JORF n°0275 du 23 novembre 2025

Décision n°01-38-25 du 21 novembre 2025

Objet du différend :
Le différend porte sur le respect, par le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité, dans le cadre d'un contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité (CARD-I), de ses obligations envers un producteur d'énergie à la suite de l'exécution de travaux de renouvellement sur un poste-source ayant entraîné pour ce producteur des coupures et indisponibilités d'accès à ce réseau.
Conclusions des parties :
Pour le demandeur :
Par un mémoire de saisine et trois mémoires complémentaires, enregistrés sous le numéro 01-38-25 les 21 janvier, 2 avril, 2 juin et 11 juillet 2025, la société Statkraft Renouvelables (« Statkraft ») demande au comité de règlement des différends et des sanctions (le « CoRDiS » ou le « comité ») de décider que la société Enedis :

- n'a pas respecté le délai de prévenance de trois mois prévu par les stipulations de l'article 5.1.1.4 des conditions générales du contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité (CARD-I n° 105588) conclu avec la société Statkraft Renouvelables (le « contrat CARD » ou « CARD-I ») ;
- n'a pas respecté la durée maximale d'indisponibilité de huit heures de coupure prévue par les stipulations des articles 5.1.1.1 et 5.1.1.1.1 du contrat CARD.

La société Statkraft soutient que :

- Enedis a méconnu les stipulations du contrat CARD relatives à la durée maximale des coupures puisque, si aux termes de son article 5.1.1.1, le gestionnaire du réseau peut : « lorsque des contraintes techniques l'imposent, réaliser des travaux pour le développement, le renouvellement, l'exploitation, l'entretien, la sécurité et les réparations urgentes que requiert le Réseau » et que « ces travaux peuvent conduire à une Coupure », son article 5.1.1.1.1 prévoit cependant que : « Le Distributeur s'engage d'une part à ne pas causer plus de deux (2) Coupures par année civile lors de la réalisation des travaux susmentionnés, et d'autre part à ce que la durée cumulée en soit inférieure à huit (8) heures ». Or l'article 9.1.1.1.1.1 du même contrat stipule, en son premier alinéa, que : « le Distributeur est responsable des dommages directs et certains qu'il cause à l'autre Partie en cas de non-respect des engagements quantitatifs de non-dépassement du nombre de coupures […] » ;
- en l'espèce, Enedis a coupé la distribution d'électricité du 20 février 2023 à 8 h 39 au 3 avril 2023 à 16 h 19, pendant 1 016 heures, ce qui a ainsi très considérablement dépassé la durée de huit heures prévue à l'article 5.1.1.1.1 du contrat CARD ;
- l'article 5.1.1.1 du contrat CARD vise expressément les travaux de « renouvellement » sans aucune restriction quant à la nature de ces derniers et, contrairement à ce qu'avance Enedis, cette clause ne concerne pas uniquement les opérations classiques d'entretien et ne fait d'ailleurs strictement aucune référence à la notion « d'opérations classiques d'entretien du RPD » ;
- c'est le gestionnaire du réseau lui-même qui a indiqué à Statkraft, le 17 février 2023, qu'une intervention ayant pour origine le « renouvellement du poste source » allait être réalisée sur ses ouvrages, sans faire état à aucun moment du prétendu caractère « exceptionnel » de ces travaux ;
- si Enedis fait valoir que le contrat cité dans son courrier du 17 février 2023 n'est pas le contrat CARD mais la convention d'exploitation, cet argument est inopérant dès lors que la convention d'exploitation prévoit expressément à l'article 1.2 de ses conditions générales que « la présente convention d'exploitation s'inscrit dans un dispositif contractuel général comprenant : / - un Contrat d'Accès au Réseau en Injection (CARD-I), / - le cas échéant, une Convention de Raccordement » ; en outre, la convention d'exploitation stipule expressément aux articles 8.1.1 et 8.5.1.1.1 de ses conditions générales, combinés à l'article 8.1.1 de ses conditions particulières, que le gestionnaire du réseau de distribution est responsable en cas de dépassement d'une durée cumulée annuelle maximale de coupure pour travaux de 8 heures dans le cadre de travaux de renouvellement ;
- le contrat CARD étant un contrat d'adhésion, Enedis ne peut se prévaloir de ce qu'en demandant l'application de ses stipulations claires et précises, Statkraft créerait un prétendu déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
- les « engagements quantitatifs » d'Enedis relatifs à « la continuité de la tension du RPD » définis à l'article 5.1 du contrat CARD constituent une obligation de résultat au sens de l'article 9.1.1.1.1.1 du même contrat CARD ;
- il importe peu qu'Enedis, à compter de 2012, dans la nouvelle version de son contrat CARD, ait inclus les travaux de renouvellement des postes-sources dans la catégorie des opérations de maintenance lourde, dès lors que cette nouvelle version du contrat ne s'applique pas à la présente espèce, qui est régie par le contrat CARD conclu entre les parties le 23 juin 2008 ;
- l'article 5.1.1.3 des conditions particulières relatif aux « opérations de maintenance lourde », ne fait aucune mention des opérations de renouvellement des postes sources, d'où il se déduit que les travaux litigieux ne sont pas intervenus dans ce cadre et ne peuvent, dès lors, être rattachés à l'article 5.1.1.4 des conditions générales du contrat CARD ;
- en l'espèce, Enedis a, de son propre chef, fait application de la procédure de concertation prévue par l'article 5.1.1.4 du contrat CARD, en organisant une période de concertation, puis en notifiant, par sa lettre du 17 février 2023, le début des opérations ;
- dans ce cadre, les accords qui avaient été donnés par Statkraft les 6 octobre et 4 novembre 2022 en réponse aux prévisions d'impacts transmises via la plateforme « DISPO Réseau » par Enedis et qui prévoyaient une indisponibilité partielle, sont devenus caducs, ces prévisions d'impacts ayant par la suite été modifiées pour prévoir finalement une coupure totale de la capacité d'injection ;
- en définitive, la seule prévision d'impacts exacte quant à la durée des travaux et au contenu technique de ces derniers est intervenue le 14 février 2023, soit six jours avant le début des travaux et n'a jamais fait l'objet d'un quelconque accord de Statkraft ;
- en ayant définitivement notifié à Statkraft le 17 février 2023 l'intervention programmée du 20 février 2023 au 3 avril 2023, c'est-à-dire trois jours avant le lancement des travaux, Enedis a méconnu le délai de prévenance de 3 mois prévu par les stipulations de l'article 5.1.1.4 du contrat CARD.

Pour le défendeur :
Par trois mémoires en réponse, enregistrés les 10 mars, 15 avril et 2 juillet 2025, la société Enedis (« Enedis »), représentée par ses représentants légaux et ayant pour avocat Me Guénaire, demande au comité de rejeter les demandes de la société Statkraft Renouvelables.
Enedis soutient que :

- le renouvellement des postes-sources s'analyse en une opération complexe qui induit des opérations sans commune mesure avec les travaux habituellement effectués et implique des investissements nécessitant l'intervention de prestataires ainsi qu'une logistique importante ; ces travaux s'effectuent ainsi sur des durées longues non-compressibles, occasionnant des indisponibilités pour les producteurs nécessairement plus longues que pour les opérations courantes ; il est donc techniquement impossible de rattacher ces travaux à de simples travaux de renouvellement relevant de l'article 5.1.1.1 du contrat CARD, lesquels doivent être réalisés en moins de huit heures ;
- les travaux de renouvellement des postes-sources ne sont pas mentionnés à l'article 5.1.1.1 du contrat CARD, lequel vise des opérations classiques d'entretien du réseau public de distribution d'électricité ; si Statkraft soutient que cette clause ne fait « strictement aucune référence à la notion d'opérations classiques d'entretien du RPD », force est de constater qu'elle ne fait pas non plus référence à la notion de « travaux de renouvellement de postes-sources » ;
- le contrat CARD signé entre Enedis et Statkraft n'intégrait pas la catégorie des travaux de renouvellement de postes-sources ; c'est à partir du 1er septembre 2012 que la version V8.3 des CARD-I a fait apparaître la catégorie des travaux de renouvellement de postes-sources parmi les opérations de maintenance lourde ;
- par un arrêt du 3 février 2025, la Cour d'appel de Paris a estimé que : « la définition technique d'un poste-source et la nature des travaux de renouvellement qui sont réalisés qui demandent des temps d'interruption ou de réduction de la productivité importants, établissent l'impossibilité de rattacher ces travaux à l'article 5.1.1.1 des conditions générales des CARD-I pour lesquels la durée annuelle cumulée de coupures ne doit pas dépasser 8 heures » ;
- les travaux de renouvellement des postes-sources ne peuvent être rattachés à l'article 5.1.1.1 du contrat CARD car ils n'étaient pas prévisibles à la date de signature de ce contrat en 2008, ce type d'intervention n'étant apparu nécessaire qu'à compter des années 2010 en raison de l'augmentation exponentielle du rythme de déploiement des énergies renouvelables ayant obligé à une évolution du réseau d'électricité français ;
- l'obligation de prévenance de trois mois visée à l'article 5.1.1.4 du contrat CARD n'est pas opposable à Enedis car les travaux de renouvellement de postes-sources ne sont pas mentionnés à l'article 5.1.1.3 des conditions particulières et ne relèvent, donc, pas de la catégorie des opérations de maintenance lourde ;
- en toutes hypothèses, Enedis a, à la date du 6 octobre 2022, transmis à Statkraft une prévision d'impacts prévoyant une puissance disponible de 1 200 kW du 20 février au 31 mars 2023 et Statkraft a expressément accepté ces travaux le même jour ; un second producteur ayant refusé ce chantier le 2 novembre 2022, Enedis, après avoir échangé avec ce dernier, a lancé un second cycle de concertation pour la réalisation de ces travaux qui ont été de nouveau acceptés par Statkraft le 4 novembre 2022 ;
- si un problème informatique a contraint Enedis à retarder l'envoi du courrier confirmatif de l'intervention au 10 janvier 2023, Enedis avait prévenu Statkraft des travaux de renouvellement du poste-source prévus du 20 février au 31 mars 2023 plus de trois mois avant leur commencement et la demanderesse avait accepté explicitement cette intervention ;
- si la prévision d'impacts a ensuite été modifiée pour être portée à une puissance disponible de 0 kW du 20 février au 31 mars 2023, l'article 5.1.1.4 du contrat CARD ne prévoit aucun engagement de la part d'Enedis envers le producteur en termes de puissance impactée et la valeur de limitation est donnée dans le courrier confirmatif d'intervention uniquement à titre indicatif, la plateforme « DISPO Réseau » permettant ensuite de suivre les prévisions d'impacts d'Enedis ;
- si, le 23 janvier 2023, la durée initiale des travaux a subi une légère modification, le délai ayant étant allongé de 3 jours, une telle modification de la durée du chantier n'a qu'un faible impact pour le producteur ; Enedis a, néanmoins, dans un souci de transparence, averti Statkraft le 30 janvier 2023 de cette modification, Statkraft n'ayant pas répondu.

Par une décision du 7 juillet 2025 la clôture définitive de l'instruction a été fixée au 15 juillet 2025 à 12 heures.
Par des courriers du 21 octobre 2025 les parties ont été informées que la séance publique était fixée au 5 novembre 2025 à 10 h 30.
Les parties ont été régulièrement convoquées à la séance publique du comité, composée de Mme Morellet-Steiner, présidente, M. Laurent-Xavier Simonel, M. Vincent Mahé et M. Philippe Dary, membres, qui s'est tenue dans les locaux de la CRE à la date ci-dessus mentionnée, en présence de :

- Mme Bonhomme/M. Rodriguez, directrice/directeur adjoint de la direction des affaires juridiques, représentant le directeur général empêché ;
- M. Giafferi, rapporteur ;
- les représentants de la société Statkraft Renouvelables, [non présents], assistés de Me Belloc ;
- les représentants de la société Société Enedis, [non présents], assistés de Me Guénaire ;

Le comité a entendu :

- le rapport de M. Giafferi, rapporteur, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Me Belloc, pour la société Statkraft Renouvelables ;
- les observations de Me Guénaire, pour la société Enedis.

Vu :

- le code de l'énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants et R. 134-7 et suivants ;
- le contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité (CARD-I) en injection HTA n° 105588 pour le site éolien de Xambes ;
- la décision du 13 février 2019 portant adoption du règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
- la décision du 12 juin 2025 de la présidente du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction d'une demande de règlement de différend.

Vu les autres pièces du dossier ;
A l'issue de son délibéré le comité a adopté la décision qui suit.
Exposé du différend :

  1. Il résulte de l'instruction que, le 23 juin 2008, les sociétés Enedis et Statkraft ont conclu un contrat d'accès au réseau de distribution pour une installation de production d'électricité n° 105588 pour l'injection sur le réseau, par Statkraft, de l'électricité produite par le parc éolien qu'elle exploite à Xambes (« CARD-I »).
  2. Le 6 octobre 2022, Enedis a engagé une concertation avec Statkraft et lui a notifié via la plateforme « DISPO Réseau » une prévision d'impacts pour une intervention programmée sur le poste-source de Mansle du 20 février 2023 à 8 heures au 31 mars 2023 à 17 heures et prévoyant une limitation de la puissance disponible à 1 200 kW pour son parc éolien pendant la durée de l'opération. Le même jour, Statkraft a donné son accord pour cette intervention. Enedis a, par la suite, engagé le 2 novembre 2022 une nouvelle concertation avec Statkraft relativement à de nouvelles prévisions d'impacts, qui ont été acceptées par cette dernière le 4 novembre 2022.
  3. Enedis a ensuite fait évoluer à plusieurs reprises ces prévisions d'impacts et a notifié le 14 février 2023 à Statkraft une coupure totale de la puissance disponible du 20 février 2023 au 31 mars 2023 ainsi qu'une limitation partielle de puissance disponible à 2 300 kW le 3 mars 2023 de 8 heures à 10 heures. Ces prévisions ont, ensuite, été actualisées par Enedis et les mêmes valeurs d'indisponibilité ont été une nouvelle fois notifiées à Statkraft le 17 février 2023.
  4. En effet, le 10 janvier 2023, Enedis a confirmé par courrier que l'intervention programmée aurait lieu du 20 février 2023 au 31 mars 2023 en précisant que le point de limitation indiquée dans le portail « DISPO Réseau » était « purement indicatif et basé sur les hypothèses les moins favorables », qu'il serait « susceptible d'être affiné dans les jours précédant la réalisation de cette intervention » et que : « La période d'intervention [serait] également susceptible de faire l'objet de modifications […] ». Le 30 janvier 2023, Enedis a relancé une concertation avec Statkraft en indiquant que son intervention devrait durer 3 jours supplémentaires et s'achever le 3 avril 2023, ce que, comme on l'a dit, elle a confirmé à Statkraft le 17 février suivant, par courrier, l'avertissant de l'intervention susceptible d'affecter le fonctionnement de son parc éolien de Xambes, en faisant état de quatre interruptions et limitations de la puissance disponible du 20 février 2023 au 3 avril 2023.
  5. Entre le 20 février et le 3 avril 2023, Enedis a réalisé l'intervention programmée affectant le poste-source de Mansle.
  6. Le 21 février 2023, Statkraft a transmis une demande d'indemnisation à Enedis en raison de l'indisponibilité du réseau public de distribution causé par les travaux et l'informant de l'engagement d'une procédure en réparation du préjudice qui lui aurait été ainsi causé.
  7. Le 11 avril 2023, Statkraft a transmis un nouveau courrier à Enedis lui indiquant avoir évalué l'interruption totale subie à 1 016 heures, entre le 20 février 2023 à 8H39 et le 3 avril 2023 à 16h19 et demande, en conséquence, une indemnisation pour un montant de 358 450,47 €.
  8. Le 21 octobre 2024, après deux relances de la part de Statkraft, Enedis a indiqué ne pas trouver trace de sa demande d'indemnisation. Le 7 novembre suivant, Enedis a indiqué à Statkraft que le contrat CARD ne prévoyait pas « d'engagement [de la part d'Enedis] pour ce type d'opération » et qu'ainsi elle ne pas pouvait pas donner une suite favorable à sa demande d'indemnisation. Le 26 novembre 2024, la société Statkraft a proposé à Enedis d'organiser une rencontre qui a eu lieu le 18 décembre 2024 et aux termes de laquelle le gestionnaire du réseau de distribution a maintenu sa position.
  9. C'est dans ce contexte que la société Statkraft a saisi le comité d'une demande de règlement d'un différend.

Sur le fond :
En ce qui concerne le respect, par Enedis, de la durée maximale d'indisponibilité prévue aux articles 5.1.1.1. et 5.1.1.1.1 des conditions générales du CARD-I :

  1. En premier lieu, il ressort, d'une part, des conditions générales du CARD-I conclu entre Statkraft et Enedis que le gestionnaire du réseau peut réaliser, aux termes de leur article 5.1.1.1 « des travaux pour le développement, le renouvellement, l'exploitation, l'entretien, la sécurité et les réparations urgentes que requiert le Réseau [public de distribution d'électricité] (…) » lorsque des contraintes techniques l'imposent et que, dans ce cadre, il s'engage à ce que la durée cumulée annuelle des coupures éventuellement causée par les opérations de ce type soit inférieure à huit heures, d'autre part, de l'article 5.1.1.4 du même contrat, intitulé « indisponibilités du réseau pour des opérations de maintenance lourde (avec ou sans coupure) », que le gestionnaire du réseau peut également réaliser des « opérations de maintenance lourde (avec ou sans coupure) » et que certaines de « ces opérations de maintenance ou d'entretien sur le [réseau public de distribution] et sur le [réseau public de distribution], dont la description et la fréquence de réalisation sont identifiées aux conditions particulières, peuvent entraîner des indisponibilités du Réseau d'évacuation conduisant à des coupures ou à des demandes d'effacement total ou partiel de la production raccordée ».
  2. En l'espèce, il est constant que l'intervention programmée par Enedis ayant été effectuée du 20 février 2023 au 3 avril 2023 avait pour objet le renouvellement du poste-source de Mansle. Il ressort de l'instruction que les travaux de renouvellement de poste-source ne sont pas expressément mentionnés par l'article 5.1.1.3 des conditions particulières du CARD-I qui précise les « Indisponibilités du Réseau réduisant les capacités d'évacuation de l'énergie pour des opérations de maintenance lourde (avec ou sans coupure) ».
  3. Statkraft soutient que les opérations litigieuses de renouvellement du poste-source de Mansle, doivent être rattachées aux interventions énumérées à l'article 5.1.1.1 des conditions générales du CARD-I qu'elle a conclu avec Enedis car cet article aurait vocation à régir toutes les opérations de renouvellement que requiert le réseau public de distribution d'électricité.
  4. Cependant, dans le cadre du déploiement continu des moyens de productions d'électricité à partir de sources d'énergies renouvelables, les opérations ayant pour objet l'adaptation d'un poste-source afin de permettre le déploiement de ces moyens de production émergents sur tout le territoire concédé au gestionnaire du réseau, sont des opérations dont la nature, la complexité et l'ampleur caractérisent une transformation substantielle du poste-source, à laquelle la limite cumulée annuelle de huit heures d'interruption du réseau n'est manifestement pas adaptée car l'impossibilité technique objective de réaliser une telle opération dans un temps aussi court ne saurait être sérieusement remise en cause.
  5. Or, il résulte de l'instruction et, notamment, de la pièce n° 4 produite par Enedis décrivant l'opération, que l'intervention ayant été conduite par cette dernière au poste-source de Mansle, dont il est constant qu'elle a entraîné pour la société Statkraft une indisponibilité du réseau public d'électricité d'une durée cumulée de 1 016 heures, a porté principalement sur l'adaptation d'équipements PCCN, la construction de nouvelles rames, la création d'une nouvelle travée, d'une loge et d'une grille ainsi que sur la consignation de nouveaux départs HTA et la modification des systèmes de comptage.
  6. Dans ces conditions, Statkraft ne peut pas soutenir que les opérations de renouvellement du poste-source de Mansle, d'une ampleur telle que celle apparaissant de la description ci-dessus, auraient été des opérations de renouvellement relevant de l'article 5.1.1.1 des conditions générales du CARD-I, quand bien même ces opérations de renouvellement n'avaient alors pas été expressément mentionnées par le CARD-I parmi les opérations de maintenance lourde visées à l'article 5.1.1.4 des conditions générales de ce contrat.
  7. En outre, l'instruction fait ressortir qu'Enedis a elle-même fait application, dans le cadre de l'opération litigieuse, de la procédure de concertation prévue à l'article 5.1.1.4 des conditions générales du CARD-I en sa version applicable aux faits de l'espèce. De surcroît, la version postérieure V8.3 du modèle de contrat « CARD-I HT », élaborée par Enedis à compter du 1er septembre 2012, prévoit que ces opérations de renouvellement de poste-source relèvent désormais, en raison de leur nature particulière rappelée au point 13 de la présente décision, des opérations de maintenance lourde.
  8. Dans ces conditions, les opérations réalisées par Enedis au poste-source de Mansle du 20 février 2023 au 3 avril 2023 doivent être regardées comme étant au nombre de celles visées à l'article 5.1.1.4 des conditions générales du CARD-I. Il y a lieu, en conséquence, de rejeter la demande de la société Statkraft tendant à ce que le comité constate qu'Enedis n'a pas respecté la durée maximale d'indisponibilité de huit heures de coupure prévue par les stipulations des articles 5.1.1.1 et 5.1.1.1.1 des conditions générales du CARD-I conclu entre les parties.

En ce qui concerne le respect du délai de prévenance prévu à l'article 5.1.1.4 du CARD-I :

  1. En second lieu, aux termes de l'article 5.1.1.4 des conditions générales du CARD-I conclu entre Statkraft et Enedis, les opérations visées audit article doivent faire l'objet d'une « concertation systématique entre le distributeur et le producteur » et le producteur doit être averti « de la période retenue pour la réalisation de ces opérations au plus tard trois mois avant leur démarrage ». Il est précisé au sein du même article que « ces opérations n'engagent pas la responsabilité du distributeur pour les dommages causés au producteur, dès lors qu'elles ont été notifiées au producteur ».
  2. Statkraft demande au comité de constater que Enedis n'a pas respecté le délai de prévenance de trois mois prévus par les stipulations de l'article susvisé du CARD-I. Statkraft fait valoir, notamment, que la seule prévision d'impacts fournie par le gestionnaire et exacte sur la durée des travaux et leur contenu technique, ne serait intervenue que le 14 févier 2023, soit moins d'une semaine avant le début de l'opération de renouvellement du poste-source en cause.
  3. Il ressort de l'instruction que les 6 octobre et 2 novembre 2022, Enedis a engagé successivement deux cycles de concertation via la plateforme « DISPO Réseau » pour une intervention programmée sur le poste source de Mansle du 20 février 2023 au 31 mars 2023 et prévoyant des limitations partielles de la puissance disponible pour le parc éolien de Statkraft qui a, à la suite de ces deux concertations, expressément accepté l'intervention via la même plateforme.
  4. Cependant, ainsi que l'instruction permet de le constater, ce n'est que le 10 janvier 2023 qu'Enedis a adressé à Statkraft un courrier lui confirmant officiellement qu'une intervention devait avoir lieu sur le poste-source de Mansle, en indiquant une période retenue du 20 février au 31 mars 2023. En outre, il ressort des prévisions d'impacts visibles sur la plateforme « DISPO Réseau » produites par les parties qu'à la suite de ce courrier, Enedis a modifié à plusieurs reprises les prévisions d'impacts relatives à l'opération devant avoir lieu sur le poste-source de Mansle et a, notamment, le 30 janvier 2023, étendu le terme de la période prévue d'indisponibilité jusqu'au 3 avril 2023, au lieu du 31 mars 2023, à l'issue d'une nouvelle concertation n'ayant donné lieu à aucune prise de position de la part de Statkraft. Enfin, il ressort de l'instruction que ce n'est que le 17 février 2023 que Enedis a finalement adressé un courrier à Statkraft pour l'informer des dates et limitations ou coupures de puissances définitivement retenues pour l'intervention programmée sur le poste-source de Mansle.
  5. Il résulte de ce qui précède que ce n'est que trois jours avant son exécution qu'Enedis a transmis à Statkraft des informations claires et certaines décrivant exactement l'opération programmée sur le poste-source de Mansle.
  6. Par suite, Enedis n'a pas respecté le délai de préavis de trois mois prévu par les stipulations de l'article 5.1.1.4 des conditions générales du contrat « CARD-I » conclu avec la société Statkraft.

Décide :

Article 1

La société Enedis n'a pas respecté le délai de préavis de trois mois prévu par les stipulations de l'article 5.1.1.4 des conditions générales du contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité conclu avec la société Statkraft Renouvelables.

Article 2

Le surplus des demandes des parties est rejeté.

Article 3

La présente décision sera notifiée aux parties. Elle sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 21 novembre 2025.

Pour le comité de règlement des différends et des sanctions :

La présidente,

P. Morellet-Steiner