JORF n°0055 du 6 mars 2010

Délibération du 14 janvier 2010

Participaient à la séance : M. Philippe de LADOUCETTE, président, M. Michel LAPEYRE, vice-président, M. Maurice MÉDA, vice-président, M. Jean-Paul AGHETTI, M. Eric DYEVRE, M. Hugues HOURDIN, M. Pascal LOROT et M. Emmanuel RODRIGUEZ, commissaires.

  1. Contexte

Conformément à l'article 21-1 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifiée, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie, le 8 janvier 2010, par le ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, d'un projet d'arrêté modifiant l'arrêté du 24 décembre 2007 pris en application du décret n° 2007-1826 du 24 décembre 2007 relatif aux niveaux de qualité et aux prescriptions techniques en matière de qualité des réseaux publics de distribution et de transport d'électricité.
Le projet d'arrêté modificatif fait suite aux conclusions de la mission d'évaluation du dispositif réglementaire relatif à la qualité de l'électricité, dont les travaux se sont déroulés au cours de la période probatoire visée à l'article 22 du décret du 24 décembre 2007. Le projet d'arrêté modificatif reprend les principales conclusions de cette mission.

  1. Observations de la CRE

En application de l'article 11 de l'arrêté du 24 décembre 2007, pris en application de l'article 22 du décret du 24 décembre 2007, les « évolutions des critères existants interviendront au vu d'un bilan des évaluations de la qualité de l'électricité présenté au comité technique de l'électricité [...] et établi sur la base des synthèses annuelles [...] ». Ce premier bilan des évaluations de la qualité, réalisé par la mission dévaluation du dispositif réglementaire relatif à la qualité de l'électricité, devait porter sur treize départements représentatifs. Or l'analyse réalisée par la mission précitée porte uniquement sur quatre départements.
Aussi la CRE déplore que les seuils définis dans le projet d'arrêté modificatif soient basés sur une étude incomplète et s'interroge sur la pertinence des seuils issus de cette analyse.
La CRE complète ce constat par les observations suivantes :

2.1. La définition des coupures
longues et brèves comptabilisées est ambiguë

Dans son avis du 11 octobre 2007 portant sur l'arrêté du 24 décembre 2007, la CRE s'était opposée au mode proposé pour comptabiliser les coupures secondaires, eu égard à la régression que cette comptabilisation représentait par rapport aux règles d'agrégation inscrites dans les contrats types d'accès au réseau public de distribution pour les utilisateurs raccordés en HTA. L'arrêté du 24 décembre 2007 avait été modifié en ce sens, avant sa publication, afin de tenir compte de cette observation.
Toutefois, la CRE constate que la méthode de comptage des coupures proposée à l'article 1er du projet d'arrêté modificatif ne limite pas l'intervalle de temps pendant lequel les coupures secondaires ne sont pas comptabilisées. Ceci est contraire aux recommandations de la mission d'évaluation du dispositif réglementaire relatif à la qualité de l'électricité. En outre, la CRE estime que le mode proposé pour la comptabilisation des coupures entretient l'ambiguïté quant à la comptabilisation de la durée de coupure liée aux coupures secondaires. Cette ambiguïté avait pourtant été soulevée dans le rapport de la mission.
Pour résoudre ces deux difficultés, la CRE propose la rédaction suivante pour le dernier paragraphe de l'article 1er du projet d'arrêté : « Toutefois, pour les décomptes du nombre de coupures affectant le réseau public de distribution d'électricité qui sont effectués en application des dispositions du chapitre II du titre II du décret du 24 décembre 2007 susvisé et du présent arrêté, il n'est pas tenu compte des éventuelles coupures secondaires survenant mécaniquement du fait des manœuvres normales d'exploitation ou du fonctionnement des protections automatiques du réseau, dès lors que ces coupures secondaires concernent le même incident et qu'elles surviennent moins d'une heure après le début de celui-ci. »

2.2. Le classement des communes
par zones géographiques est ambigu

L'article 3 du projet d'arrêté modificatif introduit une notion de « classe » pour le classement des communes selon les « zones géographiques » prévues par le décret. Cette notion de « classe » n'est pas reprise dans la suite du texte. La CRE recommande, donc, de n'utiliser que la notion de « zone ».

2.3. L'augmentation d'un des seuils évaluant la continuité d'alimentation
aggrave le nombre maximal de coupures autorisé pourtant déjà excessif

Dans son avis du 11 octobre 2007 sur l'arrêté du 24 décembre 2007, la CRE soulignait que le nombre maximal de coupures longues et le nombre maximal de coupures brèves, à respecter pour la continuité de l'alimentation électrique, ne reflétaient pas les niveaux de qualité constatés dans les départements français, leur valeur excédant les niveaux communément observés. Par surcroît, dans le présent projet d'arrêté modificatif, le seuil maximum de coupures brèves en « zone A » se voit même augmenter, passant de sept à douze coupures brèves par an.
Le rapport de la mission d'évaluation du dispositif réglementaire relatif à la qualité a justifié cette dégradation de seuil par le fait qu'une « hypothèse particulièrement examinée a été de rendre uniforme la contribution de chacun des trois sous-critères (nombre de coupures brèves, nombre de coupures longues et durée annuelle cumulée) dans le fait qu'un département soit "globalement mauvais” en ce qui concerne les coupures. Ainsi, il a été constaté que la fixation à sept, en zone A, du nombre maximum de coupures brèves par an, comme l'arrêté actuel le prévoit, avait tendance à "écraser” les autres sous-critères dans la détermination du caractère "globalement mauvais” d'un département ». Le même rapport indique, également, que la « sur-représentation des zones A se fait au détriment de la zone B et de la zone de base ».
La mission d'évaluation du dispositif réglementaire relatif à la qualité a proposé de réévaluer les seuils en considérant qu'« une dizaine de départements constitue un objectif approprié en ce qui concerne les départements "globalement mauvais” sur lesquels chaque année des actions d'amélioration doivent être mises en œuvre de façon prioritaire ». En conséquence, ces seuils ne déterminent pas les niveaux d'exigence de qualité permettant de garantir la protection de tous les utilisateurs contre un niveau de qualité trop faible mais ont comme but que le nombre de départements subissant une qualité de l'électricité dégradée corresponde à un nombre arbitrairement prédéfini.
La CRE déplore que le projet d'arrêté traduise une dégradation du niveau d'exigence réglementaire pour la continuité d'alimentation et, partant, puisse conduire à une dégradation de la continuité d'alimentation.

2.4. Le projet d'arrêté ne protège pas
les utilisateurs les plus mal alimentés

La CRE déplore que les méthodes d'évaluation de la continuité d'alimentation restent inchangées et continuent d'exclure des mesures contraignantes une fraction des utilisateurs du département : pour 5 % d'entre eux, le projet d'arrêté permet toujours que les valeurs limites de coupures longues ou brèves ne soient pas respectées. Cette disposition risque de concerner chaque année les mêmes utilisateurs.
Afin de garantir la protection de tous les utilisateurs contre un niveau de qualité trop faible, une mesure efficace serait de contraindre le gestionnaire de réseaux, sur chaque maille de contrôle, à améliorer la qualité pour les clients les plus mal servis. Ainsi, une part des investissements sur les réseaux serait directement orientée vers l'amélioration des parties des réseaux publics d'électricité les plus affectées par des défauts.

2.5. La durée cumulée annuelle
des coupures longues proposée est excessive

Le projet d'arrêté modificatif propose des « durées cumulées annuelles de coupures » allant de 6 heures en « zone A » à 20 heures en « zone de base ». La CRE regrette que les gestionnaires de réseaux ne publient aucun indicateur permettant d'évaluer la dispersion du temps de coupure sur l'ensemble du territoire. Au demeurant, la durée annuelle moyenne de coupures longues TCC à l'échelle nationale sur les réseaux publics de distribution d'électricité basse tension exploités par le gestionnaire de réseaux ERDF a été inférieure à 2 heures entre 2003 et 2008. La CRE estime qu'« une durée cumulée annuelle de coupures » plus de dix fois supérieure au temps moyen de coupure annuel constaté est excessive et ne concourt pas à l'amélioration de la qualité du service public de l'électricité.
En outre, la CRE déplore que la mission d'évaluation du dispositif réglementaire relatif à la qualité de l'électricité n'ait évalué la durée cumulée annuelle des coupures longues que sur quatre des treize départements représentatifs initialement prévus. De plus, comme illustré aux deux paragraphes précédents, les seuils ne répondent pas à un niveau d'exigence de qualité permettant de garantir la protection de tous les utilisateurs contre un niveau de qualité trop faible mais à un nombre prédéfini de départements subissant une qualité de l'électricité dégradée.

2.6. Le mode d'évaluation de la tenue de la tension n'incite pas les gestionnaires de réseaux au traitement
des « points noirs » malgré l'abaissement du seuil de proportion de clients mal alimentés de 5 à 3 %

Dans son avis du 11 octobre 2007 sur l'arrêté du 24 décembre 2007, la CRE considérait inadéquate l'instauration du seuil de 5 % de clients mal alimentés pour l'évaluation de la tenue globale de la tension, pour deux raisons :
D'une part, la CRE estimait que la méthode de calcul n'incitait pas au traitement des « points noirs », ceux-ci se trouvant compensés, dans l'évaluation globale, par la qualité élevée des zones favorisées. En effet, les zones rurales dans lesquelles la qualité de la tension est généralement insuffisante sont, également, les zones les moins peuplées. Leur impact sur l'évaluation globale de la qualité de l'électricité à l'échelle du département établie en pourcentage des utilisateurs est donc faible comparativement à celui des zones urbaines peuplées où la qualité est meilleure. La CRE constate que le projet d'arrêté modificatif ne propose pas de nouveau mode d'évaluation mieux adapté pour appréhender la qualité de la tension en milieu rural.
D'autre part, la CRE estimait que le niveau de ce seuil ne permettrait pas de discerner les « points noirs » du réseau à traiter. Le rapport de la mission d'évaluation du dispositif règlementaire relatif à la qualité de l'électricité confirme ce point en soulignant que « avec le calage actuel de la statistique (5 % de clients mal alimentés), aucun département du territoire métropolitain continental ne devrait pouvoir être rangé dans la catégorie "département mal alimenté” » pour la tenue de tension. Or, si l'abaissement du seuil pour la tenue de tension de 5 à 3 % révèle mieux les départements « mal alimentés », il ne matérialise pas pour autant un besoin de traitement des points noirs, la définition de l'engagement portant sur l'évaluation de la tenue globale de la tension, présentée à l'alinéa précédent.

2.7. Le projet d'arrêté modificatif devrait établir
des seuils dans les zones non interconnectées

La définition des seuils dans les zones non interconnectées devait être issue de l'analyse de la mission d'évaluation du dispositif réglementaire relatif à la qualité de l'électricité. Or la mission, « faute de temps, n'a pu se pencher sur les situations particulières constituées par les réseaux insulaires [...] ».
La CRE déplore que, tant sur le nombre de coupures que sur la durée cumulée, aucune disposition n'ait été prise dans le projet d'arrêté modificatif ni pour la région Corse, ni pour les départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion, ni pour les collectivités territoriales de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte.

2.8. Le projet d'arrêté modificatif devrait définir l'ensemble des paramètres relatifs à la qualité
de la fourniture et des engagements du gestionnaire du réseau public de transport

Dans son avis du 11 octobre 2007 sur le décret du 24 décembre 2007, la CRE soulignait les absences d'engagements réglementaires portant sur l'ensemble des paramètres relatifs à la qualité de la fourniture. En effet, la qualité électrique ne se limite pas à la tenue de tension et au nombre de coupures longues et brèves et à la durée annuelle cumulées des coupures longues. Dans l'objectif de l'amélioration de la qualité, la CRE déplore que le projet d'arrêté modificatif ne saisisse pas l'occasion de proposer des seuils réglementaires pour d'autres critères reflétant la continuité d'alimentation et la qualité de l'onde de tension : le projet d'arrêté ne répond toujours pas aux dispositions de l'article 21-1 de la loi du 10 février 2000, qui prévoyait de fixer des seuils réglementaires afin d'« assurer une desserte en électricité d'une qualité régulière, définie et compatible avec les utilisations usuelles de l'énergie électrique ».
En outre, dans son avis du 11 octobre 2007, la CRE demandait que tous les utilisateurs du réseau public de transport puissent bénéficier d'engagements quantitatifs fondés sur la qualité historiquement constatée aux points de connexion de leurs installations. L'arrêté du 24 décembre 2007 ne prévoyait aucune obligation en ce sens. Il en est de même pour le présent projet d'arrêté modificatif.
La CRE déplore le manque d'ambition de l'arrêté modificatif qui se limite à réévaluer certains seuils précédemment définis pour des perturbations de la qualité et recommande que des engagements réglementaires complémentaires soient exigés du gestionnaire du réseau public de transport.

  1. Avis de la CRE

Compte tenu des observations qui précèdent, la CRE émet un avis défavorable au projet d'arrêté qui lui a été soumis.
La CRE recommande une prorogation de la période d'expérimentation définie à l'article 22-1 du décret n° 2007-1826 du 24 décembre 2007 relatif aux niveaux de qualité et aux prescriptions techniques en matière de qualité des réseaux publics de distribution et de transport d'électricité, afin de permettre de définir des seuils pertinents et fondés sur une analyse précise de données fiables et complètes.

Fait à Paris, le 14 janvier 2010.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

P. de Ladoucette