B. ― Sur le calcul de l'assiette de la contribution
- Celle-ci est constituée du « potentiel financier » des organismes concernés, auquel est ensuite appliqué un taux proportionnel et progressif déterminé en fonction du nombre de logements détenus.
Ce potentiel financier est, à quelques éléments près, celui défini par l'actuel troisième alinéa de l'article L. 423-14.
Toutefois, un changement très important résulterait de la disposition contestée par rapport au droit en vigueur puisque le barème s'appliquerait à la moyenne des potentiels financiers par logement des cinq exercices précédents, au lieu des deux exercices précédents dans le droit présent. - Le mécanisme actuel, parce qu'il poursuivait deux objectifs contradictoires, a donné des résultats contrastés.
D'un côté, il tendait à réveiller les dodus dormants et, à cet égard, il a assez largement réussi. Mais, d'un autre côté, il visait également à apporter des ressources aussi élevées que possible à la CGLLS dont les pouvoirs publics sont d'autant plus friands qu'ils peuvent, comme on l'a déjà souligné (supra, 4), présenter ces sommes comme représentatives de leur propre effort. Toutefois, plus le premier objectif était atteint, moins le second pouvait l'être, puisque les investissements auxquels les organismes ont été incités ont eu pour effet automatique de diminuer le rendement du prélèvement opéré sur leurs réserves.
Certes, il s'était également trouvé que certains organismes avaient découvert la possibilité de recourir à l'optimisation fiscale pour réduire, y compris d'une manière que les pouvoirs publics jugent artificielle, l'écart entre les ressources de long terme et les emplois à long terme, ce qui réduisait dans les mêmes proportions le montant du prélèvement.
C'est donc officiellement pour mettre fin à cette pratique, mais en réalité pour grossir bien au-delà de celle-ci le produit des prélèvements, que le législateur entend prendre en considération le potentiel financier par logement des cinq exercices précédents : puisque la référence aux deux dernières années ne produit pas assez, on passera à cinq. - L'essentiel ici tient à la profondeur que revêt la prise en considération d'exercices antérieurs.
Cette prise en considération est déjà présente dans le dispositif actuel, même si elle n'est limitée qu'à deux exercices. Mais, sachant que « la conformité à la Constitution des termes d'une loi promulguée ne peut être utilement contestée qu'à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine » (10), ce principe rétrospectif peut être critiqué autant que nécessaire. - Il pourrait l'être du point de vue de la rétroactivité. Sur celle-ci, le Conseil constitutionnel, tout en observant que :
« le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive »,
rappelle néanmoins que :
« si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles » (11).
En ajoutant l'adjectif « suffisant » depuis la décision précitée, le Conseil a entendu montrer qu'il ne saurait se satisfaire de n'importe quelle invocation d'un intérêt général imprécis et que, celui-ci étant identifié, il faut encore qu'il soit assez impératif pour rendre légitime la rétroactivité éventuelle.
Mais c'est au regard d'un autre fondement que ce dispositif mérite d'être déclaré contraire à la Constitution. - En effet, l'on n'en connaît pas d'autre qui conduise à remonter si loin dans le passé : cinq exercices antérieurs, que les intéressés pouvaient croire définitivement soldés, produiraient désormais des effets de droit, au demeurant découverts a posteriori.
L'ampleur, semble-t-il inédite, de ce retour en arrière ne peut laisser le Conseil constitutionnel indifférent.
Admettre que le législateur puisse, à tout moment et sans préavis, remettre en cause des situations légalement acquises est évidemment un problème, surtout lorsque la mesure n'a d'autre objet que de gonfler le produit d'un prélèvement obligatoire (12).
Si la jurisprudence, jusqu'ici, a toujours refusé de reconnaître valeur constitutionnelle au principe de sécurité juridique (ou à son équivalent communautaire qu'est celui de confiance légitime), elle s'en approche néanmoins fréquemment par le recours au principe de la garantie des droits tel qu'énoncé à l'article 16 de la Déclaration de 1789. Celle-ci, en effet, se trouve entamée si, d'une manière ou d'une autre, les titulaires de droits soit voient ceux-ci remis en cause, soit sont placés dans l'impossibilité de les exercer normalement.
Ce serait le cas en l'espèce. - La construction de logements sociaux est une opération de long terme, que l'on ne saurait assimiler à des consommations immédiates.
Elle suppose de se projeter plusieurs décennies dans le futur. Elle implique, en particulier pour des programmes ambitieux, la mobilisation de ressources importantes, lesquelles exigent plusieurs années, parfois nombreuses, pour être réunies.
Dans ces conditions, les « dodus » ne peuvent dormir que d'un œil et s'occuper, en réalité, à accumuler des réserves non pour thésauriser ― ce qui, dans leur cas, ne présenterait aucun intérêt tangible ― mais en vue de financer le moment venu les programmes qu'ils se proposent de mettre en œuvre.
Ayant normalement acquitté les prélèvements, pouvant normalement s'estimer à l'abri d'un impôt de solidarité sur la fortune des personnes morales dont ils seraient les seuls contributeurs, les organismes concernés étaient jusqu'ici en droit de considérer que les exercices clos du passé ne produiraient plus d'autres effets que ceux enregistrés dans leurs résultats. - Or voici que deux lois coup sur coup, l'une en 2009 et l'autre dès 2010 remettent en cause ce qu'ils pouvaient légitimement tenir pour acquis, retraitent leur situation passée pour leur imposer une contribution présente et future, alourdie par ce subterfuge.
Dans ce mécanisme, le législateur ne se pose pas la question de savoir si les conséquences de ces retours en arrière, inattendus et d'une importance aggravée par la loi déférée, compromettent la réalisation de programmes envisagés ou bouleversent les plans d'investissements, souvent définis longtemps à l'avance, que les intéressés avaient pu bâtir, ou encore aboutissent à des prélèvements d'un montant excessif pour beaucoup, exorbitant pour certains.
C'est bien la garantie des droits qui se trouve alors directement atteinte, puisque l'on découvre que des droits que l'on croyait légalement et définitivement acquis peuvent retentir négativement sur le devenir de leurs titulaires en produisant, au-delà de la clôture de chaque exercice, des conséquences de droit et financières imprévisibles a priori. - Le droit, notamment fiscal, connaît des situations assez nombreuses dans lesquelles la situation d'une personne s'apprécie au regard des variations qui ont pu être enregistrées entre une année et l'année précédente.
L'actuel article L. 423-14 plonge son regard sur deux exercices antérieurs, ce qui est déjà assez inusuel. En faisant porter cette rétro-vision non plus sur deux mais sur cinq exercices clos, la disposition contestée, outre qu'elle entamerait comme on vient de le voir la garantie des droits, créerait un précédent des plus préoccupants : si le législateur, à tout moment, sur tout sujet, pour toute finalité pouvait décider de donner au passé des effets juridiques autres que ceux que ce passé lui-même avait produits, alors il n'existerait plus aucune sécurité, d'aucune sorte, pour quiconque.
Telles sont les raisons pour lesquelles ce dispositif doit être déclaré contraire à la Constitution et le sera.
(10) Par exemple, CC, décision n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003, considérant n° 10. (11) Décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, considérant n° 5. (12) Et le prétexte avancé de l'optimisation fiscale saurait d'autant moins convaincre que si celle-ci produisait des effets importants sur deux exercices, ce qui n'est d'ailleurs pas réellement le cas, elle ne tarderait pas à produire les mêmes sur cinq exercices.
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