Le comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) statuant en matière de mesures conservatoires.
La société SCBouakkaz est une société civile immobilière immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bourges le 10 octobre 2022 sous le numéro 920 284 361, dont les associés sont M. B. et Mme B.
Au début de l'année 2022, Mme B. a acquis un local au rez-de-chaussée d'une copropriété située au (…), afin d'y accueillir les bureaux de sa société et de développer son activité.
Le 5 mai 2022, elle a adressé une demande de raccordement pour ce local commercial à la société Enedis, qui a relevé des contraintes de tension, nécessitant le changement du pied de la colonne montante à la charge de la demanderesse.
S'opposant aux propositions de raccordement réceptionnées les 24 août et 11 octobre 2022 au motif qu'elles étaient mal évaluées ou peu claires, Mme B. a saisi le Médiateur national de l'énergie (MNE) le 21 novembre 2022.
Alertée par des agents de la société d'Enedis en décembre 2022 et en janvier 2023 de la situation dégradée de la colonne montante, Mme B. a saisi le 14 mars 2023 le CoRDiS d'une demande de règlement de différend, enregistrée sous le numéro 01-38-23, pour que soit désigné le responsable de la mise en conformité de la colonne montante et enjoint la société Enedis de prendre en charge les travaux de renforcement.
Le 7 avril 2023, la société Enedis a accepté de prendre à sa charge le remplacement du pied de la colonne montante, dans la mesure où il s'agit d'un « acte technique lié à la sécurité électrique » et a indiqué que le nouvel ouvrage aura une capacité supérieure, permettant d'installer une dérivation individuelle.
La société Enedis a également adressé une nouvelle proposition de raccordement à Mme B., prévoyant la réalisation d'une dérivation individuelle à partir de la colonne montante pour un montant de 570,34 euros TTC et la mise en service de l'installation au 31 mai 2023.
Le même jour, Mme B. a indiqué par courrier électronique au comité avoir accepté cette proposition de raccordement, ce qui mettait un terme à son différend avec la société Enedis.
Le 25 avril 2023, la société Enedis a modifié sa proposition de raccordement pour faire apparaître le nom de la société SCBouakkaz, désormais propriétaire du local à raccorder. Ce devis a été signé le lendemain par le représentant de cette société.
Sans nouvelles de la société Enedis malgré plusieurs relances quant à la date de réalisation des travaux de raccordement et d'intervention sur la colonne montante, celle-ci a finalement indiqué le 16 juin 2023 qu'elle interviendra « fin juin/début juillet » pour une mise en service au plus tard le 17 août 2023, et qu'une visite préalable aux travaux destinée à vérifier l'emplacement de la future gaine technique était nécessaire.
Le 23 juin 2023, la société Enedis a proposé à la société SCBouakkaz un rendez-vous le 7 juillet 2023 pour organiser la pose de la gaine technique et a informé celle-ci que la date d'intervention avait été fixée au 25 juillet 2023.
C'est dans ces conditions que, le 28 juin 2023, la société SCBouakkaz a saisi le CoRDiS d'une demande de règlement de différend, assortie d'une demande de mesures conservatoires, dirigées contre la société Enedis.
Par une saisine et un mémoire en réponse, enregistrés sous le numéro 04-38-22, les 28 juin et 7 juillet 2023, la société SCBouakkaz, représentée par son associé gérant, M. B., demande au comité de règlement des différends et des sanctions, dans le dernier état de ses écritures de réaliser les travaux de mise en conformité de la colonne montante sous 10 jours à compter de la date de la saisine et d'exécuter les travaux de raccordement prévus dans la proposition de raccordement sous 15 jours à compter de la date de la saisine.
Elle soutient que :
- la date du 7 avril 2023 doit être retenue pour la signature de la proposition de raccordement, dans la mesure où sa modification ne résulte pas du changement de dénomination sociale de la personne à raccorder et que la société Enedis avait connaissance dès ce moment de son numéro SIREN ; qu'un délai de 18 jours s'est également écoulé entre la signature du premier devis et sa correction le 25 avril 2023 pour en changer l'entête, et qu'elle n'a pas eu besoin de verser un nouvel acompte, confirmant ainsi la continuité entre les deux propositions ;
- la signature de la proposition de raccordement engage le prestataire à respecter les termes qui y figurent ; que l'article 8 de ce devis prévoit un délai commun de 16 semaines pour tenir compte de la disponibilité des entreprises sous-traitantes et la délivrance des autorisations nécessaires mais que les travaux à réaliser au cas présent ne nécessitent pas d'autorisation et la société Enedis peut les effectuer en interne ; qu'en outre, la société Enedis a abusé de sa position de monopole, dans la mesure où le simulateur de prix et le délai proposé par son site internet indiquent, dans le cas d'une puissance inférieure à 36 kVA sur un terrain déjà viabilisé, un délai prévisionnel de 2 semaines pour obtenir un devis, 4 à 6 semaines pour la réalisation des travaux et 1 à 2 semaines pour la mise en service, ce qui n'a été le cas en l'espèce ;
- la société Enedis fait preuve de mauvaise foi en indiquant avoir proposé de réaliser les travaux le 25 juillet 2023, sans mentionner que jusqu'au 16 juin 2023 la date estimée des travaux était fixée à « fin juin/début juillet » ; que son manque à gagner résultant du refus de la société Enedis de prendre en charge le remplacement du pied de la colonne montante s'élève à plusieurs milliers d'euros ;
- la société Enedis relativise la gravité de la situation et s'abstient d'expliquer les raisons pour lesquelles le problème de sécurité n'a pas été détecté dès le mois de mai 2022, ni en août 2022 au moment du passage de son chargé d'affaires ; qu'il a également fallu attendre la date limite de réponse auprès du CoRDiS pour qu'elle reconnaisse le problème, alors même que ses techniciens l'ont informé du problème dès le mois de décembre 2022 et ont installé une signalétique adhésive « danger de mort » sur l'armoire électrique ; qu'enfin, les différentes coupures d'électricité constatées illustrent la vétusté généralisée du réseau local qui date des années 1960, justifiant une intervention rapide et à ses frais de la société Enedis pour entretenir le réseau.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 6 et 12 juillet 2023, la société Enedis, représentée par Me Scanvic, Foley Hoag AARPI, conclut au rejet de la demande de mesures conservatoires.
Elle fait valoir que :
- compte tenu du transfert de propriété du local à raccorder, une nouvelle proposition de raccordement a été adressée à la société SCBouakkaz le 26 avril 2023, dès l'obtention par le pétitionnaire de son numéro SIRET ; que si elle a commis une erreur matérielle en mentionnant dans son devis modificatif la date du 31 mai 2023 pour la mise en service de l'installation, ce document fixe également un délai prévisionnel de 16 semaines pour réaliser les études et les travaux, à compter de sa date de réception de l'acceptation ;
- ses agents se sont rendus sur le site à raccorder pour analyser la situation le 7 juillet 2023 en présence de M. B. et lui ont indiqué que son intervention était programmée pour le 25 juillet 2023 ; que si elle a d'ores et déjà engagé les démarches de prévenance de coupure des clients pour un raccordement à cette date, M. B. n'a pas encore accepté cette date pour l'intervention ;
- les délais proposés pour gérer ce dossier sont, d'une part, cohérents avec le plan de charge de l'entreprise et les autres clients à raccorder, et d'autre part, ne posent aucun problème de sécurité, dans la mesure où la colonne électrique se situe dans un espace dédié aux électriciens et que son remplacement ne présente pas un caractère urgent ; qu'en outre, les coupures évoquées par la société SCBouakkaz sont liées aux intempéries du 23 juin 2023 et ne résultent en rien de l'état du pied de la colonne ;
- le comité est incompétent pour accorder une réparation d'un éventuel préjudice.
Le 11 juillet 2023, le président du comité a fait droit à la demande du représentant de la société SCBouakkaz de participer par visioconférence à la séance publique.
La société Enedis a donné son accord le même jour à la participation en visioconférence du représentant de la société demanderesse.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants et R. 134-7 et suivants ;
- la décision du 13 février 2019 portant adoption du règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
- la décision du 3 juillet 2023 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie, relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction de la demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 04-38-23.
Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique du comité de règlement de différends et des sanctions, composé de M. Tuot, président, Mme Salomon et M. Simonel, membres, qui s'est tenue le 17 juillet 2023, en présence de :
M. Rodriguez, directeur adjoint des affaires juridiques et représentant le directeur général empêché,
M. Laurent, rapporteur,
M. B., représentant la société SCBouakkaz,
Le représentant de la société Enedis.
Au début de la séance publique, le président du comité a rappelé qu'en application de l'article 1er du règlement intérieur du comité, le représentant de la société demanderesse participait en visioconférence à cette séance.
Le représentant de la société Enedis, informé avant la séance de cette demande à laquelle il avait acquiescé, a expressément confirmé son accord au début de la séance.
Les parties ont également été informées qu'à tout moment, le président du comité pouvait décider de lever la séance pour qu'elle soit reprise à une date ultérieure en cas de difficulté matérielle, notamment liée à la capacité de connexion de M. B., ne permettant pas le déroulement normal de la séance.
Les parties n'ont pas fait état d'une mauvaise qualité de la liaison électronique.
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Laurent, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de M. B. pour la société SCBouakkaz, qui persiste dans ses moyens et conclusions ;
- les observations de Me Scanvic pour la société Enedis, qui persiste dans ses moyens et conclusions.
Le président du comité a suspendu la séance publique pour permettre au conseil de la société Enedis de s'entretenir par téléphone avec sa cliente sur les motifs pour lesquels la colonne montante ne présenterait pas de danger pour la sécurité et la sûreté des personnes et des biens et pour apprécier l'intérêt que présenterait la production d'éléments complémentaires par une note en délibéré.
Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré après que les parties, le rapporteur, le public et les agents des services se sont retirés.
Sur la demande relative à la réalisation des travaux de raccordement :
- Il résulte de l'audience que les parties ont exprimé un accord commun à la réalisation le 25 juillet 2023 des travaux de raccordement, sur le fondement d'un engagement ferme et inconditionné de la société Enedis. Le comité donne acte à la société Enedis de son engagement et aux parties de leur accord.
Sur la mise en sécurité de la colonne montante : - Aux termes de l'article L. 134-19 du code de l'énergie : « Le comité de règlement des différends et des sanctions peut être saisi en cas de différend : / 1° Entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics (…) de distribution d'électricité (…). / Ces différends portent sur l'accès auxdits réseaux (…) ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L. 111-94 (…) ». Aux termes de l'article L. 134-20 du même code : « Dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, le comité se prononce dans un délai de deux mois, après avoir diligenté, si nécessaire, une enquête dans les conditions fixées aux articles L. 135-3 et L. 135-4 et mis les parties à même de présenter leurs observations. Le délai peut être porté à quatre mois si la production de documents est demandée à l'une ou l'autre des parties. Ce délai de quatre mois peut être prorogé sous réserve de l'accord de la partie plaignante. (…) ». Aux termes de l'article L. 134-22 du même code : « En cas d'atteinte grave et immédiate aux règles régissant l'accès aux réseaux, ouvrages et installations mentionnés à l'article L. 134-19 ou à leur utilisation, le comité peut, après avoir entendu les parties en cause, ordonner les mesures conservatoires nécessaires en vue notamment d'assurer la continuité du fonctionnement des réseaux. Ces mesures peuvent comporter la suspension des pratiques portant atteinte aux règles régissant l'accès auxdits réseaux, ouvrages et installations ou à leur utilisation ». Aux termes de l'article R. 134-18 du même code : « Une demande de mesures conservatoires ne peut être présentée qu'accessoirement à une saisine du comité de règlement des différends et des sanctions au fond en matière de règlement de différends, dans les mêmes formes que celles prévues aux articles R. 134-8 et R. 134-9. / Elle peut être présentée à tout moment de la procédure. / La demande expose la nature ou l'objet des mesures demandées et les raisons de fait ou de droit fondant la demande. Elle est communiquée aux parties et est instruite dans des délais compatibles avec l'urgence des mesures demandées ». Enfin, aux termes de l'article R. 134-20 du même code : « Sauf annulation ou réformation prononcée par la cour d'appel de Paris en application de l'article L. 134-24, la mesure conservatoire cesse de produire ses effets lorsque la décision du comité est rendue sur le fond ».
- Il résulte des dispositions citées ci-dessus qu'une demande de mesures conservatoires présentée devant le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie est subordonnée à une appréciation de l'immédiateté et de la gravité de l'atteinte aux règles qui régissent l'accès ou l'utilisation des réseaux, ouvrages et installations mentionnés à l'article L. 134-19 du code de l'énergie, caractérisant une situation d'urgence qui justifie, sans attendre l'examen au fond de la demande de règlement de différend qui intervient en principe dans un délai de deux mois, que des mesures conservatoires soient prises afin de remédier à cette atteinte. Tel est en particulier le cas lorsque l'atteinte à ces règles affecte de manière grave et immédiate l'intégrité du réseau ou le droit d'accès des utilisateurs de ce réseau.
- Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 121-1 du code de l'énergie : « Matérialisant le droit de tous à l'électricité, produit de première nécessité, le service public de l'électricité est géré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique ». Aux termes de l'alinéa 1er de l'article L. 322-9 du code de l'énergie : « Chaque gestionnaire de réseau public de distribution d'électricité veille, à tout instant, à l'équilibre des flux d'électricité, à l'efficacité, à la sécurité et à la sûreté du réseau qu'il exploite, compte tenu des contraintes techniques pesant sur ce dernier ». Aux termes de l'article R. 323-33 du même code : « Les ouvrages des réseaux publics d'électricité et ceux des lignes directes ainsi que toutes les installations qui en dépendent sont exploités dans des conditions garantissant leur bon fonctionnement, leurs performances et leur sécurité ».
- Il résulte de l'instruction qu'un danger affectant la sécurité du boîtier métallique en pied de la colonne montante a été constaté par la société Enedis dès décembre 2022, ce qu'elle a explicitement confirmé dans un courrier électronique à l'attention de M. B. le 7 avril 2023. Les agents de la société Enedis ont signalé ce danger par l'apposition d'une signalisation « installation sous tension / danger de mort » » barrant la porte du boîtier métallique, dont il est constant qu'elle est toujours en place. En outre, il n'est pas plus contesté que, à plusieurs reprises, entre décembre 2022 et juillet 2023, différents agents de la société Enedis ont systématiquement refusé d'intervenir sur cette installation électrique, arguant de l'existence d'un danger demandant des qualifications particulières pour intervenir dans pareille situation. Enfin, il résulte des débats à l'audience et n'est plus contesté que contrairement à ce qui était soutenu par la société Enedis en défense, le local renfermant cette installation n'est pas réservée aux électriciens, mais est accessible aux occupants de la résidence. Aucun de ces éléments de fait n'a pu être démenti par les assertions, résultant d'une conversation téléphonique lors d'une suspension d'audience et qu'aucun élément au dossier ne corrobore alors que la société Enedis connaissait la situation et l'avait qualifiée comme source d'un danger de mort en décembre 2022. La simple affirmation orale tardive que le danger est limité à une fuite de courant de faible ampleur, qu'il n'y a pas de danger de mort et que les agents qui sont intervenus n'avaient pas les qualifications nécessaires n'est pas de nature à remettre en cause le constat d'une situation de dangerosité dont il appartenait à la société Enedis de corriger l'appréciation en temps utile.
- Il incombe en effet au seul gestionnaire, au titre de son obligation de sécurité et de sûreté, d'identifier et d'évaluer précisément les risques que peuvent présenter toutes les installations dont il a la charge, et de mettre en œuvre, dans les délais imposés par l'urgence, tous les moyens nécessaires pour écarter ces risques, en assurant ainsi la protection des personnes et des biens.
- A défaut d'éléments concrets permettant de mesurer la nature exacte du danger, et faute de tout engagement de la société Enedis sur des délais de travaux de nature de remédier à la situation constatée, le CoRDiS ne peut s'en tenir, pour apprécier les faits, qu'au constat qui en demeure de l'existence d'un danger de mort dans une installation au moins, partiellement accessible au public, situation à laquelle il revient au gestionnaire de réseau de remédier sans délai. Il appartient, dès lors, au CoRDiS de remédier à un danger pour la sécurité ou la sûreté des personnes et des biens et d'ordonner, en conséquence, la réalisation des mesures propres à y mettre un terme immédiat.
- Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner à la société Enedis de procéder, dès la notification de la présente décision, aux travaux de mise en sécurité de la colonne montante, en réalisant sur cet ouvrage les travaux de remplacement nécessaires, et de rendre compte au comité de la réalisation de ces travaux.
Décide :
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