JORF n°0025 du 30 janvier 2011

Délibération du 29 décembre 2010

Participaient à la séance : M. Philippe de LADOUCETTE, président, M. Michel THIOLLIÈRE, vice-président, M. Jean-Christophe LE DUIGOU, M. Emmanuel RODRIGUEZ et Mme Marie-Solange TISSIER, commissaires.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie, le 24 novembre 2010, par la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, d'un projet d'arrêté fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant, à titre principal, l'énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d'origine végétale ou animale, telles que visées au 4° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000.
Le projet d'arrêté vise à diminuer de 3,6 % les tarifs d'achat actuellement en vigueur et à étendre le bénéfice de la prime complémentaire, jusqu'ici réservée aux projets de plus de 5 MW, aux installations de plus de 1 MW destinées à alimenter en chaleur des entreprises de scierie.

  1. Analyse de rentabilité pour les projets de plus de 5 MW
    1.1. Rappel du dispositif tarifaire en vigueur

Le tarif d'achat fixé par l'arrêté tarifaire du 28 décembre 2009 se décompose en un tarif de référence (T), fixé à 4,5 c€/kWh, et une prime complémentaire (X) variant de 8 à 13 c€/kWh en fonction de l'efficacité énergétique de l'installation. Le bénéfice de la prime complémentaire est réservé aux installations d'une puissance comprise entre 5 et 12 MWe dont l'efficacité énergétique est supérieure à 50 % et dont la part de biomasse forestière dans l'approvisionnement total en biomasse d'origine sylvicole dépasse 50 %.
Dans son avis du 26 novembre 2009 (1), la CRE indique que les niveaux tarifaires en vigueur permettent d'obtenir des rentabilités incitatives, sans être excessives, pour la majorité des installations de cogénération biomasse bénéficiant de la prime X. Seules celles présentant une efficacité énergétique supérieure à 70 % paraissaient bénéficier d'une rentabilité trop élevée.

(1) Délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 26 novembre 2009 portant avis sur le projet d'arrêté fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant, à titre principal, l'énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d'origine végétale ou animale telles que visées au 4° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000.

1.2. La baisse de 3,6 % des tarifs d'achat proposée induit une diminution des rentabilités des projets de plus de 5 MW
qui restent cependant incitatives

Le projet d'arrêté soumis à la CRE prévoit une diminution de 3,6 % du tarif de référence et de la prime complémentaire en vigueur.
L'analyse de rentabilité des tarifs proposés se fonde sur la comparaison du taux de rentabilité interne du capital investi (TRI projet) après impôts avec le coût moyen pondéré du capital, estimé à 5,1 % pour ce type de projet.
Les hypothèses de calcul utilisées dans le cadre de l'avis du 26 novembre 2009 précité ont été reprises et actualisées pour tenir compte des évolutions des coûts de production au cours de l'année 2010. Ainsi, la principale modification porte sur les prix de la ressource mobilisée en biomasse, qui ont connu une augmentation au cours de l'année 2010 (2). S'agissant des coûts d'investissement, aucune donnée à la disposition de la CRE ne permet d'établir une évolution à la baisse au cours de l'année 2010. Les hypothèses sont donc identiques à celles déterminées en novembre 2009 à partir des données collectées auprès d'industriels.
Le tableau suivant indique le niveau moyen de rentabilité induit par les tarifs proposés pour un projet de référence de plus de 5 MW bénéficiant de la prime X, ainsi que ses variations en fonction des principaux paramètres susceptibles d'évoluer d'un projet à l'autre (coût du combustible, efficacité énergétique, coût d'investissement).

(2) L'évolution des prix moyens des principaux types de bois-énergie mobilisés a été déterminée à partir des prix et indices nationaux bois-énergie publiés trimestriellement par le Centre d'étude de l'économie du bois (CEEB).

Tableau 1 : TRI projet moyen d'une installation bénéficiant de la prime complémentaire X
et sensibilité aux principaux paramètres influençant la rentabilité des projets

Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 25 du 30/01/2011 texte numéro 20

(3) Pouvoir calorifique inférieur de la biomasse mobilisée.

Les niveaux de rentabilité induits par les tarifs proposés dépendent fortement de l'efficacité énergétique des installations (notée V ci-dessous). En fonction de ce critère, trois catégories de rentabilité peuvent être identifiées :
50 % ¸ V ¸ 65 % : seules les installations aux coûts d'approvisionnement les plus faibles et aux coûts d'investissement les mieux maitrisés sont susceptibles d'atteindre des niveaux de rentabilité satisfaisants, c'est-à-dire comparables au coût moyen pondéré du capital cible ;
65 % ¸ V ¸ 80 % : les projets types, c'est-à-dire correspondant aux hypothèses faites dans le scénario de référence, bénéficient de rentabilités normales (entre 5,5 et 8 % de TRI projet) ;
V ¹ 80 % : les tarifs permettent à l'ensemble des projets d'atteindre des niveaux de rentabilité normaux. Les rentabilités maximales induites restent inférieures à 10 %.
En conclusion, l'analyse des TRI projet montre que les tarifs proposés sont appropriés : ils induisent des rentabilités normales, sans être excessives, pour les projets aux coûts les mieux maitrisés et à ceux présentant des efficacités énergétiques supérieures à 65 %.
Cette structure tarifaire, peu incitative pour des efficacités énergétiques faibles, est en cohérence avec la directive 2009/28/CE qui prévoit que « dans le cas de la biomasse, les Etats membres encouragent les technologies de conversion présentant un rendement de conversion [...] d'au moins 70 % pour les applications industrielles. »

  1. Cas des projets de 1 à 5 MW destinés à alimenter
    en chaleur des entreprises de scierie
    2.1. Le tarif applicable paraît adéquat

Le projet d'arrêté prévoit d'accorder une dérogation aux conditions d'attribution de la prime X aux installations exploitées par une entreprise référencée sous le code NAF 1610A (sciage et rabotage du bois) dont l'énergie thermique est exclusivement valorisée pour le séchage et autres traitements thermiques de la production de cette même entreprise. Pour ces installations, le seuil serait abaissé à 1 MW, au lieu de 5 MW dans le cas général.
Les installations visées par cette dérogation présentent, du fait d'une puissance installée réduite, des coûts d'investissement supérieurs aux hypothèses de référence retenues au paragraphe 1. En revanche, elles bénéficient de conditions d'approvisionnement plus favorables en raison de la disponibilité sur place de produits connexes de scierie. L'écart de coût d'approvisionnement est évalué à environ 3 € par MWh de biomasse mobilisée.
Au final, les niveaux de rentabilité obtenus sont comparables à ceux des projets de plus de 5 MW bénéficiant de la prime complémentaire X. Ainsi, seules les installations d'une efficacité énergétique supérieure à 65 % pourront bénéficier d'un tarif incitatif. A titre indicatif, le temps de retour brut sur investissement pour un projet de 1,5 MW présentant une efficacité énergétique de 65 % est estimé à douze années.

2.2. Les risques de conflit d'usage liés à ce tarif sont à analyser

La filière biomasse présente une difficulté singulière liée aux nombreux usages des produits employés comme combustibles. Une partie d'entre eux peut également servir à l'alimentation humaine ou animale, comme matière première non substituable dans certaines industries de transformation telles que la fabrication de pâte à papier ou de panneaux, ou trouver des débouchés plus pertinents dans d'autres secteurs énergétiques (chauffage individuel et collectif, biocarburants...).
A ce jour, le développement de la filière biomasse en France destinée à la production d'électricité résulte principalement de la mise en œuvre des appels d'offres prévus à l'article 8 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000. La procédure d'appel d'offres peut permettre un contrôle effectif par la puissance publique des quantités de biomasse mobilisées, par zone géographique, et des risques de conflit d'usage.
Les conditions d'éligibilité à la prime complémentaire X fixées dans l'arrêté tarifaire en vigueur permettent, dans une moindre mesure, de limiter les conflits d'usage dans la mobilisation de la ressource. En effet, près de 50 % de la biomasse d'origine sylvicole mobilisée doit provenir directement de la forêt. Cependant, le reste de l'approvisionnement peut être fait à partir de ressources utilisées par d'autres industries.
Dans le cas d'installations de 1 à 5 MW destinées à alimenter en vapeur des entreprises de scierie pour leurs besoins de séchage, la majorité de l'approvisionnement devrait se faire à partir de produits connexes de scierie, dont une grande partie est à l'heure actuelle valorisée par l'industrie de la trituration (dosses, délignures, sciure).
En conclusion, la dérogation accordée aux installations de 1 à 5 MW destinées à alimenter en chaleur les entreprises de scierie pourrait engendrer de forts conflits d'usage sur la mobilisation de produits connexes de scierie. La CRE attire l'attention du législateur sur la nécessité d'évaluer les impacts de cette dérogation sur les conditions d'approvisionnement d'autres filières industrielles soumises à une compétition internationale. A défaut, il conviendra de constater a posteriori les conséquences de ces mesures.

  1. Opportunité d'adopter un tarif hiver-été

Contrairement à la structure tarifaire définie dans l'arrêté abrogé du 16 avril 2002 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant, à titre principal, l'énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d'origine végétale, le tarif de référence envisagé n'est pas modulé par des critères de disponibilité ou de puissance garantie. Or, les centrales électriques utilisant la biomasse ont l'avantage, par rapport à d'autres filières de production, de présenter une capacité de modulation de puissance en fonction des besoins. Dès lors, il semble pertinent d'inciter à une production maximale pendant les périodes où la consommation est la plus élevée.
Par conséquent, la CRE recommande de réintroduire une exigence de disponibilité en hiver et un malus qui s'imputerait en diminution du tarif de référence en cas de non-respect de cette exigence.

  1. La structure tarifaire proposée ne modifie que peu les prévisions de charges
    de service public due au développement de la filière

La programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité en vigueur prévoit l'installation de 2 300 MW d'installations de production d'électricité à partir de biomasse entre la fin de l'année 2009 et l'année 2020. Selon le plan d'action national en faveur des énergies renouvelables fixé pour la période 2009-2020, 500 MW d'installations valorisant du biogaz pourraient participer à cet objectif. En supposant que 800 MW de centrales biomasse seront développées dans le cadre d'appels d'offres, 1 100 MW d'installations biomasse solide sous obligation d'achat pourraient être construites d'ici à 2020.
Sur cette base, les charges annuelles de service public à l'horizon 2020 induites par le projet d'arrêté seraient comprises entre 250 et 800 M€.

Tableau 2 : estimation des charges annuelles de service induites
par le projet d'arrêté en fonction des prix de marché

|PRIX DE MARCHÉ (coût évité)
(€/MWh)|CHARGES ANNUELLES À COMPTER DE 2020
(7,7 TWh en obligation d'achat)| |-----------------------------------------|-------------------------------------------------------------------------| | 50 | 600-800 M€/an | | 75 | 400-600 M€/an | | 100 | 250-400 M€/an |

Avis de la CRE
Rentabilité des projets de plus de 5 MW

La baisse de 3,6 % des tarifs d'achat proposée induit une diminution des rentabilités des projets de plus de 5 MW sous obligation d'achat. Cependant, les tarifs proposés paraissent appropriés : ils induisent des rentabilités normales, sans être excessives, pour les projets aux coûts les mieux maitrisés et ceux présentant des efficacités énergétiques supérieures à 65 %.

Cas des projets sur le site de scieries

Le tarif applicable aux projets de 1 à 5 MW destinés à alimenter en chaleur des entreprises de scierie, composé du tarif de référence et de la prime complémentaire, induit des niveaux de rentabilité comparables à ceux des projets de plus de 5 MW bénéficiant de la prime complémentaire X. En effet, les installations visées par cette dérogation qui présentent, du fait d'une puissance installée réduite, des coûts d'investissement unitaires élevés, bénéficient également de conditions d'approvisionnement plus favorables en raison de la disponibilité sur place de produits connexes de scierie.
Cependant, la majorité de l'approvisionnement de ces installations devrait provenir de produits connexes de scierie, dont une grande partie est à l'heure actuelle valorisée par l'industrie de la trituration (dosses, délignures, sciure). La CRE attire l'attention du législateur sur la nécessité d'évaluer les impacts de la dérogation accordée sur les conditions d'approvisionnement d'autres filières industrielles soumises à une compétition internationale. A défaut, il conviendra de constater les conséquences de ces mesures.

Opportunité d'adopter un tarif hiver-été

Les centrales électriques utilisant la biomasse ont l'avantage, par rapport à d'autres filières de production, de présenter une capacité de modulation de puissance en fonction des besoins. Dès lors, il semble pertinent d'inciter à une production maximale pendant les périodes où la consommation est la plus élevée.
Par conséquent, la CRE recommande de réintroduire une exigence de disponibilité en hiver et un malus qui s'imputerait en diminution du tarif de référence en cas de non-respect de cette exigence.

Charges de service public

Sur la base d'une augmentation de capacité de 1 100 MW d'ici à 2020, des installations de cogénération biomasse bénéficiant de l'obligation d'achat, les charges annuelles de service public à l'horizon 2020 induites par le projet d'arrêté seraient comprises entre 250 et 800 M€ en fonction des prix de marché.
Fait à Paris, le 29 décembre 2010.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

P. de Ladoucette