JORF n°108 du 10 mai 2000

IV-1. Méconnaissance du principe de clarté

La portée de la consultation organisée par la loi qui vous est déférée paraît tout à fait obscure. L'article 3 de cette loi dispose que : « Les électeurs auront à répondre par oui ou non à la question suivante : "Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000 ?". »

Ainsi formulée, cette question, qui renvoie à un texte dont l'inanité a été soulignée, méconnaît les principes dégagés par votre jurisprudence. Dans votre décision no 87-226 DC précitée, vous avez considéré « que la question posée aux populations intéressées devait satisfaire à la double exigence de loyauté et de clarté de la consultation ; que s'il était loisible aux pouvoirs publics, dans le cadre de leurs compétences, d'indiquer aux populations intéressées les orientations envisagées, la question posée ne devait pas comporter d'équivoque, notamment en ce qui concernait la portée de ces indications ». En l'espèce, vous aviez estimé que la question posée aux populations intéressées de Nouvelle-Calédonie - « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l'indépendance ou demeure au sein de la République française avec un statut dont les éléments essentiels ont été portés à votre connaissance ? » - comportait des termes équivoques et déclaré contraire à la Constitution la référence faite à un statut aux contours encore incertains.

De manière analogue, la loi qui vous est déférée viole le principe de clarté d'une consultation.

Tout d'abord, pour qu'une consultation soit claire, il faut que les personnes consultées soient en mesure de distinguer sans difficulté quelles conséquences emporteront respectivement les votes « oui » et « non ». En matière institutionnelle, la question qu'on entend soumettre à la population moharaise n'offre aucune alternative tranchée. Cet « accord », pour ses aspects statutaires, n'esquisse que des évolutions marginales. Quelle que soit l'issue de la consultation, et à supposer qu'une loi, en cas de victoire du « oui », reprenne les éléments institutionnels que recense l'« accord », Mayotte restera une collectivité territoriale à statut spécial peu différente de ce qu'elle est aujourd'hui. A quoi bon prévoir l'onction du suffrage pour des évolutions si marginales, et toujours présentées comme progressives, sinon hypothétiques ? Rien n'indique clairement, dans l'« accord », qu'après la réforme projetée Mayotte ne restera pas la seule collectivité française à demeurer sous l'empire de la loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux (que lui étendit, en l'adaptant, l'ordonnance no 77-449 du 29 avril 1977), dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 mars 1982.

Quant aux conséquences d'un vote négatif, on en perçoit difficilement la portée. S'agit-il que l'Etat n'assure pas « le financement de l'exercice des compétences qui lui reviennent » (article 3 de l'« accord »), qu'il ne prenne pas « les mesures nécessaires pour favoriser le développement économique et social de Mayotte, pour permettre son désenclavement (...) et pour assurer la protection de son environnement » (art. 5), ou encore qu'on renonce à toute amélioration du fonctionnement du service public de la justice (art. 8) ? En cas de « non », le Gouvernement entendrait-il priver Mayotte du bénéfice des nouvelles technologies de l'information et de la communication (art. 5) ?

Par ailleurs, la clarté du texte proprement dit est aisément prise en défaut. Qu'a espéré signifier son auteur en écrivant, par exemple, « les droits des femmes dans la société mahoraise seront confortés » (art. 8). S'agit-il de conforter le droit à une demi-part d'héritage ou celui d'être répudiée ? Faut-il rappeler qu'en fait de conforter les droits des femmes dans la société mahoraise, le Gouvernement avait prévu dans un des récents projets de loi sur la parité homme-femme une disposition dérogatoire privant les Mahoraises du bénéfice immédiat de ses dispositions ? Il fallut l'intervention unanime de la commission des lois de l'Assemblée nationale pour écarter du projet de loi cet article discriminatoire.

La mention de la spécialité législative comme moyen d'accéder à l'identité législative (art. 4) constitue une autre ambiguïté confinant à la contradiction, outre qu'elle n'est accessible qu'à un public de juristes avertis. Ainsi que le Gouvernement le soulignait dans le projet de loi sur la parité, Mayotte est une « société rurale, musulmane, traditionnelle ».

Croit-on enfin que la clarté s'accommode du jargon technocratique dont sont empreintes des formules comme : « le rôle des cadis sera recentré sur les fonctions de médiation sociale » (art. 8) ; « un pacte pluriannuel de développement durable et solidaire combinant les moyens de ces contrats, conventions et fonds européens sera conclu entre l'Etat et Mayotte pour mettre en oeuvre les dispositions évoquées dans le présent document d'orientation » (art. 5 in fine) ?


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IV-1. Méconnaissance du principe de clarté

La portée de la consultation organisée par la loi qui vous est déférée paraît tout à fait obscure. L'article 3 de cette loi dispose que : « Les électeurs auront à répondre par oui ou non à la question suivante : "Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000 ?". »

Ainsi formulée, cette question, qui renvoie à un texte dont l'inanité a été soulignée, méconnaît les principes dégagés par votre jurisprudence. Dans votre décision no 87-226 DC précitée, vous avez considéré « que la question posée aux populations intéressées devait satisfaire à la double exigence de loyauté et de clarté de la consultation ; que s'il était loisible aux pouvoirs publics, dans le cadre de leurs compétences, d'indiquer aux populations intéressées les orientations envisagées, la question posée ne devait pas comporter d'équivoque, notamment en ce qui concernait la portée de ces indications ». En l'espèce, vous aviez estimé que la question posée aux populations intéressées de Nouvelle-Calédonie - « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l'indépendance ou demeure au sein de la République française avec un statut dont les éléments essentiels ont été portés à votre connaissance ? » - comportait des termes équivoques et déclaré contraire à la Constitution la référence faite à un statut aux contours encore incertains.

De manière analogue, la loi qui vous est déférée viole le principe de clarté d'une consultation.

Tout d'abord, pour qu'une consultation soit claire, il faut que les personnes consultées soient en mesure de distinguer sans difficulté quelles conséquences emporteront respectivement les votes « oui » et « non ». En matière institutionnelle, la question qu'on entend soumettre à la population moharaise n'offre aucune alternative tranchée. Cet « accord », pour ses aspects statutaires, n'esquisse que des évolutions marginales. Quelle que soit l'issue de la consultation, et à supposer qu'une loi, en cas de victoire du « oui », reprenne les éléments institutionnels que recense l'« accord », Mayotte restera une collectivité territoriale à statut spécial peu différente de ce qu'elle est aujourd'hui. A quoi bon prévoir l'onction du suffrage pour des évolutions si marginales, et toujours présentées comme progressives, sinon hypothétiques ? Rien n'indique clairement, dans l'« accord », qu'après la réforme projetée Mayotte ne restera pas la seule collectivité française à demeurer sous l'empire de la loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux (que lui étendit, en l'adaptant, l'ordonnance no 77-449 du 29 avril 1977), dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 mars 1982.

Quant aux conséquences d'un vote négatif, on en perçoit difficilement la portée. S'agit-il que l'Etat n'assure pas « le financement de l'exercice des compétences qui lui reviennent » (article 3 de l'« accord »), qu'il ne prenne pas « les mesures nécessaires pour favoriser le développement économique et social de Mayotte, pour permettre son désenclavement (...) et pour assurer la protection de son environnement » (art. 5), ou encore qu'on renonce à toute amélioration du fonctionnement du service public de la justice (art. 8) ? En cas de « non », le Gouvernement entendrait-il priver Mayotte du bénéfice des nouvelles technologies de l'information et de la communication (art. 5) ?

Par ailleurs, la clarté du texte proprement dit est aisément prise en défaut. Qu'a espéré signifier son auteur en écrivant, par exemple, « les droits des femmes dans la société mahoraise seront confortés » (art. 8). S'agit-il de conforter le droit à une demi-part d'héritage ou celui d'être répudiée ? Faut-il rappeler qu'en fait de conforter les droits des femmes dans la société mahoraise, le Gouvernement avait prévu dans un des récents projets de loi sur la parité homme-femme une disposition dérogatoire privant les Mahoraises du bénéfice immédiat de ses dispositions ? Il fallut l'intervention unanime de la commission des lois de l'Assemblée nationale pour écarter du projet de loi cet article discriminatoire.

La mention de la spécialité législative comme moyen d'accéder à l'identité législative (art. 4) constitue une autre ambiguïté confinant à la contradiction, outre qu'elle n'est accessible qu'à un public de juristes avertis. Ainsi que le Gouvernement le soulignait dans le projet de loi sur la parité, Mayotte est une « société rurale, musulmane, traditionnelle ».

Croit-on enfin que la clarté s'accommode du jargon technocratique dont sont empreintes des formules comme : « le rôle des cadis sera recentré sur les fonctions de médiation sociale » (art. 8) ; « un pacte pluriannuel de développement durable et solidaire combinant les moyens de ces contrats, conventions et fonds européens sera conclu entre l'Etat et Mayotte pour mettre en oeuvre les dispositions évoquées dans le présent document d'orientation » (art. 5 in fine) ?