin réel et disposant de capacités opérationnelles adaptées.

La commission n'émet en revanche pas d'objection, eu égard aux usages susceptibles d'être faits des réseaux de communication hertziens privatifs, à ce que les services du « second cercle » pertinents puissent intercepter les correspondances échangées sur ces réseaux pour défendre ou promouvoir, en fonction de leurs missions respectives, les intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés aux 1°, 4°, 5° et 6° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, à savoir :

- l'indépendance nationale, l'intégrité du territoire et la défense nationale ;

- la prévention du terrorisme ;

- la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, la prévention des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous, la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;

- la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées.

2. Sur la désignation des services

La CNCTR livre ses commentaires par service, dans le même ordre que celui suivi dans le projet de décret qui lui est soumis.

2.1. Services de la direction générale de la police nationale

a) Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) :

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que le service central des courses et jeux, la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière, la sous-direction antiterroriste et la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité ainsi que les services territoriaux (les directions interrégionales et régionales de police judiciaire, les services régionaux de police judiciaire et les antennes de police judiciaire) pourraient être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre des finalités prévues au 4° et/ou au 6° de l'article L. 811-3 du même code.

La commission émet un avis favorable à ce que les trois sous-directions évoquées ci-dessus puissent être autorisées à mettre en œuvre la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au besoin avec le concours du service interministériel d'assistance technique (SIAT).

La CNCTR estime en revanche que les missions du service central des courses et jeux ne justifient pas que ce service puisse recourir aux interceptions de sécurité hertziennes.

La commission émet également un avis défavorable à ce que les services territoriaux de police judiciaire puissent être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure eu égard, d'une part, aux contraintes techniques, opérationnelles et financières qui caractérisent ces interceptions et, d'autre part, au faible nombre de demandes qu'ont à ce jour présentées les services territoriaux de police judiciaire pour mettre en œuvre des techniques de renseignement complexes.

b) Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) :

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST) pourrait être autorisé à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre de la finalité prévue au 6° de l'article L. 811-3 du même code.

La CNCTR émet un avis défavorable eu égard, d'une part, aux contraintes techniques, opérationnelles et financières qui caractérisent les interceptions de sécurité hertziennes et, d'autre part, au faible nombre de demandes qu'a présentées à ce jour l'OCRIEST pour mettre en œuvre des techniques de renseignement complexes.

c) Direction centrale de la sécurité publique :

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que les services du renseignement territorial pourraient être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre des finalités prévues aux 1°, 4°, 5° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.

La CNCTR rappelle que le service central du renseignement territorial (SCRT) exerce une mission exclusive de renseignement destinée à compléter celle de la direction générale de la sécurité intérieure.

La commission admet, dans ces conditions, que l'unité nationale de recherche et d'appui du SCRT puisse être autorisée à recourir aux interceptions de sécurité hertziennes.

En revanche, la CNCTR émet un avis défavorable à ce que les échelons territoriaux du SCRT puissent être autorisés à y recourir eu égard, d'une part, aux contraintes techniques, opérationnelles et financières qui caractérisent ces interceptions et, d'autre part, au faible nombre de demandes qu'ont à ce jour présentées les échelons territoriaux du SCRT pour mettre en œuvre des techniques de renseignement complexes.

2.2. Services de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)

a) Direction des opérations et de l'emploi (DOE) :

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) et la sous-direction de la police judiciaire (SDPJ) pourraient être autorisées à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre, respectivement, des finalités prévues aux 1°, 4° et 5° ou aux 1°, 4° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.

La CNCTR rappelle que la SDAO a exclusivement pour compétence la prévention des menaces dans les domaines de la défense, de l'ordre public et de la sécurité nationale et contribue à la mise en œuvre de la mission de renseignement confiée à la gendarmerie nationale par l'article L. 421-1 du code de la sécurité intérieure.

La commission n'émet, dès lors, aucune objection à ce qu'elle puisse être autorisée à mettre en œuvre la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure.

Si la SDPJ a une vocation essentiellement judiciaire et n'exerce qu'à titre accessoire une mission de prévention relevant de la police administrative, la commission admet, compte tenu des besoins opérationnels pour prévenir la criminalité et la délinquance organisées ainsi que le risque terroriste, que la faculté de recourir à la technique en cause lui soit également ouverte.

b) Sections de recherches de la gendarmerie nationale (SR) :

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que les sections de recherches de la gendarmerie nationale pourraient être autorisées à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure au titre des finalités mentionnées aux 4° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.

La CNCTR émet un avis défavorable eu égard, d'une part, aux contraintes techniques, opérationnelles et financières qui caractérisent les interceptions de sécurité hertziennes et, d'autre part, au faible nombre de demandes qu'ont à ce jour présentées les SR de la gendarmerie nationale pour mettre en œuvre des techniques de renseignement complexes.

2.3. Services de la préfecture de police de Paris

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que la sous-direction de la sécurité intérieure et celle du renseignement territorial, relevant toutes deux de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), pourraient être autorisées à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure au titre des finalités prévues aux 4°, 5° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.

La commission, compte tenu de la mission exclusive de renseignement assurée par ces services, n'émet pas d'objection à ce qu'ils puissent être autorisés à mettre en œuvre des interceptions de sécurité hertziennes, au besoin avec le concours de la direction générale de la sécurité intérieure, comme le prévoit le projet de décret.

2.4. Services placés sous l'autorité d'emploi du ministère de la défense

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que les sections de recherches de la gendarmerie maritime, de la gendarmerie de l'air et de la gendarmerie de l'armement pourraient être autorisées à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure au titre des finalités prévues aux 1°, 4° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.

Destinées à protéger des bases de défense maritimes ou aériennes ainsi que des implantations de la direction générale de l'armement, ces sections de recherches spécialisées, placées pour emploi sous l'autorité du ministre de la défense, se distinguent des sections de recherche de droit commun de la gendarmerie. La CNCTR estime que les enjeux de sécurité nationale propres aux missions des sections de recherches spécialisées justifient de leur accorder la faculté de recourir à certaines techniques de renseignement.

La commission admet, dans ces conditions, que les sections de recherches de la gendarmerie maritime, de la gendarmerie de l'air et de la gendarmerie de l'armement puissent être autorisées à recourir aux interceptions de sécurité hertziennes.

2.5. Services de la direction de l'administration pénitentiaire

Le projet de décret soumis à l'avis de la CNCTR prévoit que le bureau central du renseignement pénitentiaire et les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire pourraient être autorisés à recourir à la technique mentionnée à l'article L. 852-2 du code de la sécurité intérieure, au titre des finalités prévues aux 4° et 6° de l'article L. 811-3 du même code.

La CNCTR relève que le bureau central du renseignement pénitentiaire et les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire se consacrent exclusivement à des missions de renseignement. La commission constate en outre que ces services développent actuellement leur expertise technique en la matière.

En outre, l'administration pénitentiaire a fait valoir que le déploiement en cours, au sein des établissements pénitentiaires, de dispositifs de brouillage visant à neutraliser les communications illicites sur un large spectre de fréquences empruntées par les opérateurs téléphoniques pourrait conduire les personnes détenues à employer de nouveaux moyens techniques de communication tels que la private mobile radio.

En conséquence, la CNCTR émet un avis favorable à ce que le bureau central du renseignement pénitentiaire et les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire puissent être autorisés à recourir à des interceptions de sécurité hertziennes. La commission estime cependant que l'expertise technique et opérationnelle requise pour mettre en œuvre ces interceptions impose que leur exécution, à l'exclusion de toute mesure d'exploitation des données recueillies, soit systématiquement confiée un opérateur disposant des compétences requises.

Délibéré en formation plénière le 17 mai 2018.