Plus long parce que les délais d'audience et de délibérations vont mécaniquement augmenter. L'étude d'impact prévoit ainsi une augmentation du nombre d'audiences de 7 300 devant les tribunaux correctionnels (6 800 + 500 audiences supplémentaires en comparution immédiate), 1 225 en appel, et 1 200 pour l'application des peines (p. 53). Et encore, comme l'indique à juste titre la note du Syndicat de la magistrature, il s'agit d'estimations a minima qui se fondent sur l'idée que la recriminalisation de certains délits grâce à la nouvelle formation de la cour d'assises simplifiée allégera le fardeau des tribunaux correctionnels dans leur formation citoyenne (p. 11). Or de cour d'assises simplifiée telle qu'initialement envisagée il n'est plus question dans la loi qui vous est déférée.
De surcroît, l'étude d'impact était fondée sur un champ de compétence plus étroit que le texte finalement retenu qui, à l'initiative du rapporteur de la commission des lois du Sénat, a élargi le périmètre des délits entrant dans la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne (rapport n° 489 [n° 2010-2011], p. 61). Le nombre d'audiences estimé par cette étude se trouve ainsi largement et manifestement sous-estimé.
Plus complexe parce que l'étude d'impact le dit elle-même : « Outre l'accroissement du nombre d'audiences, la création de deux nouveaux types de juridictions (tribunal correctionnel avec citoyens assesseurs et cour d'assises simplifiée) rendra l'audiencement des affaires un peu plus complexe » (p. 52). Comme l'indique la note de l'Union syndicale des magistrats : cette « situation va conduire à prévoir cinq types d'audiences correctionnelles (audiences à juge unique ; audiences collégiales ne comportant que des professionnels, voire deux professionnels et un juge de proximité ; audiences collégiales comportant deux citoyens assesseurs ; audiences correctionnelles comportant un juge des enfants ; audiences correctionnelles comportant un juge des enfants et eux assesseurs citoyens) et à répartir les dossiers entre ces cinq types de formation » (p. 11). Les questions de renvoi de compétence entre ces différentes formations ne manqueront pas de complexifier encore un peu plus le déroulement du procès pénal.
Plus cher enfin en raison du cout de la construction de nouvelles salles d'audience et d'aménagements immobiliers (30 millions d'euros, p. 54 de l'étude d'impact) ; de l'augmentation du nombre de magistrats et de greffiers (non chiffrée financièrement) ; de l'indemnisation des citoyens assesseurs (7,9 millions d'euros), sans compter les frais induits par la gestion de leur recrutement.
Ainsi ne pourrez-vous que constater le manquement manifeste aux exigences constitutionnelles d'une bonne administration de la justice et du bon usage des deniers publics.
II. ― Sur la nouvelle formation des cours d'assises
Ce sont ici à la composition de la cour, et plus précisément aux règles relatives aux prises de décision en son sein (1), ainsi qu'à la possibilité de différer la motivation de ses arrêts (2), que font grief les auteurs de la saisine.
- Quant à la composition de la cour d'assises :
Le projet de loi initiale prévoyait une formation restreinte de la cour d'assises compétente pour juger les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion criminelle, composée de la cour proprement dite comprenant trois magistrats, et de deux citoyens assesseurs, sauf en cas de récidive, et sauf refus de l'accusé ou du parquet.
La commission des lois de l'Assemblée nationale, quant à elle, avait retenu une composition distincte mais avec les mêmes conditions de compétence, composée de trois magistrats et d'un jury comprenant trois jurés.
C'est néanmoins la composition proposée par le Sénat qui a finalement été retenue. Il a ainsi été renoncé à une composition restreinte pour certains crimes, au profit d'une baisse générale du nombre de jurés dans toutes les hypothèses, passant de neuf à six lorsque la cour statue en premier ressort, et de douze à neuf lorsqu'elle statue en appel.
Les griefs soulevés par les requérants portent en réalité ici non pas tant sur la composition de la nouvelle cour d'assises, que sur le nouveau système de prise de décisions, et plus précisément sur la majorité requise pour l'adoption des décisions défavorables à l'accusé en premier ressort.
Ainsi l'article 359 du code de procédure pénale (issu de la loi) dispose-t-il que : « Toute décision défavorable à l'accusé se forme à la majorité de six voix au moins lorsque que la cour d'assises statue en premier ressort et à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel. »
Le système de majorité au sein de la formation d'appel ne soulève aucune difficulté d'un point de vue constitutionnel, puisqu'il reprend la majorité de l'actuelle formation de premier ressort. En revanche, le mécanisme de formation des décisions défavorables de première instance pose question au regard des principes constitutionnels applicables aux formations d'assises.
En effet, dans le système actuel, nulle condamnation ne peut être prononcée sans qu'au moins la majorité absolue des jurés y soit favorable, soit au moins cinq jurés sur neuf plus trois magistrats, tout comme cette même majorité peut à elle seule s'opposer à une décision défavorable, ce qui est communément qualifié de « minorité de faveur ».
Or avec le nouveau système retenu, la minorité de faveur est maintenue, puisque quatre jurés pourront encore s'opposer à une décision défavorable, mais une décision défavorable pourra être adoptée avec seulement l'accord de trois jurés et de trois magistrats. En d'autres termes, la majorité du jury perd son pouvoir de décision défavorable, et par la même c'est le jury qui perd de facto son pouvoir décisionnaire.
Pourtant, historiquement, le pouvoir décisionnaire des jurés est consubstantiel à l'apparition du jury. Depuis sa création par le décret des 16-29 septembre 1791, puis l'apparition de la cour d'assises dans le code d'instruction criminelle de 1808, en passant par la réforme de 1832 leur permettant d'accorder des circonstances atténuantes, et celle de 1932 les faisant délibérer avec les magistrats sur la peine, et ce jusqu'à ce qu'intervienne la loi vichyste du 25 novembre 1941, les jurés ont toujours décidé des décisions défavorables aux accusés, et principalement de leur culpabilité ; d'ailleurs ils ne statuaient que sur cette dernière, jusqu'en 1932.
Jusqu'en 1941, et quelle que furent les changements des règles de majorité au sein des jurys (6), les jurés décidaient donc seuls de la culpabilité. La loi de 1941 au contraire, comme le relève Denis SALAS, « introduit un échevinage complet (délibération commune entre juges et jurés sur la culpabilité et la peine) », et « le jury perd sa souveraineté sur les faits même s'il conserve la majorité dans le vote et garde une influence sur la peine » (7). Cette perte de souveraineté provenait du fait que le nombre de jurés avait été ramené de douze à six pour trois magistrats et que les décisions étaient prises à la majorité simple.
(6) Comme l'indique Roger MERLE et André VITU : « Comment se dégage la majorité ? La législation française n'a jamais imposé le système de l'unanimité des voix, sauf avec une loi du 19 Fructidor an V, mais elle a hésité, selon les époques, entre la majorité simple, admis par le code d'instruction criminelle dans sa rédaction primitive, puis par une loi du 9 septembre 1835, enfin une loi du 8 juin 1853, était demeurée en vigueur jusqu'en 1959. Une majorité particulière avait été exigée en 1791 et dans le code de Brumaire an IV, dans des lois de 1831 et 1832, et dans un décret du 4 mars 1848 ; c'est lui que le code de procédure pénale a de nouveau consacré » (Traité de droit criminel, tome II, procédure pénale, Cujas, 2001, p. 882). (7) Juger en démocratie, in Association française pour l'histoire de la justice, La cour d'assises. Bilan d'un héritage démocratique, La Documentation française, 2001, p. 10.
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