JORF n°108 du 10 mai 2000

III. - Un « accord » sans substance dont l'adoption défie les règles constitutionnelles relatives à la procédure législative

A supposer même que le principe d'une telle consultation ait un fondement constitutionnel et ne porte pas atteinte au principe d'indivisibilité, les modalités choisies par les auteurs de la loi sont entachées à plusieurs titres de non-conformité à la Constitution.

Aux articles 1er et 3 de la loi qui fait l'objet de la présente saisine, il est fait référence à un « accord », dont il serait d'autant plus utile d'établir clairement la nature et la valeur que la question même de la consultation s'y réfère.

Il peut être utile de souligner, en préambule, que la notion d'accord n'existe en droit public qu'au sens du titre VI de la Constitution, dont les articles (52 à 55) fixent le régime des traités et accords internationaux.

Aussi bien la nature de l'« accord » que sa valeur juridique sont empreintes d'un caractère profondément équivoque.

Son contenu n'est que celui d'un document prospectif. Ce texte, censé présenter les grands traits d'une catégorie future de collectivité territoriale baptisée « collectivité départementale », n'expose en réalité que des potentialités, des perspectives à la densité juridique incertaine, formulées au futur.

Les auteurs de ce texte ont cru lui conférer une quelconque valeur juridique en y faisant apposer des signatures. A examiner ces signatures, on doute doublement de la valeur de l'« accord ».

Pour le compte du Gouvernement, c'est le secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer qui a signé. L'exposé des motifs du projet de loi précise : « ce document est devenu l'Accord sur l'avenir de Mayotte ; il a été solennellement signé le 27 janvier 2000 par le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, au nom du Gouvernement ». Or, de jurisprudence constante, un simple secrétaire d'Etat n'a compétence ni pour contresigner seul des décrets ni pour engager politiquement le Gouvernement (Conseil d'Etat, Assemblée, 24 juin 1955, Syndicat national des ingénieurs de la navigation aérienne, p. 353 ; 28 mai 1984, Ordre des avocats de Saint-Denis de la Réunion, p. 478).

Les signatures censées engager la partie mahoraise sont encore plus sujettes à caution. Cet « accord » reprend mot pour mot un document de travail (en annexe) autour duquel le Gouvernement s'était engagé à réunir un consensus, défini comme l'assentiment concordant des trois partis politiques représentés au conseil général de la collectivité, des deux parlementaires et du président du conseil général, tous présentés comme les signataires du futur « accord ». Or, ni le sénateur ni le député de Mayotte n'ont voulu cautionner ce document. Bien que le consensus, annoncé comme une condition essentielle, n'eût pas été obtenu, le Gouvernement a baptisé le document « accord » et l'a publié au Journal officiel du 8 février 2000, croyant lui conférer ainsi une quelconque valeur.

Deux hypothèses peuvent être avancées quant à la nature de cet « accord » :

- soit on lui reconnaît valeur législative, au motif que deux articles de la loi y renvoient, dont celui qui énonce la question même de la consultation, ce qui en ferait un élément non détachable de la loi organisant cette consultation ; alors une partie intégrante de la loi aura été adoptée sans examen parlementaire, dans le mépris des procédures prévues par la Constitution et les lois organiques ;

- soit aucune valeur législative ne lui est reconnue - ce qui paraît plus vraisemblable, vu l'écart entre les modalités d'élaboration et de conclusion de cet « accord » et les dispositions constitutionnelles régissant la procédure législative ; alors la loi est entachée d'incompétence négative. L'article 72 de la Constitution dispose en effet que « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. » Une catégorie nouvelle de « collectivité départementale » peut être instituée ; mais c'est au législateur seul qu'il appartient de la créer. La loi qui fait l'objet de cette saisine est donc en deçà du champ de compétences imparti au législateur par le constituant. Le législateur adopte une loi au contenu juridique ténu qui, sur la question institutionnelle proprement dite, renvoie à un accord prévoyant - mais sur quoi une telle injonction au législateur reposerait-elle ? - un projet de loi ultérieur qui préciserait l'organisation, le fonctionnement et les compétences d'une « collectivité départementale ».

La loi qui vous est déférée est donc entachée d'inconstitutionnalité en tant que ses auteurs n'ont pas épuisé la compétence que leur confère l'article 72. Sur cette question de l'incompétence négative, votre jurisprudence est sévère ; vous veillez en effet à ce que le législateur exerce sa compétence dans sa plénitude et censurez toute disposition méconnaissant cette exigence.

C'est de cet accord dénué de valeur que les auteurs de la loi prétendent faire le critère même de l'alternative proposée à la population de Mayotte.


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III. - Un « accord » sans substance dont l'adoption défie les règles constitutionnelles relatives à la procédure législative

A supposer même que le principe d'une telle consultation ait un fondement constitutionnel et ne porte pas atteinte au principe d'indivisibilité, les modalités choisies par les auteurs de la loi sont entachées à plusieurs titres de non-conformité à la Constitution.

Aux articles 1er et 3 de la loi qui fait l'objet de la présente saisine, il est fait référence à un « accord », dont il serait d'autant plus utile d'établir clairement la nature et la valeur que la question même de la consultation s'y réfère.

Il peut être utile de souligner, en préambule, que la notion d'accord n'existe en droit public qu'au sens du titre VI de la Constitution, dont les articles (52 à 55) fixent le régime des traités et accords internationaux.

Aussi bien la nature de l'« accord » que sa valeur juridique sont empreintes d'un caractère profondément équivoque.

Son contenu n'est que celui d'un document prospectif. Ce texte, censé présenter les grands traits d'une catégorie future de collectivité territoriale baptisée « collectivité départementale », n'expose en réalité que des potentialités, des perspectives à la densité juridique incertaine, formulées au futur.

Les auteurs de ce texte ont cru lui conférer une quelconque valeur juridique en y faisant apposer des signatures. A examiner ces signatures, on doute doublement de la valeur de l'« accord ».

Pour le compte du Gouvernement, c'est le secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer qui a signé. L'exposé des motifs du projet de loi précise : « ce document est devenu l'Accord sur l'avenir de Mayotte ; il a été solennellement signé le 27 janvier 2000 par le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, au nom du Gouvernement ». Or, de jurisprudence constante, un simple secrétaire d'Etat n'a compétence ni pour contresigner seul des décrets ni pour engager politiquement le Gouvernement (Conseil d'Etat, Assemblée, 24 juin 1955, Syndicat national des ingénieurs de la navigation aérienne, p. 353 ; 28 mai 1984, Ordre des avocats de Saint-Denis de la Réunion, p. 478).

Les signatures censées engager la partie mahoraise sont encore plus sujettes à caution. Cet « accord » reprend mot pour mot un document de travail (en annexe) autour duquel le Gouvernement s'était engagé à réunir un consensus, défini comme l'assentiment concordant des trois partis politiques représentés au conseil général de la collectivité, des deux parlementaires et du président du conseil général, tous présentés comme les signataires du futur « accord ». Or, ni le sénateur ni le député de Mayotte n'ont voulu cautionner ce document. Bien que le consensus, annoncé comme une condition essentielle, n'eût pas été obtenu, le Gouvernement a baptisé le document « accord » et l'a publié au Journal officiel du 8 février 2000, croyant lui conférer ainsi une quelconque valeur.

Deux hypothèses peuvent être avancées quant à la nature de cet « accord » :

- soit on lui reconnaît valeur législative, au motif que deux articles de la loi y renvoient, dont celui qui énonce la question même de la consultation, ce qui en ferait un élément non détachable de la loi organisant cette consultation ; alors une partie intégrante de la loi aura été adoptée sans examen parlementaire, dans le mépris des procédures prévues par la Constitution et les lois organiques ;

- soit aucune valeur législative ne lui est reconnue - ce qui paraît plus vraisemblable, vu l'écart entre les modalités d'élaboration et de conclusion de cet « accord » et les dispositions constitutionnelles régissant la procédure législative ; alors la loi est entachée d'incompétence négative. L'article 72 de la Constitution dispose en effet que « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. » Une catégorie nouvelle de « collectivité départementale » peut être instituée ; mais c'est au législateur seul qu'il appartient de la créer. La loi qui fait l'objet de cette saisine est donc en deçà du champ de compétences imparti au législateur par le constituant. Le législateur adopte une loi au contenu juridique ténu qui, sur la question institutionnelle proprement dite, renvoie à un accord prévoyant - mais sur quoi une telle injonction au législateur reposerait-elle ? - un projet de loi ultérieur qui préciserait l'organisation, le fonctionnement et les compétences d'une « collectivité départementale ».

La loi qui vous est déférée est donc entachée d'inconstitutionnalité en tant que ses auteurs n'ont pas épuisé la compétence que leur confère l'article 72. Sur cette question de l'incompétence négative, votre jurisprudence est sévère ; vous veillez en effet à ce que le législateur exerce sa compétence dans sa plénitude et censurez toute disposition méconnaissant cette exigence.

C'est de cet accord dénué de valeur que les auteurs de la loi prétendent faire le critère même de l'alternative proposée à la population de Mayotte.