Or, si l'article 146 ter était interprété comme autorisant le rapporteur public à ne faire connaître ses conclusions qu'à la formation de jugement, et non au justiciable concerné, il encourrait alors votre censure, car, comme l'a relevé la Cour européenne des droits de l'homme, « la notion de procès équitable implique aussi en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d'influencer sa décision, et de la discuter » (Kress c. France du 7 juin 2001, n° 39594/98, § 74).
B. ― Quant à l'égalité devant la justice :
Vous avez jugé conforme à la Constitution dans votre décision n° 2010-54 QPC précitée qu'il était loisible au législateur de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le champ des exceptions au principe selon lequel les tribunaux administratifs et le cours administratives d'appel siègent en formation collégiale.
La disposition alors en cause inscrite à l'article L. 222-1 du code de justice administrative prévoyait que : « Les jugements des tribunaux administratifs et les arrêts des cours administratives d'appel sont rendus par des formations collégiales, sous réserve des exceptions tenant à l'objet du litige ou à la nature des questions à juger. »
Comme l'indique le commentaire aux Cahiers de votre décision, les requérants invoquaient notamment la violation du principe d'égalité devant la justice, en s'appuyant sur votre décision n° 75-56 DC du 23 juillet 1975, dans laquelle vous aviez jugé qu'il faisait « obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes » (cons. 5).
Or vous avez rejeté leurs prétentions au regard de deux considérations que l'on ne retrouve pas en l'espèce.
D'abord que la loi n'habilitait « pas à fixer des catégories de matières ou de questions qui ne reposeraient pas sur des critères objectifs » (cons. 5). L'inverse eût néanmoins été étonnant. Mais tout au moins l'article L. 222-1 prévoyait-il que les exceptions devraient tenir compte de « l'objet du litige » ou de « la nature des questions à juger ».
Or rien de tel en l'espèce puisque l'article 146 ter se contente d'une référence aux « matières énumérées par décret en Conseil d'Etat » sans plus de précisions, sans référence à de quelconques critères objectifs.
Par ailleurs, le commentaire aux Cahiers indique que la référence à votre décision n° 75-56 DC n'était pas pertinente, car si vous aviez alors jugé que la disposition laissant au président du tribunal de grande instance la faculté de décider si l'affaire devait être jugée par trois magistrats selon le droit commun ou par un seul méconnaissait l'égalité devant la justice, c'est parce qu'il pouvait le faire « en toutes matières », et de manière totalement « discrétionnaire ».
Or l'article L. 222-1 au contraire ne conférait aucun pouvoir discrétionnaire aux présidents des tribunaux et cours. Une fois la liste de matières définies par le pouvoir réglementaire, la formation, collégiale ou unique, était connue.
A l'inverse, la disposition ici disputée, si elle prévoit effectivement l'établissement d'une liste d'exceptions ― dont on a néanmoins vu qu'elle ne contenait pas de critères objectifs, réintroduit une part de pouvoir discrétionnaire puisque, selon l'idée que le rapporteur public et le président de la formation de jugement se feront de « la nature des questions à juger », il y aura oui ou non intervention dudit rapporteur à l'audience.
La différence de traitement qui résultera de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, entre des justiciables qui se trouvent pourtant dans des situations semblables, est dès lors constitutive d'une rupture d'égalité devant la justice qui appelle votre censure.
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