JORF n°0263 du 13 novembre 2013

RECOMMANDATIONS DU 17 OCTOBRE 2013 DU CONTRÔLEUR GÉNÉRAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ PRISES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 9 DE LA LOI DU 30 OCTOBRE 2007 ET RELATIVES AUX CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS D'HENDAYE (PYRÉNÉES-ATLANTIQUES) ET DE PIONSAT (PUY-DE-DÔME) 1. L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu'il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d'y répondre. Postérieurement à la réponse obtenue, il constate s'il a été mis fin à la violation signalée ; il peut rendre publiques ses observations et les réponses obtenues.
En application de cette disposition d'urgence, qu'il emploie pour la troisième fois, le contrôleur général publie les présentes recommandations relatives aux centres éducatifs fermés l'Arverne à Pionsat (Puy-de-Dôme) et Txingudi à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques), visités par deux équipes de contrôleurs respectivement du 27 au 30 août et du 23 au 26 septembre 2013.
2. Il a rendu destinataires des présentes recommandations le ministre de l'éducation nationale, la garde des sceaux, ministre de la justice, et la ministre des affaires sociales et de la santé. Un délai de dix-sept jours leur a été imparti pour faire connaître leurs observations. La garde des sceaux a fait connaître les siennes publiées ci-après. Les autres ministres n'ont pas répondu. La procédure habituelle, qui prévoit la rédaction par les contrôleurs d'un rapport de visite exhaustif, se poursuit et les rapports définitifs seront communiqués aux ministres compétents pour recueillir à nouveau leurs observations. Ils seront rendus publics à la fin de la procédure.
3. La Convention internationale des droits de l'enfant, que la France a signée et ratifiée, prévoit que « le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel... » (article 3, paragraphe 3).
La sécurité et la santé sont donc des objectifs nécessaires aux institutions qui accueillent les enfants. Compte tenu des risques inhérents aux comportements de mineurs et, a fortiori, d'enfants ayant déjà connu à divers degrés la délinquance, ces exigences ne sont qu'une autre manière d'illustrer le droit à la vie et le droit de ne pas subir des comportements inhumains et dégradants, tels qu'ils figurent tous les deux dans la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales tout autant que dans la Convention internationale des droits de l'enfant (articles 6 et 37).
Deux constats relevés au centre éducatif fermé d'Hendaye sont en contradiction avec ces principes.
4. L'implantation du centre a été choisi sur un terrain d'assiette du domaine public attaché autrefois à la marine nationale. Son accès est difficile et mérite d'être détaillé :
― la route donnant accès au centre (via un tunnel) est inaccessible aux piétons et son aménagement n'est pas prévu à cette fin ;
― il existe un ponton à usage de débarcadère sur les bords de la Bidassoa, évidemment utilisé antérieurement par les marins, mais qui ne sert plus qu'occasionnellement au centre pour des sorties récréatives ; un projet d'aménagement remet d'ailleurs en cause cette facilité ;
― la seule issue pour un jeune à pied est donc la double traversée des voies ferrées, d'une part, et de la voie de tramway Hendaye―Irun, d'autre part ; cette dernière est protégée par un passage à niveau mais les secondes sont interdites aux piétons et ne comportent aucun aménagement protecteur.
Certes, des piétons traversent fréquemment les voies. Mais la traversée des voies ferrées, même encadrée, et a fortiori à l'occasion d'une sortie improvisée ou d'une fugue, par des enfants hébergés au centre éducatif fermé, n'est pas conforme à la sécurité requise par les principes juridiques rappelés ci-dessus. Elle fait courir à ces mineurs, qui peuvent échapper en permanence à la vigilance des éducateurs, des risques importants et constitue donc, en raison de son caractère permanent, une atteinte grave à leur droit à la vie.
5. Certes, le centre va prochainement s'installer dans la commune proche de Bidart. Mais ce n'est qu'à titre provisoire, pour qu'y soient réalisés des travaux qui, conformément aux directives nationales, vont accroître la capacité d'accueil des lieux, au prix d'ailleurs d'une dégradation des conditions de logement pour une partie des mineurs accueillis. Fonctionnant avec des effectifs supplémentaires à son retour à Hendaye, le centre va ainsi contribuer à l'accroissement des risques encourus. Le choix d'implantation, fait en 2003, en dit long sur le sérieux avec lequel les dimensions de sécurité et d'éducation ont été alors envisagées.
6. Méconnaît également gravement la portée de cette stipulation de la convention la découverte, dans les congélateurs du centre, de stocks importants de viande dont la date de consommation était dépassée depuis plusieurs mois. Peut-être ces aliments n'auraient-ils pas été donnés en nourriture aux enfants : nul ne peut l'affirmer. En outre, dès le fait connu, la direction a pris aussitôt les mesures qui s'imposaient. Il est pourtant établi qu'à tout le moins les mineurs hébergés au centre ont couru un risque pour leur santé du fait de la mauvaise gestion des aliments qui leur étaient destinés. D'ailleurs, lors de la visite, la dernière inspection des services vétérinaires remontait à 2008, et aucun contrôle régulier d'un laboratoire d'hygiène indépendant n'était prévu.
7. L'article 29 de la Convention internationale des droits de l'enfant met l'accent sur l'éducation et le sens qu'elle doit avoir, s'agissant de « l'épanouissement de la personnalité » de chacun et de « ses aptitudes mentales et physiques ». L'ordonnance du 2 février 1945 modifiée prévoit que les centres éducatifs fermés doivent être l'objet de mesures de surveillance et de contrôle « permettant d'assurer un suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté » à la personnalité des mineurs accueillis.
8. Tel n'est pas ce que les contrôleurs qui ont visité le centre éducatif fermé de Pionsat ont constaté. Sans que la bonne volonté des éducateurs, d'ailleurs peu qualifiés et formés, puisse être mise en cause, ils ont relevé l'absence totale de projet éducatif. Un projet d'établissement écrit en juin 2010 avant l'ouverture de la structure tient lieu de projet de service. Mais ce document n'est, en tout état de cause, pas connu des personnels.
Lors de la visite, les occupations des enfants étaient décidées le matin même pour la journée. En début de matinée, ni les jeunes ni les éducateurs ne savaient ce qu'ils allaient faire, faute de réflexion sur un emploi du temps élaboré à l'avance. Au cours d'entretiens, des enfants se sont plaints eux-mêmes du manque d'organisation de la structure.
En effet, les « activités », durant le contrôle, étaient largement improvisées (fauchage des abords, sorties avec l'homme d'entretien pour acheter du petit matériel, match de football à quatre sur le terrain multisports goudronné...) et ne présentaient qu'un intérêt éducatif très limité, voire inexistant, pour les jeunes.
Rien n'était prévu pour compenser le vide laissé par l'absence de travail scolaire pendant les congés d'été. Au surplus, aucun enseignant, à la date de la visite (27-30 août 2013), n'était affecté par l'inspection académique, à quelques jours de la rentrée, dans cette institution recevant des enfants soumis à l'obligation scolaire.
Ces manquements, par leur importance, et alors même qu'une nouvelle direction, en place quelques jours avant la visite, avait clairement perçu ces graves lacunes, constituent une atteinte grave aux droits des enfants à leur éducation telle qu'elle est définie par les textes susmentionnés.
9. Ces constats conduisent le Contrôleur général des lieux de privation de liberté à recommander instamment :
― le déplacement définitif du centre éducatif fermé d'Hendaye vers un autre lieu compatible avec la sécurité et la santé des enfants accueillis ;
― une analyse complète, plurifactorielle et écrite préalable au choix des sites où doivent être ouverts des centres éducatifs fermés ;
― une nouvelle fois (cf. Recommandations du 1er décembre 2010 du contrôle général relatives à quatre centres éducatifs fermés, Journal officiel du 8 décembre 2010), l'attention portée à la formation des éducateurs, initiale ou continue ;
― l'obligation pour tous les centres éducatifs fermés, y compris à Pionsat, de définir un projet éducatif identifiable, connu de tous, contrôlable et contrôlé par les services territoriaux compétents et actualisable ;
― la nécessité pour les autorités compétentes de nommer des enseignants dans des délais compatibles avec les besoins des enfants et d'assurer une permanence éducative durant les congés d'été.


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RECOMMANDATIONS DU 17 OCTOBRE 2013 DU CONTRÔLEUR GÉNÉRAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ PRISES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 9 DE LA LOI DU 30 OCTOBRE 2007 ET RELATIVES AUX CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS D'HENDAYE (PYRÉNÉES-ATLANTIQUES) ET DE PIONSAT (PUY-DE-DÔME) 1. L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu'il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d'y répondre. Postérieurement à la réponse obtenue, il constate s'il a été mis fin à la violation signalée ; il peut rendre publiques ses observations et les réponses obtenues.

En application de cette disposition d'urgence, qu'il emploie pour la troisième fois, le contrôleur général publie les présentes recommandations relatives aux centres éducatifs fermés l'Arverne à Pionsat (Puy-de-Dôme) et Txingudi à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques), visités par deux équipes de contrôleurs respectivement du 27 au 30 août et du 23 au 26 septembre 2013.

2. Il a rendu destinataires des présentes recommandations le ministre de l'éducation nationale, la garde des sceaux, ministre de la justice, et la ministre des affaires sociales et de la santé. Un délai de dix-sept jours leur a été imparti pour faire connaître leurs observations. La garde des sceaux a fait connaître les siennes publiées ci-après. Les autres ministres n'ont pas répondu. La procédure habituelle, qui prévoit la rédaction par les contrôleurs d'un rapport de visite exhaustif, se poursuit et les rapports définitifs seront communiqués aux ministres compétents pour recueillir à nouveau leurs observations. Ils seront rendus publics à la fin de la procédure.

3. La Convention internationale des droits de l'enfant, que la France a signée et ratifiée, prévoit que « le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel... » (article 3, paragraphe 3).

La sécurité et la santé sont donc des objectifs nécessaires aux institutions qui accueillent les enfants. Compte tenu des risques inhérents aux comportements de mineurs et, a fortiori, d'enfants ayant déjà connu à divers degrés la délinquance, ces exigences ne sont qu'une autre manière d'illustrer le droit à la vie et le droit de ne pas subir des comportements inhumains et dégradants, tels qu'ils figurent tous les deux dans la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales tout autant que dans la Convention internationale des droits de l'enfant (articles 6 et 37).

Deux constats relevés au centre éducatif fermé d'Hendaye sont en contradiction avec ces principes.

4. L'implantation du centre a été choisi sur un terrain d'assiette du domaine public attaché autrefois à la marine nationale. Son accès est difficile et mérite d'être détaillé :

― la route donnant accès au centre (via un tunnel) est inaccessible aux piétons et son aménagement n'est pas prévu à cette fin ;

― il existe un ponton à usage de débarcadère sur les bords de la Bidassoa, évidemment utilisé antérieurement par les marins, mais qui ne sert plus qu'occasionnellement au centre pour des sorties récréatives ; un projet d'aménagement remet d'ailleurs en cause cette facilité ;

― la seule issue pour un jeune à pied est donc la double traversée des voies ferrées, d'une part, et de la voie de tramway Hendaye―Irun, d'autre part ; cette dernière est protégée par un passage à niveau mais les secondes sont interdites aux piétons et ne comportent aucun aménagement protecteur.

Certes, des piétons traversent fréquemment les voies. Mais la traversée des voies ferrées, même encadrée, et a fortiori à l'occasion d'une sortie improvisée ou d'une fugue, par des enfants hébergés au centre éducatif fermé, n'est pas conforme à la sécurité requise par les principes juridiques rappelés ci-dessus. Elle fait courir à ces mineurs, qui peuvent échapper en permanence à la vigilance des éducateurs, des risques importants et constitue donc, en raison de son caractère permanent, une atteinte grave à leur droit à la vie.

5. Certes, le centre va prochainement s'installer dans la commune proche de Bidart. Mais ce n'est qu'à titre provisoire, pour qu'y soient réalisés des travaux qui, conformément aux directives nationales, vont accroître la capacité d'accueil des lieux, au prix d'ailleurs d'une dégradation des conditions de logement pour une partie des mineurs accueillis. Fonctionnant avec des effectifs supplémentaires à son retour à Hendaye, le centre va ainsi contribuer à l'accroissement des risques encourus. Le choix d'implantation, fait en 2003, en dit long sur le sérieux avec lequel les dimensions de sécurité et d'éducation ont été alors envisagées.

6. Méconnaît également gravement la portée de cette stipulation de la convention la découverte, dans les congélateurs du centre, de stocks importants de viande dont la date de consommation était dépassée depuis plusieurs mois. Peut-être ces aliments n'auraient-ils pas été donnés en nourriture aux enfants : nul ne peut l'affirmer. En outre, dès le fait connu, la direction a pris aussitôt les mesures qui s'imposaient. Il est pourtant établi qu'à tout le moins les mineurs hébergés au centre ont couru un risque pour leur santé du fait de la mauvaise gestion des aliments qui leur étaient destinés. D'ailleurs, lors de la visite, la dernière inspection des services vétérinaires remontait à 2008, et aucun contrôle régulier d'un laboratoire d'hygiène indépendant n'était prévu.

7. L'article 29 de la Convention internationale des droits de l'enfant met l'accent sur l'éducation et le sens qu'elle doit avoir, s'agissant de « l'épanouissement de la personnalité » de chacun et de « ses aptitudes mentales et physiques ». L'ordonnance du 2 février 1945 modifiée prévoit que les centres éducatifs fermés doivent être l'objet de mesures de surveillance et de contrôle « permettant d'assurer un suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté » à la personnalité des mineurs accueillis.

8. Tel n'est pas ce que les contrôleurs qui ont visité le centre éducatif fermé de Pionsat ont constaté. Sans que la bonne volonté des éducateurs, d'ailleurs peu qualifiés et formés, puisse être mise en cause, ils ont relevé l'absence totale de projet éducatif. Un projet d'établissement écrit en juin 2010 avant l'ouverture de la structure tient lieu de projet de service. Mais ce document n'est, en tout état de cause, pas connu des personnels.

Lors de la visite, les occupations des enfants étaient décidées le matin même pour la journée. En début de matinée, ni les jeunes ni les éducateurs ne savaient ce qu'ils allaient faire, faute de réflexion sur un emploi du temps élaboré à l'avance. Au cours d'entretiens, des enfants se sont plaints eux-mêmes du manque d'organisation de la structure.

En effet, les « activités », durant le contrôle, étaient largement improvisées (fauchage des abords, sorties avec l'homme d'entretien pour acheter du petit matériel, match de football à quatre sur le terrain multisports goudronné...) et ne présentaient qu'un intérêt éducatif très limité, voire inexistant, pour les jeunes.

Rien n'était prévu pour compenser le vide laissé par l'absence de travail scolaire pendant les congés d'été. Au surplus, aucun enseignant, à la date de la visite (27-30 août 2013), n'était affecté par l'inspection académique, à quelques jours de la rentrée, dans cette institution recevant des enfants soumis à l'obligation scolaire.

Ces manquements, par leur importance, et alors même qu'une nouvelle direction, en place quelques jours avant la visite, avait clairement perçu ces graves lacunes, constituent une atteinte grave aux droits des enfants à leur éducation telle qu'elle est définie par les textes susmentionnés.

9. Ces constats conduisent le Contrôleur général des lieux de privation de liberté à recommander instamment :

― le déplacement définitif du centre éducatif fermé d'Hendaye vers un autre lieu compatible avec la sécurité et la santé des enfants accueillis ;

― une analyse complète, plurifactorielle et écrite préalable au choix des sites où doivent être ouverts des centres éducatifs fermés ;

― une nouvelle fois (cf. Recommandations du 1er décembre 2010 du contrôle général relatives à quatre centres éducatifs fermés, Journal officiel du 8 décembre 2010), l'attention portée à la formation des éducateurs, initiale ou continue ;

― l'obligation pour tous les centres éducatifs fermés, y compris à Pionsat, de définir un projet éducatif identifiable, connu de tous, contrôlable et contrôlé par les services territoriaux compétents et actualisable ;

― la nécessité pour les autorités compétentes de nommer des enseignants dans des délais compatibles avec les besoins des enfants et d'assurer une permanence éducative durant les congés d'été.