JORF n°0251 du 29 octobre 2014

Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN-BELVAL, Catherine EDWIGE, Hélène GASSIN, Jean-Pierre SOTURA et Michel THIOLLIERE, commissaires.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie, pour avis, le 16 juillet 2014, d'un projet de décret modifiant le décret n° 2009-975 du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité. Une nouvelle saisine a été adressée à la CRE le 11 septembre 2014 par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, présentant un projet de décret amendé.
Le projet de décret transmis à la CRE prévoit la mise en place, dès le prochain mouvement tarifaire, de la construction tarifaire prévue par l'article L. 337-6 qui dispose que « dans un délai s'achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont progressivement établis en tenant compte de l'addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale ».
Concomitamment, la CRE a été saisie en juillet d'un projet d'arrêté abrogeant les dispositions de l'arrêté du 26 juillet 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité, qui prévoyaient une hausse de 5 % des tarifs réglementés de vente bleus, afin, comme il est précisé dans la saisine des ministres, « de ne pas préempter les résultats de cette refondation de la construction des tarifs réglementés ». La CRE a pris acte de cette décision dans son avis du 17 juillet 2014 en rappelant toutefois « qu'afin de respecter le principe d'un réexamen annuel des tarifs réglementés de vente, prévu par le décret n° 2009-975 du 12 août 2009, les tarifs devront faire l'objet d'une révision par arrêté d'ici à la fin de l'année 2014 au plus tard ». Cet arrêté a été adopté le 28 juillet 2014.

  1. Le projet de décret a pour objet de modifier la méthodologie d'élaboration du niveau des tarifs réglementés de vente, qui repose aujourd'hui sur la couverture des coûts d'EDF
    1.1. Contexte législatif et réglementaire

L'article L. 337-5 du code de l'énergie dispose que « les tarifs réglementés de vente de l'électricité sont définis en fonction des catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures ».
L'article 3 du décret n° 2009-975 du 12 août 2009 pris pour l'application de ces dispositions législatives prévoit que les tarifs réglementés de vente sont établis de manière à couvrir les coûts de production, les coûts d'approvisionnement, les coûts d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution et les coûts de commercialisation que supportent EDF et les distributeurs non nationalisés pour fournir leurs clients, ainsi qu'une marge raisonnable (1).
L'article L. 337-6 du code de l'énergie prévoit que « dans un délai s'achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont progressivement établis en tenant compte de l'addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale ».
L'article L. 337-4 du code de l'énergie dispose que : « Pendant une période transitoire s'achevant le 7 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont arrêtés par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie, après avis de la Commission de régulation de l'énergie ». A l'expiration de cette période, les tarifs seront adoptés sur proposition de la CRE.
Dans le cadre du dispositif tarifaire actuellement en vigueur, la CRE, pour rendre ses avis, analyse les tarifs en vérifiant qu'ils couvrent les coûts comptables de fourniture d'EDF - en y intégrant une rémunération des capitaux. Elle évalue ces coûts comptables selon la méthodologie qu'elle a décrite dans ses avis successifs et dans l'analyse des coûts de production et de commercialisation d'EDF dans le cadre des tarifs réglementés de vente qu'elle a publiée en juin 2013 (ci-après le « Rapport 2013 »).
Le présent avis est transmis aux ministres chargés de l'énergie et de l'économie, en même temps qu'un rapport sur les tarifs réglementés de vente (ci-après le « Rapport 2014 »), qui constitue une mise à jour de l'étude de 2013, et qui propose une méthodologie de tarification par empilement des briques de coûts prévues par le code de l'énergie.

1.2. Objet du projet de décret

Le projet de décret soumis à la CRE pour avis a pour objet de mettre en œuvre, en application de l'article L. 337-6 du code de l'énergie, l'établissement des tarifs réglementés de vente d'électricité par « empilement des coûts », en définissant les règles qui seront applicables à compter du prochain mouvement tarifaire.

1.3. Contenu du projet de décret

Le projet de décret prévoit que les tarifs seront désormais établis comme l'addition :

- du coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire en fonction du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) applicable à la date d'entrée en vigueur des arrêtés tarifaires à venir ;
- du coût du complément d'approvisionnement calculé à partir des prix de marché à terme constatés ;
- du coût de la garantie de capacité, qui est considéré comme nul jusqu'à la première année de livraison du mécanisme d'obligation de capacité ;
- des coûts d'acheminement de l'électricité déterminés en fonction des tarifs d'utilisation des réseaux publics applicables à la date d'entrée en vigueur des arrêtés tarifaires à venir ;
- des coûts de commercialisation représentatifs de ceux d'un fournisseur d'électricité, tenant compte des coûts d'EDF ;
- d'une rémunération normale de l'activité de fourniture.

  1. Les tarifs réglementés de vente par empilement doivent être construits de façon à articuler leur contestabilité par les fournisseurs alternatifs et la prise en compte des coûts de l'opérateur historique
    2.1. Cadre juridique

Le code de l'énergie ne précise pas la façon dont s'articulent les dispositions de l'article L. 337-5, selon lesquelles les tarifs sont définis « en fonction des coûts liés [aux] fournitures », c'est-à-dire des coûts des opérateurs historiques, et celles de l'article L. 337-6, qui définissent une nouvelle méthode d'établissement des tarifs réglementés par empilement des coûts.
Dans sa décision du 24 avril 2013 (Société Poweo, n° 342252), le Conseil d'Etat a précisé les modalités de cette articulation pendant la période transitoire précédant la mise en œuvre des tarifs par empilement des coûts : « il résulte des termes mêmes de l'article L. 337-6 du code de l'énergie, précités, éclairés par les travaux préparatoires à la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, que le législateur a entendu organiser, sur une période transitoire de cinq ans s'achevant le 31 décembre 2015, une convergence tarifaire propre à résorber l'écart structurel existant, pour des raisons historiques qui tiennent à l'économie générale du marché de l'électricité en France, entre le niveau des tarifs réglementés de l'électricité et les coûts de fourniture de l'électricité distribuée à un tarif de marché ; qu'à cette fin la loi a notamment prévu, dans la structure des tarifs réglementés, la prise en compte du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, dans le but de rendre moins favorable la position dominante d'EDF, qui s'explique notamment par l'ancienneté de son installation, ainsi que par la stabilité et le coût avantageux de ses principales sources d'approvisionnement ; qu'ainsi les ministres compétents pour fixer les tarifs réglementés de vente de l'électricité doivent veiller, tout en respectant les critères définis au point 5 ci-dessus, à ce que les tarifs qu'ils arrêtent soient de nature à assurer, compte tenu des informations disponibles à la date de leur décision, la convergence voulue par le législateur. »
La CRE s'est attachée dans ses avis sur les tarifs réglementés de vente :

- d'une part, à vérifier que ces tarifs couvraient les coûts comptables d'EDF ;
- d'autre part, à évaluer le niveau de contestabilité des tarifs réglementés de vente par les fournisseurs alternatifs, et à veiller à son amélioration progressive.

Ni les textes ni la jurisprudence n'indiquent en revanche la façon dont devront s'articuler les dispositions des articles L. 337-5 et L. 337-6 à compter de l'entrée en vigueur de la méthode de construction des tarifs par empilement des coûts. Cette dernière se substitue-t-elle complètement à la définition des tarifs « en fonction » des coûts de l'opérateur historique, ou les deux approches sont-elles cumulatives ? Dans ce dernier cas, quelle est la portée de l'obligation d'établir les tarifs « en fonction » des coûts d'EDF ?
L'article 41 du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte comporte des dispositions visant à résoudre cette difficulté, en supprimant la référence aux coûts de l'opérateur historique à l'article L. 337-5, en la remplaçant par un renvoi aux coûts « mentionnés à l'article L. 337-6 ». Ces modifications constituent selon l'exposé des motifs du projet de loi « des ajustements rédactionnels tenant compte de l'achèvement de la période de transition prévue par la loi NOME et précise que le calcul du complément d'approvisionnement, dont les modalités de calcul seront fixées par décret, tient compte des prix de marché de l'électricité ».
La mise en œuvre du nouveau dispositif d'établissement des tarifs doit en outre être conforme au droit de la concurrence.
Comme l'a rappelé le rapporteur public Frédéric Aladjidi dans ses conclusions sous la décision Poweo du Conseil d'Etat précitée, la méthodologie de construction des tarifs par empilement devra être appréciée en déterminant « si le “coût du complément” et les “coûts de commercialisation”, qui sont les seuls postes avec la “rémunération normale”, pour lesquels il peut y avoir une différence entre EDF et ses concurrents, sont fixés à un niveau tel qu'ils préservent des marges suffisantes à ces derniers pour leur permettre d'opérer sans perte et si tel est le cas, ce qui est l'objectif recherché, ils ne pourront être regardés comme conduisant nécessairement EDF à exploiter de façon abusive sa position dominante ».

2.2. Les briques de la construction des tarifs par empilement

En prévoyant une construction des tarifs réglementés de vente par empilement, le législateur a entendu assurer la contestabilité des tarifs par les fournisseurs alternatifs.
Le niveau des tarifs réglementés établis à partir de la méthodologie présentée dans le projet de décret doit en particulier être représentatif des conditions de fourniture des fournisseurs alternatifs, aussi bien en ce qui concerne la part énergie que les coûts commerciaux, et préserver des marges suffisantes pour permettre à un fournisseur alternatif au moins aussi efficace qu'EDF d'opérer sans pertes.

2.2.1. Le complément de fourniture d'électricité doit être évalué à partir des prix du marché de gros

L'article L. 337-6 du code de l'énergie ne définit pas la nature « du coût du complément à la fourniture d'électricité ».
Le projet de décret dispose à l'article 3 que « Le coût du complément d'approvisionnement au marché est calculé en fonction des caractéristiques moyennes de consommation et des prix de marché à terme constatés. Jusqu'à la première année de livraison du mécanisme d'obligation de capacité mentionnée au décret du 14 décembre 2012 susvisé, le coût de la garantie de capacité est considéré comme nul ».
Les fournisseurs alternatifs s'approvisionnent, dans le cas général, par l'intermédiaire de l'ARENH et du marché de gros de l'électricité.
La CRE considère qu'il est pertinent, dans ce cadre, que le complément à la fourniture d'électricité « ARENH » soit évalué à partir des prix des marchés de gros, comme le prévoit le projet de décret, ce qui permet d'être représentatif des conditions d'approvisionnement des fournisseurs alternatifs. La CRE estime qu'en l'absence de dispositions législatives explicites en ce sens cette interprétation découle de l'objet de la loi.
Dans son rapport d'avril 2009, la Commission sur l'organisation du marché de l'électricité présidée par Paul Champsaur retient d'ailleurs, comme référence, « les prix de marché pour le reste de l'approvisionnement ».
Par ailleurs, parmi les ajustements rédactionnels opérés par l'article 41 du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte figure une précision en ce sens, qui remplacerait à l'article L. 337-6 les mots : « du coût du complément à la fourniture d'électricité » par : « du coût du complément d'approvisionnement au prix de marché ».

2.2.2. Les coûts commerciaux à considérer doivent couvrir les coûts d'un fournisseur alternatif « au moins aussi efficace » que le fournisseur historique

Le II de l'article 3 du projet de décret dispose que « les coûts de commercialisation correspondent aux coûts de commercialisation d'un fournisseur d'électricité, établis en tenant compte des coûts supportés par Electricité de France pour fournir les clients ayant souscrit aux tarifs réglementés de vente de l'électricité. ».
Ces dispositions posent deux critères de détermination des coûts commerciaux :
(i) D'une part, ils « correspondent aux coûts de commercialisation d'un fournisseur d'électricité » ;
(ii) D'autre part, ils sont établis en tenant compte des coûts supportés par EDF pour fournir les clients au tarif.
Les termes du décret établissent avec le premier critère un lien plus ferme (« correspondent ») qu'avec le second (« en tenant compte »).
Ces critères doivent également être appréciés en considération des dispositions du code de l'énergie, de leur objet et des exigences du droit de la concurrence :
(i) Si l'article L. 337-6 ne précise pas à quels coûts commerciaux il fait référence (ceux d'EDF ou des fournisseurs alternatifs), il ressort, notamment de l'objet de la loi, éclairé par la décision précitée du Conseil d'Etat et par les conclusions du rapporteur public, que le tarif doit couvrir « les coûts de fourniture de l'électricité distribuée à un tarif de marché ». Le « coût du complément », les « coûts de commercialisation », et la « rémunération normale », doivent être fixés à un niveau tel qu'ils préservent des marges suffisantes aux fournisseurs alternatifs pour leur permettre d'opérer sans perte. Dès lors que le « coût du complément » visé par le projet de décret reflète le coût d'approvisionnement des fournisseurs alternatifs - et en faisant l'hypothèse que ceux-ci continuent de s'approvisionner à l'ARENH - l'ajustement repose sur les deux derniers termes de la construction tarifaire : les coûts de commercialisation et la rémunération ;
(ii) Le second critère reprend le principe posé par l'article L. 337-5 - dans sa rédaction actuelle selon laquelle les tarifs sont définis « en fonction des coûts » de l'opérateur historique - en ne l'appliquant expressément qu'aux coûts commerciaux. Ce critère doit en outre être interprété au regard du droit de la concurrence, selon lequel, s'agissant d'une pratique tarifaire aboutissant à une compression de marge, il convient de prendre en compte les coûts de l'opérateur historique, pour déterminer si un fournisseur « au moins aussi efficace » que le fournisseur historique - c'est-à-dire ayant la même structure de coût en aval que l'opérateur historique - serait en mesure d'offrir ses services sans enregistrer de pertes (TPICE, T-336-07, 29 mars 2012, Telefonica SA, § 190 et suivants).
Ainsi, les modalités de détermination des coûts commerciaux retenus dans les tarifs réglementés par empilement devront être définies par voie réglementaire (soit en précisant les dispositions du décret, soit dans un arrêté précisant la méthodologie employée), (i) en reflétant les coûts des fournisseurs alternatifs et (ii) de façon à ce que la marge résiduelle résultant du tarif couvre les coûts d'un fournisseur « au moins aussi efficace » que le fournisseur historique. Les modalités d'application de ce critère au domaine de la fourniture d'électricité restent à préciser.
La CRE a réalisé un examen des coûts commerciaux des fournisseurs alternatifs dans le cadre de son Rapport 2014. Il en ressort des niveaux variés et supérieurs à ceux de l'opérateur historique EDF pour ce qui est des tarifs bleus et inférieurs en ce qui concerne les tarifs verts. Aucune donnée n'est disponible sur le segment des clients au tarif jaune pour lequel l'ouverture à la concurrence est actuellement quasi inexistante.
Cette diversité soulève des questions méthodologiques sur les critères pertinents pour fixer la composante de coûts commerciaux du tarif à un niveau qui reflète les coûts des opérateurs alternatifs tout en couvrant les coûts d'un opérateur au moins aussi efficace qu'EDF.

2.3. Le critère de « rémunération normale » peut s'appliquer aussi bien à l'opérateur historique qu'aux opérateurs alternatifs

Le projet de décret, comme l'article L. 337-6 du code de l'énergie, prévoit que le dernier terme de l'empilement est « une rémunération normale de l'activité de fourniture », sans préciser s'il vise la rémunération des fournisseurs alternatifs ou celle de l'opérateur historique.
Ce critère doit notamment être interprété d'une façon compatible avec les exigences du droit de la concurrence.

2.3.1. S'agissant des fournisseurs alternatifs

Comme rappelé ci-dessus, le droit de la concurrence conduit à vérifier que les tarifs réglementés de vente sont fixés à un niveau tel qu'ils permettent, compte tenu du prix des prestations intermédiaires, à un concurrent « au moins aussi efficace » que l'opérateur historique, c'est-à-dire ayant la même structure de coûts commerciaux, de préserver une marge résiduelle suffisante pour lui permettre d'opérer sur le marché sans perte.
En outre, le critère de « contestabilité » implique que le tarif couvre l'ensemble des coûts de fourniture en offre de marché d'un opérateur alternatif, y compris ses coûts commerciaux.
Au-delà de la stricte couverture de ces coûts, le tarif doit être fixé à un niveau qui permette aux fournisseurs alternatifs de continuer à opérer sur le marché, notamment de financer leur activité. Le critère de « rémunération normale » doit tenir compte de ce paramètre.

2.3.2. S'agissant de l'opérateur historique

Comme on l'a relevé plus haut (cf. paragraphe 2.1), ni les textes ni la jurisprudence n'indiquent la façon dont devront s'articuler les dispositions des articles L. 337-5 et L. 337-6 à compter de l'entrée en vigueur de la méthode de construction des tarifs par empilement des coûts, et si celle-ci se substitue à la définition des tarifs « en fonction » des coûts de l'opérateur historique, ou si les deux approches sont cumulatives.
La rédaction du décret semble reposer sur la première hypothèse, sauf en ce qui concerne les coûts commerciaux, pour lesquels les deux approches sont expressément combinées.
Si le critère de « rémunération normale de l'activité de fourniture » était interprété comme visant non seulement les fournisseurs alternatifs mais aussi EDF, il s'agirait, avec les coûts commerciaux, du second terme de l'empilement des coûts, qui devrait être défini en fonction des coûts du fournisseur historique.
Au-delà de ces deux briques de l'empilement, la nouvelle méthode de construction tarifaire pose la question de la couverture globale des coûts de l'opérateur historique.
Le niveau des prix de l'électricité sur les marchés de gros qui existait au moment de l'élaboration de la loi NOME du 7 décembre 2010 conduisait à supposer que l'empilement des coûts aboutirait à un tarif supérieur à celui qui résultait de la couverture des coûts comptables d'EDF.
Or, dans diverses hypothèses, notamment celle de prix de marché particulièrement bas, la méthode de l'empilement des coûts pourrait ne pas assurer la couverture des coûts comptables « secs » d'EDF, c'est-à-dire hors toute rémunération des capitaux engagés dans l'activité de production.
Une telle situation ne serait pas conforme aux dispositions de l'article L. 337-5, à supposer qu'elles continuent à s'appliquer après l'entrée en vigueur de la construction des tarifs par empilement.

2.3.3. Capitaux et risques rémunérés par la marge commerciale

La rémunération normale mentionnée dans le code de l'énergie ainsi qu'à l'article 3 du projet de décret doit s'entendre comme une marge portant sur l'activité de commercialisation uniquement. La brique « approvisionnement » de l'empilement tarifaire porte déjà implicitement une rémunération de l'activité de production par le biais du prix de l'ARENH et des prix de gros. La brique « acheminement » porte quant à elle déjà implicitement une rémunération de l'activité de réseaux par le biais du TURPE.
Cette marge commerciale doit permettre :

- de rémunérer les risques associés à l'activité de fourniture qui ne sont pas couverts par l'intermédiaire d'autres briques de coûts. Par exemple, les risques de portefeuille, qui dépendent de la stratégie commerciale des fournisseurs et qui ne sont pas pris en compte dans la méthode établie par la CRE dans son Rapport 2014 au sein de la brique « approvisionnement » peuvent être pris en compte ici ;
- de couvrir les besoins en fonds de roulement générés par l'activité de commercialisation ;
- de rémunérer, le cas échéant, le capital engagé dans l'activité de commercialisation. La quantité de capital engagé sera déterminée à l'issue des analyses détaillées qui devront être menées, comme l'indique la CRE dans son Rapport 2014.

  1. Le projet de décret prévoit un empilement par couleur tarifaire et une révision des tarifs à chaque évolution du prix de l'ARENH ou du TURPE
    3.1. Le projet de décret prévoit que l'empilement tarifaire est assuré en niveau par catégorie tarifaire correspondant aux couleurs tarifaires bleu, jaune et vert

Le projet de décret, en son article 2, définit des catégories tarifaires « fonction de la tension de raccordement et de la puissance souscrite par le client pour le site concerné ». Ces catégories correspondent aux couleurs tarifaires bleu, jaune et vert. De même, « chaque catégorie tarifaire peut comporter plusieurs options tarifaires pouvant elles-mêmes comporter chacune plusieurs versions ».
Par ailleurs, dans ce même article, il est prévu que « pour les sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères, sont distinguées, en fonction des courbes de charges de référence établies par types de clients, des options ouvertes pour tout site faisant un usage résidentiel de l'électricité et des options ouvertes pour tout site faisant un usage non résidentiel de l'électricité ».
L'article 3-I du projet de décret qui a été soumis à la CRE pour avis prévoit que, pour chaque catégorie tarifaire définie précédemment (bleu, jaune et vert), « le niveau des tarifs réglementés de vente de l'électricité est déterminé comme l'addition du coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément d'approvisionnement, qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture ».
L'évolution de la méthodologie de construction des tarifs réglementés prévue dans le projet de décret doit représenter l'approvisionnement moyen d'un fournisseur alternatif par catégorie tarifaire et assure de ce fait la contestabilité des tarifs réglementés en moyenne pour les clients bleus, pour les clients jaunes et pour les clients verts. Ce point est développé au paragraphe 2.
Néanmoins, si le niveau moyen du tarif est déterminé par catégorie tarifaire, la structure du tarif peut induire, au sein de chaque catégorie, une dispersion des prix pour les clients finals en fonction de leurs caractéristiques spécifiques de consommation. Ainsi, au sein d'une catégorie donnée, si la contestabilité en moyenne est assurée, certains clients peuvent en réalité être contestables et d'autres non, selon les méthodologies de construction de la structure, qui fait l'objet du paragraphe 5 ci-après.
Une contestabilité en moyenne implique qu'environ 50 % des clients sont réellement contestables (dans l'hypothèse où la médiane est proche de la moyenne). Il est nécessaire de se demander si ce niveau de contestabilité est acceptable dans le cadre de l'ouverture des marchés à la concurrence ou s'il nécessiterait une réévaluation.

3.2. Le projet de décret ne prévoit de rattraper ni les écarts entre coûts et recettes constatés au titre des périodes antérieures à l'entrée en vigueur du nouveau dispositif ni les écarts futurs liés aux coûts commerciaux

L'article 4 du projet de décret prévoit que « pour la détermination des tarifs réglementés de vente de l'électricité, seuls sont pris en compte les coûts afférents à la période tarifaire considérée.
Néanmoins, à partir du deuxième mouvement tarifaire pris en application du présent décret modifié dans sa rédaction issue du décret n ° 2014-1250 du 28 octobre 2014, les excédents ou déficits liés à une variation du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ou des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité au cours de la période tarifaire précédente sont ajoutés aux coûts mentionnés à l'article 3 ».

3.2.1. Sur le rattrapage des écarts constatés au titre des années 2012 et 2013

Il n'est pas prévu que les écarts significatifs constatés entre les coûts inhérents aux tarifs réglementés de vente et les recettes générées par ces tarifs au cours des dernières périodes tarifaires soient rattrapés sur de prochains mouvements tarifaires. Seuls seront rattrapés les écarts constatés a posteriori sur les exercices tarifaires à venir.
Dans son Rapport 2014, la CRE a évalué les écarts à 509 M€ au titre de l'année 2012 et 627 M€ au titre de l'année 2013.
Les dispositions du projet de décret ne sauraient avoir pour effet d'écarter l'obligation de rattraper ces écarts. Dans sa rédaction actuellement applicable, le décret du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité prévoit expressément la couverture des coûts de fourniture des fournisseurs historiques.
Même si l'on considère que les dispositions de l'article L. 337-6 du code de l'énergie substituent, à compter de leur entrée en vigueur, une construction tarifaire par empilement à l'obligation de couverture des coûts résultant des dispositions combinées de l'article L. 337-5 et du décret, cette obligation implique que les coûts exposés par l'opérateur historique pour la fourniture au tarif réglementé avant l'entrée en vigueur du nouveau dispositif soient pleinement couverts.
Compte tenu de ces dispositions, éclairées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, la CRE considère que de tels montants devront faire l'objet de rattrapage en masse lors des prochains mouvements tarifaires.
Cette exigence s'impose a fortiori si l'on considère que l'obligation de tenir compte des coûts du fournisseur historique posée par l'article L. 337-5 continue de s'appliquer à compter de l'entrée en vigueur du nouveau dispositif.

3.2.2. Sur le rattrapage des écarts liés aux coûts commerciaux dans le cadre du nouveau dispositif

Parmi les composantes de la construction tarifaire susceptibles de donner lieu à un rattrapage a posteriori des écarts dans le cadre du nouveau dispositif, l'article 4 du projet de décret ne vise pas les coûts commerciaux.
La conformité de ce dispositif avec les dispositions de l'article L. 337-6 du code de l'énergie (qui visent les coûts de commercialisation parmi les composantes de la construction tarifaire, sans établir avec celles-ci de distinction qui permettrait d'écarter a priori la possibilité d'un rattrapage tarifaire) dépendra de la méthode de calcul des coûts commerciaux retenue et des liens qu'elle établira avec les coûts effectifs des opérateurs.

3.3. Le projet de décret prévoit de répercuter sous un mois les variations d'ARENH et de TURPE et de répercuter les excédents ou déficits liés au mois de décalage

Comme indiqué dans le paragraphe précédent, les écarts constatés a posteriori et dus à une variation du prix de l'ARENH ou du TURPE seront répercutés sur les coûts à couvrir par les tarifs réglementés de la période tarifaire suivante.
De même, l'article 5 du projet de décret prévoit que « toute évolution du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ou des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité donne lieu à la modification des tarifs réglementés de vente en vigueur pour prendre en compte cette évolution. L'arrêté correspondant entre en vigueur au plus tard un mois après l'entrée en vigueur de ladite évolution. »
Le rattrapage des écarts sur les prochains exercices tarifaires et les révisions régulières des tarifs réglementés à chaque évolution de prix de l'ARENH et du TURPE devraient permettre d'assurer la contestabilité des tarifs réglementés à toute période de l'année. La CRE est favorable à cette mesure.

  1. La méthodologie d'évaluation des briques de l'empilement tarifaire devra être précisée dans les arrêtés tarifaires à venir
    4.1. La CRE a exposé dans son Rapport 2014 une méthodologie d'évaluation de la part énergie de l'empilement tarifaire

Dans son Rapport 2014, la CRE a évalué la part énergie des tarifs réglementés à partir de la nouvelle méthodologie par empilement des coûts. Les analyses présentées dans ce rapport découlent d'hypothèses détaillées, déterminées par la CRE. Elles ne préjugent pas des décisions réglementaires qui pourraient être prises par la suite.
La méthodologie de calcul de la part énergie, qui intègre l'ARENH, le complément d'approvisionnement au marché et la garantie de capacité, qui sera utilisée pour élaborer les prochains arrêtés fixant les tarifs réglementés de vente de l'électricité doit être rendue publique.
S'agissant du calcul du complément d'approvisionnement au marché, la CRE a développé un modèle mathématique spécifique et choisi une stratégie d'approvisionnement et des hypothèses de prix de marché de référence qui devront faire l'objet d'une spécification réglementaire. Les ministres pourront le cas échéant s'y référer, ou retenir toute autre méthode dès lors qu'elle demeure représentative du coût supporté par les fournisseurs d'électricité pour se procurer leur complément d'approvisionnement sur les marchés de l'électricité.

4.2. Des analyses détaillées devront être menées afin d'établir le niveau des coûts commerciaux et la rémunération à retenir

L'arrêté devra préciser la méthodologie de détermination des coûts commerciaux de référence dans les tarifs réglementés, notamment si ceux-ci sont déterminés à partir des coûts commerciaux des fournisseurs alternatifs.
En parallèle, la CRE demande, dans son Rapport 2014, la réalisation d'une analyse détaillée, des coûts commerciaux d'EDF permettant :

- de porter une appréciation sur le niveau des coûts commerciaux ;
- d'en vérifier les méthodes d'allocation notamment sur les différentes catégories tarifaires.

De la même façon, la CRE considère dans son Rapport 2014 que des analyses détaillées doivent être menées sur les coûts commerciaux de chacun des fournisseurs alternatifs pris en compte dans le calcul des tarifs réglementés. Il s'agira au préalable de définir un périmètre précis des coûts commerciaux à considérer. En particulier, ces analyses devraient permettre :

- de porter une appréciation sur le niveau des coûts commerciaux ;
- d'isoler les coûts des investissements consentis par le fournisseur pour entrer sur le marché (par exemple, concernant la mise en place de systèmes d'information) des coûts d'exploitation ;
- d'isoler les coûts liés à l'acquisition de nouveaux clients ;
- d'isoler les coûts fixes des coûts variables, le cas échéant ;
- d'affecter les coûts à chacune des catégories tarifaires (bleu, jaune, vert) sur lesquelles le fournisseur considéré est présent.

Par ailleurs, les risques inhérents à l'activité de commercialisation, non pris en compte par ailleurs dans d'autres briques de l'empilement tarifaire, devront faire l'objet d'un examen approfondi.
Dans l'attente des résultats de ces analyses, la CRE a retenu des hypothèses de coûts commerciaux, incluant une rémunération normale, qui sont détaillées dans son Rapport 2014.

4.3. Les coûts d'acheminement seront pris en compte selon la même méthodologie que celle appliquée pour les tarifs réglementés passés

Le II de l'article 3 du projet de décret indique que « les coûts d'acheminement de l'électricité sont déterminés en fonction des tarifs d'utilisation des réseaux publics applicables à la date d'entrée en vigueur de l'arrêté mentionné à l'article 5 ».
Cette disposition est identique à la méthode précédente de couverture des coûts d'EDF et n'implique pas d'évolution particulière.
Par ailleurs, la CRE poursuivra son travail de contrôle et de validation des données transmises par EDF relatives à la part acheminement des tarifs réglementés. Ce travail est explicité en détail dans le Rapport 2014.

  1. La CRE considère que les méthodologies de détermination de la structure des tarifs réglementés de vente devront être précisées dans les arrêtés tarifaires et faire l'objet d'une concertation avec l'ensemble des acteurs concernés

Selon le projet de décret actuel, le niveau des tarifs réglementés devra être défini par couleur tarifaire. Le projet de décret prévoit également que « les options et versions tarifaires sont fonction des caractéristiques moyennes de consommation de l'électricité, de l'impact du site de consommation sur le dimensionnement des infrastructures de réseau et du réseau auquel ce site est raccordé ».
Il ne fait cependant pas mention d'évolution de la méthodologie permettant de définir la structure tarifaire sous-jacente qui a vocation à :

- refléter le poids respectif des coûts fixes et des coûts variables, par le rapport entre l'abonnement et la part variable ;
- refléter la relativité des coûts selon les heures de l'année (par les postes horo-saisonniers) ;
- orienter les consommations vers certaines heures de l'année, le cas échéant en envoyant un signal tarifaire allant au-delà du simple reflet de la relativité des coûts.

La CRE revient plus en détail sur certaines méthodologies de détermination de la structure tarifaire dans son Rapport 2014.
Le dernier examen de la structure tarifaire cible date de 2009. Un groupe de travail, composé de la DGEC, la CRE et EDF, avait alors examiné les méthodes possibles d'établissement de la structure tarifaire, dans le cadre législatif et réglementaire alors applicable, soit, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi NOME. Dans sa délibération du 10 août 2009 portant avis sur le projet d'arrêté relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité, la CRE avait livré ses principales conclusions quant aux méthodes de construction de la structure des tarifs.
La CRE considère qu'un nouveau travail de réflexion approfondi impliquant l'ensemble des acteurs du marché est nécessaire afin d'améliorer l'objectivité et la transparence de la construction de la structure des tarifs réglementés dans le cadre de la nouvelle méthodologie de construction des tarifs par empilement des coûts prévue dans le projet de décret.
Dans l'attente des conclusions de ces réflexions, la CRE considère qu'il n'est pas pertinent de procéder à des évolutions en structure des tarifs.
Elle recommande de lancer dès à présent des travaux de concertation, placés sous l'égide des pouvoirs publics, et livre, dans le cadre de son Rapport 2014, quelques premières pistes de réflexion.

  1. Avis de la CRE

La CRE émet un avis favorable sur le projet de décret, assorti toutefois des réserves suivantes.
Elle considère que les écarts entre recettes et coûts constatés sur les années 2012 et 2013, qui sont significatifs, doivent être rattrapés sur les prochains exercices tarifaires.
La CRE recommande en outre que le prochain arrêté tarifaire définisse les méthodologies :

- de calcul de la part énergie et plus précisément du complément d'approvisionnement au marché, s'agissant notamment de la formule d'approvisionnement et des références de prix de marché retenues ;
- de détermination des coûts commerciaux de référence dans les tarifs réglementés, notamment si ceux-ci sont établis à partir des coûts commerciaux des fournisseurs alternatifs ;
- de détermination de la rémunération normale de l'activité de commercialisation prise en compte dans les tarifs réglementés.

La CRE rappelle enfin qu'afin de respecter le principe d'un réexamen annuel des tarifs réglementés de vente, prévu par le décret n° 2009-975 du 12 août 2009, les tarifs devront faire l'objet d'une révision par arrêté au plus tard d'ici à la fin de l'année 2014.


Historique des versions

Version 1

Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN-BELVAL, Catherine EDWIGE, Hélène GASSIN, Jean-Pierre SOTURA et Michel THIOLLIERE, commissaires.

La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie, pour avis, le 16 juillet 2014, d'un projet de décret modifiant le décret n° 2009-975 du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité. Une nouvelle saisine a été adressée à la CRE le 11 septembre 2014 par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, présentant un projet de décret amendé.

Le projet de décret transmis à la CRE prévoit la mise en place, dès le prochain mouvement tarifaire, de la construction tarifaire prévue par l'article L. 337-6 qui dispose que « dans un délai s'achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont progressivement établis en tenant compte de l'addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale ».

Concomitamment, la CRE a été saisie en juillet d'un projet d'arrêté abrogeant les dispositions de l'arrêté du 26 juillet 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité, qui prévoyaient une hausse de 5 % des tarifs réglementés de vente bleus, afin, comme il est précisé dans la saisine des ministres, « de ne pas préempter les résultats de cette refondation de la construction des tarifs réglementés ». La CRE a pris acte de cette décision dans son avis du 17 juillet 2014 en rappelant toutefois « qu'afin de respecter le principe d'un réexamen annuel des tarifs réglementés de vente, prévu par le décret n° 2009-975 du 12 août 2009, les tarifs devront faire l'objet d'une révision par arrêté d'ici à la fin de l'année 2014 au plus tard ». Cet arrêté a été adopté le 28 juillet 2014.

1. Le projet de décret a pour objet de modifier la méthodologie d'élaboration du niveau des tarifs réglementés de vente, qui repose aujourd'hui sur la couverture des coûts d'EDF

1.1. Contexte législatif et réglementaire

L'article L. 337-5 du code de l'énergie dispose que « les tarifs réglementés de vente de l'électricité sont définis en fonction des catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures ».

L'article 3 du décret n° 2009-975 du 12 août 2009 pris pour l'application de ces dispositions législatives prévoit que les tarifs réglementés de vente sont établis de manière à couvrir les coûts de production, les coûts d'approvisionnement, les coûts d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution et les coûts de commercialisation que supportent EDF et les distributeurs non nationalisés pour fournir leurs clients, ainsi qu'une marge raisonnable (1).

L'article L. 337-6 du code de l'énergie prévoit que « dans un délai s'achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont progressivement établis en tenant compte de l'addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale ».

L'article L. 337-4 du code de l'énergie dispose que : « Pendant une période transitoire s'achevant le 7 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont arrêtés par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie, après avis de la Commission de régulation de l'énergie ». A l'expiration de cette période, les tarifs seront adoptés sur proposition de la CRE.

Dans le cadre du dispositif tarifaire actuellement en vigueur, la CRE, pour rendre ses avis, analyse les tarifs en vérifiant qu'ils couvrent les coûts comptables de fourniture d'EDF - en y intégrant une rémunération des capitaux. Elle évalue ces coûts comptables selon la méthodologie qu'elle a décrite dans ses avis successifs et dans l'analyse des coûts de production et de commercialisation d'EDF dans le cadre des tarifs réglementés de vente qu'elle a publiée en juin 2013 (ci-après le « Rapport 2013 »).

Le présent avis est transmis aux ministres chargés de l'énergie et de l'économie, en même temps qu'un rapport sur les tarifs réglementés de vente (ci-après le « Rapport 2014 »), qui constitue une mise à jour de l'étude de 2013, et qui propose une méthodologie de tarification par empilement des briques de coûts prévues par le code de l'énergie.

1.2. Objet du projet de décret

Le projet de décret soumis à la CRE pour avis a pour objet de mettre en œuvre, en application de l'article L. 337-6 du code de l'énergie, l'établissement des tarifs réglementés de vente d'électricité par « empilement des coûts », en définissant les règles qui seront applicables à compter du prochain mouvement tarifaire.

1.3. Contenu du projet de décret

Le projet de décret prévoit que les tarifs seront désormais établis comme l'addition :

- du coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire en fonction du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) applicable à la date d'entrée en vigueur des arrêtés tarifaires à venir ;

- du coût du complément d'approvisionnement calculé à partir des prix de marché à terme constatés ;

- du coût de la garantie de capacité, qui est considéré comme nul jusqu'à la première année de livraison du mécanisme d'obligation de capacité ;

- des coûts d'acheminement de l'électricité déterminés en fonction des tarifs d'utilisation des réseaux publics applicables à la date d'entrée en vigueur des arrêtés tarifaires à venir ;

- des coûts de commercialisation représentatifs de ceux d'un fournisseur d'électricité, tenant compte des coûts d'EDF ;

- d'une rémunération normale de l'activité de fourniture.

2. Les tarifs réglementés de vente par empilement doivent être construits de façon à articuler leur contestabilité par les fournisseurs alternatifs et la prise en compte des coûts de l'opérateur historique

2.1. Cadre juridique

Le code de l'énergie ne précise pas la façon dont s'articulent les dispositions de l'article L. 337-5, selon lesquelles les tarifs sont définis « en fonction des coûts liés [aux] fournitures », c'est-à-dire des coûts des opérateurs historiques, et celles de l'article L. 337-6, qui définissent une nouvelle méthode d'établissement des tarifs réglementés par empilement des coûts.

Dans sa décision du 24 avril 2013 (Société Poweo, n° 342252), le Conseil d'Etat a précisé les modalités de cette articulation pendant la période transitoire précédant la mise en œuvre des tarifs par empilement des coûts : « il résulte des termes mêmes de l'article L. 337-6 du code de l'énergie, précités, éclairés par les travaux préparatoires à la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, que le législateur a entendu organiser, sur une période transitoire de cinq ans s'achevant le 31 décembre 2015, une convergence tarifaire propre à résorber l'écart structurel existant, pour des raisons historiques qui tiennent à l'économie générale du marché de l'électricité en France, entre le niveau des tarifs réglementés de l'électricité et les coûts de fourniture de l'électricité distribuée à un tarif de marché ; qu'à cette fin la loi a notamment prévu, dans la structure des tarifs réglementés, la prise en compte du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, dans le but de rendre moins favorable la position dominante d'EDF, qui s'explique notamment par l'ancienneté de son installation, ainsi que par la stabilité et le coût avantageux de ses principales sources d'approvisionnement ; qu'ainsi les ministres compétents pour fixer les tarifs réglementés de vente de l'électricité doivent veiller, tout en respectant les critères définis au point 5 ci-dessus, à ce que les tarifs qu'ils arrêtent soient de nature à assurer, compte tenu des informations disponibles à la date de leur décision, la convergence voulue par le législateur. »

La CRE s'est attachée dans ses avis sur les tarifs réglementés de vente :

- d'une part, à vérifier que ces tarifs couvraient les coûts comptables d'EDF ;

- d'autre part, à évaluer le niveau de contestabilité des tarifs réglementés de vente par les fournisseurs alternatifs, et à veiller à son amélioration progressive.

Ni les textes ni la jurisprudence n'indiquent en revanche la façon dont devront s'articuler les dispositions des articles L. 337-5 et L. 337-6 à compter de l'entrée en vigueur de la méthode de construction des tarifs par empilement des coûts. Cette dernière se substitue-t-elle complètement à la définition des tarifs « en fonction » des coûts de l'opérateur historique, ou les deux approches sont-elles cumulatives ? Dans ce dernier cas, quelle est la portée de l'obligation d'établir les tarifs « en fonction » des coûts d'EDF ?

L'article 41 du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte comporte des dispositions visant à résoudre cette difficulté, en supprimant la référence aux coûts de l'opérateur historique à l'article L. 337-5, en la remplaçant par un renvoi aux coûts « mentionnés à l'article L. 337-6 ». Ces modifications constituent selon l'exposé des motifs du projet de loi « des ajustements rédactionnels tenant compte de l'achèvement de la période de transition prévue par la loi NOME et précise que le calcul du complément d'approvisionnement, dont les modalités de calcul seront fixées par décret, tient compte des prix de marché de l'électricité ».

La mise en œuvre du nouveau dispositif d'établissement des tarifs doit en outre être conforme au droit de la concurrence.

Comme l'a rappelé le rapporteur public Frédéric Aladjidi dans ses conclusions sous la décision Poweo du Conseil d'Etat précitée, la méthodologie de construction des tarifs par empilement devra être appréciée en déterminant « si le “coût du complément” et les “coûts de commercialisation”, qui sont les seuls postes avec la “rémunération normale”, pour lesquels il peut y avoir une différence entre EDF et ses concurrents, sont fixés à un niveau tel qu'ils préservent des marges suffisantes à ces derniers pour leur permettre d'opérer sans perte et si tel est le cas, ce qui est l'objectif recherché, ils ne pourront être regardés comme conduisant nécessairement EDF à exploiter de façon abusive sa position dominante ».

2.2. Les briques de la construction des tarifs par empilement

En prévoyant une construction des tarifs réglementés de vente par empilement, le législateur a entendu assurer la contestabilité des tarifs par les fournisseurs alternatifs.

Le niveau des tarifs réglementés établis à partir de la méthodologie présentée dans le projet de décret doit en particulier être représentatif des conditions de fourniture des fournisseurs alternatifs, aussi bien en ce qui concerne la part énergie que les coûts commerciaux, et préserver des marges suffisantes pour permettre à un fournisseur alternatif au moins aussi efficace qu'EDF d'opérer sans pertes.

2.2.1. Le complément de fourniture d'électricité doit être évalué à partir des prix du marché de gros

L'article L. 337-6 du code de l'énergie ne définit pas la nature « du coût du complément à la fourniture d'électricité ».

Le projet de décret dispose à l'article 3 que « Le coût du complément d'approvisionnement au marché est calculé en fonction des caractéristiques moyennes de consommation et des prix de marché à terme constatés. Jusqu'à la première année de livraison du mécanisme d'obligation de capacité mentionnée au décret du 14 décembre 2012 susvisé, le coût de la garantie de capacité est considéré comme nul ».

Les fournisseurs alternatifs s'approvisionnent, dans le cas général, par l'intermédiaire de l'ARENH et du marché de gros de l'électricité.

La CRE considère qu'il est pertinent, dans ce cadre, que le complément à la fourniture d'électricité « ARENH » soit évalué à partir des prix des marchés de gros, comme le prévoit le projet de décret, ce qui permet d'être représentatif des conditions d'approvisionnement des fournisseurs alternatifs. La CRE estime qu'en l'absence de dispositions législatives explicites en ce sens cette interprétation découle de l'objet de la loi.

Dans son rapport d'avril 2009, la Commission sur l'organisation du marché de l'électricité présidée par Paul Champsaur retient d'ailleurs, comme référence, « les prix de marché pour le reste de l'approvisionnement ».

Par ailleurs, parmi les ajustements rédactionnels opérés par l'article 41 du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte figure une précision en ce sens, qui remplacerait à l'article L. 337-6 les mots : « du coût du complément à la fourniture d'électricité » par : « du coût du complément d'approvisionnement au prix de marché ».

2.2.2. Les coûts commerciaux à considérer doivent couvrir les coûts d'un fournisseur alternatif « au moins aussi efficace » que le fournisseur historique

Le II de l'article 3 du projet de décret dispose que « les coûts de commercialisation correspondent aux coûts de commercialisation d'un fournisseur d'électricité, établis en tenant compte des coûts supportés par Electricité de France pour fournir les clients ayant souscrit aux tarifs réglementés de vente de l'électricité. ».

Ces dispositions posent deux critères de détermination des coûts commerciaux :

(i) D'une part, ils « correspondent aux coûts de commercialisation d'un fournisseur d'électricité » ;

(ii) D'autre part, ils sont établis en tenant compte des coûts supportés par EDF pour fournir les clients au tarif.

Les termes du décret établissent avec le premier critère un lien plus ferme (« correspondent ») qu'avec le second (« en tenant compte »).

Ces critères doivent également être appréciés en considération des dispositions du code de l'énergie, de leur objet et des exigences du droit de la concurrence :

(i) Si l'article L. 337-6 ne précise pas à quels coûts commerciaux il fait référence (ceux d'EDF ou des fournisseurs alternatifs), il ressort, notamment de l'objet de la loi, éclairé par la décision précitée du Conseil d'Etat et par les conclusions du rapporteur public, que le tarif doit couvrir « les coûts de fourniture de l'électricité distribuée à un tarif de marché ». Le « coût du complément », les « coûts de commercialisation », et la « rémunération normale », doivent être fixés à un niveau tel qu'ils préservent des marges suffisantes aux fournisseurs alternatifs pour leur permettre d'opérer sans perte. Dès lors que le « coût du complément » visé par le projet de décret reflète le coût d'approvisionnement des fournisseurs alternatifs - et en faisant l'hypothèse que ceux-ci continuent de s'approvisionner à l'ARENH - l'ajustement repose sur les deux derniers termes de la construction tarifaire : les coûts de commercialisation et la rémunération ;

(ii) Le second critère reprend le principe posé par l'article L. 337-5 - dans sa rédaction actuelle selon laquelle les tarifs sont définis « en fonction des coûts » de l'opérateur historique - en ne l'appliquant expressément qu'aux coûts commerciaux. Ce critère doit en outre être interprété au regard du droit de la concurrence, selon lequel, s'agissant d'une pratique tarifaire aboutissant à une compression de marge, il convient de prendre en compte les coûts de l'opérateur historique, pour déterminer si un fournisseur « au moins aussi efficace » que le fournisseur historique - c'est-à-dire ayant la même structure de coût en aval que l'opérateur historique - serait en mesure d'offrir ses services sans enregistrer de pertes (TPICE, T-336-07, 29 mars 2012, Telefonica SA, § 190 et suivants).

Ainsi, les modalités de détermination des coûts commerciaux retenus dans les tarifs réglementés par empilement devront être définies par voie réglementaire (soit en précisant les dispositions du décret, soit dans un arrêté précisant la méthodologie employée), (i) en reflétant les coûts des fournisseurs alternatifs et (ii) de façon à ce que la marge résiduelle résultant du tarif couvre les coûts d'un fournisseur « au moins aussi efficace » que le fournisseur historique. Les modalités d'application de ce critère au domaine de la fourniture d'électricité restent à préciser.

La CRE a réalisé un examen des coûts commerciaux des fournisseurs alternatifs dans le cadre de son Rapport 2014. Il en ressort des niveaux variés et supérieurs à ceux de l'opérateur historique EDF pour ce qui est des tarifs bleus et inférieurs en ce qui concerne les tarifs verts. Aucune donnée n'est disponible sur le segment des clients au tarif jaune pour lequel l'ouverture à la concurrence est actuellement quasi inexistante.

Cette diversité soulève des questions méthodologiques sur les critères pertinents pour fixer la composante de coûts commerciaux du tarif à un niveau qui reflète les coûts des opérateurs alternatifs tout en couvrant les coûts d'un opérateur au moins aussi efficace qu'EDF.

2.3. Le critère de « rémunération normale » peut s'appliquer aussi bien à l'opérateur historique qu'aux opérateurs alternatifs

Le projet de décret, comme l'article L. 337-6 du code de l'énergie, prévoit que le dernier terme de l'empilement est « une rémunération normale de l'activité de fourniture », sans préciser s'il vise la rémunération des fournisseurs alternatifs ou celle de l'opérateur historique.

Ce critère doit notamment être interprété d'une façon compatible avec les exigences du droit de la concurrence.

2.3.1. S'agissant des fournisseurs alternatifs

Comme rappelé ci-dessus, le droit de la concurrence conduit à vérifier que les tarifs réglementés de vente sont fixés à un niveau tel qu'ils permettent, compte tenu du prix des prestations intermédiaires, à un concurrent « au moins aussi efficace » que l'opérateur historique, c'est-à-dire ayant la même structure de coûts commerciaux, de préserver une marge résiduelle suffisante pour lui permettre d'opérer sur le marché sans perte.

En outre, le critère de « contestabilité » implique que le tarif couvre l'ensemble des coûts de fourniture en offre de marché d'un opérateur alternatif, y compris ses coûts commerciaux.

Au-delà de la stricte couverture de ces coûts, le tarif doit être fixé à un niveau qui permette aux fournisseurs alternatifs de continuer à opérer sur le marché, notamment de financer leur activité. Le critère de « rémunération normale » doit tenir compte de ce paramètre.

2.3.2. S'agissant de l'opérateur historique

Comme on l'a relevé plus haut (cf. paragraphe 2.1), ni les textes ni la jurisprudence n'indiquent la façon dont devront s'articuler les dispositions des articles L. 337-5 et L. 337-6 à compter de l'entrée en vigueur de la méthode de construction des tarifs par empilement des coûts, et si celle-ci se substitue à la définition des tarifs « en fonction » des coûts de l'opérateur historique, ou si les deux approches sont cumulatives.

La rédaction du décret semble reposer sur la première hypothèse, sauf en ce qui concerne les coûts commerciaux, pour lesquels les deux approches sont expressément combinées.

Si le critère de « rémunération normale de l'activité de fourniture » était interprété comme visant non seulement les fournisseurs alternatifs mais aussi EDF, il s'agirait, avec les coûts commerciaux, du second terme de l'empilement des coûts, qui devrait être défini en fonction des coûts du fournisseur historique.

Au-delà de ces deux briques de l'empilement, la nouvelle méthode de construction tarifaire pose la question de la couverture globale des coûts de l'opérateur historique.

Le niveau des prix de l'électricité sur les marchés de gros qui existait au moment de l'élaboration de la loi NOME du 7 décembre 2010 conduisait à supposer que l'empilement des coûts aboutirait à un tarif supérieur à celui qui résultait de la couverture des coûts comptables d'EDF.

Or, dans diverses hypothèses, notamment celle de prix de marché particulièrement bas, la méthode de l'empilement des coûts pourrait ne pas assurer la couverture des coûts comptables « secs » d'EDF, c'est-à-dire hors toute rémunération des capitaux engagés dans l'activité de production.

Une telle situation ne serait pas conforme aux dispositions de l'article L. 337-5, à supposer qu'elles continuent à s'appliquer après l'entrée en vigueur de la construction des tarifs par empilement.

2.3.3. Capitaux et risques rémunérés par la marge commerciale

La rémunération normale mentionnée dans le code de l'énergie ainsi qu'à l'article 3 du projet de décret doit s'entendre comme une marge portant sur l'activité de commercialisation uniquement. La brique « approvisionnement » de l'empilement tarifaire porte déjà implicitement une rémunération de l'activité de production par le biais du prix de l'ARENH et des prix de gros. La brique « acheminement » porte quant à elle déjà implicitement une rémunération de l'activité de réseaux par le biais du TURPE.

Cette marge commerciale doit permettre :

- de rémunérer les risques associés à l'activité de fourniture qui ne sont pas couverts par l'intermédiaire d'autres briques de coûts. Par exemple, les risques de portefeuille, qui dépendent de la stratégie commerciale des fournisseurs et qui ne sont pas pris en compte dans la méthode établie par la CRE dans son Rapport 2014 au sein de la brique « approvisionnement » peuvent être pris en compte ici ;

- de couvrir les besoins en fonds de roulement générés par l'activité de commercialisation ;

- de rémunérer, le cas échéant, le capital engagé dans l'activité de commercialisation. La quantité de capital engagé sera déterminée à l'issue des analyses détaillées qui devront être menées, comme l'indique la CRE dans son Rapport 2014.

3. Le projet de décret prévoit un empilement par couleur tarifaire et une révision des tarifs à chaque évolution du prix de l'ARENH ou du TURPE

3.1. Le projet de décret prévoit que l'empilement tarifaire est assuré en niveau par catégorie tarifaire correspondant aux couleurs tarifaires bleu, jaune et vert

Le projet de décret, en son article 2, définit des catégories tarifaires « fonction de la tension de raccordement et de la puissance souscrite par le client pour le site concerné ». Ces catégories correspondent aux couleurs tarifaires bleu, jaune et vert. De même, « chaque catégorie tarifaire peut comporter plusieurs options tarifaires pouvant elles-mêmes comporter chacune plusieurs versions ».

Par ailleurs, dans ce même article, il est prévu que « pour les sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères, sont distinguées, en fonction des courbes de charges de référence établies par types de clients, des options ouvertes pour tout site faisant un usage résidentiel de l'électricité et des options ouvertes pour tout site faisant un usage non résidentiel de l'électricité ».

L'article 3-I du projet de décret qui a été soumis à la CRE pour avis prévoit que, pour chaque catégorie tarifaire définie précédemment (bleu, jaune et vert), « le niveau des tarifs réglementés de vente de l'électricité est déterminé comme l'addition du coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément d'approvisionnement, qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture ».

L'évolution de la méthodologie de construction des tarifs réglementés prévue dans le projet de décret doit représenter l'approvisionnement moyen d'un fournisseur alternatif par catégorie tarifaire et assure de ce fait la contestabilité des tarifs réglementés en moyenne pour les clients bleus, pour les clients jaunes et pour les clients verts. Ce point est développé au paragraphe 2.

Néanmoins, si le niveau moyen du tarif est déterminé par catégorie tarifaire, la structure du tarif peut induire, au sein de chaque catégorie, une dispersion des prix pour les clients finals en fonction de leurs caractéristiques spécifiques de consommation. Ainsi, au sein d'une catégorie donnée, si la contestabilité en moyenne est assurée, certains clients peuvent en réalité être contestables et d'autres non, selon les méthodologies de construction de la structure, qui fait l'objet du paragraphe 5 ci-après.

Une contestabilité en moyenne implique qu'environ 50 % des clients sont réellement contestables (dans l'hypothèse où la médiane est proche de la moyenne). Il est nécessaire de se demander si ce niveau de contestabilité est acceptable dans le cadre de l'ouverture des marchés à la concurrence ou s'il nécessiterait une réévaluation.

3.2. Le projet de décret ne prévoit de rattraper ni les écarts entre coûts et recettes constatés au titre des périodes antérieures à l'entrée en vigueur du nouveau dispositif ni les écarts futurs liés aux coûts commerciaux

L'article 4 du projet de décret prévoit que « pour la détermination des tarifs réglementés de vente de l'électricité, seuls sont pris en compte les coûts afférents à la période tarifaire considérée.

Néanmoins, à partir du deuxième mouvement tarifaire pris en application du présent décret modifié dans sa rédaction issue du décret n ° 2014-1250 du 28 octobre 2014, les excédents ou déficits liés à une variation du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ou des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité au cours de la période tarifaire précédente sont ajoutés aux coûts mentionnés à l'article 3 ».

3.2.1. Sur le rattrapage des écarts constatés au titre des années 2012 et 2013

Il n'est pas prévu que les écarts significatifs constatés entre les coûts inhérents aux tarifs réglementés de vente et les recettes générées par ces tarifs au cours des dernières périodes tarifaires soient rattrapés sur de prochains mouvements tarifaires. Seuls seront rattrapés les écarts constatés a posteriori sur les exercices tarifaires à venir.

Dans son Rapport 2014, la CRE a évalué les écarts à 509 M€ au titre de l'année 2012 et 627 M€ au titre de l'année 2013.

Les dispositions du projet de décret ne sauraient avoir pour effet d'écarter l'obligation de rattraper ces écarts. Dans sa rédaction actuellement applicable, le décret du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité prévoit expressément la couverture des coûts de fourniture des fournisseurs historiques.

Même si l'on considère que les dispositions de l'article L. 337-6 du code de l'énergie substituent, à compter de leur entrée en vigueur, une construction tarifaire par empilement à l'obligation de couverture des coûts résultant des dispositions combinées de l'article L. 337-5 et du décret, cette obligation implique que les coûts exposés par l'opérateur historique pour la fourniture au tarif réglementé avant l'entrée en vigueur du nouveau dispositif soient pleinement couverts.

Compte tenu de ces dispositions, éclairées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, la CRE considère que de tels montants devront faire l'objet de rattrapage en masse lors des prochains mouvements tarifaires.

Cette exigence s'impose a fortiori si l'on considère que l'obligation de tenir compte des coûts du fournisseur historique posée par l'article L. 337-5 continue de s'appliquer à compter de l'entrée en vigueur du nouveau dispositif.

3.2.2. Sur le rattrapage des écarts liés aux coûts commerciaux dans le cadre du nouveau dispositif

Parmi les composantes de la construction tarifaire susceptibles de donner lieu à un rattrapage a posteriori des écarts dans le cadre du nouveau dispositif, l'article 4 du projet de décret ne vise pas les coûts commerciaux.

La conformité de ce dispositif avec les dispositions de l'article L. 337-6 du code de l'énergie (qui visent les coûts de commercialisation parmi les composantes de la construction tarifaire, sans établir avec celles-ci de distinction qui permettrait d'écarter a priori la possibilité d'un rattrapage tarifaire) dépendra de la méthode de calcul des coûts commerciaux retenue et des liens qu'elle établira avec les coûts effectifs des opérateurs.

3.3. Le projet de décret prévoit de répercuter sous un mois les variations d'ARENH et de TURPE et de répercuter les excédents ou déficits liés au mois de décalage

Comme indiqué dans le paragraphe précédent, les écarts constatés a posteriori et dus à une variation du prix de l'ARENH ou du TURPE seront répercutés sur les coûts à couvrir par les tarifs réglementés de la période tarifaire suivante.

De même, l'article 5 du projet de décret prévoit que « toute évolution du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ou des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité donne lieu à la modification des tarifs réglementés de vente en vigueur pour prendre en compte cette évolution. L'arrêté correspondant entre en vigueur au plus tard un mois après l'entrée en vigueur de ladite évolution. »

Le rattrapage des écarts sur les prochains exercices tarifaires et les révisions régulières des tarifs réglementés à chaque évolution de prix de l'ARENH et du TURPE devraient permettre d'assurer la contestabilité des tarifs réglementés à toute période de l'année. La CRE est favorable à cette mesure.

4. La méthodologie d'évaluation des briques de l'empilement tarifaire devra être précisée dans les arrêtés tarifaires à venir

4.1. La CRE a exposé dans son Rapport 2014 une méthodologie d'évaluation de la part énergie de l'empilement tarifaire

Dans son Rapport 2014, la CRE a évalué la part énergie des tarifs réglementés à partir de la nouvelle méthodologie par empilement des coûts. Les analyses présentées dans ce rapport découlent d'hypothèses détaillées, déterminées par la CRE. Elles ne préjugent pas des décisions réglementaires qui pourraient être prises par la suite.

La méthodologie de calcul de la part énergie, qui intègre l'ARENH, le complément d'approvisionnement au marché et la garantie de capacité, qui sera utilisée pour élaborer les prochains arrêtés fixant les tarifs réglementés de vente de l'électricité doit être rendue publique.

S'agissant du calcul du complément d'approvisionnement au marché, la CRE a développé un modèle mathématique spécifique et choisi une stratégie d'approvisionnement et des hypothèses de prix de marché de référence qui devront faire l'objet d'une spécification réglementaire. Les ministres pourront le cas échéant s'y référer, ou retenir toute autre méthode dès lors qu'elle demeure représentative du coût supporté par les fournisseurs d'électricité pour se procurer leur complément d'approvisionnement sur les marchés de l'électricité.

4.2. Des analyses détaillées devront être menées afin d'établir le niveau des coûts commerciaux et la rémunération à retenir

L'arrêté devra préciser la méthodologie de détermination des coûts commerciaux de référence dans les tarifs réglementés, notamment si ceux-ci sont déterminés à partir des coûts commerciaux des fournisseurs alternatifs.

En parallèle, la CRE demande, dans son Rapport 2014, la réalisation d'une analyse détaillée, des coûts commerciaux d'EDF permettant :

- de porter une appréciation sur le niveau des coûts commerciaux ;

- d'en vérifier les méthodes d'allocation notamment sur les différentes catégories tarifaires.

De la même façon, la CRE considère dans son Rapport 2014 que des analyses détaillées doivent être menées sur les coûts commerciaux de chacun des fournisseurs alternatifs pris en compte dans le calcul des tarifs réglementés. Il s'agira au préalable de définir un périmètre précis des coûts commerciaux à considérer. En particulier, ces analyses devraient permettre :

- de porter une appréciation sur le niveau des coûts commerciaux ;

- d'isoler les coûts des investissements consentis par le fournisseur pour entrer sur le marché (par exemple, concernant la mise en place de systèmes d'information) des coûts d'exploitation ;

- d'isoler les coûts liés à l'acquisition de nouveaux clients ;

- d'isoler les coûts fixes des coûts variables, le cas échéant ;

- d'affecter les coûts à chacune des catégories tarifaires (bleu, jaune, vert) sur lesquelles le fournisseur considéré est présent.

Par ailleurs, les risques inhérents à l'activité de commercialisation, non pris en compte par ailleurs dans d'autres briques de l'empilement tarifaire, devront faire l'objet d'un examen approfondi.

Dans l'attente des résultats de ces analyses, la CRE a retenu des hypothèses de coûts commerciaux, incluant une rémunération normale, qui sont détaillées dans son Rapport 2014.

4.3. Les coûts d'acheminement seront pris en compte selon la même méthodologie que celle appliquée pour les tarifs réglementés passés

Le II de l'article 3 du projet de décret indique que « les coûts d'acheminement de l'électricité sont déterminés en fonction des tarifs d'utilisation des réseaux publics applicables à la date d'entrée en vigueur de l'arrêté mentionné à l'article 5 ».

Cette disposition est identique à la méthode précédente de couverture des coûts d'EDF et n'implique pas d'évolution particulière.

Par ailleurs, la CRE poursuivra son travail de contrôle et de validation des données transmises par EDF relatives à la part acheminement des tarifs réglementés. Ce travail est explicité en détail dans le Rapport 2014.

5. La CRE considère que les méthodologies de détermination de la structure des tarifs réglementés de vente devront être précisées dans les arrêtés tarifaires et faire l'objet d'une concertation avec l'ensemble des acteurs concernés

Selon le projet de décret actuel, le niveau des tarifs réglementés devra être défini par couleur tarifaire. Le projet de décret prévoit également que « les options et versions tarifaires sont fonction des caractéristiques moyennes de consommation de l'électricité, de l'impact du site de consommation sur le dimensionnement des infrastructures de réseau et du réseau auquel ce site est raccordé ».

Il ne fait cependant pas mention d'évolution de la méthodologie permettant de définir la structure tarifaire sous-jacente qui a vocation à :

- refléter le poids respectif des coûts fixes et des coûts variables, par le rapport entre l'abonnement et la part variable ;

- refléter la relativité des coûts selon les heures de l'année (par les postes horo-saisonniers) ;

- orienter les consommations vers certaines heures de l'année, le cas échéant en envoyant un signal tarifaire allant au-delà du simple reflet de la relativité des coûts.

La CRE revient plus en détail sur certaines méthodologies de détermination de la structure tarifaire dans son Rapport 2014.

Le dernier examen de la structure tarifaire cible date de 2009. Un groupe de travail, composé de la DGEC, la CRE et EDF, avait alors examiné les méthodes possibles d'établissement de la structure tarifaire, dans le cadre législatif et réglementaire alors applicable, soit, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi NOME. Dans sa délibération du 10 août 2009 portant avis sur le projet d'arrêté relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité, la CRE avait livré ses principales conclusions quant aux méthodes de construction de la structure des tarifs.

La CRE considère qu'un nouveau travail de réflexion approfondi impliquant l'ensemble des acteurs du marché est nécessaire afin d'améliorer l'objectivité et la transparence de la construction de la structure des tarifs réglementés dans le cadre de la nouvelle méthodologie de construction des tarifs par empilement des coûts prévue dans le projet de décret.

Dans l'attente des conclusions de ces réflexions, la CRE considère qu'il n'est pas pertinent de procéder à des évolutions en structure des tarifs.

Elle recommande de lancer dès à présent des travaux de concertation, placés sous l'égide des pouvoirs publics, et livre, dans le cadre de son Rapport 2014, quelques premières pistes de réflexion.

6. Avis de la CRE

La CRE émet un avis favorable sur le projet de décret, assorti toutefois des réserves suivantes.

Elle considère que les écarts entre recettes et coûts constatés sur les années 2012 et 2013, qui sont significatifs, doivent être rattrapés sur les prochains exercices tarifaires.

La CRE recommande en outre que le prochain arrêté tarifaire définisse les méthodologies :

- de calcul de la part énergie et plus précisément du complément d'approvisionnement au marché, s'agissant notamment de la formule d'approvisionnement et des références de prix de marché retenues ;

- de détermination des coûts commerciaux de référence dans les tarifs réglementés, notamment si ceux-ci sont établis à partir des coûts commerciaux des fournisseurs alternatifs ;

- de détermination de la rémunération normale de l'activité de commercialisation prise en compte dans les tarifs réglementés.

La CRE rappelle enfin qu'afin de respecter le principe d'un réexamen annuel des tarifs réglementés de vente, prévu par le décret n° 2009-975 du 12 août 2009, les tarifs devront faire l'objet d'une révision par arrêté au plus tard d'ici à la fin de l'année 2014.