JORF n°0018 du 22 janvier 2015

DÉLIBÉRATION du 17 décembre 2014

Participaient à la séance : Philippe de LADOUCETTE, président, Olivier CHALLAN BELVAL, Catherine Edwige, Hélène GASSIN et Jean-Pierre SOTURA, commissaires.

  1. Contexte

La loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes a introduit l'article L. 271-1 dans le code de l'énergie, aux termes duquel « une prime est versée aux opérateurs d'effacement, prenant en compte les avantages de l'effacement pour la collectivité (…) ».
L'article L. 123-1 du code de l'énergie dispose que le décret prévu à l'article L. 271-1 du code de l'énergie, pris sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie, « fixe la méthodologie utilisée pour établir une prime versée aux opérateurs d'effacement au titre de leur contribution aux objectifs définis aux articles L. 100-1 et L. 100-2 et des avantages procurés à la collectivité, notamment en matière de maîtrise de la demande d'énergie ou de sobriété énergétique. Ce même décret précise également les modalités selon lesquelles les ministres chargés de l'économie et de l'énergie arrêtent, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, le montant de cette prime ».
Dès la promulgation de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013, dans le cadre des travaux d'élaboration du décret prévu à l'article L. 271-1 du code de l'énergie, la CRE a mené des analyses visant à évaluer les avantages de l'effacement pour la collectivité.
La CRE a consulté les acteurs, notamment sur la prime, à chaque étape de l'élaboration du décret : à l'occasion d'une table ronde organisée à la CRE le 10 juillet 2013, en amont de la transmission de sa première proposition de décret le 24 juillet 2013 ; et, une seconde fois, le 8 octobre 2013, à l'issue de l'analyse d'une première proposition du décret par le Conseil supérieur de l'énergie (CSE). La CRE a ensuite transmis au Gouvernement une seconde proposition de décret le 17 octobre 2013.
Dans un avis n° 13-A-25 du 20 décembre 2013 concernant l'effacement de consommation dans le secteur de l'électricité, l'Autorité de la concurrence, après avoir relevé que « le versement de la prime aux opérateurs d'effacement aura des conséquences sur le fonctionnement concurrentiel du marché » et qu'il « pourrait occasionner une nouvelle augmentation de la CSPE, qui pèsera sur le pouvoir d'achat des ménages et sur la compétitivité des entreprises françaises », a indiqué qu'il « semblait donc impératif de s'assurer que la subvention versée aux opérateurs d'effacement soit limitée à ce qui est strictement nécessaire à l'atteinte des objectifs fixés ».
Le décret relatif aux effacements de consommation d'électricité (ci-après le « décret ») a été adopté le 3 juillet 2014.
En application des dispositions de l'article 14 du décret et à l'issue d'une consultation menée auprès des acteurs du 29 juillet au 5 septembre 2014, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a transmis pour avis à la CRE, par un courrier reçu le 15 décembre 2014, un projet d'arrêté fixant le montant de la prime versée aux opérateurs d'effacement. Cette saisine intervient après la consultation du CSE le 9 décembre 2014, séance au cours de laquelle le CSE a donné un avis défavorable sur le texte proposé. L'arrêté transmis à la CRE prévoit une prime uniquement pour les effacements réalisés sur des sites de consommation ayant une puissance souscrite inférieure ou égale à 36 kilovoltampère. Celle-ci est de 30 €/MWh pendant les heures pleines (7 heures-23 heures) et de 4 €/MWh pendant les heures creuses (23 heures-7 heures).
La CRE rappelle qu'elle travaille depuis de nombreuses années en collaboration avec l'ensemble des parties prenantes à l'élaboration d'un cadre permettant d'accompagner le développement de l'effacement et son intégration au système électrique.
Ces travaux ont contribué à ce que la France dispose désormais d'un cadre novateur en Europe permettant aux effacements de participer à l'ensemble des mécanismes de marché. La CRE considère que la prime ne doit pas entraver ce processus de développement de l'effacement par son intégration aux mécanismes de marché. Conformément au cadre légal, s'agissant d'une dépense financée par l'ensemble des consommateurs au travers de la CSPE, la CRE est attentive, à ce que le montant de la prime n'excède pas les avantages effectifs de l'effacement pour la collectivité, et à ce qu'elle ne déroge pas au principe d'une rémunération normale des capitaux immobilisés par les opérateurs.

  1. Analyse de la CRE
    2.1. Niveau de référence proposé pour la prime

L'analyse de la CRE repose sur l'examen successif des différents aspects de la prime proposée, notamment au regard de l'évaluation des avantages de l'effacement pour la collectivité et du principe de rémunération normale des capitaux immobilisés par les opérateurs d'effacement.
Le projet d'arrêté dont la CRE a été saisi pour avis prévoit que « pour les effacements réalisés sur un site de consommation souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampère, le montant de la prime est fixé à 30 euros par mégawattheure lorsque l'effacement a lieu en heures pleines (7 heures-23 heures) ».
Le courrier de saisine de la CRE précise que le montant de la prime a été établi au regard des avantages de l'effacement pour la collectivité en termes d'économies d'énergie, de diminution des émissions de gaz à effet de serre et de diminution des pertes sur le réseau, en application des dispositions de l'article 12 du décret. La CRE observe que le décret reprend à ce titre les composantes qu'elle avait proposées en 2013 dans le cadre de son document d'analyse (1).
Les méthodes d'évaluation de chacune des composantes de la prime, prévues par le chapitre III du décret reprennent la méthodologie proposée par la CRE dans son rapport d'analyse de juillet 2013, et en particulier la prise en compte, dans l'évaluation de chacune des composantes de la prime, « des effets mentionnés au dernier alinéa de l'article 1er », soit les effets de bord.
Dans le cadre de son analyse, la CRE avait identifié une sensibilité très forte des résultats obtenus au taux d'effet report associé à l'effacement, comme l'illustre le tableau ci-dessous. Ainsi, pour un effet report de 100 %, la CRE avait évalué le montant de la prime, représentatif des trois avantages considérés, à 2,5 €/MWh, soit 8 % de la prime calculée pour un effet report nul (31,1 €/MWh).

Evaluation de chacune des composantes de la prime et de sa valeur totale en €/MWh en fonction du taux de report

| EFFET REPORT | 0% |50 %|100 %| |-------------------------|----|----|-----| | Poste CO2 | 26 |13,5| 2 | |Poste économies d'énergie| 4 | 2 | 0 | | Poste pertes réseaux |1,1 |0,8 | 0,5 | | Prime énergie totale |31,1|16,3| 2,5 |

La prise en compte de l'effet report est une étape constitutive de la définition de la prime, comme le précise l'article 12 du décret.
Si le niveau de l'effet report ne fait pas consensus entre l'ensemble des acteurs, plusieurs études montrent qu'il ne peut être considéré comme nul et qu'il pourrait même, au contraire, être conséquent. A titre d'illustration, il est admis par l'ensemble des acteurs, dans le prolongement de l'étude de l'ADEME (2), que les effacements de ballons d'eau chaude conduisent à un report de 100 %. De plus, les mêmes études montrent qu'un report nul est exclu s'agissant des effacements de consommation de chauffage électrique dans la majorité des cas.
L'Autorité de la concurrence avait également relevé qu'il apparaissait « que le lien entre effacement de consommation d'électricité et économies d'énergie n'est pas clairement démontré, notamment au titre de l'effet report ».
Ainsi, et même si des incertitudes subsistent sur le niveau exact de l'effet report, en particulier pour l'effacement diffus, la CRE estime qu'il n'est pas justifié de retenir un effet report nul, lequel conduit au demeurant au montant de prime le plus élevé.
Le courrier de saisine indique que ce choix est fait par cohérence avec l'hypothèse de report utilisée jusqu'à présent dans le cadre des règles expérimentales NEBEF dans lesquelles l'effet report n'est pas pris en compte. RTE propose de maintenir cette approche dans la proposition des règles pour la valorisation des effacements sur les marchés de l'énergie (3).
Dans le cadre de ces règles, la prise en compte de l'effet report implique d'en avoir une connaissance fine non seulement s'agissant de son niveau mais aussi de sa structure (la connaissance des moment, durée et intensité du report), afin de ne pas affecter aux différents responsables d'équilibre des blocs d'énergie qui ne correspondraient pas à la réalité physique. Cela pourrait en effet nuire à l'efficacité globale du dispositif.
De telles difficultés ne se présentent pas avec la même intensité s'agissant de la prise en compte de l'effet report dans le cadre du calcul du montant de la prime où seule la connaissance du niveau global de report importe au premier ordre.
La CRE considère donc qu'en l'état actuel des connaissances, la définition d'un niveau normatif de report est une option pertinente afin de fixer un niveau de prime qui soit en adéquation avec les avantages réels de l'effacement pour la collectivité.
A cet égard, la CRE rappelle qu'elle avait proposé dans son document d'analyse de juillet 2013 de pallier le manque d'informations précises sur le niveau de l'effet report par la prise en compte d'un niveau normatif de 50 % lequel conduisait à une prime d'un montant de 16,3 €/MWh.
Ce niveau d'effet report normatif devrait a minima être appliqué jusqu'à ce qu'un retour d'expérience précis et fiable permette de définir un nouveau niveau de report.
La CRE rappelle qu'elle a, d'ailleurs, demandé à RTE d'établir un tel retour d'expérience avant la fin du premier semestre 2015, afin que cet élément puisse être pris en compte par RTE dans les règles NEBEF, d'une part, et par la ministre pour la définition du montant de la prime pour l'année 2016, d'autre part.

2.2. Modulations entre heures pleines et heures creuses

L'arrêté prévoit que « le montant de la prime est fixé à 30 euros par mégawattheure lorsque l'effacement a lieu en heures pleines (7 heures-23 heures) et fixé à 4 euros par mégawattheure en heures creuses (23 heures-7 heures) ».
L'article 12 du décret prévoit que « ces montants [la contribution de l'effacement à la maîtrise de la demande d'énergie, à la sobriété énergétique, à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la réduction des pertes sur les réseaux de transport et de distribution de l'électricité] peuvent être modulés pour préserver l'incitation par les marchés de l'énergie à déclencher les effacements lors des périodes de tension du système électrique ».
Dans le cadre de son document d'analyse, la CRE s'était interrogée en 2013 sur la valeur des trois avantages retenus en fonction des heures pleines et des heures creuses. Elle avait alors conclu qu'il n'existait pas de différence notable. La CRE avait en outre étudié la pertinence d'une valorisation de l'avantage que peut représenter l'effacement au titre de sa valeur capacitaire reflétant sa contribution à l'adéquation de long terme. La CRE avait conclu qu'il n'était pas nécessaire d'envisager une prime spécifique couvrant cet avantage, dès lors que, d'une part, la sécurité d'approvisionnement est assurée jusqu'en 2016, et que, d'autre part, le mécanisme de capacité serait en vigueur en 2016 ; elle estime qu'une incitation, au travers de la prime, à développer l'effacement sur les seules heures où il est susceptible d'être le plus utile au système est néanmoins pertinente.
A ce titre, la CRE estime que la distinction entre heures pleines et heures creuses proposée vient compléter l'incitation que constitue le prix de marché à effacer aux heures de plus grande tension sur le système du point de vue de l'équilibre offre-demande.

2.3. Niveau normal de rentabilité et conditions d'éligibilité des sites

L'article 11 du décret, comme les dispositions de l'article L. 123-1 du code de l'énergie, prévoit que « la prime ne peut conduire à ce que la rémunération des capitaux immobilisés par les opérateurs d'effacement excède une rémunération normale des capitaux compte tenu des risques inhérents à ces activités appréciés selon les catégories définies en application de l'article 10 ».
Le projet d'arrêté ne prévoit pas de prime pour les sites ayant une puissance souscrite supérieure à 36 kilovoltampère, « la nécessité d'une subvention supplémentaire n'ayant pu être établie à ce stade de l'analyse, au regard notamment des dispositions de l'article L. 123-1 du code de l'énergie ». La CRE partage ce constat, n'ayant pas pu obtenir à ce jour des opérateurs d'effacements concernés des données suffisamment précises sur leurs structures de coûts.
Concernant les sites de consommation souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampère, la CRE considère de même, que les éléments qui lui ont été transmis, à sa demande, par l'administration pour justifier que le montant de prime envisagé ne conduit pas à une rémunération excessive des capitaux investis, sont insuffisants. De surcroît, il s'agit principalement de données déclaratives, fournies par le principal opérateur actif actuellement sur le marché de l'effacement diffus.
Face à ces incertitudes, la CRE mènera, au cours de l'année 2015, une analyse détaillée de la rémunération des capitaux immobilisés par les opérateurs d'effacements, afin d'établir les montants maximaux de prime qui pourraient leur être accordés sans conduire à une rémunération excédant une rémunération normale des capitaux immobilisés. La CRE n'exclut pas, en effet, que certains types d'effacement sur des sites de consommation souscrivant une puissance supérieure à 36 kilovoltampère puissent à ce titre bénéficier d'une prime.
La CRE insiste toutefois sur le fait que cette analyse ne pourra définir que des plafonds car le montant de la prime doit avant tout refléter la contribution des différents types d'effacement au titre des trois avantages retenus par le décret.
La CRE regrette que la possibilité offerte par le décret, et reprise dans le projet d'arrêté soumis à consultation, d'introduire une dégressivité de la prime en fonction du volume d'effacement réalisé, ait été supprimée dans la version transmise à la CRE. La CRE considère en effet que la dégressivité de la prime en fonction du volume d'effacement réalisé permettrait d'éviter des effets d'aubaine, particulièrement dans l'hypothèse d'une surestimation de son niveau.

2.4. Etude d'impact sur la CSPE

L'article L. 123-2 du code de l'énergie dispose que « la charge résultant de la prime aux opérateurs d'effacement est assurée par la contribution mentionnée à l'article L. 121-10 due par les consommateurs finals d'électricité installés sur le territoire national ».
La CRE avait évalué, dans son document d'analyse de juillet 2013, l'impact sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE), payée par l'ensemble des consommateurs, de l'introduction d'une prime selon divers scenarii.
La CRE a procédé à l'évaluation de l'impact sur la CSPE de la prime telle que proposée. En prenant en compte le nombre d'heures d'effacement effectif qui peut être anticipé sur une année et la puissance moyenne d'effacement sur les heures concernées, la CRE estime que l'impact maximal sur la CSPE est de 9 M€ pour l'année 2015.
La CRE attire l'attention du Gouvernement sur le fait que le maintien de la prime telle que proposée risque de conduire à une augmentation importante du niveau de la CSPE si la capacité d'effacement venait à augmenter significativement. La CRE avait ainsi évalué dans son document d'analyse de juillet 2013 que l'impact total d'une prime d'une trentaine d'euros par mégawattheure sur la CSPE, sur dix ans, serait de l'ordre de 0,5 milliard d'euros dans l'hypothèse d'une croissance annuelle de la capacité d'effacement de 750 MW sur les sites de consommation ayant une puissance souscrite inférieure ou égale à 36 kilovoltampère.

2.5. Révision de l'arrêté

La CRE avait proposé dans ses deux projets de décret que la prime soit révisée annuellement.
Le décret prévoit en son article 14 que « le montant de la prime fait l'objet d'un réexamen annuel par les ministres compétents après avis de la Commission de régulation de l'énergie émis avant le 1er novembre. L'absence d'arrêté modificatif avant la fin de l'année civile en cours vaut reconduction pour l'année suivante ».
La CRE insiste sur le fait qu'il est indispensable que cette révision annuelle intervienne effectivement (et plus particulièrement en 2015) pour permettre d'adapter la construction de la prime aux retours d'expérience des prochains mois et des prochaines années et ainsi garantir que la prime ne conduit pas à une rémunération excédant une rémunération normale des capitaux immobilisés, et qu'elle n'excède pas les avantages réels pour la collectivité. La charge pour les consommateurs au travers de la CSPE doit être limitée par cette double vérification, et il est essentiel que celle-ci puisse intervenir chaque année.
La CRE relève, à cet égard, que la ministre s'est engagée dans son courrier de saisine à réviser la prime « d'ici à octobre 2015 ».

  1. Avis de la CRE

La CRE estime qu'il est injustifié que le projet d'arrêté proposé retienne une hypothèse de report nul, laquelle conduit au montant de prime le plus élevé.
Au surplus, des incertitudes importantes subsistent concernant le respect de la règle de rémunération normale des capitaux immobilisés par les opérateurs d'effacement.
En conséquence, la CRE rend un avis défavorable sur le projet d'arrêté qui lui a été soumis.

Fait à Paris, le 17 décembre 2014,

Pour la Commission de régulation de l'énergie,

Le président,

P. de Ladoucette

(1) Document d'analyse de la CRE " éléments de méthodologie pour la valorisation des effacements de consommation d'électricité sur les marchés de l'énergie et sur le mécanisme d'ajustement " disponible sur http://www.cre.fr. Ce document d'analyse était annexé à la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 24 juillet 2013 portant proposition de décret pris en application des articles L.271-1 et L.123-1 du code de l'énergie relatif à la méthodologie utilisée pour établir les règles permettant la valorisation des effacements de consommation d'électricité sur les marchés de l'énergie et sur le mécanisme d'ajustement, et pour établir la prime versée aux opérateurs d'effacement. (2) http://www.ademe.fr , étude de 2012 mise à jour en septembre 2014 " C'est le cas des chauffe-eau dont il a pu être observé que les plages horaires de consommation avaient peu d'impact sur le confort des clients ou sur leur consommation électrique globale ". (3) Proposition transmise à la CRE pour approbation le 13 décembre 2014 en application des dispositions de l'article 3 du décret.