JORF n°302 du 30 décembre 1999

I. - Sur l'ensemble de la loi de financement

de la sécurité sociale

Les sénateurs soussignés estiment que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale a été adopté aux termes d'une procédure non conforme aux dispositions de l'article LO 111-7 du code de la sécurité sociale.

Cet article de la loi organique prévoit en effet que :

« Le Sénat doit se prononcer, en première lecture, dans un délai de quinze jours après avoir été saisi. » (deuxième alinéa de l'article LO 111-7)

et que :

« Si le Sénat n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet dans le délai imparti, le Gouvernement saisit à nouveau l'Assemblée nationale du texte soumis au Sénat modifié, le cas échéant, par les amendements votés par le Sénat et acceptés par lui » (quatrième alinéa de l'article LO 111-7).

Ces dispositions sont claires et impératives, l'article LO 111-7 fixant à la fois un délai et la procédure que devra suivre le Gouvernement en cas de dépassement dudit délai (si le conseil en jugeait autrement, estimant que les délais et les procédures prévus par l'article LO 111-7 ne présentent pas un caractère impératif, il serait utile que sa décision précise à l'intention du législateur organique en quels termes autres que l'indicatif présent il doit s'exprimer lorsqu'il entend instituer des délais et des procédures impératives).

Elles valent dans tous les cas, que l'Assemblée nationale ait ou n'ait pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale dans le délai prévu à l'article 47-1 de la Constitution, soit vingt jours.

Or ces dispositions n'ont pas été respectées par le Gouvernement, le Sénat ayant été saisi le 2 novembre et ayant procédé au vote sur l'ensemble du projet le 18 novembre.

Ne sauraient être retenus, pour atténuer la portée des dispositions de l'article LO 111-7, les arguments suivants :

  1. Premier argument : le Sénat serait mal fondé à souligner l'inconstitutionnalité d'une procédure législative au motif du non-respect de délais qui protègent l'Assemblée nationale, et non le Sénat :

Cet argument ne saurait être retenu. En effet, le Sénat est, ce faisant, cohérent avec la position qu'il avait exprimée lors des débats sur le projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale. C'est en effet grâce à un amendement de la commission des lois du Sénat qu'a été retenu le délai de quinze jours, alors que l'Assemblée nationale voulait laisser au Sénat un délai de vingt jours.

Il convient à cet égard de se reporter au rapport no 375 (1995-1996) établi par M. Patrice Gélard au nom de la commission des lois qui indique :

« Votre commission des lois est certes très sensible au fait que l'Assemblée nationale ait jugé opportun d'accorder au Sénat le même délai qu'à elle-même. Mais, tout en se félicitant de cette initiative conforme à l'esprit du bicaméralisme, elle constate que ce délai de vingt jours pourrait comporter plus d'inconvénients que d'avantages en risquant de provoquer un chevauchement entre l'examen de la loi de financement et l'examen de la loi de finances. »

  1. Deuxième argument : il se fonde sur votre décision no 86-209 DC du 3 juillet 1986 :

Dans votre décision du 3 juillet 1986 sur la loi de finances rectificative pour 1986, vous avez été amené à vous prononcer sur l'éventuelle irrégularité constituée par l'absence de dessaisissement de l'Assemblée nationale qui avait pourtant dépassé le délai imparti en première lecture.

Vous avez ainsi considéré que « le fait pour le Gouvernement de ne pas déférer immédiatement à ces prescriptions et de laisser ainsi l'Assemblée nationale statuer sur un projet dont elle n'a pas été dessaisie ne constitue cependant une irrégularité de nature à vicier la procédure législative que s'il a pour conséquence de réduire le délai dont dispose le Sénat en vertu du deuxième alinéa de l'article 47 de la Constitution pour statuer en première lecture. »

Cette décision ne peut être transposée pour le Sénat et pour les lois de financement.

En effet, il s'agit ici du délai d'examen prévu pour le Sénat, qui est saisi en deuxième lieu après l'Assemblée nationale. Par définition, le non-respect du délai prévu pour le Sénat ne peut jamais avoir pour conséquence de réduire le délai prévu pour l'Assemblée nationale en première lecture, puisqu'elle est saisie avant le Sénat.

Et l'on ne peut pas dire non plus que le délai prévu pour le Sénat « ne sert à rien », aucune conséquence ne pouvant s'attacher à sa violation.

Il convient donc d'apprécier les conséquences du non-respect du délai du Sénat sur la suite de la procédure, qui doit se dérouler dans un délai de quinze jours, c'est-à-dire le reliquat du délai global de cinquante jours après imputation des délais constitutionnels prévus pour les premières lectures à l'Assemblée nationale (vingt jours) et au Sénat (quinze jours).

En ne respectant pas les délais du Sénat, le Gouvernement a réduit le délai dont disposent constitutionnellement l'Assemblée nationale et le Sénat pour procéder dans des conditions satisfaisantes à la réunion de la Commission mixte paritaire, à la nouvelle lecture dans chacune des deux chambres puis au dernier mot à l'Assemblée nationale, ainsi qu'aux réunions des commissions saisies au fond avant chaque lecture dans chaque assemblée du Parlement.

  1. Troisième argument : le non-respect des délais prévus pour chaque assemblée du Parlement ne saurait être invoqué dès lors que le délai global de cinquante jours fixé par l'article 47-1 de la Constitution a été respecté :

Cet argument ne saurait, pour trois raisons, être retenu.

D'une part, la loi organique n'a pas prévu que seul le délai global était impératif. Tous les délais, les délais propres à une assemblée et le délai global, sont assortis d'une procédure impérative que le Gouvernement doit mettre en oeuvre s'ils ne sont pas respectés.

D'autre part, les délais propres à chaque assemblée ont notamment été fixés pour permettre le respect du délai global : on ne sait qu'a posteriori que le délai global a été respecté, et il ne serait pas bon que chaque assemblée déborde ses propres délais en espérant que la suite de la procédure permettra d'accélérer l'examen du projet de loi, au besoin en « rognant » sur les délais de l'autre assemblée. Il ne serait pas bon non plus que le Gouvernement soit libre de choisir entre les deux assemblées celle à laquelle il laissera le plus de temps, quitte à accélérer ensuite la procédure législative.

Enfin, la fixation de délais impératifs pour l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale a eu pour but, non seulement de protéger chacune des assemblées et de garantir le respect du délai global de cinquante jours, mais aussi de permettre la discussion concomitante des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, selon la formule employée par M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, lors de la réforme organique : « dépôt décalé, discussion intercalée, adoption quasi simultanée ».

De fait, toute la discussion du projet de loi organique, en 1996, a été centrée sur la nécessité de permettre cet examen concomitant des deux textes, qu'il s'agisse de déterminer la date de dépôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou les délais propres à chaque assemblée.

Ce souci de permettre un examen concomitant du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale ne s'explique pas seulement, ni par le souci d'offrir au Parlement des conditions confortables d'examen, ni par les exigences propres à chacun de ces deux textes (nécessité de voter les dépenses et les recettes avant le début de l'année suivante), mais parce que ces deux projets de loi ne sont pas sans lien.

Votre haute juridiction l'a d'ailleurs affirmé dans sa décision no 97-395 DC du 30 décembre 1997, qui considère : « qu'il résulte (...) des termes mêmes des articles LO 111-6 et LO 111-7 du code de la sécurité sociale, que le législateur organique a entendu mettre le Parlement en mesure de tenir compte, au cours de l'examen du projet de loi de finances, des incidences économiques et fiscales des mesures figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale ; (...) ».

  1. Quatrième argument : le non-respect des délais fixés par la loi organique ne saurait être invoqué dès lors qu'aucun parlementaire, ni au Sénat, ni à l'Assemblée nationale, n'a souligné ce point à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale :

En effet, les termes de l'article 47-1 de la Constitution comme ceux de l'article LO 111-7 confient au Gouvernement, et non au Parlement, le soin de veiller au respect des délais qu'ils fixent.

Le Gouvernement, maître des dépôts et des transmissions comme de l'ordre du jour prioritaire du Parlement, est d'ailleurs le seul à pouvoir accomplir cette mission constitutionnelle.

Ainsi, c'est lors de la conférence des présidents du Sénat du 26 octobre 1999 que le Gouvernement a fixé, dans le cadre de l'ordre du jour prioritaire, les dates d'examen par le Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Aussi ne pouvait-il pas ignorer, en transmettant au Sénat dès le 2 novembre 1999 le projet de loi adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, qu'ensemble, ces deux décisions étaient incompatibles avec le respect des prescriptions de la loi organique.


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I. - Sur l'ensemble de la loi de financement

de la sécurité sociale

Les sénateurs soussignés estiment que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale a été adopté aux termes d'une procédure non conforme aux dispositions de l'article LO 111-7 du code de la sécurité sociale.

Cet article de la loi organique prévoit en effet que :

« Le Sénat doit se prononcer, en première lecture, dans un délai de quinze jours après avoir été saisi. » (deuxième alinéa de l'article LO 111-7)

et que :

« Si le Sénat n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet dans le délai imparti, le Gouvernement saisit à nouveau l'Assemblée nationale du texte soumis au Sénat modifié, le cas échéant, par les amendements votés par le Sénat et acceptés par lui » (quatrième alinéa de l'article LO 111-7).

Ces dispositions sont claires et impératives, l'article LO 111-7 fixant à la fois un délai et la procédure que devra suivre le Gouvernement en cas de dépassement dudit délai (si le conseil en jugeait autrement, estimant que les délais et les procédures prévus par l'article LO 111-7 ne présentent pas un caractère impératif, il serait utile que sa décision précise à l'intention du législateur organique en quels termes autres que l'indicatif présent il doit s'exprimer lorsqu'il entend instituer des délais et des procédures impératives).

Elles valent dans tous les cas, que l'Assemblée nationale ait ou n'ait pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale dans le délai prévu à l'article 47-1 de la Constitution, soit vingt jours.

Or ces dispositions n'ont pas été respectées par le Gouvernement, le Sénat ayant été saisi le 2 novembre et ayant procédé au vote sur l'ensemble du projet le 18 novembre.

Ne sauraient être retenus, pour atténuer la portée des dispositions de l'article LO 111-7, les arguments suivants :

1. Premier argument : le Sénat serait mal fondé à souligner l'inconstitutionnalité d'une procédure législative au motif du non-respect de délais qui protègent l'Assemblée nationale, et non le Sénat :

Cet argument ne saurait être retenu. En effet, le Sénat est, ce faisant, cohérent avec la position qu'il avait exprimée lors des débats sur le projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale. C'est en effet grâce à un amendement de la commission des lois du Sénat qu'a été retenu le délai de quinze jours, alors que l'Assemblée nationale voulait laisser au Sénat un délai de vingt jours.

Il convient à cet égard de se reporter au rapport no 375 (1995-1996) établi par M. Patrice Gélard au nom de la commission des lois qui indique :

« Votre commission des lois est certes très sensible au fait que l'Assemblée nationale ait jugé opportun d'accorder au Sénat le même délai qu'à elle-même. Mais, tout en se félicitant de cette initiative conforme à l'esprit du bicaméralisme, elle constate que ce délai de vingt jours pourrait comporter plus d'inconvénients que d'avantages en risquant de provoquer un chevauchement entre l'examen de la loi de financement et l'examen de la loi de finances. »

2. Deuxième argument : il se fonde sur votre décision no 86-209 DC du 3 juillet 1986 :

Dans votre décision du 3 juillet 1986 sur la loi de finances rectificative pour 1986, vous avez été amené à vous prononcer sur l'éventuelle irrégularité constituée par l'absence de dessaisissement de l'Assemblée nationale qui avait pourtant dépassé le délai imparti en première lecture.

Vous avez ainsi considéré que « le fait pour le Gouvernement de ne pas déférer immédiatement à ces prescriptions et de laisser ainsi l'Assemblée nationale statuer sur un projet dont elle n'a pas été dessaisie ne constitue cependant une irrégularité de nature à vicier la procédure législative que s'il a pour conséquence de réduire le délai dont dispose le Sénat en vertu du deuxième alinéa de l'article 47 de la Constitution pour statuer en première lecture. »

Cette décision ne peut être transposée pour le Sénat et pour les lois de financement.

En effet, il s'agit ici du délai d'examen prévu pour le Sénat, qui est saisi en deuxième lieu après l'Assemblée nationale. Par définition, le non-respect du délai prévu pour le Sénat ne peut jamais avoir pour conséquence de réduire le délai prévu pour l'Assemblée nationale en première lecture, puisqu'elle est saisie avant le Sénat.

Et l'on ne peut pas dire non plus que le délai prévu pour le Sénat « ne sert à rien », aucune conséquence ne pouvant s'attacher à sa violation.

Il convient donc d'apprécier les conséquences du non-respect du délai du Sénat sur la suite de la procédure, qui doit se dérouler dans un délai de quinze jours, c'est-à-dire le reliquat du délai global de cinquante jours après imputation des délais constitutionnels prévus pour les premières lectures à l'Assemblée nationale (vingt jours) et au Sénat (quinze jours).

En ne respectant pas les délais du Sénat, le Gouvernement a réduit le délai dont disposent constitutionnellement l'Assemblée nationale et le Sénat pour procéder dans des conditions satisfaisantes à la réunion de la Commission mixte paritaire, à la nouvelle lecture dans chacune des deux chambres puis au dernier mot à l'Assemblée nationale, ainsi qu'aux réunions des commissions saisies au fond avant chaque lecture dans chaque assemblée du Parlement.

3. Troisième argument : le non-respect des délais prévus pour chaque assemblée du Parlement ne saurait être invoqué dès lors que le délai global de cinquante jours fixé par l'article 47-1 de la Constitution a été respecté :

Cet argument ne saurait, pour trois raisons, être retenu.

D'une part, la loi organique n'a pas prévu que seul le délai global était impératif. Tous les délais, les délais propres à une assemblée et le délai global, sont assortis d'une procédure impérative que le Gouvernement doit mettre en oeuvre s'ils ne sont pas respectés.

D'autre part, les délais propres à chaque assemblée ont notamment été fixés pour permettre le respect du délai global : on ne sait qu'a posteriori que le délai global a été respecté, et il ne serait pas bon que chaque assemblée déborde ses propres délais en espérant que la suite de la procédure permettra d'accélérer l'examen du projet de loi, au besoin en « rognant » sur les délais de l'autre assemblée. Il ne serait pas bon non plus que le Gouvernement soit libre de choisir entre les deux assemblées celle à laquelle il laissera le plus de temps, quitte à accélérer ensuite la procédure législative.

Enfin, la fixation de délais impératifs pour l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale a eu pour but, non seulement de protéger chacune des assemblées et de garantir le respect du délai global de cinquante jours, mais aussi de permettre la discussion concomitante des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, selon la formule employée par M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, lors de la réforme organique : « dépôt décalé, discussion intercalée, adoption quasi simultanée ».

De fait, toute la discussion du projet de loi organique, en 1996, a été centrée sur la nécessité de permettre cet examen concomitant des deux textes, qu'il s'agisse de déterminer la date de dépôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou les délais propres à chaque assemblée.

Ce souci de permettre un examen concomitant du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale ne s'explique pas seulement, ni par le souci d'offrir au Parlement des conditions confortables d'examen, ni par les exigences propres à chacun de ces deux textes (nécessité de voter les dépenses et les recettes avant le début de l'année suivante), mais parce que ces deux projets de loi ne sont pas sans lien.

Votre haute juridiction l'a d'ailleurs affirmé dans sa décision no 97-395 DC du 30 décembre 1997, qui considère : « qu'il résulte (...) des termes mêmes des articles LO 111-6 et LO 111-7 du code de la sécurité sociale, que le législateur organique a entendu mettre le Parlement en mesure de tenir compte, au cours de l'examen du projet de loi de finances, des incidences économiques et fiscales des mesures figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale ; (...) ».

4. Quatrième argument : le non-respect des délais fixés par la loi organique ne saurait être invoqué dès lors qu'aucun parlementaire, ni au Sénat, ni à l'Assemblée nationale, n'a souligné ce point à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale :

En effet, les termes de l'article 47-1 de la Constitution comme ceux de l'article LO 111-7 confient au Gouvernement, et non au Parlement, le soin de veiller au respect des délais qu'ils fixent.

Le Gouvernement, maître des dépôts et des transmissions comme de l'ordre du jour prioritaire du Parlement, est d'ailleurs le seul à pouvoir accomplir cette mission constitutionnelle.

Ainsi, c'est lors de la conférence des présidents du Sénat du 26 octobre 1999 que le Gouvernement a fixé, dans le cadre de l'ordre du jour prioritaire, les dates d'examen par le Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Aussi ne pouvait-il pas ignorer, en transmettant au Sénat dès le 2 novembre 1999 le projet de loi adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, qu'ensemble, ces deux décisions étaient incompatibles avec le respect des prescriptions de la loi organique.