Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Catherine EDWIGE, Hélène GASSIN, Yann PADOVA et Jean-Pierre SOTURA, commissaires.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, une première fois le 28 juillet 2015 puis le 7 août 2015, à l'issue de la réunion du Conseil supérieur de l'énergie, d'un projet d'arrêté modifiant l'arrêté du 19 mai 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations qui valorisent le biogaz.
- Contexte
Le projet d'arrêté objet du présent avis vient modifier les conditions tarifaires de l'arrêté du 19 mai 2011 susvisé actuellement en vigueur pour les installations qui valorisent le biogaz dont la date de signature du contrat d'achat est antérieure au 31 juillet 2015 et celles pour lesquelles une demande complète de contrat d'achat a été déposée avant le 31 juillet 2015. La CRE a été saisie en parallèle d'un projet d'arrêté faisant évoluer les conditions tarifaires pour les nouvelles installations de méthanisation, lequel fait l'objet d'un avis distinct de la CRE daté du même jour. L'essentiel des hypothèses utilisées dans ces deux avis pour analyser le projet d'arrêté en termes d'impact sur la rentabilité des installations est donc similaire.
Le présent projet d'arrêté entend répondre à l'objectif décrit dans le premier courrier de saisine de « rétablir un équilibre économique pour les projets pionniers de la filière méthanisation ». Selon ce courrier, « il est apparu que les hypothèses de coûts d'investissement et d'exploitation qui avaient été retenues pour définir les niveaux de tarif […] avaient été sous-estimées conduisant à des difficultés économiques importantes pour la filière ». Dès lors, le projet d'arrêté vise à « revaloriser le tarif d'achat de l'électricité pour les installations de méthanisation » sous contrat au 31 juillet 2015 et celles pour lesquelles une demande complète de contrat d'achat a été déposée avant le 31 juillet 2015. En outre, le projet d'arrêté prévoit que les installations existantes pourront bénéficier d'un allongement de cinq années de leur contrat dont la durée était prévue pour 15 ans pour « couvrir le manque à gagner pour ces installations sur les premières années de leur contrat ».
La lettre de saisine mentionne uniquement les installations de méthanisation. L'arrêté n'exclut cependant la possibilité de signer un avenant que pour les installations de stockage de déchets non dangereux. Ainsi, les autres installations valorisant le biogaz, qui comprennent outre les installations de méthanisation les stations d'épuration, peuvent bénéficier de l'avenant. Eu égard au délai d'instruction laissé à la CRE, le manque de données économiques fiables sur cette filière, le nombre de stations d'épuration en comparaison du nombre d'installations de méthanisation (1) et les motivations du courrier de saisine suscitées, les études de rentabilité du présent avis portent sur les seules installations de méthanisation.
1.1. Cadre juridique
L'article L. 314-4 du code de l'énergie prévoit que « les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l'économie et de l'énergie arrêtent, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées à l'article L. 314-1 sont précisées par voie réglementaire ».
En application de l'article 8 du décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat, « des arrêtés des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie et après avis de la Commission de régulation de l'énergie, fixent les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations bénéficiant de l'obligation d'achat prévue par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 susvisée. Ces conditions d'achat précisent notamment :
1° En tant que de besoin, les conditions relatives à la fourniture de l'électricité par le producteur ;
2° Les tarifs d'achat de l'électricité ;
3° La durée du contrat ;
4° Les exigences techniques et financières à satisfaire pour pouvoir bénéficier de l'obligation d'achat. Ces exigences peuvent notamment inclure la fourniture de documents attestant de la faisabilité économique du projet, la fourniture d'éléments attestant de l'impact environnemental du projet ainsi que le respect de critères techniques ou architecturaux de réalisation du projet.
A compter de la date à laquelle la Commission de régulation de l'énergie a été saisie d'un projet d'arrêté par les ministres, elle dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis, délai que les ministres peuvent porter à deux mois à la demande de la commission. Passé ce délai, l'avis est réputé donné. L'avis de la Commission de régulation de l'énergie est publié au Journal officiel de la République française en même temps que l'arrêté. »
1.2. Etat des lieux de la filière méthanisation
Dans le cadre de la préparation du renouvellement des mécanismes de soutien à la méthanisation répondant aux objectifs évoqués précédemment, la CRE a participé, au cours du premier semestre 2015, au groupe de travail réunissant les acteurs de la filière et les administrations concernées.
Il ressort de ces travaux que la situation économique des quelque 200 installations de méthanisation sous obligation d'achat en fonctionnement à la fin de l'année 2014 est très hétérogène : tandis qu'une partie des sites connaît des difficultés économiques, d'autres bénéficient d'une rentabilité normale, voire excessive, dans le cadre tarifaire actuel.
Les difficultés rencontrées relèvent essentiellement d'un manque de structuration industrielle de la filière, d'un manque d'expérience de certains exploitants et d'une baisse des revenus liés à une forte concurrence dans le domaine du traitement des déchets. A l'occasion de ces travaux préparatoires, ont notamment pu être évoqués :
• des coûts et délais de maintenance supérieurs aux anticipations des plans d'affaires, qui réduisent le nombre d'heures de fonctionnement au regard des capacités de production d'une installation de méthanisation efficace ;
• des problèmes de conception ou d'exploitation, avec un matériel parfois inadapté aux intrants pouvant entraîner une usure prématurée des installations affectant leur durée de vie ;
• un partage insuffisant des bonnes pratiques industrielles, un tel partage aurait été de nature à contribuer à la standardisation des procédés, à limiter les erreurs d'exploitation et à augmenter la durée de fonctionnement ;
• une baisse notable des redevances liées au traitement des bio-déchets par les installations de méthanisation, conséquence d'un niveau de développement et d'une localisation des installations incompatibles avec le gisement local de déchets disponibles. La pression concurrentielle qui s'exerce alors sur les prix, en raison du poids significatif et des enjeux que représente cette redevance dans le chiffre d'affaires de l'installation, entraîne également des conflits d'usage.
Par ailleurs, les dispositifs de soutien à la filière méthanisation sont nombreux et hétérogènes. Ils font intervenir plusieurs organismes (notamment ADEME, fonds FEDER, régions et collectivités locales), et donnent lieu à un montant cumulé de subventions pouvant atteindre 50 % de l'investissement initial.
La grande diversité des acteurs impliqués dans le développement de la filière et son hétérogénéité, tant technique qu'économique, sont de nature à compliquer considérablement l'établissement d'un tarif d'achat représentatif des coûts de la filière et permettant d'éviter des situations de rentabilité excessive.
- Description du projet d'arrêté
2.1. Structure tarifaire
Le projet d'arrêté propose la conclusion d'un avenant aux installations bénéficiant d'un contrat en application de l'arrêté du 19 mai 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations qui valorisent le biogaz ou de l'arrêté du 10 juillet 2006 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations qui valorisent le biogaz ainsi qu'aux installations pour lesquelles une demande complète de contrat d'obligation d'achat a été déposée avant le 31 juillet 2015 (à l'exception des installations de stockage de déchets non dangereux). Cet avenant revalorise le tarif dont bénéficient à ce jour ces installations et augmente de 5 années la durée du contrat d'obligation d'achat, la portant à 20 ans.
Le tarif applicable aux installations bénéficiant de l'avenant est constitué de deux composantes :
• un tarif de base, dégressif en fonction de la puissance maximale installée de la centrale ;
• une prime au traitement des effluents d'élevage.
Outre le niveau, c'est la structure du tarif qui sera modifiée pour ces installations : la prime à l'efficacité énergétique prévue par les arrêtés du 19 mai 2011 et du 10 juillet 2006 susvisés disparaît ; les installations ayant un contrat d'obligation d'achat relevant de l'arrêté du 10 juillet 2006, pour lesquelles la prime aux effluents d'élevage n'était pas prévue, pourront désormais bénéficier de celle-ci.
2.1.1. Tarif de base
Le tarif de base prévu dans l'arrêté du 19 mai 2011 ou dans celui du 10 juillet 2006 est remplacé par le tarif ci-dessous :
|Puissance électrique maximale de l'installation|Tarif de base| |-----------------------------------------------|-------------| | P ≤ 80 kW | 18 c€/kWh | | P ≥ 300 kW | 16,5 c€/kWh |
Les valeurs intermédiaires sont définies par interpolation linéaire.
Cette substitution implique que le tarif de base doive être indexé dans les mêmes conditions que le tarif de base initial (voir section 2.1.3).
2.1.2. Prime au traitement des effluents d'élevage
Cette prime s'applique à toutes les installations pouvant conclure un avenant à leur contrat d'obligation d'achat. Elle ne dépend que de la proportion d'effluents d'élevage dans leur approvisionnement, contrairement à l'arrêté du 19 mai 2011 susvisé qui prévoyait une prime dégressive en fonction de la puissance pour les installations de puissance supérieure à 1 MW (jusqu'à être nulle).
|Proportion d'effluents d'élevage|Prime (c€/KWH)| |--------------------------------|--------------| | 0 % | 0 | | ≥ 60 % | 4 |
Les valeurs intermédiaires sont définies par interpolation linéaire.
2.1.3. Indexation du tarif
Les arrêtés du 19 mai 2011 et du 10 juillet 2006 susvisés prévoient l'indexation du tarif d'obligation d'achat. Deux coefficients d'indexation majorent le tarif de base et la prime au traitement d'effluents d'élevage décrits supra en fonction de la date d'envoi par le producteur à l'acheteur obligé d'une demande complète de contrat d'achat (coefficient K) et de la durée écoulée de celui-ci (coefficient L). La rémunération des installations bénéficiant de l'avenant prévu par le projet d'arrêté dépend donc de la date de demande complète de raccordement et de la date de prise d'effet du contrat d'achat. L'indexation du tarif (tarif de base et prime) peut aller jusqu'à 7 % pour les installations bénéficiant de l'arrêté du 19 mai 2011 et jusqu'à 13 % pour les installations bénéficiant de l'arrêté du 10 juillet 2006. Celle-ci s'applique au nouveau tarif de base.
2.2. Evolution par rapport au tarif en vigueur
La possibilité de conclure un avenant étant ouverte aux installations ayant un contrat d'achat relevant de l'arrêté du 19 mai 2011 ou de l'arrêté du 10 juillet 2006 et celles pour lesquelles une demande complète de contrat d'achat a été déposée avant le 31 juillet 2015, il convient ici de distinguer deux cas.
Installations bénéficiant du cadre tarifaire de l'arrêté du 19 mai 2011
Le niveau du tarif de base augmente de manière significative pour tous les types d'installations : de 35 % pour les installations de puissance inférieure à 500 kW et jusqu'à 50 % pour les installations de puissance supérieure à 2 MW.
Le niveau du tarif avec primes (2) est en hausse de 10 % pour les plus petites installations et de 33 % pour les installations de grande puissance.
La CRE constate que les installations de puissance supérieure à 800 kW bénéficieront, avec l'avenant proposé dans le présent projet d'arrêté, d'un tarif de base supérieur au tarif toutes primes comprises résultant de l'exécution de l'arrêté du 19 mai 2011.
Le graphique ci-après présente les niveaux de tarif - hors prime et avec prime - applicables à ces installations en application de l'arrêté en vigueur et du projet d'arrêté.
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0256 du 04/11/2015, texte nº 57
Installations bénéficiant du cadre tarifaire de l'arrêté du 10 juillet 2006
Le niveau de tarif de base est en augmentation de 85 à 120 % et le niveau de tarif avec primes est en hausse de 45 % à 60 % selon la puissance.
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0256 du 04/11/2015, texte nº 57
La CRE constate que le niveau du tarif de base avec l'avenant est supérieur au tarif avec primes maximales résultant de l'exécution de l'arrêté du 10 juillet 2006.
2.3. Evaluation du surcoût de charges de service public
Ce projet d'arrêté comprend, d'une part, une revalorisation du tarif et, d'autre part, le prolongement de la durée des contrats. Son impact sur les charges de service public de l'électricité est évalué pour ces deux éléments.
Le surcoût des charges de service public qui résulterait de la revalorisation tarifaire s'élèverait à 16 M€ par an, dans l'hypothèse où l'ensemble des installations de méthanisation et des stations d'épuration bénéficiant de contrats d'achat relevant des arrêtés de 2006 et 2011 demanderaient à bénéficier de l'avenant. Cette hypothèse est justifiée au regard du bénéfice économique que représente la conclusion d'un tel avenant.
La prime aux effluents d'élevage n'étant pas appliquée aux installations bénéficiant du cadre tarifaire de l'arrêté du 10 juillet 2006, la CRE n'a pas été en mesure d'évaluer le taux d'effluents d'élevage traité par ces installations. Elle considère donc ce montant de 16 M€ comme la hausse minimale envisageable des charges de service public de l'électricité.
Le surcoût des charges de service public de l'électricité qui résulterait de la prolongation de 5 ans de la durée des contrats est de l'ordre de 300 M€ entre 2022 et 2034.
L'augmentation totale des charges de service public qui résulterait de la mise en œuvre de ce projet d'arrêté, dans ses deux composantes, sur la période 2015-2034 est de l'ordre de 500 M€.
- Analyse de rentabilité
L'article L. 314-7 du code de l'énergie dispose que les niveaux des tarifs « ne peu[ven]t conduire à ce que la rémunération des capitaux immobilisés dans les installations bénéficiant de ces conditions d'achat excède une rémunération normale des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités et de la garantie dont bénéficient ces installations d'écouler l'intégralité de leur production à un tarif déterminé ».
Afin de vérifier la conformité du projet d'arrêté avec les dispositions précitées, la CRE a procédé, au travers de la modélisation de plans d'affaire d'installations bénéficiant du tarif envisagé, à l'évaluation :
• du taux de rentabilité interne avant impôts d'un projet d'installation de méthanisation ;
• du taux de rentabilité interne du capital investi après paiement du service de la dette et après impôts (TRI fonds propres).
La rentabilité des installations a été évaluée dans le cadre d'un scénario de référence, défini au paragraphe 3.2 selon les données et principes établis au paragraphe 3.1, et est assortie d'analyses de sensibilité aux principaux paramètres technico-économiques caractéristiques de la filière, objet du paragraphe 3.3.
Le « taux de rémunération de référence » cible utilisé dans le cadre du présent avis pour évaluer le caractère excessif de la rémunération est fixé à 8 %, avant impôts.
L'analyse distingue deux types d'installations dont les logiques économiques, s'agissant en particulier des recettes complémentaires à l'électricité et des dispositions fiscales applicables, diffèrent :
• les installations de méthanisation agricole, avec deux niveaux de puissance, 80 et 300 kW, qui utilisent une proportion importante d'effluents d'élevage produits à proximité directe de l'installation ;
• les installations de méthanisation territoriales, de puissance installée 1 000 kW, dont l'approvisionnement en déchets est plus diversifié, tant par leur nature que par leur provenance.
3.1. Données utilisées
En application des dispositions de l'article L. 134-18 du code de l'énergie, la CRE a lancé, en janvier 2014, une analyse des coûts de production de la filière méthanisation. Après une première demande demeurée infructueuse, elle a adressé, le 23 mars 2015, un courrier de relance aux treize installations de méthanisation auxquelles il était demandé de fournir le détail des coûts d'investissement et d'exploitation supportés, ainsi que tout document permettant de reconstituer le coût de l'électricité produite. Chacun des postes de coût déclarés devait par ailleurs être assorti d'éléments justificatifs, tels que notamment factures, copies de contrat, éléments comptables.
L'incomplétude des éléments transmis par les professionnels sollicités n'ont pas permis à la CRE de fonder l'analyse de rentabilité du présent avis sur des coûts objectifs, constatés et audités et, à plus forte raison, ne lui ont pas permis de vérifier les données déclaratives transmises par la profession, auxquelles elle s'est vue contrainte de recourir pour remplir sa mission.
Dès lors, les hypothèses du calcul de rentabilité explicitées ci-après ainsi que leur justification, qui constituent le corpus du « scénario de référence » de l'analyse, ont vocation à traduire les conditions technico-économiques de fonctionnement des installations de méthanisation telle qu'elles sont appréhendées par la profession et auxquelles s'appliquent les réserves énoncées précédemment.
3.2. Hypothèses technico-économiques du scénario de référence
Prise en compte de l'avenant
L'impact sur la rentabilité de la conclusion de l'avenant dépend de la durée du contrat et du nombre d'années pendant lesquelles l'installation pourra bénéficier des nouvelles conditions tarifaires. Eu égard à l'âge moyen du parc, la CRE retient ici des installations de référence mises en service en 2012 et ayant donc bénéficié du cadre tarifaire de l'arrêté du 19 mai 2011 pendant trois années complètes.
Prise en compte de la valorisation de la chaleur résiduelle par cogénération
Le groupe turbo-alternateur d'une installation de méthanisation produit de la chaleur résiduelle susceptible d'être valorisée dès lors qu'elle permet de satisfaire, en parallèle, un besoin de chauffage industriel, agricole ou résidentiel, et sous réserve de la réalisation des investissements nécessaires. Ces investissements ont toutefois vocation à être soutenus par d'autres dispositifs que les tarifs d'achat, tels que les différents fonds gérés par l'ADEME. Par ailleurs, le projet d'arrêté prévoit la suppression de la prime à l'efficacité énergétique en vigueur dans le cadre tarifaire actuel.
En conséquence, la CRE exclut la valorisation de la chaleur résiduelle du périmètre de l'analyse de rentabilité, ce qui se traduit par :
• le retraitement de l'assiette d'investissements initiale des coûts liés à la mise en œuvre de cette valorisation ;
• la non-prise en compte des recettes correspondantes.
Coûts d'investissement et dépenses de gros entretien et renouvellement (GER)
Les coûts d'investissement du scénario de référence correspondent à la moyenne des coûts déclarés par la profession sur les trois gammes de puissance considérées, après retraitement des coûts liés à la valorisation de chaleur résiduelle. Ils sont respectivement de l'ordre de 8 500, 6 800 et 4 900 €/kW pour des installations de 80, 300 et 1 000 kW.
Par ailleurs, les installations de méthanisation font l'objet d'un renouvellement d'équipements en cours de contrat matérialisé dans les plans d'affaires par un investissement à mi-contrat estimé au quart de l'investissement initial (3).
Subventions à l'investissement
Les subventions à l'investissement, quoique attribuées à la filière méthanisation de façon très hétérogène et indépendamment de toute question de rentabilité de l'installation qui les sollicite, représentent aujourd'hui en moyenne de 30 à 40 % du coût d'investissement.
Afin de quantifier l'effet des subventions sur la rentabilité des installations, la CRE construit deux variantes du scénario de référence, la première correspondant à une absence totale de subvention, la seconde prenant en compte un niveau de subvention de :
• 40 % de l'investissement initial pour les installations de 80 kW et moins ;
• 30 % pour les autres installations.
Coûts d'exploitation
Outre les coûts des consommables et de maintenance courante, les coûts d'exploitation comportent des coûts de main-d'œuvre, évalués à un coût horaire complet de 22 €/h sur la base de :
• 0,3 équivalent temps plein (ETP) pour une installation de 80 kW ;
• 1 ETP pour une installation de 300 kW ;
• 6 ETP pour une installation de 1 000 kW.
Un nombre d'ETP important a été retenu pour les installations territoriales de grande taille. En effet, celles-ci ont besoin de mettre en place une logistique dédiée afin d'agrandir leur rayon de collecte de déchets et peuvent nécessiter d'organiser le déconditionnement de déchets.
Les coûts d'exploitation retenus dans le scénario de référence correspondent aux coûts déclarés par la profession, à l'exception du cas des installations agricoles traitant majoritairement des effluents d'élevage, pour lesquelles le processus de méthanisation produit un digestat. Dans la mesure où les effluents d'élevage, s'ils n'entraient pas dans le méthaniseur, devraient être épandus sur les terres agricoles, aucun surcoût lié à l'épandage du digestat n'a été pris en compte.
Productible
Une installation de méthanisation est susceptible de produire de l'électricité tout au long de l'année à une puissance proche de sa puissance installée à condition toutefois d'en garantir l'approvisionnement régulier et constant en intrants et d'en maîtriser les processus biologique, chimique et physique de transformation. Au regard des premiers retours d'expérience mitigés, essentiellement dus au manque de maturité et de structuration industrielle de la filière, le scénario de référence prend en compte une production électrique de 6 500 heures en équivalent pleine puissance, qui correspond à un fonctionnement de l'installation pendant trois quarts de l'année seulement sur toute sa durée de vie. Par ailleurs, le processus biologique de production du biogaz engendre une montée progressive en puissance de l'installation, dont il est tenu compte la première année par un abattement d'un tiers sur le productible.
Dispositifs fiscaux
La CRE a pris en compte les dispositifs fiscaux suivants : CFE, CVAE, taxe foncière, impôt sur les sociétés ou impôt sur les revenus.
Les unités de méthanisation ayant le statut agricole bénéficient notamment des trois types d'avantages fiscaux suivants :
• exonération de la cotisation foncière des entreprises, en application des dispositions de l'article 1450 du code général des impôts ;
• exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties, en application des dispositions de l'article 60 de la loi de finances n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 ;
• exonération de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), en application du deuxième alinéa du 1 du II de l'article 1586 ter du CGI.
Ces avantages ont un impact sur le calcul du TRI projet en tant qu'ils affectent les charges annuelles d'exploitation.
Prime au traitement des effluents d'élevage
Cette prime est applicable aux installations dont les intrants sont composés d'effluents d'élevage. Au regard des statistiques du parc actuel sous obligation d'achat, confirmées par les déclarations de la profession, la CRE retient un taux d'effluents d'élevage :
• supérieur à 60 % pour les installations agricoles, donnant lieu au versement d'une prime de 40 €/MWh ;
• de 27 % pour les installations territoriales, donnant lieu au versement d'une prime de 18 €/MWh.
Redevance perçue au titre du traitement des déchets (applicable seulement aux installations territoriales)
Les trois sources principales d'intrants sont les cultures énergétiques dédiées (4), les effluents d'élevage et les autres bio-déchets, ces derniers étant issus d'activités diverses comme l'industrie agroalimentaire, le tri sélectif des déchets des ménages, la restauration ou la grande distribution. Pour le traitement de ces déchets, les installations de méthanisation perçoivent des redevances dont la fixation du niveau relève d'une logique de marché et des conditions locales de concurrence qui s'exercent sur ces déchets.
La CRE retient une redevance conservatrice en comparaison des niveaux actuellement constatés pour les installations territoriales de grande taille. Elle souligne que le niveau de cette redevance dépend notamment de l'adéquation du développement de la filière méthanisation au gisement local de déchet.
Recettes perçues au titre de la valorisation du digestat (applicable seulement aux installations agricoles)
La valeur agronomique du digestat produit par les installations agricoles permet de le substituer aux engrais utilisés pour la fertilisation des terres. Le scénario de référence prend en compte, sous forme de coût évité, l'économie d'engrais ainsi réalisée, évaluée aujourd'hui par la profession à 100 €/kW.
Cette valeur est attendue à la hausse, une fois entrées en vigueur les dispositions réglementaires facilitant l'homologation des digestats et leur commercialisation.
3.3. Scénarios d'analyse de sensibilité
3.3.1. Sensibilité aux variations des coûts de production
S'agissant des coûts d'investissement
En l'état actuel du développement de la filière, les dépenses de GER ne peuvent faire l'objet d'aucun retour d'expérience probant. En conséquence, la CRE prend en compte une augmentation de 5 points du taux appliqué à l'enveloppe d'investissements initiale prévu dans le scénario de référence.
S'agissant des coûts d'exploitation
La CRE évalue les effets d'une augmentation de 5 % des coûts de maintenance en exploitation et des coûts de main-d'œuvre, par rapport aux hypothèses du scénario de référence.
3.3.2. Sensibilité aux variations des recettes d'exploitation
S'agissant du productible
Le productible a un impact déterminant sur la rentabilité des installations, en tant qu'il en modifie la production d'électricité et dès lors l'ensemble des autres sources de revenus qui en dépendent directement ou indirectement.
Le scénario de référence est d'ores et déjà le reflet d'un fonctionnement dégradé des installations, conséquence du manque de maturité industrielle de la filière et des difficultés d'organisation dans l'approvisionnement des intrants et dans la mise en œuvre technique du processus de méthanisation.
Dès lors, afin de quantifier l'anticipation d'une amélioration des conditions de fonctionnement par effet d'apprentissage, la CRE a évalué l'impact sur le TRI d'une augmentation de 500 heures de la durée de fonctionnement en équivalent pleine puissance.
S'agissant des recettes complémentaires à la production d'électricité
La CRE examine la situation dans laquelle les revenus complémentaires à la production d'électricité sont divisés par deux par rapport au scénario de référence. Elle donne également les effets sur le TRI d'une augmentation de 10 % de ces revenus.
3.4. Résultats
3.4.1. Installations agricoles
Rentabilité des installations dans les hypothèses du scénario de référence, représentatif des conditions économiques déclarées par la profession
Le tableau suivant présente les rentabilités associées aux tarifs envisagés pour des installations agricoles de 80 et 300 kW avec un taux de subvention de 40 et 30 % (5) respectivement. Les TRI fonds propres sont calculés dans l'hypothèse d'un financement de l'investissement net des subventions, en recourant pour 80 % à l'endettement à un taux d'emprunt de 4 % sur 15 ans.
|Puissance installée (kW)| 80 | 300 | |:----------------------:|:----:|:----:| |TRI projet avant impôts |13,1 %|11,0 %| | TRI fonds propres |26,8 %|19,5 %|
Les rentabilités permises par le tarif d'achat envisagé apparaissent manifestement excessives avec le niveau de subvention dont ont bénéficié ces installations.
Etude de sensibilités
Le graphique ci-après présente la sensibilité du TRI projet aux principaux paramètres technico-économiques présentés au paragraphe 3.3.
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0256 du 04/11/2015, texte nº 57
L'extension de la durée du contrat a un impact de l'ordre de 2 points sur le TRI projet ; compte tenu des niveaux de TRI projet observés, la rentabilité de ces installations resterait excessive si le projet d'arrêté prévoyait la même révision tarifaire sans extension de la durée du contrat. Cette extension, si elle n'est pas compensée par un ajustement du niveau des tarifs, augmente significativement les charges de service public (de l'ordre de 60 % de la hausse des charges de service public, cf. paragraphe 2.3).
Une variation des recettes complémentaires à la production d'électricité, dans la mesure où les installations agricoles ne sont pas concernées par la redevance perçue au titre du traitement des déchets, n'affecte que peu la rentabilité. Une division par deux des revenus tirés de la vente des digestats n'occasionnerait qu'une variation de l'ordre de 1 point du TRI projet, lequel excède encore significativement le taux de référence.
3.4.2. Installations territoriales
Rentabilité des installations dans les hypothèses du scénario de référence, représentatif des conditions économiques déclarées par la profession
Le tableau suivant présente les rentabilités associées aux tarifs envisagés pour une installation de 1 000 kW avec un taux de subvention de 30 % (6). Les TRI fonds propres sont calculés dans l'hypothèse d'un financement de l'investissement net des subventions, recourant pour 80 % à l'endettement avec un taux d'emprunt de 3 % sur 15 ans.
|TRI projet avant impôts|15,3 %| |:---------------------:|:----:| | TRI fonds propres |27,2 %|
Les rentabilités apparaissent manifestement excessives.
Etude de sensibilités
Le graphique ci-après présente la sensibilité du TRI projet aux principaux paramètres technico-économiques présentés au paragraphe 3.3.
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé du
JOnº 0256 du 04/11/2015, texte nº 57
L'extension de la durée du contrat a un impact de l'ordre de 1,5 point sur le TRI projet ; compte tenu des niveaux de TRI projet observés, la rentabilité de ces installations resterait excessive si le projet d'arrêté prévoyait la même révision tarifaire sans extension de la durée du contrat. Cette extension, si elle n'est pas compensée par un ajustement du niveau des tarifs, augmente significativement les charges de service public (de l'ordre de 60 % de la hausse des charges de service public, cf. paragraphe 2.3).
En revanche, la CRE observe une grande sensibilité du taux de rentabilité aux recettes complémentaires à la production d'électricité. Une division par deux de la redevance perçue au titre du traitement des déchets entraînerait une baisse du TRI projet de près de 6 %. Toutefois, compte tenu des niveaux de rentabilité de référence observés, cette baisse ne serait pas de nature à mettre en péril l'équilibre économique de l'installation.
3.4.3. Conclusion
La CRE note que les installations les plus performantes bénéficient d'ores et déjà d'une rémunération confortable du fait du tarif actuel. L'augmentation tarifaire et l'allongement de la durée contractuelle résultant du projet d'arrêté objet du présent avis constituent pour celles-ci un important effet d'aubaine.
Pour les autres installations, la CRE évalue, sur la base de son scénario de référence, que l'application du projet d'arrêté induirait une rentabilité non seulement normale mais excessive, alors même que leurs coûts d'investissement n'ont pas été maîtrisés et que leur exploitation n'a pas été optimisée.
- Autres dispositions
4.1. Suppression de la prime à l'efficacité énergétique
La prime à l'efficacité énergétique prévue par les arrêtés du 19 mai 2011 et du 10 juillet 2006 susvisés est supprimée pour les installations demandant à bénéficier de l'avenant prévu par le présent projet d'arrêté. La CRE est favorable à cette suppression.
En effet, la commercialisation ou l'utilisation de la chaleur fatale produite par une installation de cogénération de biogaz pour couvrir des besoins du producteur présentent un intérêt économique indépendamment de tout dispositif de soutien. De plus, ces investissements ont vocation à être soutenus par le fonds chaleur, dont le gouvernement a annoncé le doublement entre 2015 et 2017.
4.2. Rôle de l'acheteur
Le projet d'arrêté soumis le 24 juillet 2015 laissait au producteur jusqu'au 31 décembre 2015 pour demander à l'acheteur obligé de conclure un avenant.
La CRE note que le présent projet d'arrêté prévoit que l'acheteur a la responsabilité de proposer l'avenant aux installations pouvant en bénéficier avant le 30 septembre 2015, ce qui semble délicat à organiser. Si le ministre chargé de l'énergie retenait cette approche, il conviendrait a minima d'adapter le délai dont dispose l'acheteur obligé à la date de publication de l'arrêté.
- Avis
Compte tenu des délais d'instruction qui lui étaient impartis pour rendre son avis, la CRE n'a pas été en mesure d'analyser l'intégralité des paramètres constitutifs du dispositif ; en particulier, elle s'est fondée sur des informations issues de déclarations émanant des acteurs de la filière méthanisation qu'elle n'a pas été en mesure d'objectiver, faute de réponse satisfaisante à ses demandes de communication de documents de janvier 2014.
Sur la base d'un scénario de référence conservateur et établi sur les données déclarées par les acteurs de la filière, la CRE a réalisé des études de rentabilité lui permettant de statuer sur le caractère excessif de la rémunération résultant de la conclusion de l'avenant prévu par le projet d'arrêté objet du présent avis - celui-ci prévoyant une revalorisation tarifaire et une extension de 5 ans de la durée du contrat. Il en ressort que :
• les installations agricoles de 80 kW et 300 kW dégagent des rentabilités excessives, les TRI projet atteignant respectivement 13 % et 11 % dans le scénario de référence ;
• les installations territoriales de 1 000 kW dégagent également des rentabilités excessives, les TRI projet atteignant 15 % dans le scénario de référence.
L'augmentation totale des charges de service public qui résulterait de la mise en œuvre de ce projet d'arrêté, dans ses deux composantes, sur la période 2015-2034 est de l'ordre de 500 M€.
Même sans augmentation de la durée du contrat de 5 ans, en présence d'une revalorisation tarifaire importante, les installations dégageraient des rentabilités excessives. Cette extension de la durée du contrat d'achat représente de 1,5 à 2 points de TRI et fera croître les charges de service public cumulée entre 2022 et 2034 de 300 M€, représentant ainsi 60 % des charges de CSPE résultant de l'exécution de ce projet d'arrêté.
L'augmentation tarifaire proposée combinée à l'allongement de la durée des contrats engendrerait une rémunération excessive des installations concernées. Au surplus, la revalorisation envisagée bénéficie à des installations existantes ; or le tarif actuel permet déjà de dégager des rentabilités confortables pour les installations performantes.
Eu égard aux développements qui précèdent, la CRE émet un avis défavorable sur le projet d'arrêté qui lui est soumis.
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