JORF n°108 du 10 mai 2000

LOI ORGANISANT UNE CONSULTATION

DE LA POPULATION DE MAYOTTE

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi organisant une consultation de la population de Mayotte, adoptée par l'Assemblée nationale le 6 avril 2000.

Les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider que la loi précédemment citée n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous.

Alors que les habitants de la Grande Comore, d'Anjouan et de Mohéli, qui constituent avec Mayotte l'archipel des Comores, exprimaient lors de la consultation du 22 décembre 1974 leur volonté de sécession, les Mahorais refusèrent presque unanimement cette perspective. Le Gouvernement ayant jugé souhaitable de s'assurer de leur détermination, les Mahorais furent de nouveau consultés le 8 février 1976 ; ils se prononcèrent à plus de 99 % des suffrages exprimés en faveur du maintien dans la République.

On voulut voir une anomalie dans l'attachement de Mayotte à la France, qui allait, disait-on, à contre-courant du « sens de l'histoire ». Le trouble qu'avait jeté sur la scène diplomatique ce choix authentiquement démocratique conduisit le Gouvernement à confiner Mayotte dans une quarantaine institutionnelle propre à ne pas attiser les critiques que martelait, entre autres enceintes, l'Assemblée générale des Nations unies.

La loi no 76-1212 du 24 décembre 1976 constitua Mayotte en « collectivité territoriale » ; elle prévoyait que la population mahoraise serait consultée au terme d'un délai d'au moins trois ans pour choisir entre les trois options suivantes : maintien de ce statut, transformation de Mayotte en département ou adoption d'un statut différent - ce qui, dans l'esprit du législateur, ménageait la possibilité d'une accession à l'indépendance ou d'un retour dans l'ensemble comorien. La loi no 79-1113 du 22 décembre 1979 prorogea de cinq ans le délai imparti pour le choix d'un nouveau statut en maintenant ouvertes les mêmes options institutionnelles. En dépit de ces dispositions, Mayotte est demeurée dans cette « quarantaine » jusqu'à nos jours.

De 1996 à 1999 a été conduite une réflexion sur l'avenir institutionnel de Mayotte, confiée à un groupe national ayant son répondant sur l'île. Il devait résulter de ce processus une participation des Mahorais au tracé des perspectives de leur collectivité, dont celles relatives au statut.

La loi qui vous est déférée tend à organiser une consultation de la population de Mayotte sur un « accord » dont l'objet, comme le souligne le communiqué du conseil des ministres du 23 février 2000 (en annexe), est de prévoir pour Mayotte un « statut rénové de collectivité départementale ». L'objectif allégué par les auteurs de la loi est de mettre fin à ce provisoire ; en réalité, ils n'aspirent qu'à le prolonger en feignant d'être attentifs à la volonté des Mahorais.

Le voeu de la population mahoraise quant à son statut ne laisse guère place au doute. C'est le 2 novembre 1958 que Mayotte commença à revendiquer sa départementalisation, craignant que la marche vers l'indépendance des trois autres îles du TOM des Comores ne l'entraînât dans une voie dont elle ne voulait pas. De fait, le statut d'autonomie interne mis en place par la loi du 22 décembre 1961 « relative à l'organisation des Comores » déboucha sur la sécession des trois autres îles du TOM des Comores. Ayant non sans difficulté échappé à l'indépendance, la population de Mayotte écarta à plus de 97 %, le 11 avril 1976, le statut de territoire d'outre-mer qu'il lui était proposé d'adopter. Elle y voyait la menace d'une répétition du scénario de sécession des Comores. A cette occasion, plus de 80 % des votants déposèrent dans l'urne un « bulletin sauvage » exprimant la volonté de voir Mayotte dotée d'un statut de département d'outre-mer, le seul propre à leurs yeux à garantir l'ancrage de leur île dans la République française. Depuis lors, les Mahorais ont toujours porté très majoritairement leurs suffrages sur des candidats soutenant très explicitement la perspective d'une départementalisation.

Au Gouvernement, qui prétend s'en remettre à la volonté de la population de Mayotte, une voie eût été ouverte : celle qu'il choisit d'emprunter en 1946 pour les Antilles, la Guyane et la Réunion. A l'époque, pour concrétiser son choix de marquer solennellement l'appartenance de ces îles à la République, c'est au législateur seul que le Gouvernement s'adressa. Rien ne faisait obstacle à ce qu'il procédât de même pour Mayotte, fût-ce en aménageant une transition propre à assurer une accession réussie au statut de DOM.

Il est à craindre que le Gouvernement n'ait jamais été animé du souci de respecter la volonté des Mahorais. S'il en avait été réellement animé, pourquoi aurait-il choisi une procédure toute de faux-semblant, qui ne vise qu'à confiner Mayotte dans la marginalité où elle a été tenue depuis un quart de siècle, sans nulle perspective explicite d'évolution vers le statut de DOM ?

Le présent recours articule les moyens suivants :

- telle qu'elle est prévue par la loi déférée à votre examen, la consultation de la population de Mayotte est dépourvue de fondement constitutionnel ;

- la consultation projetée est contraire aux principes d'indivisibilité de la République et d'unicité du peuple français ;

- l' « accord » qui fait l'objet de la consultation est d'une nature équivoque qui affecte la constitutionnalité de la loi même ;

- les auteurs de la loi ont méconnu les principes de clarté et de loyauté du suffrage auxquels vous avez reconnu valeur constitutionnelle ;

- cette loi porte enfin atteinte aux principes d'égalité et de liberté d'expression.


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Version 1

LOI ORGANISANT UNE CONSULTATION

DE LA POPULATION DE MAYOTTE

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi organisant une consultation de la population de Mayotte, adoptée par l'Assemblée nationale le 6 avril 2000.

Les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider que la loi précédemment citée n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous.

Alors que les habitants de la Grande Comore, d'Anjouan et de Mohéli, qui constituent avec Mayotte l'archipel des Comores, exprimaient lors de la consultation du 22 décembre 1974 leur volonté de sécession, les Mahorais refusèrent presque unanimement cette perspective. Le Gouvernement ayant jugé souhaitable de s'assurer de leur détermination, les Mahorais furent de nouveau consultés le 8 février 1976 ; ils se prononcèrent à plus de 99 % des suffrages exprimés en faveur du maintien dans la République.

On voulut voir une anomalie dans l'attachement de Mayotte à la France, qui allait, disait-on, à contre-courant du « sens de l'histoire ». Le trouble qu'avait jeté sur la scène diplomatique ce choix authentiquement démocratique conduisit le Gouvernement à confiner Mayotte dans une quarantaine institutionnelle propre à ne pas attiser les critiques que martelait, entre autres enceintes, l'Assemblée générale des Nations unies.

La loi no 76-1212 du 24 décembre 1976 constitua Mayotte en « collectivité territoriale » ; elle prévoyait que la population mahoraise serait consultée au terme d'un délai d'au moins trois ans pour choisir entre les trois options suivantes : maintien de ce statut, transformation de Mayotte en département ou adoption d'un statut différent - ce qui, dans l'esprit du législateur, ménageait la possibilité d'une accession à l'indépendance ou d'un retour dans l'ensemble comorien. La loi no 79-1113 du 22 décembre 1979 prorogea de cinq ans le délai imparti pour le choix d'un nouveau statut en maintenant ouvertes les mêmes options institutionnelles. En dépit de ces dispositions, Mayotte est demeurée dans cette « quarantaine » jusqu'à nos jours.

De 1996 à 1999 a été conduite une réflexion sur l'avenir institutionnel de Mayotte, confiée à un groupe national ayant son répondant sur l'île. Il devait résulter de ce processus une participation des Mahorais au tracé des perspectives de leur collectivité, dont celles relatives au statut.

La loi qui vous est déférée tend à organiser une consultation de la population de Mayotte sur un « accord » dont l'objet, comme le souligne le communiqué du conseil des ministres du 23 février 2000 (en annexe), est de prévoir pour Mayotte un « statut rénové de collectivité départementale ». L'objectif allégué par les auteurs de la loi est de mettre fin à ce provisoire ; en réalité, ils n'aspirent qu'à le prolonger en feignant d'être attentifs à la volonté des Mahorais.

Le voeu de la population mahoraise quant à son statut ne laisse guère place au doute. C'est le 2 novembre 1958 que Mayotte commença à revendiquer sa départementalisation, craignant que la marche vers l'indépendance des trois autres îles du TOM des Comores ne l'entraînât dans une voie dont elle ne voulait pas. De fait, le statut d'autonomie interne mis en place par la loi du 22 décembre 1961 « relative à l'organisation des Comores » déboucha sur la sécession des trois autres îles du TOM des Comores. Ayant non sans difficulté échappé à l'indépendance, la population de Mayotte écarta à plus de 97 %, le 11 avril 1976, le statut de territoire d'outre-mer qu'il lui était proposé d'adopter. Elle y voyait la menace d'une répétition du scénario de sécession des Comores. A cette occasion, plus de 80 % des votants déposèrent dans l'urne un « bulletin sauvage » exprimant la volonté de voir Mayotte dotée d'un statut de département d'outre-mer, le seul propre à leurs yeux à garantir l'ancrage de leur île dans la République française. Depuis lors, les Mahorais ont toujours porté très majoritairement leurs suffrages sur des candidats soutenant très explicitement la perspective d'une départementalisation.

Au Gouvernement, qui prétend s'en remettre à la volonté de la population de Mayotte, une voie eût été ouverte : celle qu'il choisit d'emprunter en 1946 pour les Antilles, la Guyane et la Réunion. A l'époque, pour concrétiser son choix de marquer solennellement l'appartenance de ces îles à la République, c'est au législateur seul que le Gouvernement s'adressa. Rien ne faisait obstacle à ce qu'il procédât de même pour Mayotte, fût-ce en aménageant une transition propre à assurer une accession réussie au statut de DOM.

Il est à craindre que le Gouvernement n'ait jamais été animé du souci de respecter la volonté des Mahorais. S'il en avait été réellement animé, pourquoi aurait-il choisi une procédure toute de faux-semblant, qui ne vise qu'à confiner Mayotte dans la marginalité où elle a été tenue depuis un quart de siècle, sans nulle perspective explicite d'évolution vers le statut de DOM ?

Le présent recours articule les moyens suivants :

- telle qu'elle est prévue par la loi déférée à votre examen, la consultation de la population de Mayotte est dépourvue de fondement constitutionnel ;

- la consultation projetée est contraire aux principes d'indivisibilité de la République et d'unicité du peuple français ;

- l' « accord » qui fait l'objet de la consultation est d'une nature équivoque qui affecte la constitutionnalité de la loi même ;

- les auteurs de la loi ont méconnu les principes de clarté et de loyauté du suffrage auxquels vous avez reconnu valeur constitutionnelle ;

- cette loi porte enfin atteinte aux principes d'égalité et de liberté d'expression.