JORF n°0146 du 25 juin 2022

5.5.2. Sur l'utilisation de l'information privilégiée par un membre de l'équipe Short Term Trading

  1. Il ressort des pièces du dossier qu'entre 06:01:08 et 06:01:17, soit avant 06:01:24 qui est l'heure de la publication de l'information privilégiée lui ayant fait perdre cette nature, la société Engie a réalisé cinq transactions en lien avec les produits H11 et H12, auxquels se rapporte l'information privilégiée, représentant un volume de 100 MWh pour un montant total de 16 205 €.
  2. Le comité note, à l'instar de la notification des griefs, que la réalisation de ces cinq transactions pour les produits H11 et H12, avant la publication effective de l'information privilégiée, n'est pas contestée par la société Engie.
  3. La société Engie soutient tout d‘abord qu'il s'agit d'une « erreur opérationnelle », et ajoute que la notification des griefs ne contient aucune démonstration d'une utilisation indue de l'information par Engie, laquelle n'a profité d'aucun avantage ou déséquilibre d'information.
  4. Toutefois, et comme l'a précisé la notification des griefs, en vertu tant des termes des dispositions précitées de l'article 3 du règlement REMIT que des finalités qu'elles poursuivent, de garantie de la transparence du marché de gros de l'énergie et de la certitude confiante que doivent avoir ses acteurs qu'ils peuvent y participer en disposant exactement des mêmes informations pertinentes que chacun des autres acteurs, ni l'intention ni le caractère délibéré ni l'existence ou l'ampleur de l'effet, direct ou indirect, sur le marché, ne sont des éléments opérants pour l'appréciation, de nature objective, du manquement à l'interdiction d'opérations d'initiés.
  5. Ainsi, pour la constatation de ce manquement, les faits susceptibles de le caractériser doivent s'apprécier de manière objective, indépendamment des facteurs subjectifs de leur réalisation et de leurs conséquences sur le marché. Toute utilisation d'une information privilégiée, constituée par l'acquisition ou la cession de produits énergétiques de gros auxquels se rapporte cette information, est interdite.
  6. Dès lors, le dossier établit que le 23 janvier 2017, entre 06:01:08 et 06:01:17, un membre de l'équipe Short Term Trading a utilisé une information privilégiée.
  7. La société Engie fait cependant valoir que l'utilisation de l'information aurait été effectuée dans un cadre prévu par le règlement REMIT, en son article 3, paragraphe 4 sous b, duquel il s'infère que l'interdiction des opérations d'initiés ne s'applique pas : « aux transactions conclues par les producteurs d'électricité et de gaz naturel, les opérateurs d'installations de stockage de gaz naturel ou les opérateurs d'installations d'importation de GNL dans le seul but de couvrir des pertes physiques immédiates résultant d'indisponibilités imprévues, chaque fois que le fait de ne pas agir de la sorte aurait pour résultat d'empêcher l'acteur du marché de respecter les obligations contractuelles existantes ou lorsque cette action est engagée avec l'accord du gestionnaire de réseau de transport concerné afin de garantir le fonctionnement sûr et fiable du réseau. Dans ce cas, les informations pertinentes relatives à ces transactions sont communiquées à l'agence ainsi qu'à l'autorité de régulation nationale. Cette obligation de communication est sans préjudice des obligations visées à l'article 4, paragraphe 1 ».
  8. Il ressort de ces dispositions qu'en présence d'une information privilégiée, les acteurs de marché ne peuvent agir sans violer la prohibition des opérations d'initiés posée par l'article 3 du règlement REMIT, en se prévalant de l'exemption posée à l'article 3, paragraphe 4 sous b précité, uniquement dans l'hypothèse où ces acteurs sont dans l'incapacité physique, compte tenu de leur portefeuille et des moyens physiques restant disponibles, d'honorer leurs obligations contractuelles, s'ils n'achètent pas de volume immédiatement. En dehors de cette hypothèse, ils doivent attendre la publicité de l'information pour agir.
  9. Il appartient en conséquence à l'opérateur qui prétend s'être trouvé dans la situation placée en dehors du champ de l'interdiction des opérations d'initiés visée à l'article 3 paragraphe 4 sous b, de fournir tous éléments permettant d'établir, au vu de sa situation matérielle et juridique, que les ordres d'achat ou de vente passés ne pouvaient l'être qu'au moment où ils l'ont été et dans les conditions dans lesquelles ils ont été passés. L'opérateur ne peut ainsi se contenter de faire état de ses obligations contractuelles d'équilibrage, sans préciser l'ensemble des données matérielles, juridiques et financières permettant d'établir qu'il se trouvait dans l'impossibilité de procéder autrement. L'opérateur qui indique avoir agi pour couvrir des pertes physiques immédiates doit ainsi exposer n'avoir eu aucun autre actif disponible et expliquer en quoi les pertes ne pouvaient être couvertes par aucun cadre existant tels que les marchés journaliers ou infra-journaliers, sans attendre la publication de l'information privilégiée.
  10. En l'espèce, si la société Engie prétend que les opérations en cause qu'elle a passées sur le marché s'inscrivaient pleinement dans le cadre de ses obligations contractuelles d'équilibrage dans le contexte de l'arrêt fortuit de deux centrales qu'elle n'était pas en mesure de couvrir au moyen d'une autre unité de production, il apparaît que les éléments qu'elle a pu fournir au cours de l'enquête ne portent pas sur l'état de ses engagements contractuels, de son portefeuille, de sa capacité à faire face à ses engagements et à ses obligations en matière d'équilibrage pour la période incriminée à raison des transactions effectuées, dans les seize secondes ayant précédé la publication de l'information.
  11. La société Engie fait également valoir que RTE avait adressé une alerte du système d'alerte et de sauvegarde (ci-après « SAS »). Le comité relève toutefois que le SAS est une « messagerie d'exploitation dédiée aux situations de crise, permettant de transmettre des ordres prédéfinis, à exécuter par les opérateurs des sites et centres de conduite de production, afin de garantir la tenue des paramètres essentiels du système électrique (fréquence, tension) dans les limites autorisées » (8). La seule invocation de ce que RTE avait envoyé une indication générale sous forme de SAS n'est pas, en elle-même, de nature à établir qu'agir sur le marché à ce moment-là répondait aux nécessités de l'équilibrage.
  12. Engie n'apporte ainsi pas tous les éléments permettant au comité d'établir que les obligations d'équilibrage auxquelles elle est astreinte aient imposé la communication des informations relatives aux capacités de production en cause telles que décrites à la partie 5.5.1 de la présente décision et aient justifié de leur utilisation avant que celles-ci ne soient rendues publiques, faisant dès lors obstacle à ce qu'elle puisse se prévaloir de l'exonération de l'article 3, paragraphe 4 sous b rappelée au point 57. Le Comité note au surplus que la société Engie reconnaît elle-même ne pas en avoir fait usage (9), et ne saurait s'en prévaloir a postériori pour établir que le manquement ne serait pas constitué, et ce d'autant que l'article 3, paragraphe 4 sous b précité impose la communication, à l'ACER ainsi qu'à l'autorité de régulation nationale, des informations pertinentes relatives aux transactions effectuées, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.
  13. Dès lors, la société Engie a méconnu, dans la mesure décrite ci-dessus, l'interdiction de procéder à des opérations d'initiés prévue par l'article 3 paragraphe 1 sous a du règlement REMIT.

(8) RTE - Documentation technique de référence - Chapitre 4 - article 4.7.
(9) Observations en réponse à la notification des griefs du 4 février 2022, p.39/45, point 71.


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Version 1

5.5.2. Sur l'utilisation de l'information privilégiée par un membre de l'équipe Short Term Trading

51. Il ressort des pièces du dossier qu'entre 06:01:08 et 06:01:17, soit avant 06:01:24 qui est l'heure de la publication de l'information privilégiée lui ayant fait perdre cette nature, la société Engie a réalisé cinq transactions en lien avec les produits H11 et H12, auxquels se rapporte l'information privilégiée, représentant un volume de 100 MWh pour un montant total de 16 205 €.

52. Le comité note, à l'instar de la notification des griefs, que la réalisation de ces cinq transactions pour les produits H11 et H12, avant la publication effective de l'information privilégiée, n'est pas contestée par la société Engie.

53. La société Engie soutient tout d‘abord qu'il s'agit d'une « erreur opérationnelle », et ajoute que la notification des griefs ne contient aucune démonstration d'une utilisation indue de l'information par Engie, laquelle n'a profité d'aucun avantage ou déséquilibre d'information.

54. Toutefois, et comme l'a précisé la notification des griefs, en vertu tant des termes des dispositions précitées de l'article 3 du règlement REMIT que des finalités qu'elles poursuivent, de garantie de la transparence du marché de gros de l'énergie et de la certitude confiante que doivent avoir ses acteurs qu'ils peuvent y participer en disposant exactement des mêmes informations pertinentes que chacun des autres acteurs, ni l'intention ni le caractère délibéré ni l'existence ou l'ampleur de l'effet, direct ou indirect, sur le marché, ne sont des éléments opérants pour l'appréciation, de nature objective, du manquement à l'interdiction d'opérations d'initiés.

55. Ainsi, pour la constatation de ce manquement, les faits susceptibles de le caractériser doivent s'apprécier de manière objective, indépendamment des facteurs subjectifs de leur réalisation et de leurs conséquences sur le marché. Toute utilisation d'une information privilégiée, constituée par l'acquisition ou la cession de produits énergétiques de gros auxquels se rapporte cette information, est interdite.

56. Dès lors, le dossier établit que le 23 janvier 2017, entre 06:01:08 et 06:01:17, un membre de l'équipe Short Term Trading a utilisé une information privilégiée.

57. La société Engie fait cependant valoir que l'utilisation de l'information aurait été effectuée dans un cadre prévu par le règlement REMIT, en son article 3, paragraphe 4 sous b, duquel il s'infère que l'interdiction des opérations d'initiés ne s'applique pas : « aux transactions conclues par les producteurs d'électricité et de gaz naturel, les opérateurs d'installations de stockage de gaz naturel ou les opérateurs d'installations d'importation de GNL dans le seul but de couvrir des pertes physiques immédiates résultant d'indisponibilités imprévues, chaque fois que le fait de ne pas agir de la sorte aurait pour résultat d'empêcher l'acteur du marché de respecter les obligations contractuelles existantes ou lorsque cette action est engagée avec l'accord du gestionnaire de réseau de transport concerné afin de garantir le fonctionnement sûr et fiable du réseau. Dans ce cas, les informations pertinentes relatives à ces transactions sont communiquées à l'agence ainsi qu'à l'autorité de régulation nationale. Cette obligation de communication est sans préjudice des obligations visées à l'article 4, paragraphe 1 ».

58. Il ressort de ces dispositions qu'en présence d'une information privilégiée, les acteurs de marché ne peuvent agir sans violer la prohibition des opérations d'initiés posée par l'article 3 du règlement REMIT, en se prévalant de l'exemption posée à l'article 3, paragraphe 4 sous b précité, uniquement dans l'hypothèse où ces acteurs sont dans l'incapacité physique, compte tenu de leur portefeuille et des moyens physiques restant disponibles, d'honorer leurs obligations contractuelles, s'ils n'achètent pas de volume immédiatement. En dehors de cette hypothèse, ils doivent attendre la publicité de l'information pour agir.

59. Il appartient en conséquence à l'opérateur qui prétend s'être trouvé dans la situation placée en dehors du champ de l'interdiction des opérations d'initiés visée à l'article 3 paragraphe 4 sous b, de fournir tous éléments permettant d'établir, au vu de sa situation matérielle et juridique, que les ordres d'achat ou de vente passés ne pouvaient l'être qu'au moment où ils l'ont été et dans les conditions dans lesquelles ils ont été passés. L'opérateur ne peut ainsi se contenter de faire état de ses obligations contractuelles d'équilibrage, sans préciser l'ensemble des données matérielles, juridiques et financières permettant d'établir qu'il se trouvait dans l'impossibilité de procéder autrement. L'opérateur qui indique avoir agi pour couvrir des pertes physiques immédiates doit ainsi exposer n'avoir eu aucun autre actif disponible et expliquer en quoi les pertes ne pouvaient être couvertes par aucun cadre existant tels que les marchés journaliers ou infra-journaliers, sans attendre la publication de l'information privilégiée.

60. En l'espèce, si la société Engie prétend que les opérations en cause qu'elle a passées sur le marché s'inscrivaient pleinement dans le cadre de ses obligations contractuelles d'équilibrage dans le contexte de l'arrêt fortuit de deux centrales qu'elle n'était pas en mesure de couvrir au moyen d'une autre unité de production, il apparaît que les éléments qu'elle a pu fournir au cours de l'enquête ne portent pas sur l'état de ses engagements contractuels, de son portefeuille, de sa capacité à faire face à ses engagements et à ses obligations en matière d'équilibrage pour la période incriminée à raison des transactions effectuées, dans les seize secondes ayant précédé la publication de l'information.

61. La société Engie fait également valoir que RTE avait adressé une alerte du système d'alerte et de sauvegarde (ci-après « SAS »). Le comité relève toutefois que le SAS est une « messagerie d'exploitation dédiée aux situations de crise, permettant de transmettre des ordres prédéfinis, à exécuter par les opérateurs des sites et centres de conduite de production, afin de garantir la tenue des paramètres essentiels du système électrique (fréquence, tension) dans les limites autorisées » (8). La seule invocation de ce que RTE avait envoyé une indication générale sous forme de SAS n'est pas, en elle-même, de nature à établir qu'agir sur le marché à ce moment-là répondait aux nécessités de l'équilibrage.

62. Engie n'apporte ainsi pas tous les éléments permettant au comité d'établir que les obligations d'équilibrage auxquelles elle est astreinte aient imposé la communication des informations relatives aux capacités de production en cause telles que décrites à la partie 5.5.1 de la présente décision et aient justifié de leur utilisation avant que celles-ci ne soient rendues publiques, faisant dès lors obstacle à ce qu'elle puisse se prévaloir de l'exonération de l'article 3, paragraphe 4 sous b rappelée au point 57. Le Comité note au surplus que la société Engie reconnaît elle-même ne pas en avoir fait usage (9), et ne saurait s'en prévaloir a postériori pour établir que le manquement ne serait pas constitué, et ce d'autant que l'article 3, paragraphe 4 sous b précité impose la communication, à l'ACER ainsi qu'à l'autorité de régulation nationale, des informations pertinentes relatives aux transactions effectuées, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

63. Dès lors, la société Engie a méconnu, dans la mesure décrite ci-dessus, l'interdiction de procéder à des opérations d'initiés prévue par l'article 3 paragraphe 1 sous a du règlement REMIT.

(8) RTE - Documentation technique de référence - Chapitre 4 - article 4.7.

(9) Observations en réponse à la notification des griefs du 4 février 2022, p.39/45, point 71.