Non-respect des règles et principes de valeur constitutionnelle
Les conditions posées par le Conseil constitutionnel en 1977 ont été encore précisées en 1986. En effet, dans sa décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986 (Rec. 61), le Conseil a pris soin de rappeler que « les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle » en ajoutant que « il appartient au Conseil constitutionnel, d'une part, de vérifier que la loi d'habilitation ne comporte aucune disposition qui permettrait de méconnaître ces règles et principes, d'autre part, de n'admettre la conformité à la Constitution que sous l'expresse condition qu'elle soit interprétée et appliquée dans le strict respect de la Constitution » (paragraphes 14 et 15).
Il résulte de ces différentes décisions que le Conseil constitutionnel doit non seulement vérifier si les conditions posées par l'article 38 de la Constitution sont bien respectées mais que, s'agissant de textes législatifs déjà rédigés et non futurs, il doit apprécier le contenu des codes projetés en vérifiant au fond le respect des exigences constitutionnelles au regard de tous les éléments du bloc de constitutionnalité, en soulevant d'office moyens et conclusions d'inconstitutionnalité auxquels peuvent donner lieu le contenu des codes auxquels fait référence le texte de loi contesté.
On n'en donnera qu'un exemple concernant l'enseignement supérieur.
Dans sa décision no 83-165 DC du 20 janvier 1984 concernant la loi relative à l'enseignement supérieur, le Conseil constitutionnel a refusé l'abrogation intégrale de la loi du 12 novembre 1968, dite loi Edgar Faure, en considérant que la loi nouvelle ne comportait pas toutes les garanties statutaires bénéficiant aux enseignants-chercheurs qui existaient dans la loi de 1968, c'est-à-dire en particulier le principe d'indépendance des professeurs d'université, reconnu par le Conseil constitutionnel comme un principe de valeur constitutionnelle. En d'autres termes, le Conseil constitutionnel n'a accepté la modification de libertés constitutionnelles par le législateur que dans le sens du renforcement des garanties fondamentales.
Le passage de la décision du 20 janvier 1984 est le suivant :
« Considérant que si l'abrogation des dispositions de la loi ancienne contraires aux dispositions de la loi nouvelle ainsi que le maintien en vigueur de la réglementation ancienne jusqu'à son remplacement par une réglementation nouvelle n'appellent pas d'observations du point de vue de leur conformité à la Constitution, en revanche l'abrogation totale de la loi d'orientation du 12 novembre 1968 dont certaines dispositions donnaient aux enseignants des garanties conformes aux exigences constitutionnelles qui n'ont pas été remplacées dans la présente loi par des garanties équivalentes n'est pas conforme à la Constitution. »
Ceci signifie que les garanties constitutionnelles en matière de personnel d'enseignement supérieur ne peuvent être conservées qu'en laissant coexister les lois Faure de 1968 et Savary de 1984. Or, la codification actuelle ne reprend évidemment que les dispositions de la loi de 1984 et abroge totalement la loi de 1968, ce qui fait que les garanties fondamentales inscrites dans la décision du Conseil constitutionnel ne se trouvent plus inscrites dans la loi, c'est-à-dire dans le code.
Ainsi, on le voit, la loi d'habilitation, permettant l'édiction d'un « code de l'éducation », conduit à une abrogation implicite de dispositions législatives antérieures conservées par le Conseil constitutionnel en fonction d'un contrôle de constitutionnalité au fond, dispositions qui disparaîtraient si le code était édicté.
Pour ces différents motifs, la loi contestée doit être déclarée contraire à la Constitution.
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