JORF n°0077 du 1 avril 2014

Les députés requérants estiment que les dispositions de l'article 1er portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines.
L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
Les députés requérants partagent l'analyse du rapporteur pour avis de la commission des lois du Sénat et souhaitent citer sa démonstration :
« En premier lieu, l'employeur doit "informer, par tout moyen approprié, des repreneurs potentiels” et "réaliser sans délai un document de présentation de l'établissement destiné aux repreneurs potentiels”. Votre rapporteur s'interroge sur le caractère peu réaliste et relativement imprécis de ces obligations, car il n'est pas aisé d'identifier la liste de tous les repreneurs potentiels. Or, il appartiendra au tribunal de commerce de vérifier que cette obligation a été respectée et, s'il y a lieu, de sanctionner l'employeur. Le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui trouve à s'appliquer en dehors du domaine pénal à l'égard de toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si elle n'est pas prononcée par une juridiction répressive, suppose que les obligations susceptibles de donner lieu à sanction soient définies de façon suffisamment claire et précise pour éviter une appréciation arbitraire. » (2)
En outre, dans son rapport sur la proposition de loi, la rapporteure de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a rappelé les observations du Conseil d'Etat concernant la constitutionnalité de la sanction (3) :
« Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le Conseil d'Etat, dans son avis sur la proposition de loi, considère que la constitutionnalité de la sanction peut être assurée si quatre critères cumulatifs sont respectés :
― réduire les délais et les formalités que devront satisfaire les entreprises, notamment ;
― en les articulant davantage avec les procédures existantes de licenciement collectif ;
― caractériser davantage la notion d'"offre sérieuse” pour tenter de l'objectiver ;
― prévoir le cas où l'entreprise peut légitimement refuser une offre, même sérieuse ;
― sans risquer une sanction ;
― prévoir un montant maximum de la sanction qui ne soit pas disproportionné. »
Or, en prévoyant une sanction qui peut atteindre vingt fois la valeur du SMIC par emploi supprimé, plafonnée à 2 % du montant du chiffre d'affaires et le remboursement des aides attribuées les deux années précédentes, le montant maximum des peines ne répond pas à ces exigences, en particulier à la dernière d'entre elles. Par de tels montants, l'entreprise concernée est en effet susceptible de se voir pénalisée au point que d'autres secteurs d'activité que celui concerné par l'établissement en cause soient menacés.
Le montant maximal de la sanction encourue, alors qu'il s'applique par construction à des licenciements collectifs et à des secteurs économiquement fragiles, est manifestement disproportionné au regard des manquements qu'il sanctionne.
Enfin, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de censurer la prise en compte du chiffre d'affaires comme critère de plafonnement d'une pénalité : « pour l'instauration d'un plafonnement global du montant des sanctions pouvant être encourues, le législateur a retenu des critères de calcul, alternatifs au seuil de 10 000 euros, en proportion du chiffre d'affaires ou du montant des recettes brutes déclaré, sans lien avec les infractions, et qui revêtent un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions réprimées » (décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, cons. 49).
Au regard de cette analyse, l'article 1er porte atteinte au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.
Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.

(2) Avis n° 316, commission des lois, Sénat, page 17. (3) Rapport n° 1238, commission des affaires économiques, Assemblée nationale, pages 76-77.


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Version 1

Les députés requérants estiment que les dispositions de l'article 1er portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines.

L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Les députés requérants partagent l'analyse du rapporteur pour avis de la commission des lois du Sénat et souhaitent citer sa démonstration :

« En premier lieu, l'employeur doit "informer, par tout moyen approprié, des repreneurs potentiels” et "réaliser sans délai un document de présentation de l'établissement destiné aux repreneurs potentiels”. Votre rapporteur s'interroge sur le caractère peu réaliste et relativement imprécis de ces obligations, car il n'est pas aisé d'identifier la liste de tous les repreneurs potentiels. Or, il appartiendra au tribunal de commerce de vérifier que cette obligation a été respectée et, s'il y a lieu, de sanctionner l'employeur. Le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui trouve à s'appliquer en dehors du domaine pénal à l'égard de toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si elle n'est pas prononcée par une juridiction répressive, suppose que les obligations susceptibles de donner lieu à sanction soient définies de façon suffisamment claire et précise pour éviter une appréciation arbitraire. » (2)

En outre, dans son rapport sur la proposition de loi, la rapporteure de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a rappelé les observations du Conseil d'Etat concernant la constitutionnalité de la sanction (3) :

« Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le Conseil d'Etat, dans son avis sur la proposition de loi, considère que la constitutionnalité de la sanction peut être assurée si quatre critères cumulatifs sont respectés :

― réduire les délais et les formalités que devront satisfaire les entreprises, notamment ;

― en les articulant davantage avec les procédures existantes de licenciement collectif ;

― caractériser davantage la notion d'"offre sérieuse” pour tenter de l'objectiver ;

― prévoir le cas où l'entreprise peut légitimement refuser une offre, même sérieuse ;

― sans risquer une sanction ;

― prévoir un montant maximum de la sanction qui ne soit pas disproportionné. »

Or, en prévoyant une sanction qui peut atteindre vingt fois la valeur du SMIC par emploi supprimé, plafonnée à 2 % du montant du chiffre d'affaires et le remboursement des aides attribuées les deux années précédentes, le montant maximum des peines ne répond pas à ces exigences, en particulier à la dernière d'entre elles. Par de tels montants, l'entreprise concernée est en effet susceptible de se voir pénalisée au point que d'autres secteurs d'activité que celui concerné par l'établissement en cause soient menacés.

Le montant maximal de la sanction encourue, alors qu'il s'applique par construction à des licenciements collectifs et à des secteurs économiquement fragiles, est manifestement disproportionné au regard des manquements qu'il sanctionne.

Enfin, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de censurer la prise en compte du chiffre d'affaires comme critère de plafonnement d'une pénalité : « pour l'instauration d'un plafonnement global du montant des sanctions pouvant être encourues, le législateur a retenu des critères de calcul, alternatifs au seuil de 10 000 euros, en proportion du chiffre d'affaires ou du montant des recettes brutes déclaré, sans lien avec les infractions, et qui revêtent un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions réprimées » (décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, cons. 49).

Au regard de cette analyse, l'article 1er porte atteinte au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.

(2) Avis n° 316, commission des lois, Sénat, page 17. (3) Rapport n° 1238, commission des affaires économiques, Assemblée nationale, pages 76-77.